Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Leçons des Matines |
La Messe |
Pendant tout l’Octave de l’Immaculée Conception (supprimé en 1955), on lisait au bréviaire la bulle Ineffabilis Deus du Bhx Pie IX, proclamant le dogme en 1854, ainsi que des lectures patristiques propres. On faisait aussi mémoire ce jour, après l’oraison de la Férie d’Avent, de St Melchiade.
Considérons la très pure Marie visitée par l’Ange Gabriel et concevant en ses chastes entrailles le Créateur de l’univers, le Rédempteur de la race humaine. Mais afin de mieux goûter le fruit d’un si grand Mystère, prêtons une oreille pieuse au séraphique saint Bonaventure, qui, dans ses ineffables Méditations sur la vie de Notre-Seigneur, raconte avec une onction que rien ne saurait imiter ces sublimes scènes de l’Évangile auxquelles l’Esprit-Saint semble l’avoir fait assister. Nous empruntons ce fragment à la traduction de l’ouvrage entier par le R. P. Dom François Le Bannier, bénédictin de la Congrégation de France [1] : « Or, après que fut venue la plénitude du temps auquel la souveraine Trinité avait arrêté de pourvoir, par l’Incarnation du Verbe, au salut du genre humain, à l’endroit duquel elle était éprise d’extrême charité ; lors, d’une part, que la bienheureuse Vierge Marie fut revenue à Nazareth, ce Dieu tout-puissant, ému par sa miséricorde, et acquiesçant aux pressantes sollicitations de l’Esprit d’en haut, appela l’Ange Gabriel, et lui dit : « Va trouver notre très aimée fille Marie, épousée à Joseph, celle sur toute créature qui nous est la plus chère, et dis à icelle que mon Fils a convoité sa beauté et se l’est choisie pour Mère, et prie-la d’accepter icelui joyeusement, parce que par elle ai décrété d’opérer le salut de tout le genre humain, et veux oublier l’injure à moi faite. »
« Se levant donc, Gabriel, joyeux et réjoui, s’envola des hauteurs, et sous l’humaine apparence, en un moment fut devant la Vierge Marie, qui lors était en la chambre à coucher de sa maisonnette. Mais il ne vola pas si vite qu’il ne fût prévenu par Dieu ; et là il trouva la Trinité sainte qui prévint son message. Adoncques qu’il fut entré chez la Vierge Marie, Gabriel, son fidèle Paranymphe, lui dit : « Salut, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous : bénie êtes-vous entre t toutes les femmes. » Mais icelle, troublée, ne répondit mot : non pas qu’elle fût troublée de trouble coupable, ni de la vision de l’Ange, d’autant qu’elle était accoutumée à souvent en voir ; ains, suivant les mots de l’Evangile, elle fut troublée en la parole d’icelui, pensant à la nouveauté d’une telle salutation ; car il n’avait point accoutumance de la saluer de la sorte.
« Or donc, comme en ladite salutation elle se voyait complimentée de trois choses, elle ne pouvait, cette humble dame, ne se troubler point. De fait, on la complimentait pour ce qu’elle était pleine de grâce, que le Seigneur était en elle, et qu’elle était bénie par-dessus toutes les femmes : mais l’humble ne peut ouïr son éloge, sans rougir et se troubler. Par ainsi son trouble provint d’une vergogne honnête et vertueuse. Elle se prit aussi à craindre et à douter s’il en allait vraiment ainsi : non qu’elle crût l’Ange capable de ne pas parler vrai ; mais c’est qu’il est propre aux humbles de n’examiner oncques leurs vertus, ains plutôt de ruminer leurs défauts, à celle fin de pouvoir toujours profiter, estimant petite ce qu’ils ont de grande vertu, et leurs plus chétifs défauts comme fort grands. Et ainsi donc qu’une femme prudente et avisée, timide et modeste, Notre-Dame rien ne répondit. Et d’effet qu’eût-elle répondu ? Apprends aussi toi-même, à son exemple, à observer le silence et aimer la taciturnité, pour ce que grande et moult utile est icelle vertu. Aussi écouta-t-elle deux fois premier que de répondre une seule ; d’autant que c’est une chose abominable pour une vierge d’être parleuse. « Adoncques connaissant l’Ange la cause de son doute, il lui dit : Ne craignez point, Marie, ni ne rougissez des louanges que je vous ai dites ; parce qu’il en est ainsi : voire même, non seulement vous êtes pleine de grâce, ains encore vous l’avez récupérée et retrouvée de par Dieu, pour tout le genre humain. Car voici que vous concevrez et enfanterez le Fils du Très-Haut. Celui qui vous a élue pour être sa Mère, sauvera toutes gens qui espéreront en lui. Pour lors icelle répondit, sans toutefois confesser ou nier la justesse des compliments qu’on lui venait de faire : ains, il était un autre point dont icelle voulait être certifiée ; sçavoir est pour le regard de sa virginité que par-dessus tout elle craignait de perdre : partant, elle s’enquit auprès de l’Ange de la manière de cette conception, disant : Comment cela se fera-t-il ? Car j’ai très fermement dévoué ma virginité à mon Seigneur, pour qu’à tout jamais je ne connusse point l’homme. Et l’Ange lui dit : Cela se fera par l’opération du Saint-Esprit, lequel vous remplira d’une façon singulière, et par la vertu t d’icelui vous concevrez, sauve pour vous votre virginité ; et c’est pourquoi votre fils sera nommé le Fils de Dieu : car rien ne lui est impossible. Voyez bien Élisabeth votre cousine ; encore qu’elle fût moult âgée et stérile, il y a déjà six mois qu’elle a conçu un fils par la vertu de Dieu. » « Considère ici, pour Dieu, et médite comme quoi toute la Trinité est là, attendant la réponse et consentement de cette sienne Fille singulière, regardant avec amour et complaisance la modestie d’icelle, ses mœurs et ses paroles. Contemple Gabriel, se tenant incliné et révérencieux devant sa Dame, avec un visage paisible et serein, exécutant fidèlement son ambassade, et observant attentivement les paroles de sa très chère Dame ; à celle fin de lui pouvoir congruement répondre, et sur cette œuvre merveilleuse, parfaire la volonté du Seigneur. Considère comme Notre-Dame se tient timidement et humblement, la face couverte de pudeur, quand elle est ainsi prévenue par l’Ange, et à l’impourvu. Aux paroles d’icelui, elle ne s’élève, ni ne se répute. Voire même : comme elle entend dire de si grandes choses de soi, des choses telles que jamais oncques ne furent dites, elle attribue le tout à la divine grâce. Apprends donc, à l’exemple d’icelle, à être modeste et humble : d’autant que sans cela la virginité vaut peu de chose. La voilà qui s’éjouit, la très prudente Vierge, et elle se consent aux paroles ouïes de la bouche de l’Ange. Lors, comme ainsi il est relaté en ses Révélations, elle se mit à genoux, avec profonde dévotion, et les mains jointes, elle dit : « Voici la servante du Seigneur : me soit fait suivant votre parole. » Adoncques le Fils de Dieu entra aussitôt tout entier et sans retard au sein de la Vierge, et en prit chair, cependant que tout entier il resta au sein de son Père.
« Or, pour lors, Gabriel, avec sa Dame et Maîtresse, se mit à genoux ; et peu après se levant avec elle, puis inclinant derechef jusqu’à terre et lui disant adieu, se disparut ; après quoi, de retour en sa patrie, il conta toute la chose ; et fut là une nouvelle liesse, et nouvelle fête et nouvelle exultation nonpareille. La Dame pour sa part, toute enflammée, et plus que d’accoutumance embrasée en l’amour de Dieu, se sentant avoir conçu, rendit grâces, à deux genoux, d’un si grand don, suppliant humblement et dévotieusement le même Seigneur Dieu, qu’il la daignât instruire ; de telle façon, qu’en tout ce qui se présenterait à faire environ son fils, elle le pût faire sans défaut. »
Ainsi a parlé le Docteur Séraphique. Adorons profondément notre Créateur, dans l’état où l’ont réduit son amour pour nous et le désir de subvenir à notre misère ; saluons aussi Marie, la Mère de Dieu et la nôtre.
Ton vêtement est blanc comme la neige et ton visage a l’éclat du soleil (Rép. Vêp.).
L’Office des Heures de la fête. L’Office a subi de nombreuses modifications avant d’avoir l’aspect qu’il présente aujourd’hui. L’office, composé en 1855 par le jésuite Passaglia qui apostasia plus tard, mais se réconcilia avec l’Église avant de mourir, fut remplacé par un nouveau, après la défection de son auteur. Ce nouvel Office fut établi d’après un projet qui doit remonter à Gavantus (+1638). Les psaumes sont empruntés au commun des fêtes de la Sainte Vierge ; les antiennes et les répons, d’un beau mouvement poétique, chantent l’Immaculée. Aux Vêpres, les antiennes n’ont pas de relation intime avec les psaumes, elles forment un cadre un peu flottant, mais elles sont toutes empruntées à la Sainte Écriture (Cantique des cantiques, Judith, Évangiles). La seconde antienne de Magnificat se rattache à la formule « Hodie » des grandes fêtes. Les Matines commencent d’une manière christocentrique : « Célébrons la Conception immaculée de la Vierge Marie, venons adorer son Fils, le Christ Notre Seigneur. » Les antiennes s’adaptent très bien aux psaumes dont elles nous donnent la clef. Ainsi, au psaume 8, on loue Dieu de sa grandeur dans la création ; l’antienne ajoute un nouveau motif : « Admirable est ton nom, ô Seigneur, sur toute la terre, car, dans la Vierge Marie, tu t’es préparé une digne demeure. » Quand on est novice dans la prière, on apprend ainsi à appliquer les psaumes à une fête. Les leçons du premier Nocturne (le jour de la fête) nous racontent la chute du premier homme : c’est la page sombre de notre fête. Le verset principal est à la fin : devant les portes fermées du paradis terrestre, Dieu trace de sa propre main le portrait de l’Immaculée, la femme qui écrasera la tête du serpent. Cette leçon est merveilleusement choisie. Les répons qui suivent les leçons sont poétiques et attachants. Les leçons du deuxième Nocturne sont, pour la plus grande partie, empruntées à la Bulle dogmatique de Pie IX. Les leçons du troisième Nocturne nous donnent un exemple du culte marial dans l’Église d’Orient (le jour de la fête, N. d. Webmestre). Leur exaltation paraît peut-être un peu excessive à nos esprits calmes d’Occidentaux, mais elles nous font comprendre l’amour et le respect de l’Orient pour la Vierge Marie.
AU DEUXIÈME NOCTURNE.
De la Bulle dogmatique du Pape Pie IX.
Quatrième leçon. Les termes dans lesquels les divines Écritures parlent de la Sagesse incréée et représentent son origine éternelle, l’Église a eu coutume de les employer dans les offices ecclésiastiques et dans la Liturgie sacrée, et de les appliquer aux commencements mêmes de la Vierge ; commencements mystérieux, que Dieu avait prévus et arrêtés dans un seul et même décret, avec l’incarnation de la Sagesse divine. Mais encore que toutes ces choses connues, pratiquées en tous lieux par les fidèles, témoignent assez quel zèle l’Église romaine elle-même, qui est la mère et la maîtresse de toutes les Églises, a montré pour cette doctrine de l’Immaculée Conception de la Vierge ; toutefois il est digne et très convenable de rappeler en détail les grands actes de cette Église, à cause de la prééminence et de l’autorité souveraine dont elle jouit justement, et parce qu’elle est le centre de la vérité et de l’unité catholique, celle en qui seule a été garanti inviolablement le dépôt de la religion, celle dont il faut que toutes les autres Églises reçoivent la tradition de la foi.
Cinquième leçon. Or cette sainte Église romaine n’a rien eu plus à cœur que de professer, de soutenir, de propager et de défendre, par tous les moyens les plus persuasifs, le culte de la doctrine de l’Immaculée Conception. Nos prédécesseurs, en effet, se sont fait une gloire d’instituer de leur autorité apostolique la fête de la Conception dans l’Église romaine, et d’en relever l’importance et la dignité par un Office propre et par une Messe propre, où la prérogative de la Vierge et son exemption de la tache héréditaire étaient affirmées avec une clarté manifeste. Quant au culte déjà institué, ils faisaient tous leurs efforts pour le répandre et le propager, soit en accordant des indulgences, soit en concédant aux villes, aux provinces, aux royaumes, la faculté de se choisir pour protectrice la Mère de Dieu, sous le titre de l’Immaculée Conception ; soit en approuvant les confréries, les congrégations et les instituts religieux établis en l’honneur de l’Immaculée Conception ; soit en décernant des louanges à la piété de ceux qui auraient élevé sous le titre de l’Immaculée Conception, des monastères, des hospices, des autels, des temples, ou qui s’engageraient par le lien sacré du serment à soutenir avec énergie la doctrine de la Conception Immaculée de la Mère de Dieu.
Sixième leçon. En outre, ils ont, avec la plus grande joie, ordonné que la fête de la Conception serait célébrée dans toute l’Église avec la même solennité que la fête de la Nativité ; de plus, que cette même fête de la Conception serait faite par l’Église universelle avec une octave et religieusement observée par tous les fidèles comme une fête de précepte, et que chaque année une chapelle pontificale serait tenue, dans notre basilique patriarcale Libérienne, le jour consacré à la Conception de la Vierge. Enfin, désirant fortifier chaque jour davantage cette doctrine de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu dans l’esprit des fidèles, et exciter leur piété et leur zèle pour le culte et la vénération de la Vierge conçue sans la tache originelle, ils ont accordé, avec empressement et avec joie, la faculté de proclamer la Conception Immaculée de la Vierge dans les Litanies dites de Lorette, et dans la Préface même de la Messe, afin que la règle de la prière servit ainsi à établir la règle de la croyance.
AU TROISIÈME NOCTURNE.
Lecture du saint Évangile selon saint Luc.
En ce temps-là : L’Ange Gabriel fut envoyé de Dieu, en la ville de Galilée, appelée Nazareth, à une vierge qu’un homme de la maison de David, nommé Joseph, avait épousée, et le nom de la vierge était Marie. Et le reste.
Homélie de saint Bernard, Abbé.
Septième leçon. Réjouis-toi, ô Adam, notre père, mais toi surtout, ô Ève, notre mère, tressaille d’allégresse. Comme vous avez été les premiers parents de tous les hommes, vous êtes aussi la cause de leur mort ; et ce qui est plus malheureux vous avez été meurtriers avant de donner la vie. Consolez-vous à cause de votre fille et d’une telle fille ; consolez-vous, dis-je à tous deux, mais principalement à celle qui fut la première cause du mal dont l’opprobre s’est transmis à toutes les femmes. En effet, le temps vient où cet opprobre sera effacé, où l’homme n’aura plus sujet d’accuser la femme ; cherchant inconsidérément à s’excuser lui-même, il n’avait pas hésité à l’accuser cruellement, disant : « La femme que vous m’avez donnée, m’a présenté du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. » O Ève, cours donc à Marie ; ô mère, cours à ta fille ; que la fille réponde pour la mère, qu’elle délivre sa mère de l’opprobre ; qu’elle donne satisfaction à son père pour sa mère ; car si l’homme est tombé par une femme, il n’est relevé maintenant que par une femme.
Huitième leçon. Que disais-tu, ô Adam ? « La femme que vous m’avez donnée, m’a présenté du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. » Ce sont là des paroles artificieuses par lesquelles tu augmentes plutôt ta faute que tu ne la diminues. Cependant la Sagesse a vaincu ta malice ; Dieu, en t’interrogeant, cherchait à trouver en toi une occasion de pardon et tu n’as pas su la lui fournir, mais il l’a trouvée dans le trésor de son inépuisable bonté. Pour la première femme, une autre femme est donnée à la terre : une femme prudente pour une femme insensée, une femme humble pour une femme orgueilleuse ; au lieu d’un fruit de mort, elle te fera goûter un fruit de vie ; à la place d’un aliment amer et empoisonné, elle t’apporte la douceur d’un fruit éternel. Change donc, ô Adam, une excuse injuste en paroles d’actions de grâces et dis : Seigneur, la femme que vous m’avez donnée, m’a présenté du fruit de l’arbre de vie, j’en ai mangé, et il a été à ma bouche plus doux que le miel, parce que c’est par lui que vous m’avez rendu la vie. Et voilà pourquoi l’Ange a été envoyé à la Vierge. O Vierge admirable et Incomparablement digne de tout honneur ! O femme singulièrement vénérable, admirable au-dessus de toutes les femmes, réparatrice de tes parents et source de vie pour toute leur postérité !
Neuvième leçon. Quelle autre femme te semble-t-il que Dieu ait annoncée, quand il dit au serpent : « je mettrai des inimitiés entre toi et la femme ? » Et si tu doutes encore qu’il ait parlé de Marie, écoute ce qui suit : « Elle te brisera la tête. » A qui est réservée cette victoire, si ce n’est à Marie ? C’est elle, sans aucun doute, qui a brisé la tête venimeuse du serpent ; elle qui a réduit à néant toute suggestion de l’esprit malin, soit qu’il tente par les séductions de la chair ou par l’orgueil de l’esprit. Quelle autre femme Salomon cherchait-il quand il disait : « Qui trouvera la femme forte ? » Cet homme sage connaissait, l’infirmité de ce sexe, la fragilité de son corps, la mobilité de son esprit. Mais comme il avait lu la promesse divine, et qu’il lui paraissait convenable que celui qui avait vaincu par une femme fût, à son tour, vaincu par une femme, dans l’ardeur de son admiration, il s’écriait : « Qui trouvera la femme forte ? » Ce qui revient à dire : Si de la main d’une femme dépend ainsi, et notre salut commun, et la restitution de l’innocence, et la victoire sur l’ennemi, il est absolument nécessaire de trouver une femme forte qui puisse être capable d’une telle œuvre.
Comme au jour de la fête
[1] L’auteur de la traduction a pensé que, pour rendre complètement la suave et humble diction de saint Bonaventure dans sa Vie du Christ, il était convenable de recourir aux formes naïves que la langue française conservait aux XVe et XVIe siècles. Il ne nous appartient pas de prononcer sur le mérite de ce travail de notre confrère ; mais il nous est permis de convenir que cette œuvre délicate a trouvé grâce auprès des juges compétents.