Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Benoît XVI, catéchèses, 6 mai 2009 |
Mort probablement le 4 décembre vers 749. Inscrit par Baronius dans le martyrologe romain au 6mai. Déclaré Docteur de l’Église par Léon XIII en 1890, fête inscrite alors au calendrier sous le rite double à la date du 27 mars.
Ant. ad Introitum. Ps. 72, 24. | Introït |
Tenuísti manum déxteram meam : et in voluntáte tua deduxísti me, et cum glória suscepísti me. | Vous avez tenu ma main droite : et vous m’avez conduit selon votre volonté, et vous m’avez reçu avec gloire. |
Ps. ib., 1. | |
Quam bonus Israël Deus his, qui recto sunt corde ! | Que Dieu est bon pour Israël, pour ceux qui ont le coeur droit ! |
V/. Glória Patri. | |
Oratio. | Collecte |
Omnípotens sempitérne Deus, qui, ad cultum sacrarum imáginum asseréndum, beátum Ioánnem cælésti doctrina et admirábili spíritus fortitúdine imbuísti : concéde nobis eius intercessióne et exémplo ; ut, quorum cólimus imagines, virtútes ‘.rnitémur et patrocínia sentiámus. Per Dóminum. | Dieu tout-puissant et éternel, qui avez donné au bienheureux Jean une science toute céleste et une admirable force d’âme pour défendre le culte des saintes images, accordez-nous, par son intercession et à son exemple, d’imiter les vertus de ceux dont nous honorons les images, et de ressentir les effets de leur protection. |
Léctio libri Sapiéntiæ. | Lecture du livre de la Sagesse. |
Sap. 10, 10-17. | |
Iustum dedúxit Dóminus per vias rectas, et osténdit illi regnum Dei, et dedit illi sciéntiam sanctórum : honestávit illum in labóribus, et complévit labóres illíus. In fraude circumveniéntium illum áffuit illi, et honéstum fecit illum. Custodívit illum ab inimícis, et a seductóribus tutávit illum, et certámen forte dedit illi, ut vínceret et sciret, quóniam ómnium poténtior est sapiéntia. Hæc vénditum iustum non derelíquit, sed a peccatóribus liberávit eum : descendítque cum illo in fóveam, et in vínculis non derelíquit illum, donec afférret illi sceptrum regni, et poténtiam advérsus eos, qui eum deprimébant : et mendáces osténdit, qui maculavérunt illum, et dedit illi claritátem ætérnam. Hæc pópulum iustum et semen sine querela liberávit a natiónibus, quæ illum deprimébant. Intrávit in ánimam servi Dei, et stetit contra reges horréndos in porténtis et signis. Et réddidit iustis mercédem labórum suórum. | Le Seigneur a conduit le juste par des voies droites, il lui a montré le royaume de Dieu, il lui a donne la science des saints, il l’a enrichi dans ses travaux, et a fait fructifier ses labeurs. Il l’a aidé contre ceux qui voulaient le tromper par leurs ruses et il l’a enrichi. Il l’a protégé contre ses ennemis, et l’a défendu contre !es séducteurs. Il l’a engagé dans un rude combat,afin qu’il demeurât victorieux, et qu’il sût que la sagesse est plus puissante que toutes choses. Il n’a point abandonné le juste lorsqu’il fut vendu, mais il le délivra des mains des pécheurs. Il est descendu avec lui dans la fosse, et ne le délaissa point dans les chaînes, jusqu’à ce qu’il lui eût apporté le sceptre royal, et la puissance contre ceux qui l’opprimaient. Il convainquit de mensonge ceux qui l’avaient déshonoré, et il lui donna une gloire éternelle. C’est lui qui a délivré le peuple juste et la race irréprochable des nations qui l’opprimaient. Il est entré dans l’âme du serviteur de Dieu, et s’est élevé avec des signes et des prodiges contre les rois redoutables. Il a rendu aux justes la récompense de leurs travaux. |
Graduale. Ps. 17, 33 et 35. | Graduel |
Deus, qui præcínxit me virtúte : et pósuit immaculátam viam meam. | Le Dieu qui m’a ceint de force, et qui a rendu ma voie immaculée. |
V/. Qui docet manus meas ad prǽlium : et posuísti, ut arcum ǽreum, bráchia mea. | V/. Lui qui enseigne à mes mains le combat : c’est vous qui avez fait de mes bras comme un arc d’airain. |
Tractus. Ibid., 38, 39 et 50. | Trait |
Pérsequar inimícos meos, et comprehéndam illos. | Je poursuivrai mes ennemis, et je les atteindrai. |
V/. Confríngam illos, nec poterunt stare : cadent subtus pedes meos. | V/. Je les briserai, et ils ne pourront se tenir debout ; ils tomberont sous mes pieds. |
V/. Proptérea confitébor in natiónibus, Dómine, et nómini tuo psalmum dicam. | V/. C’est pourquoi je vous louerai, Seigneur, parmi les nations, et je chanterai un cantique à la gloire de votre nom. |
¶ In Missis votivis ante Septuagesimam vel post Pentecosten, Graduale ut supra, sed, omisso Tractu, dicitur : | ¶ Aux messes votives avant la Septuagésime ou après la Pentecôte, Graduel comme ci-dessus, mais on omet le Trait et on dit : |
Allelúia, allelúia. V/. Ps. 17, 36. Dedísti mihi protectiónem salútis tuæ : et déxtera tua suscépit me. | Allelúia, allelúia. V/. Vous m’avez donné votre protection pour me sauver, et votre droite m’a soutenu |
Tempore autem Paschali, omissis, Graduali et Tractu, dicitur : | Au Temps pascal, on omet le Graduel et le Trait et on dit : |
Allelúia, allelúia. V/. 1. Reg. 25, 26 et 28. Dóminus salvávit manum tuam tibi : quia prǽlia Dómini tu prœliáris. | Allelúia, allelúia. V/. Le Seigneur a sauvé ta main : parce que tu as combattu le combat du Seigneur. |
Allelúia. V/. Ps. 143, 1. Benedíctus Dóminus, Deus meus, qui docet manus meas ad prǽlium, et dígitos meos ad bellum. Allelúia. | Allelúia. V/. Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui enseigne à mes mains le combat, et à mes doigts la guerre. Alléluia. |
+ Sequéntia sancti Evangélii secundum Lucam. | Lecture du Saint Evangile selon saint Luc. |
Luc. 6, 6-11. | |
In illo témpore : Factum est et in álio sábbato, ut intráret Iesus in synagógam et docéret. Et erat ibi homo, et manus eius déxtera erat árida. Observábant autem scribæ et pharisǽi, si in sábbato curáret : ut invenírent, unde accusárent eum. Ipse vero sciébat cogitatiónes eórum. Et ait hómini, qui habébat manum áridam : Surge et sta in médium. Et surgens stetit. Ait autem ad illos Iesus : Intérrogo vos, si licet sábbatis benefácere, an male : ánimam salvam fácere, an pérdere ? Et circumspéctis ómnibus dixit hómini : Exténde manum tuam. Et exténdit : et restitúta est manus eius. Ipsi autem repléti sunt insipiéntia, et colloquebántur ad ínvicem, quidnam fácerent Iesu. | En ce temps-là : Il arriva, un autre jour de sabbat, qu’Il entra dans la synagogue et qu’Il enseignait ; et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. Or les scribes et les pharisiens L’observaient, pour voir s’Il ferait une guérison le jour du sabbat, afin de trouver de quoi L’accuser. Mais Lui, Il connaissait leurs pensées, et Il dit à l’homme qui avait la main desséchée : Lève-toi, et tiens-toi là au milieu. Et se levant, il se tint debout. Alors Jésus leur dit : Je vous demande s’il est permis, les jours de sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver la vie ou de l’ôter ? Et ayant promené Ses regards sur eux tous, Il dit à l’homme : Etends ta main. Il l’étendit, et sa main fut guérie. Mais eux, remplis de démence, s’entretenaient ensemble de ce qu’ils feraient à Jésus. |
Ante 1960 : Credo | Avant 1960 : Credo |
Ant. ad Offertorium. Iob 14, 7. | Offertoire |
Lignum habet spem : si præcísum fúerit, rursum viréscit, et rami eius púllulant. | Un arbre n’est pas sans espérance : si on le coupe, il reverdit encore, et ses branches se multiplient. |
Secreta | Secrète |
Ut, quæ tibi, Dómine, offérimus, dona tuo sint digna conspéctu : beáti Ioánnis et Sanctórum, quos eius ópera expósitos in templis cólimus, pia suffragátio conspíret. Per Dóminum. | Pour que ce que nous vous offrons, Seigneur, soit un don digne de votre regard, que s’unissent en une conspiration sacrée les prières du bienheureux Jean et des Saints dont, grâce à lui, nous vénérons les images en nos églises. |
Ant. ad Communionem. Ps. 36, 17. | Communion |
Bráchia peccatórum conteréntur, confírmat autem iustos Dóminus. | Les bras des pécheurs seront brisés, mais le Seigneur affermit les justes. |
Postcommunio | Postcommunion |
Sumpta nos, quǽsumus, Dómine, dona cæléstibus armis tueántur : et beáti Ioánnis patrocínia circúmdent Sanctórum unánimi suffrágio cumuláta ; quorum imágines evícit in Ecclésia esse venerándas. Per Dóminum. | Que les dons que nous avons reçus, Seigneur, nous protègent d’une armure céleste : et que nous soit un rempart le patronage du bienheureux Jean, renforcé par l’appui unanime des Saints ; dont il fit triompher dans l’Église le culte des images. |
Leçons des Matines avant 1960
Au deuxième nocturne.
Quatrième leçon. Jean, surnommé Damascène du nom de sa patrie, était de naissance illustre, et fut instruit dans les lettres divines et humaines par te moine Cosme de Constantinople. Comme en ce temps, l’empereur Léon l’Isaurien avait déclaré une guerre impie au culte des saintes images, Jean, sur l’invitation du Pontife romain Grégoire III, défendit avec ardeur par sa parole et ses écrits la sainteté de ce culte. Ce zèle suscita contre lui les haines de l’empereur à ce point que celui-ci, par l’artifice de fausses lettres, le fit accuser de trahison auprès du calife de Damas dont Jean était le conseiller et le ministre. Le prince, trompé par cette fourberie, ordonna de couper la main droite de Jean, qui protestait avec serment contre cette infâme calomnie. Mais la Vierge bénie vint au secours de son fidèle serviteur, qui lui avait adressé de ferventes prières, et vengea son innocence. Par un insigne bienfait de sa part, la main qui avait été coupée lui fut rendue et si bien unie au bras qu’il ne restait aucune trace de la séparation. Profondément touché de ce miracle, Jean résolut d’accomplir le dessein qu’il avait conçu depuis longtemps. Ayant obtenu, quoiqu’avec peine, son congé du calife, il distribua tous ses biens aux pauvres et donna la liberté à ses esclaves. Il parcourut en pèlerin les lieux saints de la Palestine et se retira enfin avec Cosme, son ancien maître, près de Jérusalem, dans la laure de saint Sabbas, où il fut ordonné Prêtre.
Cinquième leçon. Dans la carrière de la vie religieuse, il donna aux autres moines d’illustres exemples de toutes les vertus, particulièrement de l’humilité et de l’obéissance. Il revendiquait comme son droit les emplois les plus vils du monastère, et s’y appliquait avec ardeur. Ayant eu l’ordre d’aller vendre de petites corbeilles à Damas, la ville où naguère il avait reçu les plus grands honneurs, il y recueillait avec une- sainte avidité les dérisions et les moqueries de la multitude. Il pratiquait si bien l’obéissance que, non seulement il se rendait au moindre signe des supérieurs mais encore qu’il ne se crut jamais permis de rechercher les motifs des ordres qu’il recevait, quelque difficiles et insolites qu’ils parussent être. Au milieu des exercices de ces vertus, il ne cessa jamais de défendre avec zèle le dogme catholique du culte des saintes images. Aussi fut-il en butte à la haine et aux vexations de Constantin Copronyme, comme il l’avait été auparavant à celles de l’empereur Léon ; d’autant plus qu’il reprenait avec liberté l’arrogance de ces empereurs, assez hardis pour traiter des choses de la foi et prononcer à leur gré sur ces matières.
Sixième leçon. On ne peut voir sans étonnement le grand nombre des écrits en prose et en vers que Jean Damascène a composés pour la défense de la foi et l’augmentation de la piété, digne assurément des éloges que le deuxième concile de Nicée lui a décernés et du surnom de Chrysorrhoas, c’est-à-dire de fleuve d’or, qui lui fut donné à cause de son éloquence. Non seulement il défendit la foi orthodoxe contre les Iconoclastes, mais il combattit avec zèle presque tous les hérétiques, principalement les Acéphales, les Monothélites, les Patripassiens. Il revendiqua les droits et la puissance de l’Église ; il affirma hautement la primauté du prince des Apôtres ; il le nomma le soutien des Églises, la pierre qui ne peut être brisée, le docteur et l’arbitre de l’univers. Tous ses écrits se distinguent non seulement par la science et la doctrine, mais encore respirent un profond sentiment de piété, surtout lorsqu’il adresse ses louanges à la Mère de Dieu, à laquelle il rendait un culte et un amour singuliers. Mais ce qui fait son plus grand mérite, c’est qu’il fut le premier à embrasser dans un ordre suivi toute la théologie, et qu’il ouvrit la voie à saint Thomas pour exposer ainsi méthodiquement la doctrine sacrée. Enfin cet homme très saint, rempli de mérites, et dans un âge avancé, s’endormit dans la paix du Christ vers l’an sept cent cinquante-quatre. Le souverain Pontife Léon XIII a concédé à l’Église universelle l’Office et la Messe de saint Jean Damascène avec l’addition du titre de Docteur.
Au troisième nocturne.
Lecture du saint Évangile selon saint Luc. Cap. 6, 6-11.
En ce temps-là : Il arriva un autre jour de Sabbat, que Jésus entra dans la synagogue et qu’il y enseignait ; or, il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. Et le reste.
Homélie de S. Pierre Chrysologue.
Septième leçon. Cet homme est l’image de tous les hommes, sa guérison est celle de tous.- En lui la santé si longtemps attendue est rendue au genre humain. Cette main desséchée l’était plus par la paralysie de la foi, que par l’atrophie des nerfs, par le péché de l’âme plus que par l’affaiblissement de la chair. Cette maladie était très ancienne et remontait aux premiers jours du monde. Contractée par un châtiment divin, elle ne pouvait être guérie par l’art ou les soins de l’homme. L’homme avait touché à ce qui lui était interdit, il avait franchi les bornes posées à sa liberté, en portant la main sur l’arbre de la science du bien et du mal. Il avait besoin, non d’une main qui lui appliquât un remède corporel, mais d’un Maître qui pût révoquer la sentence portée contre lui et délier par son pardon ce qu’il avait lié par sa juste colère.
Huitième leçon. En cet homme était seulement la - figure de notre guérison, mais c’est dans le Christ que la santé parfaite nous est réservée ; notre main déplorablement desséchée reprend sa force, quand elle est arrosée du sang du Seigneur dans sa passion, quand elle est étendue sur le bois vivifiant de la Croix, quand elle recueille dans la douleur la vertu fructifiant en bonnes œuvres, quand elle embrasse tout l’arbre du salut, quand, attaché à ce bois par les clous du Seigneur, le corps ne peut plus revenir à l’arbre de la concupiscence et des voluptés qui l’ont desséché. « Et Jésus dit à l’homme qui avait la main desséchée : Lève-toi au milieu de l’assemblée », protestant de ta propre faiblesse, tirant ton salut de la pitié de Dieu, attestant sa puissance, rendant manifeste l’incrédulité des Juifs ; lève-toi dans l’assemblée, et qu’insensibles à de si grands miracles, endurcis devant une guérison si merveilleuse, ils se laissent du moins saisir et fléchir au sentiment de pitié qu’inspiré une faiblesse si déplorable.
Neuvième leçon. Il dit à l’homme : « Étends ta main, et il retendit, et sa main redevint saine ». Étends ta main : l’ordre divin la délie, comme l’ordre divin l’avait liée. Étends ta main : le châtiment cède à la voix du Juste ; la créature entend la voix de Dieu, et le Créateur se trahit à son pardon. Priez, mes frères, que le mal d’une telle faiblesse n’atteigne que la synagogue ; qu’il n’y ait point dans l’Église d’homme dont la main soit desséchée par la cupidité, contractée par l’avarice, affaiblie par la rapine, malade et resserrée par l’attachement aux richesses ; mais s’il est quelqu’un que ce malheur atteigne, qu’il entende la voix du Seigneur, et qu’aussitôt il étende la main dans les œuvres de la piété, qu’il en détende les nerfs endurcis dans la douceur de la miséricorde, qu’il l’ouvre pour répandre l’aumône. Il ne sait trouver le remède, celui qui ne sait donner aux pauvres pour le profit de son âme.
On n’a point oublié que les Grecs célèbrent au premier dimanche de Carême une de leurs plus grandes solennités : la fête de l’Orthodoxie. La nouvelle Rome, montrant bien qu’elle ne partageait aucunement l’indéfectibilité de l’ancienne, avait parcouru tout le cycle des hérésies concernant le dogme du Dieu fait chair. Après avoir rejeté successivement la consubstantialité du Verbe, l’unité de personne en l’Homme-Dieu, l’intégrité de sa double nature, il semblait qu’aucune négation n’eût échappé à la sagacité de ses empereurs et de ses patriarches. Un complément pourtant des erreurs passées manquait encore au trésor doctrinal de Byzance.
Il restait à proscrire ici-bas les images de ce Christ qu’on ne parvenait pas à diminuer sur son trône du ciel ; en attendant qu’impuissante à l’atteindre même dans ces représentations figurées, l’hérésie laissât la place au schisme pour arriver à secouer du moins le joug de son Vicaire en terre : dernier reniement, qui achèvera de creuser pour Constantinople la tombe que le Croissant doit sceller un jour.
L’hérésie des Iconoclastes ou briseurs d’images marquant donc, sur le terrain de la foi au Fils de Dieu, la dernière évolution des erreurs orientales, il était juste que la fête destinée à rappeler le rétablissement de ces images saintes s’honorât, en effet, du glorieux nom de fête de l’Orthodoxie ; car en célébrant le dernier des coups portés au dogmatisme byzantin, elle rappelle tous ceux qu’il reçut dans les Conciles, depuis le premier de Nicée jusqu’au deuxième du même nom, septième œcuménique. Aussi était-ce une particularité de ladite solennité, qu’en présence de la croix et des images exaltées dans une pompe triomphale, l’empereur lui-même se tenant debout à son trône, on renouvelât à Sainte-Sophie tous les anathèmes formulés en divers temps contre les adversaires de la vérité révélée.
Satan, du reste, l’ennemi du Verbe, avait bien montré qu’après toutes ses défaites antérieures, il voyait dans la doctrine iconoclaste son dernier rempart. Il n’est pas d’hérésie qui ait multiplié à ce point en Orient les martyrs et les ruines. Pour la défendre, Néron et Dioclétien semblèrent revivre dans les césars baptisés Léon l’Isaurien, Constantin Copronyme, Léon l’Arménien, Michel le Bègue et son fils Théophile. Les édits de persécution, publiés pour protéger les idoles autrefois, reparurent pour en finir avec l’idolâtrie dont l’Église, disait-on, restait souillée.
Vainement, dès l’abord, saint Germain de Constantinople rappela-t-il au théologien couronné sorti des pâturages de l’Isaurie, que les chrétiens n’adorent pas les images, mais les honorent d’un culte relatif se rapportant à la personne des Saints qu’elles représentent. L’exil du patriarche fut la réponse du césar pontife. La soldatesque, chargée d’exécuter les volontés du prince, se rua au pillage des églises et des maisons des particuliers. De toutes parts, les statues vénérées tombèrent sous le marteau des démolisseurs. On recouvrit de chaux les fresques murales ; on lacéra, on mit en pièces les vêtements sacrés, les vases de l’autel, pour en faire disparaître les émaux historiés, les broderies imagées. Tandis que le bûcher des places publiques consumait les chefs-d’œuvre dans la contemplation desquels la piété des peuples s’était nourrie, l’artiste assez osé pour continuer de reproduire les traits du Seigneur, de Marie ou des Saints, passait lui-même par le feu et toutes les tortures, en compagnie des fidèles dont le crime était de ne pas retenir l’expression de leurs sentiments à la vue de telles destructions. Bientôt, hélas ! dans le bercail désolé, la terreur régna en maîtresse ; courbant la tête sous l’ouragan, les chefs du troupeau se prêtèrent à de lamentables compromissions.
C’est alors qu’on vit la noble lignée de saint Basile, moines et vierges consacrées, se levant tout entière, tenir tête aux tyrans. Au prix de l’exil, de l’horreur des cachots, de la mort par la faim, sous le fouet, dans les flots, de l’extermination par le glaive, ce fut elle qui sauva les traditions de l’art antique et la foi des aïeux. Vraiment apparut-elle, à cette heure de l’histoire, personnifiée dans ce saint moine et peintre du nom de Lazare qui, tenté par flatterie et menaces, puis torturé, mis aux fers, et enfin, récidiviste sublime, les mains brûlées par des lames ardentes, n’en continua pas moins, pour l’amour des Saints, pour ses frères et pour Dieu, d’exercer son art, et survécut aux persécuteurs.
Alors aussi s’affirma définitivement l’indépendance temporelle des Pontifes romains, lorsque l’Isaurien menaçant de venir jusque dans Rome briser la statue de saint Pierre, l’Italie s’arma pour interdire ses rivages aux barbares nouveaux, défendre les trésors de ses basiliques, et soustraire le Vicaire de l’Homme-Dieu au reste de suzeraineté que Byzance s’attribuait encore.
Glorieuse période de cent vingt années, comprenant la suite des grands Papes qui s’étend de saint Grégoire II à saint Paschal Ier, et dont les deux points extrêmes sont illustrés en Orient par les noms de Théodore Studite, préparant dans son indomptable fermeté le triomphe final, de Jean Damascène qui, au début, signifia l’orage. Jusqu’à nos temps, il était à regretter qu’une époque dont les souvenirs saints remplissent les fastes liturgiques des Grecs, ne fût représentée par aucune fête au calendrier des Églises latines. Sous le règne du Souverain Pontife Léon XIII, cette lacune a été comblée ; depuis l’année 1892, Jean Damascène, l’ancien visir, le protégé de Marie, le moine à qui sa doctrine éminente valut le nom de fleuve d’or, rappelle au cycle de l’Occident l’héroïque lutte où l’Orient mérita magnifiquement de l’Église et du monde.
La notice liturgique consacrée à l’illustre Docteur est assez complète pour nous dispenser d’y rien ajouter. Mais il convient de conclure en donnant ici les traits principaux des définitions parles quelles, au VIIIe siècle et plus tard au XVIe, l’Église vengea les saintes Images de la proscription à laquelle les avait condamnées l’enfer. « C’est légitimement, déclare le deuxième concile de Nicée, qu’on place dans les églises, en fresques, en tableaux, sur les vêtements, les vases sacrés, comme dans les maisons ou dans les rues, les images soit de couleur, soit de mosaïque ou d’autre matière convenable, représentant notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, notre très pure Dame la sainte Mère de Dieu, les Anges et tous les Saints ; de telle sorte qu’il soit permis de faire fumer l’encens devant elles et de les entourer de lumières [1]. — Non, sans doute, reprennent contre les Protestants les Pères de Trente, qu’on doive croire qu’elles renferment une divinité ou une vertu propre, ou que l’on doive pincer sa confiance dans l’image même comme autrefois les païens dans leurs idoles ; mais, l’honneur qui leur est rendu se référant au prototype [2], c’est le Christ à qui vont par elles nos adorations, ce sont les Saints que nous vénérons dans les traits qu’elles nous retracent d’eux [3]. »
Vengeur des saintes Images, obtenez-nous, comme le demande l’Église [4], d’imiter les vertus, d’éprouver l’appui de ceux qu’elles représentent. L’image attire notre vénération et notre prière à qui en mérite l’hommage : au Christ roi, aux princes de sa milice, aux plus vaillants de ses soldats, qui sont les Saints ; car c’est justice qu’en tout triomphe, le roi partage avec son armée ses honneurs [5]. L’image est le livre de ceux qui ne savent pas lire ; souvent les lettrés mêmes profitent plus dans la vue rapide d’un tableau éloquent, qu’ils ne feraient dans la lecture prolongée de nombreux volumes [6]. L’artiste chrétien, dans ses travaux, fait acte en même temps de religion et d’apostolat ; aussi ne doit-on pas s’étonner des soulèvements qu’à toutes les époques troublées la haine de l’enfer suscite pour détruire ses œuvres. Avec vous, qui compreniez si bien le motif de cette haine, nous dirons donc :
« Arrière, Satan et ton envie, qui ne peut souffrir de nous laisser voir l’image de notre Seigneur et nous sanctifier dans cette vue ; tu ne veux pas que nous contemplions ses souffrances salutaires, que nous admirions sa condescendance, que nous ayons le spectacle de ses miracles pour en prendre occasion de connaître et de louer la puissance de sa divinité. Envieux des Saints et des honneurs qu’ils tiennent de Dieu, tu ne veux pas que nous ayons sous les yeux leur gloire, de crainte que cette vue ne nous excite à imiter leur courage et leur foi ; tu ne supportes pas le secours qui provient à nos corps et à nos âmes de la confiance que nous mettons en eux. Nous ne te suivrons point, démon jaloux, ennemi des hommes [7]. »
Soyez bien plutôt notre guide, ô vous que la science sacrée salue comme un de ses premiers ordonnateurs. Connaître, disiez-vous, est de tous les biens le plus précieux [8]. Et vous ambitionnez toujours d’amener les intelligences au seul maître exempt de mensonge, au Christ, force et sagesse de Dieu : pour qu’écoutant sa voix dans l’Écriture, elles aient la vraie science de toutes choses ; pour qu’excluant toutes ténèbres du cœur comme de l’esprit, elles ne s’arrêtent point à la porte extérieure de la vérité, mais parviennent à l’intérieur de la chambre nuptiale [9].
Un jour, ô Jean, Marie elle-même prédit ce que seraient votre doctrine et vos œuvres ; apparaissant à ce guide de vos premiers pas monastiques auquel vous obéissiez comme à Dieu, elle lui dit : « Permets que la source coule, la source aux eaux limpides et suaves, dont l’abondance parcourra l’univers, dont l’excellence désaltérera les âmes avides de science et de pureté, dont la puissance refoulera les flots de l’hérésie et les changera en merveilleuse douceur. » Et la souveraine des célestes harmonies ajoutait que vous aviez aussi reçu la cithare prophétique et le psaltérion, pour chanter des cantiques nouveaux au Seigneur notre Dieu, des hymnes émules de ceux des Chérubins [10]. Car les filles de Jérusalem, qui sont les Églises chantant la mort du Christ et sa résurrection [11], devaient avoir en vous l’un de leurs chefs de chœurs. Des fêtes de l’exil, de la Pâque du temps, conduisez-nous par la mer Rouge et le désert à la fête éternelle, où toute image d’ici-bas s’efface devant les réalités des cieux, où toute science s’évanouit dans la claire vision, où préside Marie, votre inspiratrice aimée, votre reine et la nôtre.
Cette fête fut introduite dans la liturgie romaine en 1890 et coïncide avec cette première période du pontificat de Léon XIII où la question d’Orient lui fut si chère. Si les efforts du Pape n’eurent pas tout le succès qu’on pouvait espérer, ce ne fut certes pas faute de zèle de la part de l’Église catholique qui alors, comme toujours d’ailleurs, ouvrit ses bras maternels pour accueillir ses filles déshéritées d’Orient, affaiblies par un schisme déjà presque millénaire, et avilies en outre par leur servitude sous le Croissant.
Quoique la messe ait été composée avec beaucoup de soin, elle révèle cependant son caractère moderne par les réminiscences historiques accentuées dont elle fait montre. Ce qui doit avoir frappé davantage le rédacteur, c’est l’épisode, très incertain, du bras coupé au Saint et la part prise par celui-ci en laveur des saintes images. La place éminente qui revient à Jean Damascène dans l’histoire de la théologie catholique, son influence sur la formation du système scolastique lui-même, et surtout le fait qu’il clôt chez les Grecs l’âge patristique, à ce point que toutes les générations byzantines venant après lui ne sont plus capables d’apporter aucune contribution à l’édifice théologique — d’ailleurs si admirable — élevé par lui, tout cela ne semble guère avoir influé sur l’esprit du rédacteur de la messe de ce jour.
Le deuxième Concile de Nicée, en 787, décerna les plus grands éloges à ce saint moine hiérosolymitain de la laure de Mar Sabbas, et l’exalta comme le plus valeureux champion de l’orthodoxie contre les erreurs des Iconoclastes. On l’appelait communément Chrysorrhoas, et déjà en 813 Théophane atteste que Jean portait ce titre honorifique pour sa grâce spirituelle, resplendissante comme l’or, s’épanouissant dans sa doctrine et dans sa vie.
Les Grecs célèbrent sa fête le 4 décembre ; mais le nom du Chrysorrhoas de Saint-Sabbas revient très souvent en tête de leurs hymnes liturgiques car les splendides compositions de saint Jean Damascène allèrent jusqu’à faire oublier celles de Romanos le Mélode, magnifiques pourtant elles aussi.
La lecture de la Sagesse (X, 10-17) révèle un choix très heureux. Ce qui est écrit de Joseph et de Moïse, à savoir que Dieu ne les abandonna pas dans la prison et dans l’exil, et les remplit d’une si grande sagesse qu’il les rendit terribles même aux rois, s’applique maintenant à Jean Damascène, qui eut fort à souffrir des calomnies des hérétiques au temps de Constantin Copronyme. Ce dernier changea par dérision le nom arabe de Jean, Mansour, en celui de Mánzêros, qui signifie bâtard. Le conciliabule iconoclaste réuni à Constantinople en 754 déversa sa fureur contre le Saint en le maudissant d’une quadruple malédiction, et en l’anathématisant, ainsi que le patriarche Germain de Constantinople et un certain Georges de Chypre : La Trinité a exterminé cette triade.
Dans le graduel, on revient avec insistance sur le souvenir du bras coupé auquel l’introït faisait déjà allusion.
Le souvenir du bras coupé à saint Jean Damascène a également inspiré le choix de la lecture évangélique (Luc., VI, 6-n11) où est racontée la guérison d’un homme qui avait la main paralysée. Symboliquement, ce miracle signifie l’impuissance des seules forces naturelles pour faire le bien, et la nécessité de la grâce divine. Ainsi est condamnée l’hérésie pélagienne qui prétendait que la nature humaine déchue peut arriver d’elle-même à la vie surnaturelle de la grâce et, dans l’autre monde, de la gloire. — Non pas moi, déclarait l’Apôtre, mais la grâce divine avec moi.
Dans l’antienne pour l’offrande des oblations par le peuple fidèle, revient la pensée du bras amputé et miraculeusement restitué à Jean Damascène. C’est une image très gracieuse que celle de l’arbre taillé qui acquiert un surcroît de vigueur pour bourgeonner plus abondamment.
La secrète veut introduire d’une manière un peu forcée le souvenir de l’œuvre de Jean Damascène dans la controverse sur les images sacrées ; il en résulte une composition quelque peu guindée bien que le style ne soit pas dépourvu d’élégance.
Voici de nouveau le souvenir du bras coupé, dans l’antienne pour la Communion.
Nous aimons à mentionner ici une belle pensée de saint Jean Chrysorrhoas sur l’indépendance de l’Église vis-à-vis du pouvoir civil qui alors, comme aujourd’hui en Orient, exerçait tant d’autorité sur les églises dites autocéphales : Ad imperatores spectat recta reipublicae administratio ; ecclesiae regimen, ad pastores et doctores. Eiusmodi invasio latrocinium est, fratres. Quum Samuelis pallium scidisset Saul, quid ei contigit ? Regnum ipsius abscidit Deus. [12]
Le christianisme ne condamne pas la science mais l’orgueil, parce que celui-ci empêche l’accès à la vérité. Les savants sont donc très utiles à l’Église, surtout quand ils unissent à la doctrine une éminente sainteté de vie, car non seulement ils marchent dans le sentier du salut en édifiant les fidèles par leur exemple, mais d’ordinaire ils y ramènent un très grand nombre d’âmes. Ainsi fit ce saint Moine de la laure de Saint-Sabbas à Jérusalem ; sur la terre, il n’occupa point une place sublime, il ne fut ni évêque ni chef. Et pourtant, parce qu’il aima la vérité et la prêcha d’une âme invincible, il mérita l’honneur d’être le vrai Chrysorrhoas, le dernier docteur de l’Église d’Orient, le flambeau qui devait seul resplendir dans la triste nuit du schisme qui dès lors se préparait.
Le culte liturgique des images.
Saint Jean : Jour de mort : 6 mai 754. — Tombeau : au monastère de Saint-Sabbas, près de Jérusalem. Image : On le représente comme docteur de l’Église, avec un livre, et tenant sa main coupée. Vie : Saint Jean Damascène (de Damas) est le dernier des docteurs de l’Église orientale. C’est encore un porte-parole puissant de l’Église antique au moment où, dans l’empire grec, la décadence se faisait de plus en plus profonde. Peu de temps après sa mort, commença le schisme qui détacha l’Église grecque du rocher de Pierre. Son principal mérite est d’avoir réuni la doctrine de l’Église dans un système organique. C’est par là qu’il fut un précurseur et une des sources les plus importantes des grands scolastiques. Dans sa lutte contre les iconoclastes, il écrivit ces ardentes apologies qu’on ne cesse d’admirer. La défense du culte des images fit de lui un martyr. L’empereur Léon l’ !saurien l’accusa faussement de trahison auprès de son maître, le calife de Bagdad. Jean eut beau affirmer par serment son innocence, le calife prêta l’oreille à la calomnie et lui fit couper la main droite. Mais un miracle lui rendit sa main. Aussitôt, il distribua ses biens aux pauvres et entra comme moine à la laura (monastère) de Saint-Sabbas, près de Jérusalem. Il s’y adonna aux services les plus humbles, comme de tresser des paniers.
Pratique : L’oraison du jour dirige nos pensées vers le culte liturgique des images. — Nous prenons la messe du Carême avec mémoire du saint.
Chers frères et sœurs,
Je voudrais parler aujourd’hui de Jean Damascène, un personnage de premier plan dans l’histoire de la théologie byzantine, un grand docteur dans l’histoire de l’Église universelle. Il représente surtout un témoin oculaire du passage de la culture chrétienne grecque et syriaque, commune à la partie orientale de l’Empire byzantin, à la culture de l’islam, qui s’est imposée grâce à ses conquêtes militaires sur le territoire reconnu habituellement comme le Moyen ou le Proche Orient. Jean, né dans une riche famille chrétienne, assuma encore jeune la charge - remplie déjà sans doute par son père - de responsable économique du califat. Mais très vite, insatisfait de la vie de la cour, il choisit la vie monastique, en entrant dans le monastère de Saint-Saba, près de Jérusalem. C’était aux environs de l’an 700. Ne s’éloignant jamais du monastère, il consacra toutes ses forces à l’ascèse et à l’activité littéraire, ne dédaignant pas une certaine activité pastorale, dont témoignent avant tout ses nombreuses Homélies. Sa mémoire liturgique est célébrée le 4 décembre [13]. Le Pape Léon XIII le proclama docteur de l’Église universelle en 1890.
En Orient, on se souvient surtout de ses trois Discours pour légitimer la vénération des images sacrées, qui furent condamnés, après sa mort, par le Concile iconoclaste de Hiéria (754). Mais ces discours furent également le motif fondamental de sa réhabilitation et de sa canonisation de la part des Pères orthodoxes convoqués par le second Concile de Nicée (787), septième Concile œcuménique. Dans ces textes, il est possible de retrouver les premières tentatives théologiques importantes de légitimer la vénération des images sacrées, en les reliant au mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.
Jean Damascène fut, en outre, parmi les premiers à distinguer, dans le culte public et privé des chrétiens, l’adoration (latreia) de la vénération (proskynesis) : la première ne peut être adressée qu’à Dieu, suprêmement spirituel, la deuxième au contraire peut utiliser une image pour s’adresser à celui qui est représenté dans l’image même. Bien sûr, le saint ne peut en aucun cas être identifié avec la matière qui compose l’icône. Cette distinction se révéla immédiatement très importante pour répondre de façon chrétienne à ceux qui prétendaient universel et éternel l’observance de l’interdit sévère de l’Ancien Testament d’utiliser des images dans le culte. Tel était le grand débat également dans le monde islamique, qui accepte cette tradition juive de l’exclusion totale d’images dans le culte. Les chrétiens, en revanche, dans ce contexte, ont débattu du problème et trouvé la justification pour la vénération des images. Damascène écrit : "En d’autres temps, Dieu n’avait jamais été représenté en image, étant sans corps et sans visage. Mais à présent que Dieu a été vu dans sa chair et a vécu parmi les hommes, je représente ce qui est visible en Dieu. Je ne vénère pas la matière, mais le créateur de la matière, qui s’est fait matière pour moi et a daigné habiter dans la matière et opérer mon salut à travers la matière. Je ne cesserai donc pas de vénérer la matière à travers laquelle m’a été assuré le salut. Mais je ne la vénère absolument pas comme Dieu ! Comment pourrait être Dieu ce qui a reçu l’existence à partir du non-être ?... Mais je vénère et respecte également tout le reste de la matière qui m’a procuré le salut, car pleine d’énergie et de grâces saintes. Le bois de la croix trois fois bénie n’est-il pas matière ? L’encre et le très saint livre des Évangiles ne sont-ils pas matière ? L’autel salvifique qui nous donne le pain de vie n’est-il pas matière ?.... Et, avant tout autre chose, la chair et le sang de mon Seigneur ne sont-ils pas matière ? Ou bien tu dois supprimer le caractère sacré de toutes ces choses, ou bien tu dois accorder à la tradition de l’Église la vénération des images de Dieu et celle des amis de Dieu qui sont sanctifiés par le nom qu’ils portent, et qui, pour cette raison, sont habités par la grâce de l’Esprit Saint. N’offense donc pas la matière : celle-ci n’est pas méprisable ; car rien de ce que Dieu a fait n’est méprisable" [14].
Nous voyons que, à cause de l’incarnation, la matière apparaît comme divinisée, elle est vue comme la demeure de Dieu. Il s’agit d’une nouvelle vision du monde et des réalités matérielles. Dieu s’est fait chair et la chair est devenue réellement demeure de Dieu, dont la gloire resplendit sur le visage humain du Christ. C’est pourquoi, les sollicitations du Docteur oriental sont aujourd’hui encore d’une très grande actualité, étant donnée la très grande dignité que la matière a reçue dans l’Incarnation, pouvant devenir, dans la foi, le signe et le sacrement efficace de la rencontre de l’homme avec Dieu. Jean Damascène reste donc un témoin privilégié du culte des icônes, qui deviendra l’un des aspects les plus caractéristiques de la théologie et de la spiritualité orientale jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit toutefois d’une forme de culte qui appartient simplement à la foi chrétienne, à la foi dans ce Dieu qui s’est fait chair et s’est rendu visible. L’enseignement de saint Jean Damascène s’inscrit ainsi dans la tradition de l’Église universelle, dont la doctrine sacramentelle prévoit que les éléments matériels issus de la nature peuvent devenir un instrument de grâce en vertu de l’invocation (epiclesis) de l’Esprit Saint, accompagnée par la confession de la foi véritable.
Jean Damascène met également en relation avec ces idées de fond la vénération des reliques des saints, sur la base de la conviction que les saints chrétiens, ayant participé de la résurrection du Christ, ne peuvent pas être considérés simplement comme des "morts". En énumérant, par exemple, ceux dont les reliques ou les images sont dignes de vénération, Jean précise dans son troisième discours en défense des images : "Tout d’abord (nous vénérons) ceux parmi lesquels Dieu s’est reposé, lui le seul saint qui se repose parmi les saints [15], comme la sainte Mère de Dieu et tous les saints. Ce sont eux qui, autant que cela est possible, se sont rendus semblables à Dieu par leur volonté et, par l’inhabitation et l’aide de Dieu, sont dits réellement dieux [16], non par nature, mais par contingence, de même que le fer incandescent est appelé feu, non par nature mais par contingence et par participation du feu. Il dit en effet : Vous serez saint parce que je suis saint [17]" [18]. Après une série de références de ce type, Jean Damascène pouvait donc déduire avec sérénité : "Dieu, qui est bon et supérieur à toute bonté, ne se contenta pas de la contemplation de lui-même, mais il voulut qu’il y ait des êtres destinataires de ses bienfaits, qui puissent participer de sa bonté : c’est pourquoi il créa du néant toutes les choses, visibles et invisibles, y compris l’homme, réalité visible et invisible. Et il le créa en pensant et en le réalisant comme un être capable de pensée (ennoema ergon) enrichi par la parole (logoi sympleroumenon) et orienté vers l’esprit (pneumati teleioumenon)" [19]. Et pour éclaircir ultérieurement sa pensée, il ajoute : "Il faut se laisser remplir d’étonnement (thaumazein) par toutes les œuvres de la providence (tes pronoias erga), les louer toutes et les accepter toutes, en surmontant la tentation de trouver en celles-ci des aspects qui, a beaucoup de personnes, semblent injustes ou iniques (adika), et en admettant en revanche que le projet de Dieu (pronoia) va au-delà des capacités cognitives et de compréhension (agnoston kai akatalepton) de l’homme, alors qu’au contraire lui seul connaît nos pensées, nos actions et même notre avenir" [20]. Du reste, Platon disait déjà que toute la philosophie commence avec l’émerveillement : notre foi aussi commence avec l’émerveillement de la création, de la beauté de Dieu qui se fait visible.
L’optimisme de la contemplation naturelle (physikè theoria), de cette manière de voir dans la création visible ce qui est bon, beau et vrai, cet optimisme chrétien n’est pas un optimisme naïf : il tient compte de la blessure infligée à la nature humaine par une liberté de choix voulue par Dieu et utilisée de manière impropre par l’homme, avec toutes les conséquences d’un manque d’harmonie diffus qui en ont dérivées. D’où l’exigence, clairement perçue par le théologien de Damas, que la nature dans laquelle se reflète la bonté et la beauté de Dieu, blessées par notre faute, "soit renforcée et renouvelée" par la descente du Fils de Dieu dans la chair, après que de nombreuses manières et en diverses occasions Dieu lui-même ait cherché à démontrer qu’il avait créé l’homme pour qu’il soit non seulement dans l’"être", mais dans le "bien-être" [21]. Avec un enthousiasme passionné, Jean explique : "Il était nécessaire que la nature soit renforcée et renouvelée et que soit indiquée et enseignée concrètement la voie de la vertu (didachthenai aretes hodòn), qui éloigne de la corruption et conduit à la vie éternelle... C’est ainsi qu’apparut à l’horizon de l’histoire la grande mer de l’amour de Dieu pour l’homme (philanthropias pelagos)...". C’est une belle expression. Nous voyons, d’une part, la beauté de la création et, de l’autre, la destruction accomplie par la faute humaine. Mais nous voyons dans le Fils de Dieu, qui descend pour renouveler la nature, la mer de l’amour de Dieu pour l’homme. Jean Damascène poursuit : " Lui-même, le Créateur et le Seigneur, lutta pour sa créature en lui transmettant à travers l’exemple son enseignement... Et ainsi, le Fils de Dieu, bien que subsistant dans la forme de Dieu, abaissa les cieux et descendit... auprès de ses serviteurs... en accomplissant la chose la plus nouvelle de toutes, l’unique chose vraiment nouvelle sous le soleil, à travers laquelle se manifesta de fait la puissance infinie de Dieu" [22]. Nous pouvons imaginer le réconfort et la joie que diffusaient dans le cœur des fidèles ces paroles riches d’images si fascinantes. Nous les écoutons nous aussi, aujourd’hui, en partageant les mêmes sentiments que les chrétiens de l’époque : Dieu veut reposer en nous, il veut renouveler la nature également par l’intermédiaire de notre conversion, il veut nous faire participer de sa divinité. Que le Seigneur nous aide à faire de ces mots la substance de notre vie.
[1] Concil. Nic. Il, sess. VII.
[2] Cette formule, où se trouve exprimée la vraie base théologique du culte des images, est empruntée par le concile de Trente au second de Nicée, qui lui-même l’a tirée textuellement de saint Jean Damascène : De fide orthodoxa, IV, XVI.
[3] Concil. Trident., sess. XXV.
[4] Collecte de la Messe.
[5] Damasc. De Imaginibus, I, 19-21.
[6] Ibid. Comment, in Basil.
[7] De Imaginibus, III, 3.
[8] Dialectica, I.
[9] Ibid.
[10] Joan. Hierosolymit. Vita J. Damasceni, XXXI.
[11] Ibid.
[12] P. G.. XCIV, col. 1295.
[13] Dans le calendrier réformé en 1969.
[14] Contra imaginum calumniatores, I, 16, ed ; Kotter, pp. 89-90.
[15] cf. Is 57, 15.
[16] cf. Ps 82, 6.
[17] Lv 19, 2.
[18] III, 33, col. 1352 A.
[19] II, 2, PG, col. 865A
[20] II, 29, PG, col. 964C.
[21] cf. La foi orthodoxe, II, 1, PG 94, col. 981.
[22] III, 1. PG94, coll. 981C-984B.