Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Dom Flicoteaux, la Noël d’été |
La journée de jeûne préparatoire à la fête de St Jean est attestée à Rome dès la seconde moitié du VIe siècle. Dans certaines régions, la fête était précédée d’un ‘carême’ (concile de Seligenstadt, 1023 : 14 jours de jeûne et d’abstinence, interdiction de célébrer les mariages). Guillaume Durand, au XIIIe siècle, indique que ce ‘troisième’ carême fut ramené à trois semaines à cause de la ‘fragilité des hommes’ [1]. Il indique que le jeûne du 23 juin permet de communier à la vie austère du Précurseur dans le désert [2].
Ant. ad Introitum. Luc. 1, 13,15 et 14. | Introït |
Ne tímeas, Zacharía, exaudíta est orátio tua : et Elísabeth uxor tua páriet tibi fílium, et vocábis nomen eius Ioánnem : et erit magnus coram Dómino : et Spíritu Sancto replébitur adhuc ex útero matris suæ : et multi in nativitáte eius gaudébunt. | Ne crains point, Zacharie : car ta prière a été exaucée et ta femme Élisabeth enfantera un fils, auquel tu donneras le nom de Jean : il sera grand devant le Seigneur : et il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère : et beaucoup se réjouiront de sa naissance. |
Ps. 20, 2. | |
Dómine, in virtúte tua lætábitur rex : et super salutáre tuum exsultábit veheménter. | Seigneur, le roi se réjouira dans votre force : et il tressaillira d’une vive allégresse, parce que vous l’aurez sauvé. |
V/.Glória Patri. | |
Non dicitur Glória in excelsis. | On ne dit pas le Glória in excelsis. |
Oratio. | Collecte |
Præsta, quǽsumus, omnipotens Deus : ut familia tua per viam salútis incedat ; et, beáti Ioánnis Præcursóris hortaménta sectándo ad eum, quem prædíxit, secura perveniat, Dóminum nostrum Iesum Christum, Fílium tuum : Qui tecum vivit et regnat. | Qu’il vous plaise, ô Dieu tout-puissant, d’accorder à votre famille de marcher dans la voie du salut ; afin que, fidèle aux enseignements du bienheureux Jean, le Précurseur, elle parvienne sûrement jusqu’à celui qu’il eut mission d’annoncer, notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils, qui avec vous… |
Léctio Ieremíæ Prophétæ. | Lecture du Prophète Jérémie. |
Ier. 1, 4-10. | |
In diébus illis : Factum est verbum Dómini ad me, di-cens : Priúsquam te formárem in útero, novi te : et ántequam exíres de vulva, sanctificári te, et prophétam in géntibus dedi te. Et dixi : A a a, Dómine Deus : ecce, néscio loqui, quia puer ego sum. Et dixit Dóminus ad me : Noli dícere : Puer sum ; quóniam ad ómnia, quæ mittam te, ibis : et univérsa, quæcúmque mandávero tibi, lóqueris. Ne tímeas a fácie eórum : quia tecum ego sum, ut éruam te, dicit Dóminus. Et misit Dóminus manum suam, et tétigit os meum : et dixit Dóminus ad me : Ecce, dedi verba mea in ore tuo ; ecce, constítui te hódie super gentes et super regna, ut evéllas, et déstruas et dispérdas et díssipes et ædífices et plantes : dicit Dóminus omnípotens. | En ces jours-là, le Seigneur m’adressa là parole et me dit : Avant que je t’eusse formé dans les entrailles de ta mère, je t’ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein, je t’ai sanctifié, et je t’ai établi prophète parmi les nations. Je répondis Ah, ah, ah, Seigneur Dieu, je ne sais point parler, car je suis un enfant. Et le Seigneur me dit : Ne dis pas : Je suis un enfant ; car tu iras partout où je t’enverrai, et tu diras tout ce que je te commanderai. Ne les crains pas, car je suis avec toi pour te délivrer, dit le Seigneur .Alors le Seigneur étendit sa main et toucha ma bouche, et le Seigneur me dit : Voici que je mets mes paroles dans ta bouche ; voici que je t’établis aujourd’hui sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu détruises, et pour que tu perdes, et pour que tu dissipes, et pour que tu bâtisses, et pour que tu plantes. Ainsi parle le Seigneur tout-puissant. |
Graduale. Ioann., 1, 6-7. | Graduel |
Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Ioánnes. | II y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean. |
V/. Hic venit, ut testimónium perhibéret de lúmine, paráre Dómino plebem perféctam. | V/. Il vint pour rendre témoignage à la lumière et préparer au Seigneur un peuple parfait. |
+ Initium sancti Evangélii secúndum Lucam. | Commencement du Saint Évangile selon saint Luc. |
Luc. 1, 5-17. | |
Fuit in diébus Heródis, regis Iudǽæ, sacérdos quidam nómine Zacharías, de vice Abía, et uxor illíus de filiábus Aaron, et nomen eius Elísabeth. Erant autem iusti ambo ante Deum, incedéntes in ómnibus mandátis et iustificatiónibus Dómini sine queréla, et non erat illis fílius, eo quod esset Elísabeth stérilis, et ambo processíssent in diébus suis. Factum est autem, cum sacerdótio fungerátur in órdine vicis suæ ante Deum, secúndum consuetúdinem sacerdótii, sorte éxiit, ut incénsum póneret, ingréssus in templum Dómini : et omnis multitúdo pópuli erat orans foris hora incénsi. Appáruit autem illi Angelus Dómini, stans a dextris altáris incénsi. Et Zacharias turbátus est, videns, et timor írruit super eum. Ait autem ad illum Ange-lus : Ne tímeas, Zacharía, quóniam exaudíta est deprecátio tua : et uxor tua Elísabeth páriet tibi fílium, et vocábis nomen eius Ioánnem : et erit gáudium tibi et exsultátio, et multi in nativitáte eius gaudébunt : erit enim magnus coram Dómino : et vinum, et síceram non bibet, et Spíritu Sancto replébitur adhuc ex útero matris suæ : et multos filiórum Israël convértet ad Dóminum, Deum ipsórum : et ipse præcédet ante illum in spíritu et virtúte Elíæ : ut convértat corda patrum in fílios, et incrédulos ad prudéntiam iustórum, paráre Dómino plebem perféctam. | Aux jours d’Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; et sa femme était d’entre les filles d’Aaron, et s’appelait Élisabeth. Ils étaient tous deux justes devant Dieu marchant sans reproche dans tous les commandements et tous les préceptes du Seigneur. Et ils n’avaient pas d’enfant, parce qu’Élisabeth était stérile, et qu’ils étaient tous deux avancés en âge. Or il arriva, lorsqu’il accomplissait devant Dieu les fonctions du sacerdoce selon le rang de sa classe, qu’il lui échut par le sort, d’après la coutume établie entre les prêtres, d’entrer dans le temple du Seigneur pour y offrir l’encens. Et toute la multitude du peuple était dehors, en prière, à l’heure de l’encens. Et un ange du Seigneur lui apparut, se tenant debout à la droite de l’autel de l’encens. Zacharie fut troublé en le voyant, et la frayeur le saisit. Mais l’ange lui dit : Ne crains point, Zacharie, car ta prière a été exaucée, et ta femme Élisabeth t’enfantera un fils, auquel tu donneras le nom de Jean. II sera pour toi un sujet de joie et d’allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira pas de vin ni de liqueur enivrante, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère ; et il convertira un grand nombre des enfants d’Israël au Seigneur ton Dieu. Et il marchera devant lui dans l’esprit et la vertu d’Élie, pour ramener les cœurs des pères vers leurs enfants, et les incrédules à la prudence des justes, de manière à préparer au Seigneur un peuple parfait. |
Ant. ad Offertorium. Ps. 8, 6-7. | Offertoire |
Glória et honóre coronásti eum : et constituísti eum super ópera mánuum tuárum, Dómine. | Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, et vous l’avez établi sur les ouvrages de vos mains, Seigneur. |
Secreta. | Secrète |
Múnera, Dómine, obláta sanctífica : et, intercedénte beáto Ioánne Baptista, nos per hæc a peccatórum nostrórum máculis emúnda. Per Dóminum. | Rendez saints, ô Seigneur, les dons qui vous sont offerts, et en égard à eux ainsi qu’à l’intercession du bienheureux Jean-Baptiste, purifiez-nous des taches de nos péchés. |
Ant. ad Communionem. Ps. 20, 6. | Communion |
Magna est glória eius in salutári tuo : glóriam et magnum decórem ímpones super eum, Dómine. | Sa gloire est grande, grâce à votre salut, vous le couvrirez de gloire et d’un honneur immense, Seigneur. |
Postcommunio. | Postcommunion |
Beáti Ioánnis Baptístæ nos, Dómine, præclára comitétur orátio : et, quem ventúrum esse prædíxit, poscat nobis fore placátum, Dóminum nostrum Iesum Christum, Fílium tuum : Qui tecum vivit et regnat. | Que la prière puissante du Bienheureux Jean-Baptiste, ô Seigneur, s’unisse à la nôtre et qu’elle demande qu’il nous soit favorable, celui dont il a prédit la venue, notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils, qui avec vous… |
Leçons des Matines
Lecture du saint Évangile selon saint Luc.
Aux jours d’Hérode, roi de Judée, il y eut un prêtre nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; et son épouse, d’entre les filles d’Aaron, s’appelait Élisabeth. Et le reste.
Homélie de saint Ambroise, Évêque.
Première leçon. La divine Écriture nous apprend qu’il ne suffit pas d’exalter les vertus de ceux qui sont dignes de louanges, mais qu’il faut encore louer leurs parents : la vertu, transmise comme un héritage de pureté sans tache, sera par là plus éclatante dans ceux que nous louerons. Quel autre but en effet a pu avoir le saint Évangéliste en ce passage, sinon d’anoblir saint Jean-Baptiste en parlant de ses parents, de ses miracles, de ses vertus, de sa mission, de son martyre ? C’est ainsi que la mère de Samuel, Anne, est glorifiée ; c’est ainsi qu’Isaac reçoit de ses parents cette illustration de la piété qu’il transmit à sa postérité. Zacharie était donc prêtre, et de plus, prêtre de la classe d’Abia, c’est-à-dire illustre entre les illustres.
Deuxième leçon. « Et sa femme, est-il dit, était d’entre les filles d’Aaron » [3]. Ce n’est donc pas seulement à ses parents, mais à ses ancêtres, que remonte l’illustration de saint Jean ; ce n’était pas par les honneurs de la puissance séculière, mais par la religion qu’était vénérable la lignée de sa famille. De tels ancêtres convenaient au précurseur du Christ : il ne devait pas recevoir en naissant, mais tenir de ses pères et avoir comme un héritage, la foi à l’avènement du Seigneur pour la prêcher. « Ils étaient tous deux justes devant Dieu, est-il dit, marchant sans reproche dans les commandements et toutes les lois du Seigneur » [4]. Que répondront à cela, ceux qui cherchent des excuses pour leurs péchés et prétendent que l’homme ne peut vivre sans pécher souvent ? Ils s’appuient sur un petit verset du livre de Job : « Personne n’est exempt de tache, pas même celui qui n’a vécu qu’un jour sur terre » [5].
Troisième leçon. On peut leur demander d’abord de définir ce que veut dire : un homme sans péché ; est-ce de n’avoir jamais péché, ou d’avoir cessé de pécher ? S’ils pensent qu’être sans péché, c’est n’avoir jamais péché, j’y consens. Car « tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu » [6]. Mais s’ils nient que celui qui a corrigé ses anciens égarements, et qui a transformé sa vie de sorte qu’il a cessé de pécher, puisse s’abstenir de péché, je ne peux être d’accord avec eux, puisque nous lisons : « Le Seigneur a tellement aimé l’Église qu’il l’a fait paraître devant lui une Église glorieuse, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais qu’il l’a faite sainte et immaculée » [7].
Au temps d’Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; sa femme, qui était de la race d’Aaron, s’appelait Élisabeth. Tous deux étaient justes devant Dieu, suivant sans reproche en toutes choses la voie des commandements et ordonnances du Seigneur. Ils n’avaient point d’enfants, parce qu’Élisabeth était stérile, et que déjà tous deux étaient avancés en âge. Or, il arriva que le tour de sa famille étant venu pour acquitter devant Dieu la charge du sacerdoce, Zacharie fut désigné du sort, selon ce qui s’observait entre les prêtres, pour offrir les parfums au dedans du temple du Seigneur. Toute la multitude du peuple était en prières dehors, à cette heure de l’encens. Et voici qu’un ange du Seigneur apparut à Zacharie, debout à la droite de l’autel des parfums. Il se troubla à cette vue, et fut saisi de frayeur. Mais l’ange lui dit : « Ne craignez point, Zacharie, parce que votre prière a été exaucée. Votre femme Élisabeth vous donnera un fils, et vous l’appellerez Jean. Il vous sera un sujet de joie et d’allégresse, et beaucoup se réjouiront à sa naissance. Car il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli du Saint-Esprit encore dans le sein de sa mère. Un grand nombre d’enfants d’Israël seront convertis par lui au Seigneur leur Dieu, et lui-même marchera devant le Seigneur dans l’esprit et la vertu d’Elie, pour ramener les cœurs des pères à leurs fils, rappeler les incrédules à la prudence des justes, et préparer au Seigneur un peuple parfait » [8].
Cette page, que l’Église nous fait lire aujourd’hui, est précieuse entre celles où sont consignées les annales de l’humanité ; car c’est ici le commencement de l’Évangile, le premier mot de la bonne nouvelle du salut. Non que l’homme n’eût point eu, jusque-là, connaissance des desseins formés par le ciel pour le relever de sa chute et lui donner un Sauveur. Mais l’attente avait été longue, depuis le jour où la sentence portée contre le serpent maudit montrait dans l’avenir à notre premier père ce fils de la femme, qui devait guérir l’homme et venger Dieu. D’âge en âge, il est vrai, la promesse s’était développée ; chaque génération, pour ainsi dire, avait vu le Seigneur par ses prophètes ajouter un trait nouveau au signalement de ce frère de notre race, si grand par lui-même que le Très-Haut l’appellerait son fils [9], si passionne de justice que, pour solder la dette du monde, il verserait tout son sang [10]. Agneau dans son immolation, par sa douceur il dominerait la terre [11] ; désiré des nations quoique sorti de Jessé [12], plus magnifique que Salomon [13], il exaucerait l’amour des pauvres âmes rachetées : allant au-devant de leurs vœux, il s’annoncerait comme l’Époux descendu des collines éternelles [14]. Agneau chargé des crimes du monde, Époux attendu de l’Épouse : tel était donc ce fils de l’homme en même temps Fils de Dieu, le Christ, le Messie promis à la terre. Mais quand viendrait-il, ce désiré des peuples ? Qui désignerait au monde son Sauveur, qui conduirait l’Épouse à l’Époux ? Le genre humain, sorti en pleurs de l’Éden, était resté les yeux fixés sur l’avenir. Jacob, mourant, saluait de loin ce fils aimé dont la puissance égalerait celle du lion ; dont les célestes charmes, relevés encore dans le sang des raisins, ineffable mystère, faisaient l’objet de ses contemplations inspirées sur sa couche funèbre [15]. Au nom de la gentilité, du fumier où sa chair s’en allait en lambeaux, Job répondait à la ruine par un acte de sublime espérance en son Rédempteur et son Dieu [16]. Haletante sous l’effort de son mal et l’ardeur de ses aspirations, l’humanité voyait s’accumuler les siècles, sans que la mort qui la consumait suspendît ses ravages, sans que le désir du Dieu attendu cessât de grandir en son cœur. Aussi, de génération en génération, quel redoublement de prières ; que d’impatience croissante en ses supplications ! Que ne brisez-vous les barrières du ciel, et ne descendez-vous [17] ! Assez de promesses, s’écrient pour l’Église de ces temps le dévot saint Bernard et tous les Pères, commentant le premier verset du Cantique ; assez de figures et d’ombres, assez parlé par d’autres. Je n’entends plus Moïse, les prophètes sont sans voix ; la loi qu’ils apportaient n’a point rendu la vie à mes morts [18]. Et qu’ai-je affaire au bégaiement de leurs bouches profanes [19], moi à qui le Verbe s’annonce ? Les parfums d’Aaron ne valent point l’huile d’allégresse répandue par le Père sur celui que j’attends [20], Plus d’envoyés, ni de serviteurs : après tant de messages, que lui-même vienne enfin !
Et, prosternée dans la personne des plus dignes de ses fils sur les hauteurs du Carmel, l’Église de l’attente ne se relèvera pas que le signe très prochain de la pluie du salut ne paraisse au ciel [21]. Vainement, jusqu’à sept fois, lui sera-t-il répondu que rien ne se lève du côté de la mer ; prolongeant sa prière et ses pleurs, maintenant dans la poussière ses lèvres altérées par l’interminable sécheresse, elle attendra que se montre la nuée féconde apportant Dieu sous des traits humains. Alors, oubliant ses longs jeûnes et l’épuisement des années, elle se redressera dans la vigueur de sa jeunesse première ; remplie de l’allégresse annoncée par l’ange, elle suivra dans la joie l’Elie nouveau dont ce jour de vigile nous promet pour demain la naissance, le précurseur prédestiné courant comme l’ancien Élie [22], mais plus véritablement que lui, devant le char du roi d’Israël.
Nous empruntons au Bréviaire Mozarabe cette belle formule liturgique, qui nous introduira pleinement dans l’esprit de la fête.
CAPITULA. | |
Adsunt, Domine, principia christianæ lætitiæ, quibus olim nasciturum in carne Verbum vox sanctificata præcessit, et luminis ortum lucis protestator insigniter nuntiavit : ex quo et christianæ fidei sacramenta, et salutaris lavacri prodierunt insignia : cujus conceptus miraculum, cujus nativitas gaudium approbatur ; quæsumus ergo, ut qui natalem nunc Præcursoris tui ovantes suscipimus, ad festum quoque natalis tui purgatis cordibus accedamus : ut vox, quæ te prædicavit in eremo, nos purget in sæculo ; et qui viam venturo Domino præparans corpora viventium suo lavit baptismate, nostra nunc corda suis precibus a vitiis et errore depurget : qualiter Vocis sequentes vestigia, ad Verbi mereamur pervenire promissa. | Voici commencer la joie chrétienne, ô Seigneur ! Le Verbe à naître dans la chair est précédé d’une Voix qui l’annonce dans la sainteté ; le lever de la lumière a pour avant-coureur un insigne témoin de ses rayons. Par lui éclatent les mystères de la foi nouvelle ; il manifeste le bain du salut. Sa conception est un prodige ; sa naissance est proclamée la joie du monde. Nous donc qui dans l’allégresse accueillons maintenant la naissance de votre précurseur, puissions-nous dans un cœur purifié solenniser aussi la fête de votre naissance ! Que la voix qui vous prêcha au désert nous purifie dans le siècle. Préparant les sentiers du Seigneur qui devait venir, le Précurseur lavait dans son baptême les corps de ceux qui vivaient en ce temps ; que maintenant, par sa prière, il délivre nos cœurs des vices et du mensonge : en sorte que, marchant à la suite de la Voix, nous méritions de parvenir aux promesses du Verbe. |
Ajoutons les deux Oraisons suivantes du Sacramentaire Gélasien.
ORAISONS. | |
Beati nos, Domine, Baptistæ Johannis oratio, et intelligere Christi tui mysterium postulet et mereri. | Que la prière du bienheureux Jean-Baptiste nous obtienne, Seigneur, et de comprendre et de mériter le mystère de votre Christ. |
Omnipotens sempiterne Deus, qui instituta legalia et sanctorum præconia Prophetarum in diebus beati Baptistæ Johannis implesti : præsta quæsumus, ut, cessantibus significationum figuris, ipsa sui manifestatione Veritas eloquatur, Jesus Christus Dominus noster. | Dieu tout-puissant et éternel, qui, dans les jours du bienheureux Jean-Baptiste, avez accompli ce qu’annonçaient les prescriptions légales et les oracles des saints prophètes ; faites, nous vous en supplions, que, toute figure cessant, se manifeste et parle elle-même la Vérité, Jésus-Christ notre Seigneur. |
Le culte de saint Jean-Baptiste au Latran date au moins du pontificat du pape Hilaire, qui éleva deux oratoires, à gauche et à droite du baptistère de Sixte III, en souvenir du danger auquel il avait échappé lors du fameux latrocinium Ephesinum [23]. L’un était dédié à saint Jean évangéliste et portait cette inscription :
LIBERATORl • SVO • BEATO • IOHANNI • EVANGELISTÆ • HILARVS
EPISCOPVS • FAMVLVS • XPI
L’autre était en l’honneur de saint Jean-Baptiste :
† HILARVS • EPISCOPVS • SANCTÆ • PLEBI • DEI †
Ces deux oratoires devinrent par la suite si célèbres qu’ils donnèrent leur nom à la basilique du Latran elle-même.
La messe vigiliale de saint Jean, avec le jeûne qui la précède, est indiquée non seulement dans le Sacramentaire Léonien, mais même dans le Laterculum de Berne du Martyrologe Hiéronymien. Les lectures indiquées par les listes du manuscrit de Würzbourg correspondent exactement à celles du Missel romain.
La mélodie de l’antienne d’introït est un des morceaux les plus exquis de l’art grégorien, comme en général le chant de presque toutes les messes de vigiles, de préférence aux messes des solennités elles-mêmes. Cette anomalie surprendra peut-être ; mais l’étonnement cessera si l’on réfléchit qu’actuellement ces messes vigiliales sont célébrées selon un rite triste et pénitentiel le jour précédant la fête, tandis qu’au contraire, pour les anciens, le Sacrifice solennel au terme de la Vigile nocturne était la messe festive de Communion générale. A l’origine, c’était même l’unique messe célébrée les jours de grande solennité.
Introït (Luc., I, 13, 15, 14) : « Ne crains pas, ô Zacharie, car ta prière a été exaucée. Élisabeth ton épouse te donnera un fils et tu l’appelleras Jean. Il sera grand devant Dieu, et dès le sein de sa mère, il sera rempli de la grâce du Saint-Esprit. Sa naissance apportera la joie à beaucoup ». — Suit le psaume 20 : « Seigneur, le Roi se réjouira dans votre puissance et il exulte pour votre salut ». Jean commence là où d’autres pourraient à peine se promettre d’arriver. Il repose encore dans le sein maternel, et déjà la grâce le pénètre tout entier ; aussi, devant ce Dieu qui seul est grand et pour qui tout est petit, cet enfant est le plus grand des fils de la femme, comme l’atteste l’Évangile. Saint Jean-Baptiste est grand devant Dieu, parce qu’il fut toujours profondément petit à ses propres yeux, ne cherchant pas autre chose que la gloire de Dieu dans son propre abaissement. Illum oportet crescere, me autem minui.
Saint Jean est venu à titre de précurseur, pour préparer la voie au Messie ; aussi aujourd’hui l’Église, dans la collecte, demande au Seigneur que, suivant la route de la pénitence et de la conversion du cœur, représentée par la doctrine de Jean-Baptiste, nous puissions arriver sûrement au Christ qu’il annonça.
Le répons-graduel est tiré de saint Jean (I, 6-7) : « II y eut un homme du nom de Jean, envoyé de Dieu. Il vint rendre témoignage à la Lumière, et préparer au Seigneur un peuple fidèle ».
Jean rendit un triple témoignage à la Lumière. Sa vie surhumaine elle-même était avant tout une lumière et un prodige permanent. Ille erat lucerna ardens et lucens. — A sa vie de pureté et d’effrayante pénitence, Jean-Baptiste unit la lumière de son inlassable et intrépide prédication, si bien que la Synagogue elle-même put s’en glorifier un instant, croyant qu’il était le Messie promis. Enfin, accrédité par cette double splendeur de la sainteté et du zèle, il fit au monde, et en particulier au judaïsme, la présentation officielle et solennelle du Christ attendu : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccatum mundi. C’est le troisième témoignage rendu par Jean à la Lumière, et c’est ainsi qu’il clôt le chœur des prophètes et inaugure celui des évangélistes.
La lecture évangélique (Luc., I, 5-17) traite de l’apparition de l’archange Gabriel au prêtre Zacharie et de la promesse divine faite à celui-ci, malgré son âge avancé, de la naissance d’un enfant dont le nom serait Jean. Il est des chefs-d’œuvre exclusivement divins, dont Dieu semble saintement jaloux d’écarter tout instrument humain, afin qu’à Lui seul la gloire en soit rendue. C’est pourquoi il attend pour les accomplir que la nature ait épuisé ses dernières ressources. Quand l’homme n’a plus d’espérance, alors sonne l’heure de Dieu.
L’antienne pour l’offrande des oblations est celle de la messe de la vigile de saint Thomas le 20 décembre.
Voici la belle collecte qui prélude à l’anaphore : « Que vous soient consacrées, Seigneur, ces oblations ; par leurs mérites et par les prières du bienheureux Jean-Baptiste, purifiez-nous de la souillure du péché ».
Aujourd’hui, le Sacramentaire Léonien a une préface spéciale fort longue, mais très profonde et très belle : Vere dignum etc... exhibentes solemne ieiunium quo beati lohannis Baptistæ natalitia celebramus : cuius genitor eum Verbi Dei nuntium dubitans nasciturum, vocis est privatus officia, et eodem recepit nascente sermonem ; quique, Angelo promittente, dum non credit, obmutuit, magnifici præconis exortu, et loquens factus est et propheta. Materque pariter sterilis, ævoque, non solum puerperio fæcunda, processit ; sed etiam quo beatæ Mariæ fructum sedula benedictione reciperet, Spiritu divinitatis impleta est ; ipseque progenitus, utpote viæ cælestis assertor, viam Domino monuit præparari ; seraque in suprema parentum ætate concretus et editus, procreandum novissimis temporibus disseruit Redemptorem... Per quem maiestatem tuam.
L’antienne durant la Communion du peuple est semblable elle aussi à celle de la vigile de saint Thomas.
Voici la collecte d’action de grâces : « Seigneur, que la puissante intercession du bienheureux Jean-Baptiste nous assiste, et qu’il supplie maintenant de se montrer clément envers nous Celui qu’il annonça comme devant venir, Jésus-Christ notre Seigneur ».
La grandeur de Jean réside dans sa mission de préparer les voies à Jésus-Christ. Il n’était donc pas pour lui-même, mais pour Jésus-Christ, pour sa plus grande gloire, et c’est là la véritable humilité, fondement de toute réelle grandeur devant Dieu.
Beaucoup se réjouiront de sa naissance.
1. Vigile. — Nous nous préparons aujourd’hui à célébrer une fête qui appartient au cercle le plus intime de l’année liturgique, la naissance du Précurseur du Seigneur. C’est une sorte d’Avent et une seconde annonce de la naissance du Seigneur (la première est l’Annonciation de la Sainte Vierge). Cette annonce eut lieu six mois avant Noël. La fête est avant tout une fête de Rédemption, une fête de joie, à cause de la Rédemption qui va venir. La vigile d’aujourd’hui a comme mystère particulier la promesse de la naissance du Baptiste faite par l’ange Gabriel à Zacharie dans le temple. Nous entendons cette promesse dès notre entrée dans l’église ; l’Évangile l’annonce expressément ; dans la prière des Heures saint Ambroise nous en entretient. Dans son homélie, il expose que la Sainte Écriture ne se contente pas de louer les saints personnages, elle loue aussi leurs parents ; c’est le cas par exemple pour Samuel et Isaac, c’est également le cas pour Zacharie dont on indique la classe sacerdotale ; on indique aussi les ancêtres d’Élisabeth. La leçon de la messe nous rapporte, au sens littéral, la vocation de Jérémie. La liturgie applique ce passage à saint Jean. Il convient très bien au Précurseur, qui fut sanctifié dans le sein de sa mère et reçut la mission de prêcher hardiment la pénitence : « Avant de te former dans le sein maternel je te connais, et, avant que tu voies la lumière du monde, je t’ai sanctifié et je t’ai établi prophète sur les peuples ». « Voici que je t’établis aujourd’hui sur les peuples et sur les royaumes pour arracher et pour abattre, pour perdre et pour détruire, pour bâtir et pour planter ».
2. Importance de saint Jean. — Il est certain que l’un des rôles d’une vigile est de nous faire mieux connaître la fête ou le saint. Aussi nous devrions prendre aujourd’hui l’Évangile en main pour étudier le grand homme auquel le Seigneur a décerné un si magnifique éloge. Rarement l’Écriture Sainte nous présente la vie d’un saint d’une manière aussi complète que celle de saint Jean. Elle nous raconte sa conception, sa naissance et sa circoncision (Luc, chap. 1), le commencement de sa mission, sa prédication, son témoignage rendu au Christ (Luc., chap. 3 ; Math., chap. 3 ; Jean, chap. l, chap. 3, v. 22-26), son arrestation, sa captivité et son martyre (Marc, VI, 4-29). Il faudrait réunir tous ces textes de l’Écriture.
Nous nous demandons pourquoi saint Jean jouit d’une telle considération dans la liturgie. Il est personnellement un très grand saint ; il est même un des plus grands parmi ceux qui sont « nés des femmes ». Cependant ce n’est pas en cela que consiste son importance ; elle consiste dans le fait qu’il a annoncé le Rédempteur et lui a préparé les voies. Le Christ est le soleil, Jean est l’aurore. La liturgie, qui représente la venue du Christ d’une manière très dramatique, veut aussi que son Précurseur marche devant lui. Quelques exemples nous le montreront :
a) Quand, en hiver, le soleil monte à l’horizon, l’Église célèbre la naissance du Christ ; quand le soleil commence à décliner, elle célèbre la naissance de saint Jean (25 décembre — 24 juin). La liturgie réalise la parole du Baptiste : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue ».
b) Pendant l’Avent, nous attendons le lever du divin Soleil à Noël ; Jean se tient devant nous comme l’aurore.
c) Aux Laudes, avant le lever du soleil du jour, qui est le symbole du Soleil eucharistique, l’Église chante, au Benedictus, l’éloge du Précurseur.
d) Enfin, quand la mort des chrétiens fait lever pour eux le Soleil éternel, l’Église chante encore sur leur tombe le Benedictus. Cette fois encore la liturgie salue dans saint Jean le Précurseur du Christ.
LE JEUNE PRÉPARATOIRE.
Puisque, dès la fin du Ve siècle, la Nativité du Sauveur était précédée de plusieurs semaines de pénitence, il parut tout naturel de pourvoir la Nativité de saint Jean d’une période de préparation comparable à l’Avent. Une solennité aussi importante que la Noël d’été méritait bien, pensait-on, qu’on s’y disposât par un certain nombre de jours consacrés au jeûne et à l’abstinence. Nous ne saurions dire au juste à quel moment prit naissance ce nouvel Avent qui n’a laissé de vestige ni dans la liturgie romaine, ni dans aucune liturgie occidentale. Mais il est incontestable qu’en diverses contrées, pendant plusieurs siècles et jusqu’à une époque assez avancée du moyen-âge, on préludait à la solennité du 24 juin par une période plus ou moins longue de pénitence. Nous avons sur ce point le témoignage du liturgiste Amalaire qui constate que, de son temps, on observe trois carêmes : le premier, avant Pâques ; le second, aux alentours de la Saint-Jean (circa festivitatem Joannis) ; et le troisième, avant Noël [24]. Quelle était primitivement la durée de ce carême supplémentaire ? Nous l’ignorons. On peut du moins supposer non sans vraisemblance que la manière de concevoir et de pratiquer cette période de préparation variait d’une Église à l’autre. En tout cas, nous voyons encore au XIe siècle le concile de Séligenstadt (1022) prescrire pour la Nativité de saint Jean un jeûne préparatoire de quatorze jours (can. I). Et pendant ces deux semaines de pénitence le même concile prohibe rigoureusement la célébration des noces (can. 3) [25]. La manière dont Durand de Mende s’exprime sur la réduction du carême de saint Jean à l’espace de trois semaines « propter fragilitatem hominum » nous donne à croire que de son temps, c’est-à-dire à la fin du XIIIe siècle, l’usage de se préparer à la fête du 24 juin par le jeûne et l’abstinence n’avait pas encore tout à fait disparu des mœurs chrétiennes [26].
Si les documents liturgiques ne nous fournissent aucune indication sur le carême de saint Jean, ils nous montrent du moins que la vigile de la Nativité fut toujours considérée, depuis l’origine même de la fête, comme une des plus solennelles de l’année chrétienne. On la sanctifiait par une abstinence rigoureuse et par un jeûne qui se prolongeait jusqu’au coucher du soleil. Toujours est-il, que dans le sacramentaire Léonien dont nous avons parlé plus haut, il y a le texte d’une messe pour la vigile de saint Jean avec une préface propre où il est fait mention du jeûne solennel qui précède la Nativité du Précurseur : « Exhibentes solemne jejunium quo beati Johannis Baptistæ natalitia prævenimus » [27]. C’est seulement dans les dernières années du XIXe siècle que l’Église romaine, toujours plus indulgente à l’égard de notre faiblesse, cessa de tenir pour obligatoire le précepte du jeûne et de l’abstinence en la vigile de saint Jean. Mais quand on se rappelle avec quelle rigueur les chrétiens du moyen-âge se préparaient à la Nativité du Précurseur, on s’explique aisément qu’au IXe siècle, par une juste condescendance, l’Église ait permis aux fidèles de faire usage de la viande, chaque fois que la Noël d’été tombait un vendredi [28].
LA MESSE DE LA VIGILE : ANNONCIATION DU PRÉCURSEUR.
La messe de la vigile se célébrait au moyen-âge non pas comme aujourd’hui dans la matinée du 23 juin mais au soir de ce même jour, avant les premières vêpres. Les textes liturgiques de cette première messe nous transportent jusqu’au temple de Jérusalem, à l’heure décisive où s’accomplissait l’oblation de l’encens. L’antienne de l’introït, que relève une mélodie des plus gracieuses, est empruntée à l’évangile même de la messe. Elle ne reproduit pas servilement le texte de saint Luc mais le simplifie et l’abrège pour satisfaire aux exigences de la phrase musicale et donner plus de relief au message angélique [29]. Elle nous met en présence des trois personnages qui tiennent le plus de place dans la liturgie du jour, et, d’un mot, nous indique la part qui revient à chacun dans l’accomplissement du mystère :
Ne crains point, ZACHARIE, ta prière est exaucée ; ÉLISABETH, ton épouse, t’enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de JEAN ; et il sera grand devant le Seigneur, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le ventre de sa mère, et beaucoup se réjouiront de sa naissance.
Voici d’abord Zacharie dont l’ardente prière a obtenu pour le salut du peuple ce fils auquel il imposera lui-même le nom choisi du ciel : Ne timeas, Zacharia, exaudita est oratio tua. Puis c’est Élisabeth qui, par la sainteté de sa vie, a mérité l’insigne privilège de concevoir le Précurseur du Christ : Et Elisabeth uxor tua pariet tibi filium. Enfin et surtout c’est le fruit de ce couple parfait, Jean lui-même, déjà si grand dans le sein maternel que sa naissance doit être pour l’Église entière le sujet d’une immense allégresse : Et erit magnus coram Domino, et Spiritu sancto replebitur adhuc ex utero matris suæ : et multi in nativitate ejus gaudebunt.
Nombre de pièces liturgiques, antiennes et répons, sont inspirées de ce même passage de saint Luc dont lecture est faite comme évangile de la messe. L’évangéliste commence très justement son récit par l’épisode de l’annonciation du Précurseur, car saint Jean-Baptiste appartient à l’Évangile non moins par le mystère de sa naissance que par l’œuvre de sa vie publique. Il est en son origine si étroitement uni au Christ que l’annonce de sa conception merveilleuse doit être considérée comme le point de départ du salut et l’annonce de notre rédemption.
Et d’abord pour nous faire entrevoir la grandeur surhumaine de l’enfant qui va naître, saint Luc, narrateur toujours habile, indique en deux mots ce que furent les origines du Précurseur :
Il y avait aux jours d’Hérode, roi de Judée, un prêtre nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; et sa femme qui était une des filles d’Aaron s’appelait Élisabeth. Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur d’une manière irréprochable.
En rappelant ainsi l’origine sacerdotale du Précurseur et l’admirable sainteté de ses parents, saint Luc donne à entendre qu’il appartenait à saint Jean-Baptiste, de résumer et de symboliser tout ce qu’il y avait eu de noble et de pur dans l’Ancien Testament afin de l’incliner en sa propre personne devant le Fils de Dieu. Mais si les parents du Précurseur représentaient la sainteté d’Israël, ils personnifiaient aussi la stérilité et la caducité de la Synagogue. C’est du moins ce que nous suggère cette réflexion de saint Luc :
Ils n’avaient point d’enfants parce qu’Élisabeth était stérile, et ils étaient tous les deux avancés en âge.
Au cours de sa longue existence ce couple de justes n’avait pas connu les joies de la fécondité, parce que Dieu lui destinait une bénédiction qui devait être doublement miraculeuse, et à raison de la stérilité de l’épouse, et à raison de l’âge avancé des deux époux. Il fallait, en effet, que le Précurseur justifiât le mystère de son nom qui signifie « Dieu s’est incliné » et que, par le caractère extraordinaire de sa naissance, il montrât qu’il était plus encore le fruit de la grâce divine que l’ouvrage de la nature [30]. Nous allons voir par la suite du récit que la conception de Jean ne fut pas autre chose que la réponse miséricordieuse du Seigneur au pressant appel de son peuple :
Or, il arriva que le tour de sa famille étant venu pour acquitter devant Dieu la charge du sacerdoce, Zacharie fut désigné par le sort, selon la coutume observée par les prêtres, pour pénétrer dans le temple du Seigneur et y offrir l’encens. Et toute la multitude du peuple était eu prières dehors, à l’heure de l’encens. Mais un ange du Seigneur apparut à Zacharie debout à droite de l’autel de l’encens. En le voyant il se troubla et fut saisi de crainte.
Bien différente de ce que sera six mois plus tard l’annonciation du Sauveur, celle de Jean emprunte aux circonstances elles-mêmes une solennité exceptionnelle. Elle se passe, très vraisemblablement, le jour sacré du sabbat [31], non pas dans une humble bourgade de Judée, mais à Jérusalem, au lieu le plus saint de l’univers, dans ce temple fameux qui a toujours été pour le peuple juif le symbole et le centre unique de sa vie religieuse. L’heure elle-même est solennelle. Selon toute probabilité la foule qui se presse nombreuse dans le parvis du temple est venue prendre part au sacrifice du soir [32]. Zacharie termine son auguste fonction [33]. Après avoir pénétré dans le sanctuaire et déposé sur les charbons embrasés l’encens qui représente les prières et les adorations de tout le peuple, il est sur le point de se retirer lorsque tout à coup, parmi les spirales de fumée un ange lui apparaît qui se tient debout à droite de l’autel des parfums : a dextris altaris incensi. L’ange a pour nom Gabriel. C’est le même messager qui, six mois plus tard, sera l’ambassadeur du Très-Haut auprès de la Vierge Marie. A la vue de l’ange, Zacharie est saisi d’un tel effroi que Gabriel doit le rassurer avant de lui transmettre son divin message :
Il lui dit : « Ne crains point, Zacharie, car ta prière a été exaucée. Élisabeth, ton épouse, te donnera un fils auquel tu imposeras le nom de Jean. Il sera pour toi un sujet de joie et d’allégresse et beaucoup se réjouiront à sa naissance. »
Quoniam exaudita est deprecatio tua. L’ange Gabriel vise ici, sans aucun doute, la prière que Zacharie venait d’adresser à Dieu dans l’exercice de sa fonction sacerdotale au nom de tout le peuple qui l’entourait. Et cette prière collective ne pouvait avoir d’autre objet que le salut d’Israël [34]. Pour que Zacharie soit assuré de la miséricorde du Seigneur, l’ange lui promet un signe : son épouse, malgré sa vieillesse et sa stérilité, lui donnera un fils qui portera le nom prédestiné de Jean et dont la naissance fera la joie de beaucoup en Israël. Puis l’ange déroule peu à peu la carrière merveilleuse de l’enfant promis :
Il sera grand devant le Seigneur, il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère.
Erit enim magnus coram Domino : « Il sera grand devant le Seigneur, grand de la vraie dignité surnaturelle : le Fils de Dieu lui-même le proclamera un jour. Ce n’était qu’à la condition d’être lui-même un saint qu’il devait honorer la grandeur divine de Celui devant qui il s’inclinerait tout entier ; son geste alors serait décisif, son témoignage irrécusable » [35]. Il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante « car l’enfant qui doit naître sera voué à Dieu, non par un acte de sa volonté personnelle, mais comme Samson (Jud., XIII, 3-5) et comme Samuel (I Reg., I, 11) en vertu d’une mainmise divine et d’une prise de possession souveraine. C’est à peine s’il sera de ce monde, tant il appartiendra à Dieu. Rien de tout ce qui pourrait altérer le calme de son âme et lui apporter une ivresse naturelle ne lui sera accordé. Sa vocation sera extraordinaire. Les joies humaines lui manqueront ; il vivra dans le désert et loin des siens. Il n’aura d’autre plaisir que d’entendre la voix de l’Époux et de s’effacer devant lui (Johan., III, 29-30) : il ne pourra même pas le suivre. Mais en échange de tout le bonheur terrestre dont il sera sevré, il aura la sainte ivresse, la plénitude de l’Esprit de Dieu, qu’il recevra dès le sein de sa mère. Au lieu des impulsions de la nature, il ne connaîtra que les influences et les directions de cet Esprit, qui l’instruira et le conduira dans toutes ses voies. Telle sera sa vie » [36].
Grand par sa sainteté personnelle, Jean le sera aussi par l’insigne fonction que, de toute éternité, lui réserve la Sagesse divine :
Un grand nombre d’enfants d’Israël seront convertis par lui au Seigneur leur Dieu. Et lui-même marchera devant le Seigneur dans l’esprit et la vertu d’Élie, pour ramener les cœurs des pères à leurs fils, rappeler les incrédules à la prudence des justes et préparer au Seigneur un peuple parfait.
Dans la dernière partie de son message l’ange Gabriel applique au Précurseur ce qui avait été annoncé du prophète Élie [37]. Le rôle que celui-ci remplira vis-à-vis du Christ à la fin des siècles, Jean doit le jouer aux jours de son premier avènement. Il doit le jouer dans l’esprit et la vertu d’Élie : in spiritu et virtute Eliæ, c’est-à-dire avec la même énergie intrépide, avec la même austérité, avec le même zèle brûlant qui donnait à la parole du prophète la force du feu : Et verbum ipsius quasi facula ardebat [38]. Jean-Baptiste aura, tout comme Élie, la mission de ramener au Seigneur leur Dieu beaucoup des enfants d’Israël qui se sont détournés de lui. Il s’efforcera de réconcilier les pères avec les fils [39] de rendre les incrédules dociles aux enseignements des justes, afin de rétablir l’unité des cœurs et de « préparer au Seigneur un peuple parfait » : Parare Domino plebem perfectam. Ces derniers mots de l’évangile résument à merveille l’œuvre future du Précurseur.
Parare Domino plebem perfectam. Cette affirmation, dans la pensée de l’Église, ne vise pas simplement la tâche accomplie par Jean-Baptiste auprès du peuple juif, mais bien aussi celle qu’il poursuit au ciel par la vertu de ses mérites et de sa prière. Telle est la pensée qui transparaît en ce répons graduel où l’Église juxtapose habilement deux textes de provenance diverse :
Un homme fut envoyé de Dieu qui s’appelait Jean. Il est venu rendre témoignage à la lumière et préparer au Seigneur un peuple parfait. [40]
Jean tient de Dieu lui-même une fonction qui lui confère à tout jamais le soin de disposer les âmes à cet avènement du Sauveur dont le mystère se reproduit chaque année en la fête de Noël. Dès le jour de sa naissance, l’Église nous donne Jean pour guide afin qu’il nous conduise jusqu’au Christ qui, six mois plus tard, naîtra lui-même selon la chair. Considérées à ce point de vue les oraisons de la messe deviennent d’une actualité plus immédiate. La collecte de la vigile demande précisément à Dieu de nous rendre fidèles aux exhortations du Précurseur afin que, marchant sous sa conduite dans la voie du salut, nous puissions parvenir jusqu’à celui dont il annonça la venue sur la terre :
Dieu tout-puissant, faites, nous vous en prions, que votre famille marche dans la voie du salut et que suivant les leçons du Précurseur, elle parvienne en toute sûreté jusqu’à celui qu’il annonça, Jésus-Christ Notre-Seigneur.
La postcommunion laisse entrevoir, elle aussi, dans le lointain, la Noël d’hiver quand elle rappelle que le Précurseur se charge de nous rendre propice par son intervention souverainement agissante (præclara oratio) celui qui bientôt naîtra selon la chair :
Seigneur, que la prière toute-puissante du bienheureux Jean-Baptiste nous accompagne et qu’elle sollicite en notre faveur la miséricorde de celui dont il a prédit l’avènement, Notre-Seigneur Jésus-Christ votre Fils qui vit et règne avec vous dans l’unité du Saint-Esprit.
Enfin pour que tout soit dit sur les grandeurs futures du fils d’Élisabeth, deux pièces de chant, l’offertoire et la communion, nous entretiennent de la gloire réservée dans le ciel à l’enfant qui naîtra sur la terre. C’est à cause du lien très étroit qui unit à tout jamais l’Époux et l’Ami de l’Époux, que, dans l’offertoire, l’Église applique au Précurseur ces paroles prophétiques qui visent directement le Christ lui-même :
D’honneur et de gloire vous l’avez couronné et sur l’œuvre de vos mains vous l’avez établi, ô Seigneur [41].
La messe de vigile qui commençait par le mot de l’ange : « Il sera grand devant le Seigneur » s’achève avec l’antienne de communion sur ce verset du psalmiste qui complète la promesse de l’introït :
Grande est sa gloire, par votre grâce, ô Seigneur. Vous le recouvrez de splendeur et de magnificence [42].
MAGNA est gloria ejus, gloriam et MAGNUM decorem impones super eum. Lorsque Jean-Baptiste sera parvenu dans la lumière du ciel jusqu’aux sommets les plus élevés de la gloire ne réalisera-t-il pas en toute plénitude la promesse angélique : Et erit MAGNUS coram Domino « Et il sera grand devant le Seigneur » ?
[1] Rationale, VII, 14.
[2] Ibid.
[3] Luc. 1, 5.
[4] Luc. 1, 6.
[5] Job. 14, 4, sec. LXX.
[6] Rom. 3, 23.
[7] Ephes. 5, 25.
[8] Luc. I, 5-17.
[9] Psalm. 11, 7.
[10] Isai. LIII, 7.
[11] Ibid. XVI, 1.
[12] Ibid. XI, 10.
[13] Psalm. XLIV.
[14] Ose. II, 19 ; Gen, XLIX, 26.
[15] Gen. XLIX, 9-12, 18.
[16] Job. XIX, 25-27.
[17] Isai. LXIV, 1.
[18] IV Reg. IV, 31.
[19] Ex. IV, 10 ; Isai. VI, 5.
[20] Psalm. XLIV, 8.
[21] III Reg. 42-46.
[22] Ibid.
[23] Le brigandage d’Éphèse, Cf. wikipedia.
[24] AMALAIRE, De ecclesiasticis officiis, IV, 37. (Pat. Lat., CV, col. 1232). — De cette indication très formelle nous rapprocherions volontiers certain passage de la lettre aux Bulgares où le pape Nicolas I mentionne à côté de l’Avent et du Carême un « jejunium post Pentecosten » qui pourrait bien n’être pas différent du jeûne « circa festivitatem Joannis » signalé par Amalaire. (Cf. MANSI, Concilia, t. XV, col. 407).
[25] MANSI, Concilia, t. XIX.
[26] Rational des offices divins, 1. VII, c. 14.
[27] Pat. lat., t. LV, col. 44.
[28] Nicolas Ier, Lettre aux Bulgares, (MANSI, Concilia, t. XV, col. 407).
[29] On remarquera par exemple que l’expression : et multi in nativitate ejus gaudebunt, est rejetée à la fin de l’antienne pour lui servir de conclusion, L’indication et vinum et siceram non bibet, est éliminée comme de moindre importance. Le texte liturgique conserve au contraire la série des : et, pour bien souligner la progression dans le mystère.
[30] Une belle séquence du moyen-âge attribuée au poète Adam de Saint-Victor s’exprime comme il suit, au sujet de cet enfantement merveilleux :
Contra Carnis quidem jura
Johannis hæc genitura ;
Talem gratis,
Partum format non natura.
La conception de Jean n’est pas selon l’ordre de la chair : c’est la grâce qui produit un tel enfantement, non la nature ». (Cf. Année Liturgique, La Nativité de S.J.-B.).
[31] Cf. R. P. Lagrange, Évangile selon saint Luc, p. 13.
[32] Ibid.
[33] Selon le R. P. Buzy : « il paraît préférable de placer l’apparition de l’ange après l’offrande des parfums. Cette combinaison semble plus conforme au récit de saint Luc qui fait sortir Zacharie aussitôt après l’accomplissement du message céleste. » (Saint Jean-Baptiste, p. 11). D’après la liturgie cependant, l’apparition aurait eu lien au moment où Zacharie pénétrait dans le Saint : Ingresso Zacharia templum Domini apparuit ei Gabriel Angelus. (Ant. du Magnificat des Ires Vêpres).
[34] Quelques auteurs modernes estiment que Zacharie, réitérant une fois de plus la prière de toute sa vie, venait de demander un fils au Seigneur. Telle n’était pas l’interprétation des Pères. Selon saint Augustin la prière de Zacharie avait pour objet l’avènement du Messie : « Pourquoi, dit-il, l’ange s’exprime-t-il de la sorte ? Parce que Zacharie qui était prêtre sacrifiait pour le peuple, le peuple attendait Jésus-Christ, et Jean devait annoncer le Christ » (Serm. CCXCI, n. 3). Du reste comme l’observe saint Augustin, si Zacharie avait demandé un fils, il aurait cru à la promesse qui lui était faite : Quis rogat sine spe ? Si non speras, quare petis ? — Les meilleurs exégètes modernes partagent ce sentiment. (Cf. D. Buzy, op. cit., p. 12).
[35] D. P. Delatte, L’Évangile de N. S. J. C., t. I, p. 25.
[36] D. Delatte, op. cit., p. 26.
[37] Malachie, IV, 5-6. (Cf. Is., XI, 3 et ss.).
[38] Sa parole était enflammée comme un flambeau : Eccli., XLVIII, 1. — Le Sauveur a dit lui-même de Jean-Baptiste : Ille erat lucerna ardens et lucens (Johan., V, 35), Jean était la lampe qui brûle et luit.
[39] Les paroles de l’ange contenaient une allusion évidente au passage de Malachie (IV, 5-6). Or l’oracle de Malachie vise une réconciliation sociale entre les pères et leurs fils. Il vaut donc mieux conserver à ces paroles le sens qu’elles ont dans le texte du prophète et les entendre de la manière suivante : Jean renouera les relations de famille, il ramènera les incrédules à des sentiments de piété et de justice ; et ces deux effets partiels, l’un social, l’autre religieux, contribueront au résultat total : parare Domino plebem perfectam, préparer au Seigneur un peuple parfait. (Cf. D. Buzy, op. cit., p. 15).
[40] Johan., I, 6-7 et Luc. I, 17.
[41] Ps. VIII, 6-7.
[42] Ps. XX, 6. — Ici encore c’est le Messie qui est directement visé par le psalmiste.