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19/06 Sts Gervais et Protais, martyrs

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

Ces deux martyrs milanais sont entrés dès l’antiquité dans le calendrier de Rome en raison des circonstances extraordinaires et des miracles qui accompagnèrent la découverte de leurs corps par St Ambroise en 386. L’ajout de la fête de Ste Julienne le même jour a effacé le culte de ces martyrs célèbres dans tout l’occident au Moyen-Âge (de nombreuses églises en France leur sont consacrées).

Le récit de l’invention des corps des martyrs Gervais et Protais à Milan par saint Ambroise le 17 juin 386 et de leur déposition le surlendemain sous l’autel de la basilique ambrosienne constitue l’une des pages les plus célèbres de la littérature hagiographique. Après la mise à jour de leur tombeau en 1865, l’ouverture en 1871 de la cuve de porphyre qui contenait leurs restes et ceux de saint Ambroise confirma l’assertion de ce dernier sur la taille athlétique des deux martyrs [1]. Leur culte se répandit très tôt. Dès le début du 5e siècle, ils étaient honorés à Rome dans le titulus Vestinae, le dernier en date des tituli romains, qui fut érigé par le pape Innocent Ier (401-417). La basilique doit être antérieure à 410, date de la prise de Rome par Alaric [2]. Les sources liturgiques du 7e siècle annoncent saints Protais et Gervais ou Gervais et Protais, Leur culte est constamment attesté à Rome depuis lors, bien que la basilique soit passée sous le vocable de saint Vital, dont la légende a fait leur père. C’est pourquoi le capitulaire du 9e siècle précise qu’on célèbre les saints Gervais et Protais ad sanctum Vitalem [3].

Textes de la Messe

Eodem die 19 iunii
ce même 19 juin
Ss GERVASII ET PROTASII
Sts Gervais et Protais
Martyrum
Martyrs
Commemoratio
Commémoraison
Ant. ad Introitum. Ps. 84, 9.Introït
Loquétur Dóminus pacem in plebem suam : et super sanctos suos, et in eos, qui convertúntur ad ipsum.Le Seigneur annoncera la paix pour son peuple et pour ses saints, et pour ceux qui se tournent vers leur cœur.
Ps. ibid., 2.
Benedixísti, Dómine, terram tuam, avertísti captivitátem Iacob.Vous avez béni, Seigneur, votre terre : vous avez délivré Jacob de la captivité.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, qui nos ánnua sanctórum Mártyrum tuórum Gervásii et Protásii sollemnitáte lætíficas : concéde propítius ; ut, quorum gaudémus méritis, accendámur exémplis. Per Dóminum.Dieu, vous nous réjouissez en la solennité annuelle de vos saints Martyrs Gervais et Protais : faites, dans votre clémence, que notre piété s’enflamme aux exemples de ceux dont les mérites nous remplissent d’allégresse.
Léctio Epístolæ beáti Petri Apóstoli.Lecture de l’Épître de Saint Pierre Apôtre.
1. Petri 4, 13-19.
Caríssimi : Communicántes Christi passiónibus gaudéte, ut et in revelatióne glóriæ eius gaudeátis exsultántes. Si exprobrámini in nómine Christi, beáti éritis : quóniam quod est honóris, glóriæ et virtútis Dei, et qui est eius Spíritus, super vos requiéscit. Nemo autem vestrum patiátur ut homicída, aut fur, aut malédicus, aut alienórum appetítor. Si autem ut christiánus, non erubéscat : gloríficet autem Deum in isto nomine. Quóniam tempus est, ut incípiat iudícium a domo Dei. Si autem primum a no-bis : quis finis eórum, qui non credunt Dei Evangélio ? Et si iustus vix salvábitur, ímpius et peccátor ubi parébunt ? Itaque et hi, qui patiúntur secúndum voluntátem Dei, fideli Creatóri comméndent ánimas suas in benefáctis.Mes bien-aimés, parce que vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lorsque sa gloire sera manifestée, vous soyez aussi dans la joie et l’allégresse. Si vous recevez des injures pour le nom du Christ, vous êtes bienheureux, parce que l’honneur, la gloire, et la puissance de Dieu, ainsi que l’Esprit de Dieu, reposent sur vous. Mais qu’aucun de vous ne souffre comme homicide, ou comme voleur, ou comme malfaiteur, ou comme s’ingérant dans les affaires d’autrui. Mais s’il souffre comme chrétien, qu’il n’en ait point de honte, mais qu’il glorifie Dieu de porter ce nom-là. Car le moment est venu où le jugement va commencer par la maison de Dieu ; et s’il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient pas à l’évangile de Dieu ? Et si le juste n’est sauvé qu’avec peine, que deviendront l’impie et le pécheur ? Que ceux qui souffrent selon la volonté de Dieu recommandent leurs âmes au créateur fidèle, en faisant ce qui est bien.
Graduale. Exodi 15,11.Graduel
Gloriósus Deus in Sanctis suis : mirábilis in maiestáte, fáciens prodígia.Dieu est glorifié dans ses Saints ; admirable dans sa majesté, il fait des prodiges.
V/. Ibid., 6. Déxtera tua, Dómine, glorificáta est in virtúte : déxtera manus tua confrégit inimícos.V/. Votre droite, Seigneur, s’est signalée par sa force ; votre main droite a brisé ses ennemis.
Allelúia, allelúia. V/. Hæc est vera fratérnitas, quæ vicit mundi crímina : Christum secuta est, ínclita tenens regna cæléstia. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. C’est la vraie fraternité qui a vaincu les crimes du monde : ils ont suivi le Christ et possèdent la gloire du Royaume céleste. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Lucam.Suite du Saint Évangile selon saint Luc.
Luc. 6, 17-23.
In illo témpore : Descéndens Iesus de monte, stetit in loco campéstri, et turba discipulórum eius, et multitúdo copiósa plebis ab omni Iudǽa, et Ierúsalem, et marítima, et Tyri, et Sidónis, qui vénerant, ut audírení eum et sanaréntur a languóribus suis. Et, qui vexabántur a spirítibus immúndis, curabántur. Et omnis turba quærébat eum tangere : quia virtus de illo exíbat, et sanábat omnes. Et ipse, elevátis óculis in discípulos suos, dicebat : Beáti, páuperes : quia vestrum est regnum Dei. Beáti, qui nunc esurítis : quia saturabímini. Beáti, qui nunc fletis : quia ridébitis. Beáti eritis, cum vos óderint hómines, et cum separáverint vos et exprobráveriní, et eiécerint nomen vestrum tamquam malum, propter Fílium hóminis. Gaudéte in illa die et exsultáte : ecce enim, merces vestra multa est in cælo.En ce temps-là, Jésus descendant de la montagne s’arrêta dans la plaine avec la troupe de ses disciples et une grande multitude de peuple de toute la Judée, et de Jérusalem, et de la contrée maritime, et de Tyr, et de Sidon ; ils étaient venus pour l’entendre et pour être guéris de leurs maladies. Et ceux qui étaient tourmentés par des esprits impurs étaient guéris. Et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une vertu sortait de lui et les guérissait tous. Et lui, levant les yeux sur ses disciples, disait : Bienheureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous. Bienheureux, vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés. Bienheureux, vous qui pleurez maintenant, parce que vous rirez. Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous haïront, et vous repousseront, et vous outrageront, et lorsqu’ils rejetteront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous en ce jour-là et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense est grande dans le ciel.
Ant. ad Offertorium. Ps. 31, 11.Offertoire
Lætámini in Dómino et exsultáte, iusti : et gloriámini, omnes recti corde, allelúia, allelúia.Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et soyez dans l’allégresse ; et glorifiez-vous en lui vous tous qui avez le cœur droit, alléluia, alléluia.
SecretaSecrète
Oblátis, quǽsumus, Dómine, placáre munéribus : et, intercedéntibus sanctis Martýribus tuis, a cunctis nos defénde perículis. Per Dóminum.Laissez-vous fléchir, Seigneur, par l’offrande de ces dons ; et préservez-nous de tous les périls grâce à l’intercession de vos saints martyrs.
Ant. ad Communionem. Ps. 78, 2 et 11.Communion
Posuérunt mortália servórum tuórum, Dómine, escas volatílibus cæli, carnes Sanctórum tuórum béstiis terræ : secúndum magnitúdinem bráchii tui pósside fílios morte punitórum.Ils ont livré les cadavres de vos serviteurs en pâture aux oiseaux du ciel, et la chair de vos fidèles aux bêtes de la terre : selon la grandeur de votre bras, gardez les fils de ceux qu’on a fait mourir.
PostcommunioPostcommunion
Hæc nos commúnio, Dómine, purget a crímine : et, intercedéntibus sanctis Martýribus tuis Gervásio et Protásio, cæléstis remédii fáciat esse consórtes. Per Dóminum.Que cette communion, Seigneur, nous purifie de nos fautes ; et que par l’intercession de vos Saints Martyrs Gervais et Protais, elle nous unisse inséparablement à Celui qui s’est fait le remède céleste de nos âmes.

Office

Leçon des Matines avant 1960

Neuvième leçon. Gervais et Protais étaient fils de Vital et de Valérie ; leur père et leur mère souffrirent le martyre pour la foi de Jésus-Christ, l’un à Ravenne et l’autre à Milan. Eux-mêmes, ayant distribué leur patrimoine aux pauvres et affranchi leurs esclaves, s’attirèrent de ce chef une haine sans mesure de la part des prêtres païens. Ceux-ci donc cherchèrent une occasion de perdre les pieux frères, et crurent la trouver dans les préparatifs de guerre faits par le comte Astasius. Ils ont appris des dieux, insinuent-ils à Astasius, qu’il ne sera vainqueur qu’à la condition de forcer Gervais et Protais à renier le Christ et à sacrifier aux dieux. Les deux frères ne témoignant qu’horreur pour une telle proposition, Astasius fait battre Gervais jusqu’à ce qu’il expire sous les coups : Protais est battu de verges, puis frappé de la hache. Philippe, serviteur du Christ, enleva leurs corps à la dérobée et les ensevelit dans sa maison. Dans la suite, saint Ambroise les ayant découverts par une inspiration de Dieu, prit soin de les placer dans un lieu sacré et illustre. Ils souffrirent à Milan, le treize des calendes de juillet.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

La simple mémoire consacrée en ce jour aux glorieux frères dont le nom fut autrefois si célèbre dans tout l’Occident, ne doit pas diminuer leur mérite à nos yeux. L’Esprit du Fils de Dieu, chargé de maintenir en l’Épouse cette note divine de la sainteté qui doit, jusqu’aux derniers jours, la faire reconnaître à la fois des anges et des hommes, ne cesse, à chaque génération, de susciter des saints nouveaux qui attirent plus spécialement les hommages des siècles dont leurs vertus sont l’exemple et la gloire. Mais si, dans tous les âges, un juste mouvement de gratitude pour les bienfaits présents du Paraclet conduit l’Église à célébrer, d’une façon particulière, ceux de ses enfants qui viennent d’accroître ainsi plus récemment par le spectacle de leur vie l’éclat de sa noble parure, les dernières manifestations de l’Esprit d’amour ne lui font pas oublier pour cela les anciennes. Gervais et Protais ne sont plus honorés par cette fête solennelle, précédée d’une vigile, dont le sacramentaire Gélasien nous a conservé le souvenir ; mais la place qu’ils occupaient dans les litanies de l’Église romaine, comme représentants de l’armée des martyrs, leur a été maintenue. De préférence à un grand nombre de saints dont la fête est d’un rit supérieur à la leur, c’est vers eux que se tourne l’Église dans les plus solennelles de ses supplications : qu’il s’agisse d’obtenir à la terre, en de pieuses processions, l’éloignement des fléaux et les bénédictions de la vie présente ; ou que, prosternée, l’assemblée sainte du peuple chrétien uni à ses pontifes implore les grâces d’une consécration abondante pour ses autels ou ses temples, pour les futurs dépositaires du sacerdoce, les vierges ou les rois.

Les historiens des rites sacrés nous apprennent que l’Introït qui se chante à la Messe de nos deux saints martyrs : Le Seigneur donnera la paix à son peuple, est un monument de la confiance de saint Grégoire le Grand dans leur secourable puissance. Reconnaissant des résultats déjà obtenus, il remettait à leurs soins, par le choix de cette antienne, la pacification complète de l’Italie en butte à l’invasion lombarde et aux revendications de la cour de Byzance.

Deux siècles auparavant, saint Ambroise avait éprouvé le premier la vertu spéciale de pacification que le Seigneur Christ, en retour de leur mort, semble attacher aux ossements mêmes de ses glorieux témoins. Pour la deuxième fois, l’impératrice Justine et l’arien Auxence dirigeaient contre l’évêque de Milan l’assaut des puissances réunies de la terre et de l’enfer ; pour la deuxième fois, sommé d’abandonner une église, Ambroise avait répondu : « Ce n’est pas au prêtre à livrer le temple » [4]. Aux soldats envoyés pour prêter main-forte aux envahisseurs du saint lieu, il avait dénoncé l’excommunication s’ils passaient outre ; et, sachant qu’ils étaient engagés à Dieu par leur baptême avant de l’être au prince, les soldats avaient fait le cas qu’il convenait d’une consigne sacrilège. A la cour, effrayée de l’indignation universelle et qui le priait maintenant de calmer le peuple soulevé par des mesures odieuses : « Il est en mon pouvoir de ne pas l’exciter, avait-il dit ; mais l’apaisement appartient à Dieu ». Lorsqu’enfin les troupes ariennes qu’on put rassembler cernèrent la basilique où se trouvait Ambroise, on vit au nom de l’indivisible et pacifique Trinité tout ce peuple s’enfermer dans l’église avec son évêque, et soutenir par la seule force de la divine psalmodie et des hymnes sacrées un siège d’un nouveau genre. Mais le dernier acte de cette guerre de deux ans contre un homme désarmé, l’événement qui acheva la déroute de l’hérésie, fut la découverte des reliques précieuses de Gervais et de Protais, que Milan possédait sans les connaître, et qu’une inspiration du ciel révéla au pontife.

Écoutons l’évêque raconter les faits, dans la simplicité si suave de sa grande âme, à sa sœur Marcelline. Consacrée depuis longtemps parle Pontife suprême à l’Époux des vierges, Marcelline était de ces âmes toutes-puissantes dans leur humilité, que le Seigneur place presque toujours à côté des grands noms de l’histoire de l’Église, pour être leur force devant Dieu : coopératrices ignorées des œuvres éclatantes, dont le plus souvent l’intervention de prière et de souffrances ne doit être connue qu’au jour où se révéleront les réalités éternelles. Déjà Ambroise avait tenu sa sœur informée des détails de la première campagne dirigée contre lui : « Puisque dans presque toutes vos lettres, lui disait-il alors, vous vous enquérez avec sollicitude de ce qui touche l’Église, voici ce qui se passe. Le lendemain du jour où vous me mandiez l’anxiété que vous donnaient vos songes, le poids des graves inquiétudes fondit sur nous » [5].

La lettre suivante, au contraire, respire déjà le triomphe et la liberté reconquise. « Le frère à sa dame et sœur, plus chère que ses yeux et sa vie. J’ai l’habitude de ne rien laisser ignorer à votre sainteté de ce qui arrive ici en votre absence ; sachez donc aussi que nous avons trouvé des saints martyrs. Lorsqu’en effet je m’occupais de dédier la basilique que vous savez, beaucoup se mirent à m’interpeller d’une seule voix, disant : Dédiez-la comme la basilique Romaine. Je répondis : Je le ferai, si je trouve des reliques de martyrs. Et aussitôt m’envahit comme l’ardeur de quelque présage. Qu’ajouterai-je ? Le Seigneur a donné sa grâce. Malgré la crainte des clercs eux-mêmes, j’ordonnai de creuser la terre au lieu qui est devant la balustrade des saints Félix et Nabor. Je trouvai les signes voulus : on amena même des possédés auxquels nous devions imposer les mains, et il arriva qu’à la première apparition des saints martyrs, lorsque nous gardions encore le silence, une femme [6] d’entre eux fut saisie et renversée à terre devant le saint tombeau. Nous y trouvâmes deux hommes d’une grandeur étonnante, comme dans les temps anciens, tous les ossements entiers, quantité de sang. Il y eut grand concours de peuple durant ces deux jours. A quoi bon les détails ? Les saints corps dans leur intégrité, disposés comme il était convenable, nous les avons transportés sur le soir à la basilique de Fausta ; là, veilles toute la nuit, imposition des mains. Le jour suivant, translation à la basilique qu’ils appellent Ambrosienne ; pendant le trajet, guérison d’un aveugle » [7].

Ambroise ensuite rapporte à Marcelline les discours qu’il prononça dans la circonstance. Nous n’en citerons qu’un passage : « Seigneur Jésus, disait le pontife, je vous rends grâces d’avoir suscité près de nous l’esprit des saints martyrs en un temps où votre Église réclame de plus grands secours. Que tous connaissent quels défenseurs je désire, qui puissent défendre et n’attaquent pas. Je t’ai acquis ceux-là, peuple saint, utiles à tous, funestes à personne. Ce sont là les gardiens que j’ambitionne, ce sont là mes soldats. A leur sujet, je ne crains point l’envie ; je souhaite leur secours à ceux-là même qui me jalousent. Qu’ils viennent donc, et qu’ils voient mes gardes ; je ne nie pas m’entourer de telles armes. Comme pour le serviteur d’Élisée, quand l’armée des Syriens assiégeait le prophète, Dieu a ouvert nos yeux. Nous voici, mes frères, déchargés d’une honte qui n’était pas minime : avoir des défenseurs, et n’en rien savoir !... Voici que d’un sépulcre sans gloire sont tirés de nobles restes, trophées que le ciel voit enfin. Contemplez ce tombeau humide de sang, taches glorieuses, marques du triomphe, ces reliques inviolées en leur lieu, dans le même ordre qu’au premier jour, cette tête séparée des épaules. Les vieillards se rappellent maintenant avoir autrefois entendu nommer ces martyrs, et lu l’inscription de leur tombe. Notre ville avait perdu ses martyrs, elle qui avait ravi ceux des cités étrangères. Quoique cela soit un don de Dieu, cependant je ne puis nier la grâce par laquelle le Seigneur Jésus daigne illustrer les temps de mon épiscopat : ne méritant pas d’être martyr moi-même, je vous ai acquis ces martyrs. Qu’elles viennent maintenant, ces victimes triomphales, prendre place au lieu où le Christ est hostie ; mais, sur l’autel celui qui a souffert pour tous, sous l’autel ceux-ci qu’a rachetés sa passion. Je m’étais destiné cette place, car il est digne que le pontife repose où il avait coutume de présenter l’oblation ; mais je cède la droite aux victimes sacrées : ce lieu était dû aux martyrs » [8].

Ambroise devait en effet, dix ans plus tard, venir prendre place à son tour sous l’autel de la basilique Ambrosienne ; il occupa le côté de l’Épître, laissant celui de l’Évangile aux deux martyrs. Au IXe siècle, un de ses successeurs, Angilbert, réunit les trois corps vénérés dans un même sarcophage de porphyre, qui fut établi dans le sens de la longueur de l’autel, au-dessus des deux tombes primitives. C’est là qu’après mille ans écoulés, grâce aux travaux nécessités par les réparations de la basilique, ils apparurent de nouveau, le 8 août 1871, non plus dans le sang qui avait au IVe siècle révélé les martyrs, mais sous une nappe d’eau profonde et limpide : image touchante de cette eau de la Sagesse [9] qui avait coulé si abondamment des lèvres d’Ambroise, devenu l’hôte principal du saint tombeau. C’est là que, non loin de la tombe de Marcelline devenue elle-même un autel, le pèlerin de nos temps amoindris, l’âme remplie des souvenirs du vieil âge, vénère encore ces restes précieux ; car ils demeurent inséparables toujours, dans la châsse de cristal où, placés sous la protection immédiate du Pontife romain [10], ils attendent maintenant la résurrection.

Il est court, le récit de vos combats, ô saints martyrs ! Mais si les enseignements de votre vie ne sont point parvenus jusqu’à nous dans le détail que nous aurions souhaité, nous pouvons dire avec Ambroise, lorsqu’il vous présentait à son peuple : « Cette éloquence est la meilleure, qui sort du sang ; car le sang a une voix retentissante, pénétrant de la terre au ciel » [11]. Faites-nous comprendre son fort langage. Les veines des chrétiens doivent être toujours prêtes à rendre leur témoignage au Dieu rédempteur. Nos générations n’auraient-elles plus de sang dans leurs veines appauvries ? Guérissez leur incurable affaissement ; ce que ne peuvent plus les médecins des âmes, Jésus-Christ le peut toujours.

Levez-vous donc, ô glorieux frères ; enseignez-nous la voie royale du dévouement et de la souffrance. Ce ne peut être en vain que nos yeux misérables ont pu, dans ces temps, vous contempler comme ceux d’Ambroise ; si Dieu vous révèle de nouveau à la terre après tant de siècles, il a en cela les mêmes vues qu’autrefois : relever par vous l’homme et la société d’une servilité funeste, chasser l’erreur, sauver l’Église qui ne peut périr, mais qu’il aime à délivrer par ses saints. Reconnaissez par de dignes services la protection dont Pierre, malgré sa captivité, couvre vos restes. Que Milan soit digne de vous et d’Ambroise. Visitez encore tant de contrées, proches ou lointaines, qu’enrichit autrefois le sang trouvé dans votre tombe. La France, qui vous fut si dévouée, qui plaça cinq de ses cathédrales sous votre vocable glorieux, attend de vous un secours spécial : ranimez en elle, ô martyrs, la dévotion des anciens jours ; dégagez-la des sectes et des traîtres ; qu’elle se retrouve bientôt le soldat de Dieu !

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Station au Titre de Vestina.

Ces deux martyrs milanais sont entrés dès l’antiquité dans le Férial de l’Église de Rome, en raison des circonstances extraordinaires et des miracles qui accompagnèrent la découverte de leurs corps par les soins de saint Ambroise. Durant le pontificat d’Innocent Ier, une matrone romaine, nommée Vestina, fit élever en leur honneur dans la Ville éternelle un titulus dans le vicus longus de la IVe Région, Titre qui, connu d’abord sous le nom de la fondatrice, puis des martyrs Gervais et Protais, l’est davantage aujourd’hui sous celui de Saint-Vital.

L’introït emprunte son antienne au psaume 84, et semble un écho des chants d’allégresse d’Ambroise et des pieux Milanais quand Dieu voulut les consoler, en révélant à l’évêque le lieu où reposaient les saintes reliques, de l’épreuve pénible que leur infligeaient les Ariens et l’impératrice Justine en les assiégeant dans leur église.

Saint Augustin, qui était présent, nous décrit admirablement la scène au IXe Livre des Confessions.

« C’était en cette année, ou peu après, où l’impératrice Justine, mère de l’empereur Valentinien encore enfant, séduite par les Ariens, commença, par zèle pour l’hérésie, à persécuter ton serviteur Ambroise, Seigneur. Le peuple fidèle passait la nuit dans l’église, disposé à se laisser mettre à mort avec son évêque. Là, Seigneur, ta servante, ma mère, occupait la première place, tant dans les prières vigiliales que dans la part qu’elle prenait aux angoisses d’Ambroise. Elle ne vivait que de prière. Pour que le peuple ne défaillît pas de lassitude, pour la première fois fut institué le chant des hymnes et des psaumes, comme on a accoutumé de le faire en Orient...

 » Alors toi, dans une vision, tu montras à l’évêque où étaient cachés les corps des martyrs Gervais et Protais, que tu avais, durant un si grand nombre d’années, conservés sans corruption dans le trésor de ton secret, pour les montrer au monde en temps opportun, afin d’humilier la rage d’une femme, il est vrai, mais impératrice.

 » Quand le lieu fut découvert et débarrassé des décombres, tandis que les corps saints, avec l’honneur convenable, étaient transportés en grand triomphe à la basilique ambrosienne, les possédés furent guéris, et, qui plus est, par leur bouche les démons confessaient ce qu’ils sont. Un homme qui depuis de longues années était aveugle, et que tous en ville connaissaient, apprit le motif de ces cris insolites du peuple en fête ; aussitôt il se leva d’un bond et pria celui qui le conduisait de le mener près du cercueil. Y étant arrivé, il obtint de faire toucher un linge aux corps de ceux dont la sainte mort fut précieuse, Seigneur, devant toi, et, ayant appliqué le linge sur ses yeux, il recouvra subitement la vue » [12].

Introït. — « Le Seigneur dira des paroles de paix à son peuple, à ses saints, et à celui qui, de tout son cœur, recourt à lui ». L’allusion à la persécution de Justine est manifeste ; c’est pourquoi Ambroise souhaite ici que l’invention des saints martyrs et les nombreux miracles opérés par eux en confirmation de la foi catholique, mettent enfin terme à la longue persécution qui le tenait comme barricadé dans l’église.

Les trois collectes sont les mêmes que le 15 février, pour la fête des Sts Faustin et Jovite.

La lecture est tirée de la Ire épître de saint Pierre (IV, 13-19). Déjà avait éclaté l’incendie de la persécution de Néron, avec les horribles torches des jardins vaticans, et l’empereur avait promulgué contre les chrétiens son fameux Institutum, en vertu duquel l’État romain, plusieurs siècles durant, punit dans les disciples du Nazaréen, non pas des crimes prévus par les lois, démontrés et jugés, mais la seule confession du nom chrétien. Saint Pierre dit donc : « Qu’aucun de nous n’ait jamais à expérimenter la rigueur des lois pour un crime commis ; si au contraire il a à souffrir parce que chrétien, qu’il en glorifie Dieu, car Jésus aussi fut condamné à mort pour le seul fait de s’être solennellement déclaré le Christ ».

Cette application singulière du droit romain aux chrétiens fut récusée par les apologistes au IIe siècle et n’échappa pas aux magistrats impériaux eux-mêmes. C’est pourquoi Pline, dans sa célèbre lettre, interrogea Trajan pour apprendre de lui le véritable esprit de la loi, et s’il devait punir ipsum nomen, aut crimina cohærentia nomini [13]. Alors l’empereur, mis au pied du mur par l’honnête Proconsul de la Bithynie, donna cette réponse ridicule qui rappelait trop celle de Pilate pour n’être pas exploitée ensuite par le sarcastique Tertullien : Inquirendi non sunt, si deferantur... puniendi [14].

Le répons est le même que le 22 janvier, mais le verset alléluiatique est emprunté à la messe des martyrs Marc et Marcellien, le 18 juin.

Selon la liste de Würzbourg, aujourd’hui la lecture évangélique était tirée de saint Marc (XIII, 1-13) et elle annonçait la persécution qui sera engagée contre les chrétiens dans les derniers temps qui précéderont la parousie finale. Selon le Missel actuel, au contraire, la lecture est identique à celle du 10 mars, avec l’annonce des béatitudes. Ces béatitudes, dans la vie présente, ne sont toutefois que in spe ; car la grâce de Jésus nous en donne seulement un gage, au milieu des tribulations qui accompagnent toujours la profession de la vie dévote. Spes autem non confundit, dit l’Apôtre [15], parce que l’espérance devient réalité, et la grâce se développe et arrive à son achèvement dans la gloire.

L’antienne pour l’offrande des oblations est commune à la fête des martyrs Pierre et Marcellin le 2 juin, tandis que celle pour la distribution de la sainte Communion est tirée de la messe des deux autres saints milanais, Nabor et Nazaire, le 12 juin.

Les impies ont pu exercer leur cruauté sur les corps des martyrs : Dieu possède leurs âmes. Bien plus, à cause des mérites des pères, la protection divine s’étend à travers les longues générations sur les lointains descendants, qui, aujourd’hui, avec un saint orgueil, se disent dans le psaume : Les fils de ceux qui ont été massacrés. Cette confiance dans les mérites des martyrs décida saint Ambroise à choisir sa tombe à côté des saints Gervais et Protais : Tales ambio defensores [16], disait-il.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

Saint Gervais et saint Protais. — Ces deux frères moururent martyrs à Milan, vers 170 ap. J.-C. Ils comptent parmi les martyrs les plus célèbres de (‘ancienne Église. Au sujet de leur vie nous n’avons que des renseignements peu nombreux et peu sûrs. La découverte de leurs ossements par saint Ambroise est certainement attestée. Saint Augustin assistait personnellement à la découverte et en parle avec enthousiasme dans ses Confessions (IX, 7). Saint Ambroise désira que son tombeau fût placé auprès des corps des saints martyrs. En 1864, leurs reliques furent découvertes de nouveau sous le maître-autel de l’ancienne basilique de Milan ; elles étaient renfermées dans un sarcophage de porphyre.

[1] D.A.C.L. tome 1er, col. 1462. Selon le procès-verbal, les deux martyrs faisaient l’un 1 m 80 et l’autre 1 m 85 de hauteur, tandis que saint Ambroise ne mesurait que 1 m 62.

[2] L. Duchesne, Le Liber Pontiflcalis, l.c. tome 1er p. 220.

[3] Cf. Pierre Jounel, Le Culte des Saints dans les Basiliques du Latran et du Vatican au douzième siècle, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1977.

[4] Ambr. Ep. XX.

[5] Ep. XX.

[6] Urna du texte latin est pris pour una par les meilleurs interprètes.

[7] Ep. XXII.

[8] Ep. XXII.

[9] Prov. XVIII, 4 ; XX, 5 ; Eccli. XV, 3 ; etc.

[10] Constitutio Pii IX fortiter qui attingit a fine usque ad finem.

[11] Ep. XXII.

[12] Lib. IX, cap. VII.

[13] Le nom lui-même ou les crimes commis à cause du nom.

[14] Ils ne doivent pas être pourchassés, mais s’ils sont présentés à la justice… ils doivent être punis.

[15] Rom. 5, 5 : l’espérance n’est point trompeuse.

[16] Je suis entouré par de si grands défenseurs.