Accueil - Missel - Sanctoral

14/04 St Justin, martyr

Version imprimable de cet article Version imprimable Partager


Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses, 21 mars 2007  

C’est le 14 avril 1882 que Léon XIII institua la fête de saint Justin sous le rite double, suite à la demande de plusieurs Pères du Concile Vatican I.

Justin fut martyrisé vers 165, à une époque où Rome ne célébrait pas encore le culte des martyrs : sa déposition nous est donc inconnue.

Il est inscrit par Florus de Lyon au 13 avril vers 850. Léon XIII adopta cette date en la déplaçant d’un jour à cause de la fête de saint Herménégilde, réduisant de ce fait la fête des sts Martyrs Tiburce, Valérien et Maxime à une mémoire.

Textes de la Messe

(En Carême, on fait seulement mémoire des Saints avec les oraisons de la Messe suivante)
die 14 aprilis
le 14 avril
SANCTI IUSTINI
SAINT JUSTIN
Martyris
Martyr
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Ant. ad Introitum. Ps. 118, 85 et 46.Introït
Narravérunt mihi iníqui fabulatiónes, sed non ut lex tua : ego autem loquébar de testimóniis tuis in conspéctu regum, et non confundébar. (T.P. Allelúia, allelúia.)Les méchants m’ont entretenu de choses vaines, mais ce n’était pas comme votre loi : je parlais de vos préceptes devant les rois, et je n’en avais pas de confusion. (T.P. Alléluia, alléluia.)
Ps. Ibid., 1.
Beáti immaculáti in via : qui ámbulant in lege Dómini.Heureux ceux qui sont immaculés dans la voie ; qui marchent dans la loi du Seigneur.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Deus, qui per stultítiam Crucis eminéntem Iesu Christi sciéntiam beátum Iustínum Mártyrem mirabíliter docuísti : eius nobis intercessióne concéde ; ut, errórum circumventióne depúlsa, fídei firmitátem consequámur. Per eúndem Dóminum.O Dieu, qui, par la folie de la croix, avez, d’une manière admirable, enseigné au bienheureux Justin, Martyr, l’éminente science de Jésus-Christ, accordez-nous, par son intercession, qu’après avoir vu repousser la foule des erreurs qui nous entourent, nous obtenions la fermeté dans la foi.
Et fit commemoratio Ss. Tiburtii, Valeriani et Maximi Mm. :Et on fait mémoire des Sts Tiburce, Valérien et Maxime, Martyrs :
Oratio.Collecte
Præsta, quǽsumus, omnípotensDeus : ut, qui sanctórum Mártyrum tuórum Tibúrtii, Valeriáni et Máximi sollémnia cólimus ; eórum étiam virtútes imitémur. Per Dóminum nostrum.Faites, nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, que, célébrant la fête de vos saints Martyrs Tiburce, Valérien et Maxime, nous imitions aussi leurs vertus.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Corinthios.Lecture de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Corinthiens.
1. Cor. 1, 18-25 et 30.
Fratres : Verbum crucis pereúntibus quidem stultítia est : iis autem, qui salvi fiunt, id est nobis, Dei virtus est. Scriptum est enim : Perdam sapiéntiam sapiéntium et prudéntiam prudéntium reprobábo. Ubi sápiens ? ubi scriba ? ubi conquisítor huius sǽculi ? Nonne stultam fecit Deus sapiéntiam huius mundi ? Nam quia in Dei sapiéntia non cognóvit mundus per sapiéntiam Deum : placuit Deo per stultítiam prædicatiónis salvos fácere credéntes. Quóniam et Iudǽi signa petunt, et Græci sapiéntiam quærunt : nos autem prædicámus Christum crucifíxum : Iudǽis quidem scándalum, géntibus autem stultítiam, ipsis autem vocátis Iudǽis, atque Græcis. Christum Dei virtútem et Dei sapiéntiam : quia, quod stultum est Dei, sapiéntius est homínibus : et, quod infírmum est Dei, fórtius est homínibus. Ex ipso autem vos estis in Christo Iesu, qui factus est nobis sapiéntia a Deo et iustítia ei sanctificátio et redémptio.Mes Frères : la parole de la Croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour ceux qui sont sauvés, c’est-à-dire pour nous, elle est la puissance de Dieu. Aussi est-il écrit : Je détruirai la sagesse des sages, et Je réprouverai la prudence des prudents. Où est le sage ? Où est le scribe ? Où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n’a-t-Il pas frappé de folie la sagesse de ce monde ? Car parce que le monde, avec sa sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. En effet, les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs, et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Grecs, le Christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes. C’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption.
Tempore paschali :Au Temps pascal :
Allelúia, allelúia. V/. 1. Cor. 3, 19 et 20. Sapiéntia huius mundi stultítia est apud Deum, scriptum est enim : Dóminus novit cogitatiónes sapiéntium, quóniam vanæ sunt.Allelúia, allelúia. V/. La sagesse de ce monde est une folie devant Dieu, aussi est-il écrit : Le Seigneur connaît les pensées des sages, car elles sont vaines.
Allelúia. V/. Philipp. 3, 8. Verúmtamen exístimo ómnia detriméntum esse propter eminéntem sciéntiam Iesu Christi, Dómini mei. Allelúia.Allelúia. V/. Et même je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur. Alléluia.
Extra tempus paschale :Hors du Temps pascal :
Graduale. 1. Cor. 3, 19 et 20.Graduel
Sapiéntia huius mundi stultítia est apud Deum, scriptum est enim : Dóminus novit cogitationes sapiéntium, quóniam vanæ sunt.La sagesse de ce monde est une folie devant Dieu, aussi est-il écrit : Le Seigneur connaît les pensées des sages, car elles sont vaines.
V/. Ibid. 1, 19. Perdam sapiéntiam sapiéntium et prudentiam prudéntium reprobábo.V/. Je détruirai la sagesse des sages et je réprouverai la prudence des prudents.
Tractus. 1. Cor. 2, 2 et 7-8.Trait
Non iudicávi me scire áliquid inter vos nisi Iesum Christum, et hunc crucifíxum.Je n’ai pas jugé savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.
V/. Lóquimur Dei sapiéntiam in mystério, quæ abscóndita est, quam prædestinávit Deus ante sǽcula in glóriam nostram.V/. Nous prêchons la sagesse de Dieu, qui est un mystère, cette sagesse cachée que Dieu avait prédestinée avant tous les siècles pour notre gloire.
V/. Quam nemo príncipum huius sǽculi cognóvit. Si enim cognovíssent, numquam Dóminum glóriæ crucifixíssent.V/. Que nul des princes de ce siècle n’a connue. Car, s’ils l’eussent connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire.
In Missis votivis ante Septuagesimam vel post Pentecosten, Graduale ut supra, sed, omisso Tractu, dicitur :Aux messes votives avant la Septuagésime ou après la Pentecôte, Graduel comme ci-dessus, mais on omet le Trait et on dit :
Allelúia, allelúia. V/. Philipp. 3, 8. Verúmtamen exístimo ómnia detriméntum esse propter eminéntem scientiam Iesu Christi, Dómini mei. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. Et même je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Lucam.Lecture du Saint Evangile selon saint Luc.
Luc. 12, 1-8.
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Nihil autem opértum est, quod non revelétur : neque abscónditum, quod non sciátur. Quóniam, quæ in ténebris dixístis, in lúmine dicéntur : et quod in aurem locuti estis in cubículis, prædicábitur in tectis. Dico autem vobis amícis meis : Ne terreámini ab his, qui occídunt corpus, et post hæc non habent ámplius quid fáciant. Osténdam autem vobis, quem timeátis : timéte eum, qui, postquam occídent, habet potestátem míttere in gehénnam. Ita dico vobis : hunc timéte. Nonne quinque pásseres véneunt dipóndio, et unus ex illis non est in oblivióne coram Deo ? Sed et capílli cápitis vestri omnes numerári sunt. Nolíte ergo timére : multis passéribus pluris estis vos. Dico autem vobis : Omnis, quicúmque conféssus fúerit me coram homínibus, et Fílius hóminis confiténtur illum coram Angelis Dei.En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : Il n’y a rien de secret qui ne doive être découvert, ni rien de caché qui ne doive être connu. Car, ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira dans la lumière ; et ce que vous avez dit à l’oreille, dans les chambres, sera prêché sur les toits. Je vous dis donc à vous, qui êtes mes amis : ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus. Mais je vous montrerai qui vous devez craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne. Oui, je vous le dis, celui-là, craignez-le. Cinq passereaux ne se vendent-ils pas deux as ? Et pas un d’eux n’est en oubli devant Dieu. Les cheveux même de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point ; vous valez plus que beaucoup de passereaux. Or, je vous le dis, quiconque me confessera devant les hommes, le Fils de l’homme le confessera aussi devant les anges de Dieu.
Ant. ad Offertorium. 1. Cor. 2, 2.Offertoire
Non enim iudicávi me scire áliquid inter vos, nisi Iesum Christum, et hunc crucifíxum. (T.P. Allelúia.)Oui, je n’ai pas jugé savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. (T.P. Alléluia.)
SecretaSecrète
Múnera nostra, Dómine Deus, benígnus súscipe : quorum mirábile mystérium sanctus Martyr Iustínus advérsum impiórum calúmnias strénue deféndit. Per Dóminum.Recevez avec bienveillance, Seigneur Dieu, nos offrandes : dont le saint Martyr Justin défendit avec intrépidité l’admirable mystère contre les calomnies des impies.
Pro Ss MartyribusPour les Sts Martyrs
SecretaSecrète
Hæc hóstia, quǽsumus, Dómine, quam sanctórum Mártyrum tuórum natalítia recenséntes offérimus : et víncula nostræ pravitátis absolvat, et tuæ nobis misericórdiæ dona concíliet. Per Dóminum.Que cette hostie, nous vous en prions, Seigneur, que nous vous offrons en honorant de nouveau la naissance au ciel de vos saints Martyrs, brise les liens de notre perversité et nous attire les dons de votre miséricorde.
Ant. ad Communionem. 2. Tim. 4, 8.Communion
Repósita est mihi coróna iustítiæ, quam reddet mihi Dóminus in illa die iustus iudex. (T.P. Allelúia.)La couronne de justice m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là (T.P. Alléluia.)
PostcommunioPostcommunion
Cælésti alimónia refécti, súpplices te, Dómine, deprecámur : ut, beáti Iustíni Mártyris tui mónitis, de accéptis donis semper in gratiárum actióne maneámus. Per Dóminum.Renouvelés par cet aliment céleste, nous vous prions en suppliant, Seigneur : que par les enseignements du bienheureux Justin, votre Martyr, nous vivions toujours en action de grâce pour vos bienfaits.
Pro Ss MartyribusPour les Sts Martyrs
PostcommunioPostcommunion
Sacro múnere satiáti, súpplices te, Dómine, deprecámur : ut, quod débitæ servitútis celebrámus offício, salvatiónis tuæ sentiámus augméntum. Per Dóminum.Rassasiés par votre don sacré, nous vous supplions, Seigneur : qu’en celebrant cette fête avec les hommages qui vous sont dus, nous sentions l’accroissement de notre salut.

Office

Leçons des Matines avant 1960

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Justin, fils de Priscus, grec de nation, né à Flavia Néapolis, dans la Syrie Palestine, passa son adolescence dans l’étude assidue des belles-lettres. Arrivé à l’âge d’homme, il fut pris d’un tel amour pour la philosophie qu’il voulut, pour parvenir à la vérité, s’attacher à toutes les sectes de philosophes qu’il pût connaître et approfondir leur enseignement. Ne trouvant en toutes ces sectes qu’erreur et fausse sagesse, il fut éclairé d’en haut à la parole d’un vieillard inconnu et d’aspect vénérable, et embrassa la philosophie véritable de la foi chrétienne. Dès lors, il eut jour et nuit dans les mains les livres de la sainte Écriture, et son âme, à la méditation des paroles sacrées, devint si brûlante du feu divin, qu’appliquant fa force de son génie à acquérir la science éminente de Jésus-Christ, il composa plusieurs livres pour exposer et propager la foi chrétienne.

Cinquième leçon. Parmi les écrits les plus célèbres de saint Justin se distinguent les deux Apologies que, devant le sénat, il présenta aux empereurs Antonin le Pieux et ses fils, ainsi qu’à Marc-Antonin Vérus et Lucius Aurélius Commode, qui persécutaient cruellement les chrétiens et dont il obtint, après avoir éloquemment défendu cette même foi devant eux, un édit qui apaisa la persécution. Toutefois Justin ne fut point épargné ; accusé frauduleusement par le philosophe cynique Crescent, qu’il avait repris au sujet de sa vie et de ses mauvaises mœurs, il fut arrêté par des satellites. Amené au préfet de Rome, Rusticus, comme celui-ci lui demandait quelle était la loi chrétienne, il fit en présence d’un grand nombre de témoins cette belle confession de foi : « La doctrine véritable que nous, Chrétiens, nous gardons pieusement, est celle-ci : Nous croyons à un seul Dieu, qui a fait et créé tout ce qui se voit et tout ce que les yeux corporels ne peuvent apercevoir, et nous confessons le Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, annoncé autrefois par les Prophètes, et qui doit venir juger le genre humain ».

Sixième leçon. Comme Justin dans sa première Apologie, afin de repousser les calomnies des Païens, avait exposé comment les Chrétiens s’assemblaient religieusement, et quels étaient les mystères de ces saintes assemblées, le président lui demanda quel était le lieu où lui-même et les Chrétiens de la ville se réunissaient. Justin ne voulut point découvrir les lieux des assemblées, pour ne point livrer aux chiens les saints mystères, ni trahir ses frères. Il se contenta d’indiquer sa propre demeure où il avait coutume d’instruire ses disciples, auprès du Titre célèbre du Pasteur, dans le palais de Pudens. A la fin, le préfet lui donna le choix de sacrifier aux dieux ou d’être flagellé par tout le corps. L’invincible défenseur de la foi déclara qu’il avait toujours désiré souffrir des tourments pour le Seigneur Jésus-Christ, dont il attendait au ciel une grande récompense, et le préfet prononça contre lui la sentence capitale. Ainsi, cet admirable philosophe, ne cessant de louer Dieu, après avoir été battu de verges, répandit son sang pour le Christ, et fut couronné par un glorieux martyre. Les fidèles enlevèrent secrètement son corps et l’ensevelirent dans un lieu convenable. Le souverain Pontife Léon XIII a ordonné de célébrer dans l’Église universelle l’Office et la Messe de sa Fête.

Au troisième nocturne.

Lecture du saint Évangile selon saint Luc. Cap. 12, 2-8.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Il n’y a rien de secret qui ne doive être découvert, ni rien de caché qui ne doive être connu. Et le reste.

Homélie de S. Jean Chrysostome.

Septième leçon. « Il n’y a rien de caché qui ne sera révélé, rien de secret qui ne sera su ». Jésus leur dit par là : il doit vous suffire pour vous consoler, que moi, votre Seigneur et votre Maître, j’aie subi les mêmes injures. S’il vous en coûte de les entendre, songez d’autre part que vous ne tarderez pas à être délivrés de ces soupçons calomnieux. Pourquoi êtes-vous affligés ? Parce qu’on vous traite de séducteurs et d’imposteurs ? Attendez quelque temps, et toutes les bouches vous nommeront les sauveurs et les bienfaiteurs de l’univers. Le temps fera \la lumière sur ces points obscurs, confondra les calomnies, et montrera votre vertu dans tout son éclat. Or, quand l’expérience elle-même aura prouvé que vous êtes les sauveurs, les bienfaiteurs véritables de l’humanité, que vous avez mis en pratique toutes les vertus, alors les hommes, oubliant les propos de vos ennemis ; n’auront égard qu’à la vérité des choses ; et, tandis que ces derniers apparaîtront comme des sycophantes, des menteurs, des calomniateurs, vous resplendirez plus vivement que le soleil ; ainsi le temps vous fera connaître, proclamera vos mérites et, d’une voix plus éclatante que celle de la trompette, appellera tous les hommes à rendre témoignage à votre vertu. Ne vous laissez donc pas abattre par ce que vous entendez maintenant ; que l’espérance des biens qui vous sont réservés ranime votre âme ; car impossible de tenir caché ce qui vous concerne.

Huitième leçon. Après avoir délivré ses disciples de toute anxiété, de toute crainte, de toute sollicitude, et les avoir rendus même supérieurs à tous les outrages, le Sauveur saisit cette occasion pour les entretenir de la liberté dont ils doivent user dans leurs prédications. « Ce que je vous dis dans les les ténèbres, dites-le dans la lumière, leur dit-il, et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits ». Certainement il n’y avait point de ténèbres quand il leur parlait, et il ne leur disait rien à l’oreille : Jésus s’exprime ainsi par hyperbole. Parce qu’il parlait à eux seuls et dans un petit coin de la Palestine, il emploie cette figure : « Ce que je vous dis à l’oreille », comparant cette façon de les instruire à la hardiesse de langage dont ils devront user plus tard. Ne prêchez pas seulement à une, deux ou trois cités, leur dit-il ; prêchez dans tout l’univers, parcourez les mers et la terre, les contrées habitées et celles qui ne le sont pas ; dites toutes ces choses aux tyrans et aux multitudes, aux philosophes et aux orateurs, avec une grande assurance. Telle est la signification de ces mots : « Prêchez sur les toits, dites-le à la lumière », sans recourir à aucun subterfuge, avec la plus complète liberté.

Neuvième leçon. Après avoir élevé de la sorte leurs sentiments, le Sauveur revient de nouveau sur les épreuves qui les attendent, et il leur inspire un si grand courage, qu’il met leur âme au-dessus de tous les maux. « Ne craignez point, leur dit-il, ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme ». Voyez-vous comment il les rend supérieurs à tous les maux, aux sollicitudes, aux calomnies, aux dangers, aux pièges, enfin à la plus terrible des choses, à la mort même ? Et non seulement il leur inspire le mépris d’une mort ordinaire, mais encore d’une mort .violente. Il ne leur dit pas : Vous serez mis à mort ; s’exprimant avec la dignité qui lui convenait : « Ne craignez point, leur dit-il, ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme ; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans la géhenne ». Comme il le fait toujours, il dirige son discours vers un but tout opposé. Craignez-vous la mort veut-il leur dire, est-ce bien cette raison qui vous fait hésiter devant le ministère de la prédication ? Voilà pourquoi précisément vous devez l’embrasser : parce que la mort vous épouvante. C’est ainsi que vous serez préservés de la mort véritable. Les hommes, dussent-ils vous tuer, quels que soient leurs efforts, ils ne tueront pas la meilleure partie de vous-mêmes. Aussi le Sauveur ne s’exprime-t-il pas de cette manière : Ils ne tueront pas l’âme ; mais de celle-ci : « ils ne peuvent tuer l’âme ». Quand même ils le voudraient, ils n’y réussiront pas. Si donc les supplices vous effraient, craignez ce supplice beaucoup plus épouvantable. Vous le voyez, au lieu de leur promettre de les délivrer de la mort, il permet qu’ils la subissent, sauf à les combler de biens plus considérables que s’il les en eût délivrés. Certes, il est plus grand d’inspirer le mépris de la mort que de délivrer de la mort.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

L’Ibérie députait hier un de ses princes à la cour du vainqueur de la mort. Avec non moins d’honneur, le Christ admet aujourd’hui dans le cortège de son triomphe un représentant de la science mise au service des intérêts surnaturels. Le manteau des philosophes égale en éclat, sur les épaules de Justin, la pourpre d’Herménégilde ; car tous deux, philosophe et prince, ont teint de leur sang, mêlé à celui de l’Agneau, les vêtements devenus l’insigne de la gloire dont ils jouissent près de lui pour jamais.

Mais ce n’est pas seulement au ciel qu’il nous faut contempler le résultat du combat de ces témoins du Christ ; la propriété du sang des martyrs est de féconder la terre même. Contre le gré de l’hérésie, du sang royal d’Herménégilde est née la catholique Espagne ; le paganisme, en immolant Justin à sa haine, raviva dans le sol Romain la vigueur de la féconde semence que Pierre et Paul y avaient déposée. Nous en avons la preuve en ce jour même, où le Cycle sacré ramène également la mémoire des saints Valérien, Tiburce et Maxime : triumvirat glorieux, conquis au Christ par l’immortelle Cécile qui fut, en ces temps, la plus noble expression de la foi romaine défendue par Justin avec tant de science et d’amour ! Quand Cécile naquit, les conférences publiques de Justin avec les adversaires du christianisme remplissaient Rome du bruit de leurs réfutations victorieuses ; ses écrits, qu’il faisait parvenir intrépidement jusqu’au trône impérial, portaient la lumière là même où sa parole n’atteignait pas. Bientôt la hache du licteur, en s’abattant sur la tète de l’apologiste, donna plus de force encore à ses démonstrations que n’avait fait sa logique puissante, lorsqu’une première fois, il avait arrêté la persécution furieuse et dompté l’enfer.

Le monde, en effet, sollicité en sens contraire dans mille écoles célèbres qui semblent prendre à tâche, par leurs contradictions, de rendre la découverte du vrai impossible, le monde, du moins, est en mesure maintenant de savoir où se trouve la sincérité. Marc-Aurèle, qui vient de succéder à Antonin le Pieux, prétend établir la philosophie avec lui sur le trône ; plaçant l’idéal de toute perfection dans la satisfaction de soi et le dédain pour autrui, il part du scepticisme dogmatique pour établir la loi morale, et livre ses Pensées à l’admiration de quelques courtisans, sans se soucier de réformer les mœurs mêmes de son entourage. Justin, dès son adolescence, a cherché le vrai pour trouver la justice ; sans se laisser décourager par l’inutilité de ses premiers efforts, il n’a point pris prétexte, pour nier la lumière, de ce qu’elle tardait à se montrer ; lorsqu’à l’heure marquée par Dieu la nuit tombe, il dévoue sa vie à la sagesse enfin rencontrée, brûlant de la communiquer à tous, petits et grands, ne comptant pour rien les travaux, les supplices même, qui lui permettront de l’affirmer solennellement à la face de l’univers. Entre le héros chrétien et le sophiste couronné qui l’envoie à la mort, quel homme de bonne foi pourrait hésiter ? Qui, comme Cécile dans son admirable confession, ne déverserait le mépris sur les prétentions de ces faux philosophes devenus les maîtres du monde, et ne donnant d’autre preuve de leur amour pour la sagesse que le parti-pris d’étouffer la voix de ceux qui la prêchent ?

La philosophie, baptisée dans le sang du converti de Naplouse, est chrétienne pour jamais. Sa désolante stérilité cesse en ce grand jour. Le témoignage du martyre que, servante fidèle enfin, elle rend à la vérité, redresse d’un seul coup les écarts monstrueux de ses premiers âges. Sans se confondre avec la foi, elle sera désormais la noble auxiliaire de cette fille des cieux. La raison humaine verra ses forces décuplées par cette alliance illustre, et produira maintenant des fruits assurés. Malheur à elle toutefois, si, oubliant la consécration sublime qui la voue au Christ, elle en vient un jour à ne plus tenir compte de la divine Incarnation, et prétend se suffire avec les enseignements de la seule nature sur l’origine de l’homme, la fin de toutes choses et la règle des mœurs ! Cette lumière naturelle qui éclaire tout homme venant en ce monde est, elle aussi, sans doute, un rayonnement du Verbe [1] ; et c’est là sa grandeur. Mais depuis que ce Verbe divin, dépassant l’honneur fait à la seule raison, a gratifié l’humanité d’une manifestation de lui-même plus directe et plus haute, il n’entend pas que l’homme fasse deux parts en ses dons, qu’il laisse de côté la foi préparant la vision même, et se contente de la lointaine lueur qui eût suffi à la pure nature. Le Verbe est un, comme l’homme même, à qui il se manifeste en même temps, quoique si diversement, par la raison et la foi ; quand l’humanité voudra se soustraire à l’illumination surnaturelle, sa punition trop méritée sera de voir le Verbe divin retirer à lui par degrés cette lumière même de nature qu’elle s’assurait posséder en propre, et laisser le monde s’abîmer dans la déraison.

Nous saluons en vous, ô Justin, l’une des plus nobles conquêtes de notre divin Ressuscité sur l’empire de la mort. Né dans la région des ténèbres, vous avez cherché de bonne heure à briser les liens du mensonge qui vous enserraient comme tant d’autres. La Sagesse, que vous aimiez sans la connaître encore, vous avait, elle aussi, choisi entre tous [2]. Or elle n’entre point dans une âme fausse, elle n’habite point dans un corps soumis au péché [3]. Bien différent des hommes chez qui le beau nom de la philosophie ne recouvrait que l’amour d’eux-mêmes et la prétention de justifier tous les vices, la recherche de la science partait chez vous d’un cœur désireux de savoir, uniquement pour aimer la vérité connue et observer ses lois. Cette pureté de l’intelligence et du cœur vous rapprochait de Dieu ; elle vous rendait digne de rencontrer sur le chemin la Sagesse vivante, qui se donne maintenant à vous pour jamais dans la pleine lumière [4]. L’Église tout à l’heure, ô Justin, vous décorait à bon droit du nom de philosophe admirable ; car, le premier, vous avez compris que la philosophie vraiment digne de ce nom, le véritable amour de la sagesse, ne pouvait arrêter ses poursuites au domaine abstrait de la simple raison, depuis que la raison n’est plus qu’une introductrice aux régions supérieures où la Sagesse se révèle en personne à l’amour qui la cherche sans feinte.

Il est écrit de ceux qui vous ressemblent : La multitude des sages est le salut du monde [5]. Mais qu’ils sont rares aujourd’hui les vrais philosophes, ceux qui, comme vous, comprennent que le but du sage est d’arriver jusqu’à la vue de Dieu [6] par la voie de l’obéissance à ce Dieu très saint [7] ! L’indépendance de la raison est le seul dogme sur lequel s’accordent les sophistes du jour ; le procédé dont ils font le cachet de leur secte est un faux éclectisme, qu’ils entendent comme la faculté laissée à tous de se faire un système : à chacun de choisir ce qui, dans les affirmations des diverses écoles, des religions elles-mêmes, peut sourire davantage. Ainsi proclament-ils que cette raison qu’ils prétendent souveraine n’a pu jusqu’à eux rien produire d’assuré ; et, pour eux-mêmes, le doute sur tout, le scepticisme, comme l’avouent leurs chefs, est le dernier mot de la science. Vraiment, après cela, sont-ils mal venus pour reprocher à l’Église d’abaisser la raison, elle qui naguère encore, au concile du Vatican, exaltait le secours mutuel que se rendent la raison et la foi pour conduire l’homme à Dieu leur commun auteur ! elle qui rejette de son sein ceux qui dénient à la raison humaine le pouvoir de donner par elle-même la certitude sur l’existence de ce Dieu Créateur et Seigneur [8] ! Et pour définir ainsi dans nos temps la valeur respective de la raison et de la foi, sans les séparer et encore moins les confondre, l’Église n’a eu qu’à écouter le témoignage de tous les siècles chrétiens, en remontant jusqu’à vous dont les ouvrages, complétés l’un par l’autre, n’expriment pas une autre doctrine.

Vous avez été un témoin fidèle autant que courageux, vaillant martyr. En des jours où les besoins de la lutte contre l’hérésie n’avaient point encore suggéré à l’Église les termes nouveaux dont la précision allait bientôt devenir indispensable, vos écrits nous montrent combien alors pourtant la doctrine était la même sous l’infirmité du langage. Béni soyez-vous par tous les enfants de la sainte Église, ô Justin, pour cette démonstration précieuse de l’identité de notre croyance avec la foi du second siècle ! Béni soyez-vous d’avoir, à cette fin, distingué scrupuleusement entre ce qui pour tous alors était le dogme même, et les opinions privées auxquelles l’Église, comme elle l’a toujours fait, laissait la liberté sur des points de moindre importance !

Ne faites pas défaut à la confiance que met en vous la Mère commune. Si loin déjà du temps où vous vécûtes, elle veut que ses fils vous honorent plus qu’ils n’avaient fait dans les siècles antérieurs. C’est qu’en effet, après avoir été reconnue comme la reine des nations, la situation pour elle est redevenue la même qu’à l’époque où vous la défendiez contre les assauts d’un pouvoir hostile. Suscitez-lui des apologistes nouveaux. Apprenez-leur comment parfois, à force de zèle, de fermeté, d’éloquence, on arrive à faire reculer l’enfer. Mais que surtout ils aient garde de se méprendre sur la nature de la lutte confiée par l’Église à leur honneur ! C’est une reine qu’ils ont à défendre ; l’Épouse du Fils de Dieu ne saurait consentir à laisser quémander pour elle la protection qu’on donne à une esclave. La vérité a des droits par elle seule ; ou, plutôt, seule elle mérite la liberté. Comme vous donc, ô Justin, ils s’appliqueront sans doute à faire rougir le pouvoir civil de ne pas même reconnaître à l’Église les facultés qu’il accorde à toute secte ; mais l’argumentation d’un chrétien ne saurait s’arrêter à réclamer une tolérance commune à Satan et au Christ ; comme vous encore, et jusque sous la menace d’un redoublement de violences, ils devront ajouter : Notre cause est juste, parce que nous, et nous seuls, disons la vérité [9].

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Justin le Philosophe est un des plus anciens auteurs ecclésiastiques, prêtre probablement, et qui passa d’abord par les diverses écoles philosophiques de son temps avant d’arriver à la sublime sagesse de la Croix. Il vient aujourd’hui déposer aux pieds du Sauveur sa couronne et la palme de son martyre. En dépit d’une si grande célébrité, le culte de saint Justin, comme en général celui de tous les martyrs romains antérieurs au IIIe siècle, était fort négligé dans la Ville éternelle. Aucun des anciens Itinéraires n’a su nous indiquer sa tombe ; et c’est seulement à titre de conjecture qu’on a cru pouvoir la reconnaître dans un loculus du cimetière de Priscille où, sur quelques tuiles plates, se trouve cette inscription au minium :

M • ZOYCTI • NOC

Ce fut Léon XIII qui, en 1882, imposa son office à l’Église universelle.

Une église de Saint-Justin existait jadis près de la basilique vaticane, à côté de la schola lombarde instituée par la reine Ansa. Mais il s’agissait probablement d’un autre martyr nommé aussi Justin, dont le tombeau était vénéré dans l’Agro Verano.

La messe est moderne, et les réminiscences historiques y abondent. Il s’agit d’un philosophe qui, après avoir vainement cherché la vérité dans les différentes écoles, stoïciennes, pythagoriciennes, platoniciennes, etc., qui s’en disputaient chacune le monopole, la trouve finalement dans la folie de la Croix, qu’il annonce courageusement, dans ses Apologies, aux Césars et au Sénat. D’où l’antithèse entre la sagesse humaine et la science divine, qui aujourd’hui, pour le rédacteur de la messe de saint Justin, est devenue le refrain de toute son ingénieuse construction liturgique. Les textes sont certes bien choisis et bien combinés, mais il manque dans l’ensemble un peu de cette spontanéité qui rend si belles, si coulantes, les antiques compositions liturgiques des Sacramentaires romains.

La collecte révèle fort bien la fin très élevée que se proposa Léon XIII en offrant à la vénération de toute l’Église le philosophe Justin. Ce Pape, pour sauver la société d’une foule d’erreurs, visait à restaurer la philosophie chrétienne, en ramenant toutes les écoles catholiques à l’étude de l’Aquinate. On comprend donc les raisons qu’avait le vieux Pontife de favoriser le culte envers les anciens docteurs de l’Église, pour lesquels saint Thomas eut un si religieux respect.

La lecture tirée de l’épître aux Corinthiens (I, I, 18-30) est un des plus beaux passages de l’Apôtre, où il oppose la sagesse de la Croix à celle du monde, laquelle est folie devant Dieu. Les prédicateurs surtout doivent méditer fréquemment ces paroles de saint Paul pour se convaincre de plus en plus que la conversion des âmes n’est pas promise par Dieu à l’éloquence et à la science humaine, mais à la simple prédication du Crucifié, dans l’esprit de Jésus, qui, par disposition divine, est devenu pour ses fidèles l’unique véritable sagesse, leur justice, leur sanctification et leur rédemption.

Les versets alléluiatiques suivants s’écartent des règles de l’antique psalmodie, car ce sont de simples passages, en prose, des épîtres de saint Paul, qui se prêtent mal au revêtement des modes musicaux grégoriens traditionnels.

Après la Septuagésime, au lieu du verset alléluiatique, on récite le trait, qui ressemble à un vrai centon des lettres de saint Paul. C’est un exemple du préjudice que porte au magnifique monument liturgique de l’Église romaine l’oubli des règles classiques de l’art grégorien :

Contrairement à l’usage antique de la liturgie romaine, en vertu duquel on réservait de préférence aux messes dominicales et aux fêtes des martyrs, durant le cycle pascal, la lecture du dernier discours de Jésus selon saint Jean, on lit aujourd’hui un passage de saint Luc (XII, 2-8). La raison de ce choix est que Justin fut l’apologiste de l’Église des Catacombes, c’est-à-dire l’un des premiers à faire connaître aux empereurs et au grand public romain et asiatique ce que, jusqu’alors, les chefs de la hiérarchie ecclésiastique avaient, comme en grand secret, révélé aux oreilles des initiés, dans la pénombre des cubicula des cimetières souterrains. Dans l’Église, tout est ordre et croissance. A l’origine, la foi était pour les seuls fidèles ; mais au deuxième siècle, l’Église est déjà mûre pour prendre l’offensive même contre les sages. Justin, avec ses deux apologies, ouvre donc pour le christianisme comme une période nouvelle, et il offre l’Évangile à la discussion du grand public païen, afin que le soleil de justice illumine désormais tous les hommes de bonne volonté.

Le verset antiphonique de l’offertoire révèle le même goût que les chants précédents.

Dans sa première Apologie, Justin est le seul parmi les anciens auteurs ecclésiastiques qui, soulevant prudemment le voile qui cachait aux non-initiés le Sacrement eucharistique, en explique aux païens l’essence, l’efficacité et le rite. L’auteur de la collecte sur l’oblation s’est inspiré de ce fait, et vise les calomnies des païens qui, peut-être parce qu’ils avaient mal compris des allusions relatives à la réalité du Corps du Sauveur dans la divine Eucharistie, faisaient un crime aux chrétiens de se nourrir dans leurs assemblées de la chair d’un enfant. Ce propos du vulgaire païen est d’ailleurs précieux pour l’histoire du dogme, puisqu’il suppose la foi des chrétiens à la présence réelle du Corps très saint de Jésus dans l’Eucharistie.

L’antienne pour la Communion des fidèles est tirée d’un texte de l’épître à Timothée (II, IV, 8).

Après la Communion, nous avons encore, dans la collecte, une nouvelle et précieuse réminiscence de l’Apologie de Justin, là où le martyr traite précisément de la divine Eucharistie.

Nous devons avoir un grand amour pour la vérité, puisqu’elle nous délivre de l’erreur et des passions et nous conduit à Dieu. Nous devons donc rechercher cette vérité religieusement, et non par vaine curiosité ; la rechercher hors de nous et en nous, puisqu’il est absolument nécessaire que nous soyons « vrais » tout d’abord. Là où, au livre de Job, la Vulgate lit : Erat ille homo rectus, d’autres versions portent ceci : Erat ille homo verus. Comme si l’on ne pouvait être vraiment homme, si l’on ne possède cette plénitude de droiture que Dieu désire de nous.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

La prédication de la Croix est la force de Dieu.

Saint Justin, surnommé le martyr, était d’origine grecque. Il naquit en Palestine. Ce fut un philosophe. Il se convertit alors qu’il était déjà parvenu à l’âge mûr. Il est au premier rang parmi les Apologistes, ces chrétiens qui défendirent hardiment la foi chrétienne contre les calomnies des païens. Sa première apologie a pour nous une importance particulière, car elle nous renseigne sur la vie morale et le culte de la primitive Église ; elle nous renseigne surtout sur la messe. Saint Justin mourut le 13 avril, entre 163 et 167, de la mort des martyrs. Son martyre nous est relaté par des actes authentiques et vénérables. Le cynique Crescens, qu’il avait convaincu d’immoralité, se vengea en le dénonçant. Ainsi, le fidèle et éloquent défenseur de la foi reçut comme récompense la couronne du martyre. Son tombeau est dans l’Église de saint Laurent, à Rome.

La messe (Narraverunt). — La messe, à la différence des messes de martyrs pendant le temps pascal, a des textes propres qui, d’ordinaire, font allusion à la vie de notre saint. Dans l’introït, nous voyons l’apologiste réfuter les « fables » des païens « devant les rois ». Sa vie est « sans tache ». Il « marche selon la loi du Seigneur ». Saint Justin a abandonné la philosophie du monde et adopté « la science suréminente de Jésus-Christ ». Puisse notre siècle, si fier de la science apparente du monde, demander cette véritable science et cette foi solide (Oraison). On peut adapter parfaitement à saint Justin le passage connu de l’Épître aux Corinthiens sur la « folie de la Croix » qui est la « force de Dieu ». « Les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse. Pour nous, nous prêchons le Christ crucifié, ce qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Grecs, mais ce qui est, pour ceux qui sont appelés, la force de Dieu et la sagesse de Dieu » (Ép.). L’Alléluia est l’écho de l’Épître dont il répète quelques versets. L’Évangile est un passage souvent utilisé dans les messes des martyrs. Le Christ s’adresse aux martyrs et leur demande d’annoncer publiquement ce que Dieu leur a dit dans leur cœur. « Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps et n’ont pas d’autre pouvoir ». « Quiconque me confesse devant les hommes, le Fils de l’Homme le confessera devant les anges de son Père ». Notre saint a réalisé ces paroles. A la communion, nous voyons le martyr recevoir « la couronne de justice » ; la sainte Eucharistie est pour nous le gage de cette couronne (Comm.). « Puissions-nous persévérer dans la reconnaissance pour les dons reçus » (Postcommunion).

Ce que saint Justin nous raconte de la messe dans la chrétienté primitive (1 Apol., 65-67). — « Au jour qu’on appelle dimanche, a lieu une réunion de ceux qui demeurent dans les villes ou bien à la campagne. Là, on lit les mémoires des apôtres (c’est-à-dire les évangiles) et les écrits des Prophètes, aussi longtemps qu’il convient. Quand le lecteur a fini, le président (l’évêque) fait une allocution dans laquelle il exhorte à imiter toutes ces bonnes choses : Ensuite, nous nous levons tous ensemble et nous faisons Aes prières pour nous et tous les autres dans le monde entier afin que, dans nos œuvres aussi, nous soyons trouvés de dignes membres de la communauté et qu’ainsi nous obtenions la béatitude éternelle. Quand nous avons terminé nos prières, nous nous saluons les uns les autres par le baiser de paix. Alors, on apporte, au président des frères, du pain et une coupe d’eau et de vin ; il les prend et adresse une louange au Père tout puissant par le nom du Fils et du Saint-Esprit et il prononce, de toute sa force, une longue action de grâces (Eucharistie) pour remercier Dieu de ce qu’il nous a jugés dignes de ces dons. Quand il a terminé les prières et l’Eucharistie, tout le peuple donne son adhésion en disant : “Amen ». Après l’action de grâces du président et l’adhésion du peuple tout entier, ceux qu’on appelle chez nous les diacres distribuent à chacun des assistants du pain eucharistique, du vin et de l’eau, et en portent même aux absents.

Cette nourriture s’appelle chez nous Eucharistie. Personne n’a le droit d’y participer, sauf ceux qui considèrent notre doctrine comme vraie, ont reçu le bain pour la rémission des péchés et la régénération, et vivent selon les prescriptions du Christ. Car nous ne prenons pas cette nourriture comme un pain ordinaire et une boisson ordinaire. Nous avons appris que cette nourriture, consacrée avec action de grâces, est la chair et le sang de ce Jésus fait chair... »

Benoît XVI, catéchèses, 21 mars 2007

Chers frères et sœurs,

Au cours de ces catéchèses, nous réfléchissons sur les grandes figures de l’Église naissante. Aujourd’hui, nous parlons de saint Justin, philosophe et martyr, le plus important des Pères apologistes du II siècle. Le terme "apologiste" désigne les antiques écrivains chrétiens qui se proposaient de défendre la nouvelle religion des lourdes accusations des païens et des Juifs, et de diffuser la doctrine chrétienne dans des termes adaptés à la culture de leur époque. Ainsi, chez les apologistes est présente une double sollicitude : celle, plus proprement apologétique, de défendre le christianisme naissant (apologhía en grec signifie précisément "défense"), et celle qui propose une sollicitude "missionnaire" qui a pour but d’exposer les contenus de la foi à travers un langage et des catégories de pensée compréhensibles par leurs contemporains.

Justin était né aux environs de l’an 100 près de l’antique Sichem, en Samarie, en Terre Sainte ; il chercha longuement la vérité, se rendant en pèlerinage dans les diverses écoles de la tradition philosophique grecque. Finalement, - comme lui-même le raconte dans les premiers chapitres de son Dialogue avec Tryphon - un mystérieux personnage, un vieillard rencontré sur la plage de la mer, provoqua d’abord en lui une crise, en lui démontrant l’incapacité de l’homme à satisfaire par ses seules forces l’aspiration au divin. Puis il lui indiqua dans les anciens prophètes les personnes vers lesquelles se tourner pour trouver la voie de Dieu et la "véritable philosophie". En le quittant, le vieillard l’exhorta à la prière, afin que lui soient ouvertes les portes de la lumière. Le récit reflète l’épisode crucial de la vie de Justin : au terme d’un long itinéraire philosophique de recherche de la vérité, il parvint à la foi chrétienne. Il fonda une école à Rome, où il initiait gratuitement les élèves à la nouvelle religion, considérée comme la véritable philosophie. En celle-ci, en effet, il avait trouvé la vérité et donc l’art de vivre de façon droite. Il fut dénoncé pour cette raison et fut décapité vers 165, sous le règne de Marc Aurèle, l’empereur philosophe auquel Justin lui-même avait adressé l’une de ses Apologies.

Ces deux œuvres – les deux Apologies et le Dialogue avec le Juif Tryphon – sont les seules qui nous restent de lui. Dans celles-ci, Justin entend illustrer avant tout le projet divin de la création et du salut qui s’accomplit en Jésus Christ, le Logos, c’est-à-dire le Verbe éternel, la raison éternelle, la Raison créatrice. Chaque homme, en tant que créature rationnelle, participe au Logos, porte en lui le "germe" et peut accueillir les lumières de la vérité. Ainsi, le même Logos, qui s’est révélé comme dans une figure prophétique aux juifs dans la Loi antique, s’est manifesté partiellement, comme dans des "germes de vérité", également dans la philosophie grecque. A présent, conclut Justin, étant donné que le christianisme est la manifestation historique et personnelle du Logos dans sa totalité, il en découle que "tout ce qui a été exprimé de beau par quiconque, nous appartient à nous chrétiens" [10].

De cette façon, Justin, tout en contestant les contradictions de la philosophie grecque, oriente de façon décidée vers le Logos toute vérité philosophique, en justifiant d’un point de vue rationnel la "prétention" de vérité et d’universalité de la religion chrétienne. Si l’Ancien Testament tend au Christ comme la figure oriente vers la réalité signifiée, la philosophie grecque vise elle aussi au Christ et à l’Évangile, comme la partie tend à s’unir au tout. Et il dit que ces deux réalités, l’Ancien Testament et la philosophie grecque, sont comme les deux voies qui mènent au Christ, au Logos. Voilà pourquoi la philosophie grecque ne peut s’opposer à la vérité évangélique, et les chrétiens peuvent y puiser avec confiance, comme à un bien propre. C’est pourquoi mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, définit Justin comme "pionnier d’une rencontre fructueuse avec la pensée philosophique, même marquée par un discernement prudent", car Justin, "tout en conservant même après sa conversion, une grande estime pour la philosophie grecque, [...] affirmait avec force et clarté qu’il avait trouvé dans le christianisme "la seule philosophie sûre et profitable" [11]" [12].

Dans l’ensemble, la figure et l’œuvre de Justin marquent le choix décidé de l’Église antique pour la philosophie, la raison, plutôt que pour la religion des païens. Avec la religion païenne en effet, les premiers chrétiens refusèrent absolument tout compromis. Ils estimaient qu’elle était une idolâtrie, au risque d’être taxés d’"impiété" et d’"athéisme". Justin en particulier, notamment dans sa première Apologie, conduisit une critique implacable à l’égard de la religion païenne et de ses mythes, qu’il considérait comme des "fausses routes" diaboliques sur le chemin de la vérité. La philosophie représenta en revanche le domaine privilégié de la rencontre entre paganisme, judaïsme et christianisme précisément sur le plan de la critique contre la religion païenne et ses faux mythes. "Notre philosophie..." : c’est ainsi, de la manière la plus explicite, qu’un autre apologiste contemporain de Justin, l’Évêque Méliton de Sardes en vint à définir la nouvelle religion [13].

De fait, la religion païenne ne parcourait pas les voies du Logos mais s’obstinait sur celles du mythe, même si celui-ci était reconnu par la philosophie grecque comme privé de consistance dans la vérité. C’est pourquoi le crépuscule de la religion païenne était inéluctable : il découlait comme une conséquence logique du détachement de la religion – réduite à un ensemble artificiel de cérémonies, de conventions et de coutumes – de la vérité de l’être. Justin, et avec lui les autres apologistes, marquèrent la prise de position nette de la foi chrétienne pour le Dieu des philosophes contre les faux dieux de la religion païenne. C’était le choix pour la vérité de l’être, contre le mythe de la coutume. Quelques décennies après Justin, Tertullien définit le même choix des chrétiens avec la sentence lapidaire et toujours valable : "Dominus noster Christus veritatem se, non consuetudinem, cognominavit – le Christ a affirmé être la vérité, non la coutume" [14]. On notera à ce propos que le terme consuetudo, ici employé par Tertullien en référence à la religion païenne, peut être traduit dans les langues modernes par les expressions "habitude culturelle", "mode du temps".

A une époque comme la nôtre, marquée par le relativisme dans le débat sur les valeurs et sur la religion - tout comme dans le dialogue interreligieux -, il s’agit là d’une leçon à ne pas oublier. Dans ce but, je vous repropose - et je conclus ainsi - les dernières paroles du mystérieux vieillard rencontré par le philosophe Justin au bord de la mer : "Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre" [15]. © Copyright 2007 - Libreria Editrice Vaticana

[1] Johan. I, 9.

[2] Eccli. IV, 18.

[3] Sap. I. 4.

[4] Ibid. VI, 17-21.

[5] Sap. VI, 26.

[6] Eccli. VI, 23 ; Dialog. cumTryph. 3.

[7] Eccli. IV, 15.

[8] Sess. III ; cap. 4 ; can. 10.

[9] Apolog. Ia, 23.

[10] 2 Apol. 13, 4.

[11] Dialogue, 8, 1.

[12] Fides et ratio, n. 38.

[13] ap. Hist. Eccl. 4, 26, 7.

[14] De virgin. vle. 1, 1.

[15] Dial. 7, 3.