Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Benoît XVI, catéchèses, 9 avril 2008 |
Les disciples de St Benoît, réfugiés au Latran suite aux ravages des Lombards au Mont-Cassin en 580, apportèrent à Rome le culte de leur patriarche, mort vers 547. Rome était la ville monastique par excellence, entre le Ve et le Xe siècle, on y recense 157 monastères.
Odon de Cluny vint y insuffler l’esprit de la réforme lui-même en 936.
Il n’est pas étonnant que tous les témoins liturgiques du XIe siècle attestent la fête de St Benoît.
St Benoît était célébré par deux fêtes au Moyen-Âge : son natale le 21 mars, et la translation de ses reliques le 11 juillet.
Le calendrier romain a toujours préféré la date du 21 mars, même si la fête tombe en carême. Semi-double au XIIIe siècle, elle est élevée au rang de double lors de la réforme de Pie V, puis de double-majeur en 1883.
Missa Os iusti, de Communi Abbatum. | Messe Os iusti, du Commun des Abbés. |
Oratio C | Collecte C |
Intercéssio nos, quǽsumus, Dómine, beáti Benedícti Abbátis comméndet : ut, quod nostris méritis non valémus, eius patrocínio assequámur. Per Dóminum nostrum. | Que l’intercession du bienheureux Abbé Benoît, nous recommande, s’il vous plaît, auprès de vous, Seigneur, afin que nous obtenions, par son patronage, ce que nous ne pouvons attendre de nos mérites. |
Secreta C | Secrète C |
Sacris altáribus, Dómine, hóstias superpósitas sanctus Benedíctus Abbas, quǽsumus, in salútem nobis proveníre depóscat. Per Dóminum. | Nous vous en supplions, Seigneur, que Saint Benoît, abbé, nous obtienne que les offrandes déposées sur vos sacrés autels nous soient utiles pour notre salut. |
Postcommunio C | Postcommunion C |
Prótegat nos, Dómine, cum tui perceptióne sacraménti beátus Benedíctus Abbas, pro nobis intercedéndo : ut et conversatiónis eius experiámur insígnia, et intercessiónis percipiámus suffrágia. Per Dóminum nostrum. | O Seigneur, que le bienheureux Abbé Benoît, nous protège, en intercédant pour nous en ce moment où nous avons reçu votre sacrement, afin que nous imitions les remarquables exemples de sa vie et que nous recevions les fruits de son intercession. |
Leçons des Matines avant 1960
Quatrième leçon. Benoît né à Nursie, de famille noble, commença ses études à Rome, puis, afin de se donner tout entier à Jésus-Christ se retira dans une profonde caverne en un lieu appelé Subiaco. Il y demeura caché pendant trois ans, sans que personne d’autre le sût qu’un moine nommé Romain, qui lui fournissait les choses nécessaires à la vie. Le diable ayant un jour excité en lui une violente tentation d’impureté, il se roula sur des épines, jusqu’à ce que, son corps étant tout déchiré, le sentiment de la volupté fût étouffé par la douleur. Déjà la renommée de sa sainteté se répandant hors de sa retraite, quelques moines se mirent sous sa conduite ; mais parce qu’ils ne pouvaient supporter des réprimandes méritées par leur vie licencieuse, ils résolurent de lui donner du poison dans un breuvage. Quand ils le lui présentèrent, le Saint brisa le vase d’un signe de croix, puis, quittant le monastère, il retourna dans la solitude.
Cinquième leçon. Mais comme de nouveaux disciples venaient chaque jour en grand nombre trouver Benoît, il édifia douze monastères et les munit de lois très saintes. Il se rendit ensuite au mont Cassin, où, trouvant une idole d’Apollon qu’on y honorait encore, il la brisa, renversa son autel, mit le feu au bois sacré, et construisit en ce lieu un petit sanctuaire à saint Martin et une chapelle à saint Jean ; il enseigna aussi aux habitants de cette contrée les préceptes de la religion chrétienne. Benoît croissait de jour en jour dans la grâce de Dieu ; il annonçait l’avenir par un esprit prophétique. Totila, roi des Goths, l’ayant appris, voulut éprouver s’il en était ainsi. 11 alla le trouver en se faisant précéder de son écuyer à qui il avait donné une suite et des ornements royaux, et qui feignait d’être le roi. Dès que Benoît l’eut aperçu, il lui dit : « Dépose, mon fils, dépose ce que tu portes, car cela n’est pas à toi ». Le Saint prédit à Totila lui-même qu’il entrerait dans Rome, qu’il passerait la mer, et qu’il mourrait au bout de neuf ans.
Sixième leçon. Quelques mois avant de sortir de cette vie, Benoît annonça à ses disciples le jour de sa mort. Il commanda d’ouvrir le tombeau dans lequel il voulait être inhumé ; c’était six jours avant que l’on y déposât son corps. Le sixième jour, il voulut être porté à l’église, et c’est là, qu’après avoir reçu l’Eucharistie, et priant, les yeux au ciel, il rendit l’âme, entre les mains de ses disciples. Deux moines le virent monter au ciel paré d’un manteau très précieux, et environné de flambeaux resplendissants ; et ils entendirent un homme à l’aspect vénérable et tout éclatant qui se tenait un peu plus haut que la tête du Saint, et qui disait : Ceci est le chemin par lequel Benoît, le bien-aimé du Seigneur, est monté au ciel.
Quarante jours s’étaient à peine écoules depuis l’heureux moment où la blanche colombe du Cassin s’éleva au plus haut des cieux ; et Benoît, son glorieux frère, montait à son tour, par un chemin lumineux, vers le séjour de bonheur qui devait les réunir à jamais. Le départ de l’un et de l’autre pour la patrie céleste eut lieu dans cette période du Cycle qui correspond, selon les années, au saint temps du Carême ; mais souvent il arrive que la fête de la vierge Scholastique a déjà été célébrée, lorsque la sainte Quarantaine ouvre son cours ; tandis que la solennité de Benoît tombe constamment dans les jours consacrés à la pénitence quadragésimale. Le Seigneur, qui est le souverain maître des temps, a voulu que ses fidèles, durant les exercices de leur pénitence, eussent sous les yeux, chaque année, un si illustre modèle et un si puissant intercesseur.
Avec quelle vénération profonde nous devons approcher aujourd’hui de cet homme merveilleux, de qui saint Grégoire a dit « qu’il fut rempli de l’esprit de tous les justes » ! Si nous considérons ses vertus, elles l’égalent à tout ce que les annales de l’Église nous présentent de plus saint ; la charité de Dieu et du prochain, l’humilité, le don de la prière, l’empire sur toutes les passions, en font un chef-d’œuvre de la grâce du Saint-Esprit. Les signes miraculeux éclatent dans toute sa vie par la guérison des infirmités humaines, le pouvoir sur les forces de la nature, le commandement sur les démons, et jusqu’à la résurrection des morts. L’Esprit de prophétie lui découvre l’avenir ; et les pensées les plus intimes des hommes n’ont rien de caché aux yeux de son esprit. Ces traits surhumains sont relevés encore par une majesté douce, une gravité sereine, une charité compatissante, qui brillent à chaque page de son admirable vie ; et cette vie, c’est un de ses plus nobles enfants qui l’a écrite : c’est le pape et docteur saint Grégoire le Grand, qui s’est chargé d’apprendre à la postérité tout ce que Dieu voulut opérer de merveilles dans son serviteur Benoît.
La postérité, en effet, avait droit de connaître l’histoire et les vertus de l’un des hommes dont l’action sur l’Église et sur la société a été le plus salutaire dans le cours des siècles : car, pour raconter l’influence de Benoît, il faudrait parcourir lus annales de tous les peuples de l’Occident, depuis le VIIe siècle jusqu’aux âges modernes. Benoît est le père de l’Europe ; c’est lui qui, par ses enfants, nombreux comme les étoiles du ciel et comme les sables de la mer, a relevé les débris de la société romaine écrasée sous l’invasion des barbares ; présidé à l’établissement du droit public et privé des nations qui surgirent après la conquête ; porté l’Évangile et la civilisation dans L’Angleterre, la Germanie, les pays du Nord, er jusqu’aux peuples slaves ; enseigné l’agriculture ; détruit l’esclavage ; sauvé enfin le dépôt des lettres et des arts, dans le naufrage qui devait les engloutir sans retour, et laisser la race humaine en proie aux plus désolantes ténèbres.
Et toutes ces merveilles, Benoît les a opérées par cet humble livre qui est appelé sa Règle. Ce code admirable de perfection chrétienne et de discrétion a discipliné les innombrables légions de moines par lesquels le saint Patriarche a opéré tous les prodiges que nous venons d’énumérer. Jusqu’à la promulgation de ces quelques pages si simples et si touchantes, l’élément monastique, en Occident, servait à la sanctification de quelques âmes ; mais rien ne faisait espérer qu’il dût être, plus qu’il ne l’a été en Orient, l’instrument principal de la régénération chrétienne et de la civilisation de tant de peuples. Cette Règle est donnée ; et toutes les autres disparaissent successivement devant elle, comme les étoiles pâlissent au ciel quand le soleil vient à se lever. L’Occident se couvre de monastères, et de ces monastères se répandent sur l’Europe entière tous les secours qui en ont fait la portion privilégiée du globe.
Un nombre immense de saints et de saintes qui reconnaissent Benoit pour leur père, épure et sanctifie la société encore à demi-sauvage ; une longue série de souverains Pontifes, formés dans le cloître bénédictin, préside aux destinées de ce monde nouveau, et lui crée des institutions fondées uniquement sur la loi morale, et destinées à neutraliser la force brute, qui sans elles eût prévalu ; des évoques innombrables, sortis de l’école de Benoît, appliquent aux provinces et aux cités ces prescriptions salutaires ; les Apôtres de vingt nations barbares affrontent des races féroces et incultes, portant d’une main l’Évangile et de l’autre la Règle de leur père ; durant de longs siècles, les savants, les docteurs, les instituteurs de l’enfance, appartiennent presque tous à la famille du grand Patriarche qui, par eux, dispense la plus pure lumière aux générations. Quel cortège autour d’un seul homme, que cette armée de héros de toutes les vertus, de Pontifes, d’Apôtres, de Docteurs, qui se proclament ses disciples, et qui aujourd’hui s’unissent à l’Église entière pour glorifier le souverain Seigneur dont la sainteté et la puissance ont paru avec un tel éclat dans la vie et les œuvres de Benoît !
L’Ordre Bénédictin célèbre son illustre Patriarche par les trois Hymnes suivantes.
Cette troisième Hymne du Bréviaire monastique a été composée par le célèbre Pierre le Vénérable, abbé de Cluny et ami de saint Bernard.
La Prose suivante orne la Messe de saint Benoît, dans le Missel monastique.
L’Église grecque n’a point omis les louanges du grand Abbé des occidentaux, dans sa Liturgie. Nous plaçons ici quelques-unes des strophes qu’elle a consacrées, dans les Menées, à célébrer ses mérites et sa gloire.
(DIE XXI MARTII.) J’entreprends, ô Benoît, de célébrer par une hymne ton illustre mémoire ; obtiens-moi par tes prières la grâce du Seigneur, et la rémission de tous mes péchés. Dès l’enfance, tu portas la croix au désert, tu suivis le Tout-Puissant, et, mortifiant ta chair, tu méritas la vie, o bienheureux ! Marchant dans le sentier étroit, tu t’es établi dans les vastes plaines du Paradis, vainqueur des ruses et des embûches du démon, ô bienheureux ! Semblable à un arbre fécond, tu as été arrosé de tes larmes, ô Benoit ! la vertu de Dieu t’a fait produire en abondance le fruit divin des signes et des prodiges. Les membres de ta chair subirent le joug de la pénitence, au milieu des combats de la chasteté, ô bienheureux ! En retour, tes prières ont ressuscité les morts, tu as rendu la vigueur aux boiteux, tu as guéri toutes sortes de maladies, ô Père ! qui attirais la foi et l’admiration. Ta parole vivifiante, ô bienheureux ! a rendu fécondes des âmes sèches et arides, à la vue de tes prodiges. Pasteur divinement inspiré, tu es devenu la plus éclatante gloire des moines. Tu t’adressas au Dieu plein de miséricorde, ô père comblé de sagesse ! comme Elie, tu remplis tout à coup le vase d’une huile miraculeuse, ô bienheureux ! qui attirais la foi et l’admiration. Ravi hors de toi-même, à cause de la pureté de ton âme, la terre entière parut à tes regards, comme dans un rayon de la gloire de Dieu, qui daignait t’éclairer de sa lumière, ô bienheureux Benoît ! Tu commandes au nom du Christ ; et une source d’eau vive se met à couler, par l’effet de ta prière à l’auteur de tout bien ; cette fontaine, monument du prodige, coule encore aujourd’hui, ô Benoit ! Tout éclatant de la splendeur de l’Esprit-Saint, tu as dissipé les ténèbres des démons pervers, ô Benoit, opérateur de prodiges, lumineux flambeau des moines ! On voulut, ô bienheureux ! te faire périr par un breuvage empoisonné, toi que protégeait la divine main du Créateur de l’univers, ces insensés furent confondus ; ta science par l’Esprit-Saint avait deviné leur malice. Les chœurs des moines que tu as rassemblés te célèbrent le jour et la nuit ; ils conservent ton corps au milieu du sanctuaire ; de ce sacré corps émane une source abondante de miracles, et une lumière qui éclaire continuellement les pas de tes enfants, ô père plein de sagesse ! Par ton obéissance aux divins préceptes, ton éclat, ô père, surpasse les rayons du soleil ; élevé jusqu’à cette région où la lumière ne se couche pas, obtiens le pardon de leurs péchés à ceux qui t’honorent avec foi, illustre Benoît !
Nous vous saluons avec amour, ô Benoît, vase d’élection, palmier du désert, homme angélique ! Quel mortel a été choisi pour opérer sur la terre plus de merveilles que vous n’en avez accompli ? Le Christ vous a couronné comme l’un de ses principaux coopérateurs dans l’œuvre du salut et de la sanctification des hommes. Qui pourrait compter les millions d’âmes qui vous doivent la béatitude éternelle, soit que votre Règle immortelle les ait sanctifiées dans le cloître, soit que le zèle de vos fils ait été pour elles le moyen de connaître et de servir le grand Dieu qui vous a élu ? Autour de vous, dans le séjour de la gloire, un nombre immense de bienheureux se reconnaît redevable à vous, après Dieu, de la félicité éternelle ; sur la terre, des nations entières professent la vraie foi, parce qu’elles ont été évangélisées par vos disciples.
O Père de tant de peuples, abaissez vos regards sur votre héritage, et bénissez encore cette Europe ingrate qui vous doit tout, et qui a presque oublié votre nom. La lumière que vos enfants lui apportèrent a pâli ; la chaleur par laquelle ils vivifièrent les sociétés qu’ils fondèrent et civilisèrent par la Croix, s’est refroidie ; les ronces ont couvert en grande partie le sol dans lequel ils jetèrent la semence du salut : venez au secours de votre œuvre ; et, par vos prières, retenez la vie qui menace de s’éteindre. Consolidez ce qui est ébranlé ; et qu’une nouvelle Europe, une Europe catholique, s’élève bientôt à la place de celle que l’hérésie et toutes les fausses doctrines nous ont faite.
O Patriarche des Serviteurs de Dieu, considérez du haut du ciel la Vigne que vos mains ont plantée, et voyez à quel état de dépérissement elle est déchue. Jadis, en ce jour, votre nom était loué comme celui d’un Père dans trente mille monastères, des cotes de la Baltique aux rivages de la Syrie, de la verte Erin aux steppes de la Pologne : maintenant, on n’entend plus retentir que de rares et faibles concerts, qui montent vers vous du sein de cet immense patrimoine que la foi et la reconnaissance des peuples vous avaient consacré. Le vent brûlant de l’hérésie a consumé une partie de vos moissons, la cupidité a convoité le reste, et la spoliation depuis .les siècles ne s’est jamais arrêtée dans son cours, soit qu’elle ait appelé la politique à son aide, soit qu’elle ait eu recours à la violence ouverte. Vous avez été dépossédé, ô Benoit, de ces milliers de sanctuaires qui furent si longtemps pour les peuples le principal foyer de vie et de lumière ; et la race de vos enfants s’est presque éteinte. Veillez, ô Père, sur leurs derniers rejetons. Selon une antique tradition, le Seigneur vous révéla un jour que votre filiation devait persévérer jusqu’aux derniers jours du monde, que vos enfants combattraient pour la sainte Église Romaine, et qu’ils confirmeraient la foi de plusieurs, dans les suprêmes épreuves de l’Église ; daignez, par votre bras puissant, protéger les débris de cette famille qui vous nomme encore son Père. Relevez-la, multipliez-la, sanctifiez-la ; faites fleurir chez elle l’esprit que vous avez déposé dans votre Règle sainte, et montrez par vos œuvres que vous êtes toujours le béni du Seigneur.
Soutenez la sainte Église par votre intercession puissante, ô Benoît ! Assistez le Siège Apostolique, si souvent occupé par vos enfants. Père de tant de Pasteurs des peuples, obtenez-nous des Évêques semblables à ceux que votre Règle a formés. Père de tant d’Apôtres, demandez poulies pays infidèles des envoyés évangéliques qui triomphent par le sang et par la parole, comme ceux qui sortirent de vos cloîtres. Père de tant de Docteurs, priez, afin que la science des saintes lettres renaisse pour le secours de l’Église et pour la confusion de l’erreur. Père de tant d’Ascètes sublimes, réchauffez le zèle de la perfection chrétienne, qui languit au sein de nos chrétientés modernes. Patriarche de la Religion dans l’Occident, vivifiez tous les Ordres Religieux que l’Esprit-Saint a donnés successivement à l’Église ; tous vous regardent avec respect comme un ancêtre vénérable ; répandez sur eux tous l’influence de votre paternelle charité.
Enfin, ô Benoît, ami de Dieu, priez pour les fidèles du Christ, en ces jours consacrés aux sentiments et aux œuvres de la pénitence. C’est du sein même de la sainte Quarantaine que vous vous êtes élancé vers le séjour des joies éternelles : soyez propice aux chrétiens qui combattent en ce moment dans cette même arène. Elevez leur courage par vos exemples et par vos préceptes ; qu’ils apprennent de vous à dompter la chair, à la soumettre à l’esprit ; qu’ils recherchent comme vous la retraite, pour y méditer les années éternelles ; qu’ils détachent leur cœur et leurs pensées des joies fugitives du monde. La piété catholique vous invoque comme l’un des patrons et des modèles du chrétien mourant ; elle se souvient du spectacle sublime qu’offrit votre trépas, lorsque debout au pied de l’autel, soutenu sur les bras de vos disciples, touchant à peine la terre de vos pieds, vous rendîtes votre âme à son Créateur, dans la soumission et la confiance ; obtenez-nous, ô Benoît, une mort courageuse et tranquille comme la vôtre. Écartez de nous, à ce moment suprême, toutes les embûches de l’ennemi ; visitez-nous par votre présence, et ne nous quittez pas que nous n’ayons exhalé notre âme dans le sein du Dieu qui vous a couronné.
La fête du saint Patriarche du monachisme occidental est entrée dans le Sacramentaire Grégorien dès le haut moyen âge, alors que le pontificat romain, l’épiscopat, la hiérarchie, la vie religieuse, l’apostolat parmi les païens, la science sacrée et profane, semblaient identifiés avec l’activité de la famille bénédictine. Le premier auteur de ce culte universel envers saint Benoît fut saint Grégoire le Grand, qui, moins de cinquante ans après sa mort, écrivit son histoire et propagea sa Règle. Ce fut grâce à lui que ce code immortel de perfection, conservé comme un trésor dans les archives papales du Latran, exclut promptement en Europe toute autre forme antérieure de vie monastique et devint la Regula Monachorum, c’est-à-dire la Règle romaine et papale par excellence de l’ascèse monastique. Voici ce qu’écrivait un contemporain de saint Grégoire à la louange de ce code immortel de sainteté, considéré par cet illustre Pontife comme un des plus grands prodiges accomplis par saint Benoît :
QUI • LENI • IVGO • CHRISTI • COLLA • SVBMITTERE • CVPIS
REGVLAE • SPONTE • DA • MENTEM • DVLCIA • VT • CAPIAS • MELLA
HIC • TESTAMENTI • VETERIS • NOVIQVE • MANDATA
HIC • ORDO • DIVINVS • HICQVE• CASTISSIMA • VITA
HOC • BENEOICTVS • PATER • CONSTITVIT • SACRVM • VOLVMEN
SVISQVE • MANDAVIT • HAEC • SERVANDA • ALVMNIS
SIMPLICIVS • FAMVLVS • CHRISTIQVE • MINISTER
MAGISTRI • LATENS • OPVS • PROPAGAVIT • IN • OMNES
VNA • TAMEN • MERCES • VTRISQVE • MANET • IN • AEVVM
Toi qui aspires à ployer le cou sous le suave joug du Christ,
Applique-toi de bon cœur à méditer la Règle, et tu en retireras un doux miel.
Elle renferme l’enseignement de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Ici est décrite une méthode toute divine, une vie toute pure.
Ce fut le patriarche Benoît qui établit ce Code sacré
Et le donna à observer à ses disciples.
Simplicius [1] serviteur et ministre du Christ
Propagea de toutes parts le volume du Maître, tenu d’abord presque caché.
L’un et l’autre d’ailleurs ont obtenu la même récompense dans l’éternité.
La Rome médiévale comptait plus de quatre-vingts monastères bénédictins chargés du chant des divins offices dans les principales basiliques ; en outre, elle avait un nombre considérable d’églises, d’oratoires et d’autels dédiés au saint Législateur du monachisme romain, jadis son concitoyen, qui, ayant abandonné ses études, s’enfuit bien de Rome et se retira dans la solitude de Subiaco, mais conserva toujours au cœur l’amour de sa ville natale, si bien que, imitant le geste héroïque de Léon Ier qui arrêta Attila et Genséric, Benoît, par ses menaces et son autorité, frappa Totila de terreur et rendit moins désastreuse la chute de l’Urbs entre les mains de ce roi goth.
Nous nous bornerons à citer quelques églises de Rome consacrées au nom du grand patriarche Cassinien, pour donner aux lecteurs une idée de l’importance et de la popularité du culte rendu à saint Benoît dans l’antique piété romaine : S. Benedicti in Arenula, S. Benedicti de cacabis, S. Benedicti de thermis, S. Benedicti in piscinula, S. Benedicti Scottorum, S. Benedicti « della ciambella ». Toutefois pour comprendre la place qu’occupait le Patriarche du monachisme latin durant le moyen âge, nous devons aussi mentionner une célèbre peinture de l’église de Sainte-Marie in Pallara, où l’on voit saint Benoît entre les deux Princes des Apôtres eux-mêmes, Pierre et Paul.
Mais l’on peut dire qu’alors, grâce à ses nombreux monastères, toute la Ville éternelle était bénédictine, puisque l’esprit de la Regula Sancta, comme on l’appelait, informait la société tout entière. Le siècle de fer vint hélas ! et alors la famille monastique commença à décliner. De plus, à l’apparition des Ordres mendiants, voués plus spécialement aux œuvres de la vie active, étant donnés les nouveaux besoins de la famille catholique, une multitude d’autres astres brillèrent au ciel de l’Église. Saint Benoît demeura toutefois toujours comme le grand patriarche de tout ce chœur de fondateurs. C’est lui en effet qui, tel un autre Moïse, a guidé l’Église pendant de nombreux siècles à travers le désastreux désert du haut moyen âge. Et de même qu’après Moïse, pour perpétuer son œuvre, parurent les Juges dont la gloire n’obscurcit point celle du grand Législateur d’Israël, ainsi la célébrité des illustres restaurateurs de la vie religieuse en Occident après le XIIe siècle n’enleva rien à l’auréole qui entoure le front de saint Benoît, qu’une splendide armée de papes, de docteurs, d’apôtres des diverses nations de l’Europe, de martyrs et de saints saluent comme leur père et leur législateur.
Les deux derniers pontifes qui, au XIXe siècle, professèrent la Règle de Saint-Benoît, furent Pie VII et Grégoire XVI. Le pape Benoît XV nourrissait pour saint Benoît une tendre dévotion. Il en vénérait l’image sur sa table de travail et récitait chaque jour des prières spéciales au glorieux patriarche. Il célébrait la fête de saint Benoît comme celle du Patron de son pontificat, et en ce jour il attribuait au tableau de saint Benoît suspendu au mur derrière son bureau, la place d’honneur aux dépens de celui représentant l’apôtre saint Jacques le Majeur, dont ce Pape avait reçu le nom au baptême.
Il n’est pas rare de trouver dans les anciens manuscrits du Sacramentaire Grégorien des messes splendides, avec collectes et préfaces propres pour la fête de saint Benoît, dont le nom était parfois prononcé durant le Canon. Néanmoins dans le Missel actuel la messe est entièrement du Commun des Abbés. Le rite double-majeur ne fut accordé que par Léon XIII en 1883, à la prière de l’Ordre bénédictin, qui voyait avec regret la fête de son patriarche très souvent omise dans le Calendrier de l’Église universelle, du fait seul que, coïncidant avec un dimanche ou une férié privilégiée de Carême, elle ne pouvait être transférée à un autre jour. En quelques Sacramentaires monastiques du début du moyen âge, la fête de saint Benoît était précédée d’une vigile. L’abbaye de Farfa conserve encore cette antique tradition liturgique.
Saint Grégoire le Grand, racontant une célèbre vision du grand patriarche Benoît, qui, dans un rayon de lumière céleste, put observer toute la création, considère que, pour cela, il ne fut pas nécessaire que le monde se rapetissât, mais qu’il suffit que l’âme du Saint, ravie en Dieu, fût dilatée dans la vision de la gloire déifique, puisque, comme le dit si bien le saint Docteur : à qui contemple le Créateur, toute créature paraît petite.
Voici précisément le grand secret pour surmonter tout le charme des choses mondaines, et pour ne pas se laisser effrayer par les oppositions des hommes, qui peuvent bien menacer, certes, mais qui ne peuvent nous arracher un cheveu sans la permission de la Providence de Dieu.
En l’honneur du Patriarche et Législateur d’innombrables abbayes érigées dans toute l’Europe au moyen âge ; du Maître illuminé, à l’école duquel furent formés les Docteurs de l’Église universelle, tels que Grégoire le Grand, Bédé le Vénérable, Pierre Damien, Anselme et Bernard ; du Père de plus de vingt souverains pontifes sortis des rangs de ses disciples ; du Thaumaturge, dont les magnifiques miracles furent décrits par la plume autorisée de saint Grégoire Ier et traduits en grec par le pape saint Zacharie, nous transcrivons ici la collecte et la préface de la fête de ce jour, telles qu’on les trouve en plusieurs recensions du Sacramentaire Grégorien :
« Natale sancti Benedicti abbatis. » | « Natale de saint Benoît abbé. » |
Oratio. | Prière. |
Omnipotens, sempiterne Deus, qui per gloriosa exempla humilitatis, triumphum nobis ostendisti aeternum ; da quaesumus, ut viam tibi placitae oboedientiae, qua venerabilis Pater illesus antecedebat Benedictus, nos, praeclaris eius mentis adiuti, sine errore subsequamur. | Dieu tout-puissant et éternel, qui par les glorieux exemples de l’humilité nous avez montrés le triomphe éternel ; donnez-nous, nous vous en prions, de suivre sans erreur la voie de l’obéissance qui vous plaît, sur laquelle le vénérable Père Benoît nous a précédé pour son bien, en étant aidé de la lumière de son esprit. |
Praefatio. | Préface. |
Vere dignum... aeterne Deus, et gloriam tuam profusis precibus exorare ; ut qui beati Confessoris tui Benedicti veneramur festa, eius sanctitatis imitari valeamus exempla. Et cuius merita nequaquam possumus coaequari, eius precibus mereamur adiuvari, per Christum, etc. | Il est vraiment digne… Dieu éternel : et de supplier votre gloire par nos prières abondantes ; nous célébrons la fête de votre bienheureux Confesseur Benoît, puissions-nous imiter les exemples de sa sainteté. Et comme nous ne pourrons jamais égaler ses mérites, faites que nous méritions d’être aidé de ses prières, par le Christ… |
Dans l’Ordo Romanus XI de la collection de Migne, il est prescrit d’omettre le Consistoire papal aux trois fêtes de saint Grégoire le Grand, de saint Benoît et de l’Annonciation de la sainte Vierge [2]. Nous mettrons fin à ces notes sur l’antique solennité romaine en l’honneur de saint Benoît, en rapportant quelques vers de saint Aldhelme dans son De Laudibus Virginum, où il unit les louanges du saint patriarche Cassinien à celles de saint Grégoire le Grand et des quarante moines romains qui, sur l’ordre du saint Pontife, partirent du Latran pour aller évangéliser l’Angleterre et y introduire la Règle bénédictine :
Cuius praeclaram pandens ab origine vitam
Gregorius Praesul chartis descripserat olim,
Donec aethralem felix migraret in arcem.
Huius alumnorum numero glomeramus ovantes,
Quos gerit in gremio foecunda Brittania cives ;
A quo iam no bis baptismi gratia fluxit
Atque magistrorum veneranda caterva cucurrit.
La vie admirable (de Benoît) depuis son enfance.
Fut décrite jadis par le pontife Grégoire ;
Il la conduisit jusqu’à l’heureuse entrée du Saint dans les demeures éternelles.
Nous nous glorifions d’appartenir au nombre de ses disciples,
Ceux que la Bretagne, féconde mère de citoyens, berce en son sein.
De Benoît en effet nous vint la grâce du Baptême
Et la vénérable troupe de nos premiers docteurs.
Rien ne doit être préféré au service de Dieu. (Extrait de sa règle).
Saint Benoit : Jour de mort : 21 mars, vers 542. — Tombeau : au Mont Cassin ; d’après d’autres, ses ossements furent transférés en France, à Fleury-sur-Loire. Les Bénédictins célèbrent d’ailleurs, le 11 juillet, la fête de la Translation. Image : On le représente en Abbé avec la crosse et le livre de la règle, un corbeau à ses pieds. Vie : Saint Benoît, le père des moines d’Occident, le fondateur de l’Ordre des Bénédictins, est un des grands hommes de l’Église. « C’était un homme de vie vénérable, un Béni (Benedictus) selon la grâce comme selon le nom. Dès sa jeunesse, il manifestait le sérieux d’un vieillard. Riche en caractère avant de l’être en années, jamais il n’abandonna son âme à un plaisir. Pendant qu’il demeurait sur cette terre, il n’eut, pour le monde et ses charmes dont il aurait pu jouir librement pour cette vie temporelle, que du mépris, comme s’il était déjà flétri » (Saint Grégoire le Grand). « Les fruits de l’œuvre de Benoît sont d’une grandeur immense. Mais ce qui, dans ses œuvres sociales et historiques, est particulièrement grand, c’est qu’il semble lui-même n’y avoir jamais songé. C’est le signe distinctif de la vraie grandeur de faire les plus grandes choses sans bruit, sous l’impulsion seule d’une pensée humble et pure que Dieu transforme et bénit au centuple » (Montalembert). Sa règle monastique est un livre qui a traversé les siècles, c’est un livre d’éducation pour tous les temps. Nous lui devons la belle et pieuse prière du soir de l’Église, les complies. On peut bien dire qu’aucun homme sur la terre n’a préparé autant de foyers ardents de la liturgie que lui.
Pratique : Saint Benoît donna à ses communautés, comme programme, ce point capital de sa règle : « Rien ne doit être préféré au service de Dieu » (il écrivait : l’œuvre de Dieu, opus Dei). La liturgie encadre et pénètre toute la vie de sa famille religieuse. Il a créé ainsi des familles liturgiques idéales, qui chantent réellement la louange liturgique de Dieu en unissant à cette louange les travaux les plus sérieux dans tous les domaines.
Chers frères et sœurs, Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît : "L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine" [3]. Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592 ; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret - précisément saint Benoît - l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du "biographe" s’explique également à la lumière du contexte général de son époque : entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un "astre lumineux", Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la "nuit obscure de l’histoire" [4]. De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons "Europe".
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, "ex provincia Nursiae" - de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écœuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul ; "soli Deo placere desiderans" [5]. Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une "communauté religieuse" de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le "cœur" d’un monastère bénédictin appelé "Sacro Speco". La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain : la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du "moi" pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassin - une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin - revêt un caractère symbolique : la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Église et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’"école du service du Seigneur" [6] et il demande à ses moines de "ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu (c’est-à-dire l’Office divin ou la Liturgie des Heures)" [7]. Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute [8], qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. "Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements", affirme-t-il [9]. Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation "afin que Dieu soit glorifié en tout" [10]. En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu [11] sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant [12], ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci [13] et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour [14], le moine conquiert l’humilité [15], à laquelle la Règle consacre un chapitre entier [16]. De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu. A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit "les fonctions du Christ" [17]. Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car - comme l’écrit Grégoire le Grand - "le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut" [18]. L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère [19], un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur [20], à "aider plutôt qu’à dominer" [21], à "accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint" et à "illustrer les commandements divins par son exemple" [22]. Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute "le conseil de ses frères" [23], car "souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure" [24]. Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles ! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de "Règle minimale tracée uniquement pour le début" [25] ; en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe - à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies - est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul - une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, "un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité" [26]. En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.
[1] Ce Simplicius fut le troisième Abbé du Mont-Cassin, et saint Grégoire le Grand le cite parmi les témoins dont il tenait ses notices historiques sur la vie de saint Benoît : « Simplicio quoque, qui congregationem illitts post Eum teriius rexit » (Dial. II, Prolog.) ; P. L., LXVI, col. 126.
[2] P. L., LXXVIII, col. 1228.
[3] Dial. II, 36.
[4] Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158.
[5] II Dial. Prol. 1.
[6] Prol. 45.
[7] 43, 3.
[8] Prol. 9-11.
[9] Prol. 35.
[10] 57, 9.
[11] 58, 7.
[12] 5, 13.
[13] 4, 21 ; 72, 11.
[14] 5, 2.
[15] 5, 1.
[16] 7.
[17] 2, 2 ; 63, 13.
[18] Dial. II, 36.
[19] 2, 24.
[20] 27, 8.
[21] 64, 8.
[22] 2, 12.
[23] 3, 2.
[24] 3, 3.
[25] 73, 8.
[26] Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58.