Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Martyrisées à Carthage avec quatre compagnons en 202-203. Leurs noms sont inscrits au martyrologe le 7 mars. Fête célébrée à Rome dès le IVe siècle. Leurs noms sont cités au Canon de la messe.
Leur fête fut réduite à une commémoraison en 1568 quand saint Pie V éleva St Thomas d’Aquin au rang de double. Saint Pie X anticipa alors la fête des deux martyres au 6 mars.
Missa Me exspectavérunt, de Communi non Virginum 1 loco, cum orationibus ut infra : | Messe Me exspectavérunt, du Commun des Saintes Femmes 1, avec les oraisons ci-dessous : |
Oratio C 2 | Collecte C 2 |
Da nobis, quǽsumus, Dómine, Deus noster, sanctárum Vírginum et Mártyrum tuárum Perpétuæ et Felicitátis palmas incessábili devotióne venerári : ut, quas digna mente non póssumus celebráre, humílibus saltem frequentémus obséquiis. Per Dóminum nostrum. | Donnez-nous, s’il vous plaît, Seigneur, d’honorer toujours avec une constante dévotion le triomphe de vos saintes Vierges et Martyres perpétue et Félicité, afin que si nous né pouvons célébrer leur fête avec une âme digne d’elles, nous leur offrions du moins nos humbles hommages. |
Secreta C 2 | Secrète C 2 |
Inténde, quǽsumus, Dómine, múnera altáribus tuis pro sanctárum Vírginum et Mártyrum tuárum Perpétuæ et Felicitátis festivitáte propósita : ut, sicut per hæc beáta mystéria illis glóriam contulísti ; ita nobis indulgéntiam largiáris. Per Dóminum. | Nous vous en supplions, Seigneur, considérez les dons déposés sur vos autels en raison de la fête de vos saintes Vierges et Martyres Perpétue et Félicité, afin que, comme par la vertu de ces saints mystères, vous leur avez donné la gloire, vous nous accordiez de même le pardon. |
Postcommunio P | Postcommunion P |
Mýsticis, Dómine, repléti sumus votis et gáudiis : præsta, quǽsumus ; ut, intercessiónibus sanctórum Mártyrum tuórum Perpétuæ et Felicitátis, quæ temporáliter ágimus, spirituáliter consequámur. Per Dóminum. | Nous sommes comblés par nos vœux et les joies célestes, Seigneur : faites, nous vous en prions, que par l’intercession de vos saints Martyrs Perpétue et Félicité, nous obtenions spirituellement ce que nous accomplissions dans ce temps. |
Ant.au Bénédictus et au Magnificat Le royaume des cieux leur appartient en effet, à celles-ci qui ont méprisé la vie de ce monde, sont parvenues aux récompenses du royaume céleste et ont lavé leurs robes dans le sang de l’agneau.
Leçons des Matines avant 1960
Quatrième leçon. Perpétue et Félicité furent, durant la persécution de Sévère, arrêtées en Afrique avec Révocat, Saturnin et Secundulus et jetées dans une prison obscure ; on leur adjoignit ensuite Satyrus. Elles étaient encore catéchumènes, mais reçurent le baptême peu après. Quelques jours s’étant écoulées, elles furent conduites de la prison à la place publique avec leurs compagnons et, après une confession glorieuse de la foi, condamnées aux bêtes, par le procurateur Hilarion. C’est avec joie qu’elles revinrent du forum en prison, où diverses visions affermirent encore leur courage et les embrasèrent d’ardeur pour la palme du martyre. Ni les prières ni les larmes répétées de son père accablé de vieillesse, ni l’amour maternel envers son fils tout enfant, suspendu à son sein, ni l’atrocité du supplice ne purent jamais détourner Perpétue de la foi du Christ.
Cinquième leçon. Le jour du spectacle approchant, Félicité, qui était au huitième mois de sa grossesse, se trouvant dans une grande douleur, craignait d’être ajournée : les lois en effet interdisaient de supplicier les femmes enceintes. Mais sa délivrance fut avancée grâce aux prières de ses compagnons de martyre et elle mit au monde une fille. Comme elle gémissait au milieu des douleurs de l’enfantement, un des gardes lui dit : « Vous qui vous plaignez ainsi maintenant, que ferez-vous, jetée devant les bêtes ? » Elle répondit : « Maintenant, c’est moi qui souffre ; mais là un autre sera en moi qui souffrira pour moi, parce que moi aussi je souffrirai pour lui. »
Sixième leçon. Aux nones de mars, ces femmes généreuses furent exposées dans l’amphithéâtre, à la vue de tout le peuple et d’abord frappées de verges. Ensuite elles se virent pendant quelque temps le jouet d’une vache très féroce, qui les couvrit de blessures et les foula sur le sol ; enfin elles furent achevées par des coups de glaive, ainsi que leurs compagnons qui avaient été tourmentés par divers animaux. Pie X, Souverain Pontife, a élevé la fête de ces Saintes Martyres au rite double pour l’Église universelle et ordonné de la fixer au sixième jour de mars.
La fête de ces deux illustres héroïnes de la foi chrétienne se rapportée la journée de demain, anniversaire de leur triomphe ; mais la mémoire de l’Ange de l’École, saint Thomas d’Aquin, brille avec tant d’éclat au sept mars, qu’elle semble éclipser celle des deux grandes martyres africaines. Le Saint-Siège a donc permis en certains lieux d’anticiper d’un jour leur fête ; et nous nous autorisons de cette liberté pour proposer dès aujourd’hui à l’admiration du lecteur chrétien le sublime spectacle dont fut témoin la ville de Carthage en l’an 203. Rien n’est plus propre à nous faire comprendre le véritable esprit de l’Évangile, sur lequel nous devons réformer, en ces jours, nos sentiments et notre vie. Les plus grands sacrifices sont demandés à ces deux femmes, à ces deux mères ; Dieu leur demande non seulement leur vie, mais plus que leur vie ; et elles obéissent avec cette simplicité et cette magnanimité qui a fait d’Abraham le Père des croyants.
Leurs deux noms, comme l’observe saint Augustin, sont un présage du sort que leur réserve le ciel : une perpétuelle félicité. L’exemple qu’elles donnent de la force chrétienne est à lui seul une victoire qui assure le triomphe de la foi de Jésus-Christ sur la terre d’Afrique. Encore quelques années, et le grand Cyprien fera retentir sur cette plage sa voix mâle et éloquente, appelant les chrétiens au martyre ; mais n’y a-t-il pas un accent plus pénétrant encore dans les pages écrites de la main de cette jeune femme de vingt-deux ans, la noble Perpétue, qui nous raconte avec un calme tout céleste les épreuves qu’il lui a fallu traverser pour aller à Dieu, et qui, au moment de partir pour l’amphithéâtre , remet à un autre la plume avec laquelle il devra écrire le dénouement de la sanglante et sublime tragédie ? En lisant de tels récits, dont les siècles n’ont altéré ni le charme, ni la grandeur, on se sent en présence des glorieux ancêtres de la foi, on admire la puissance de la grâce divine qui suscita de tels courages du sein même d’une société idolâtre et corrompue ; et considérant quel genre de héros Dieu employa pour briser les formidables résistances du monde païen, on ne peut s’empêcher de dire avec saint Jean Chrysostome : « J’aime à lire les Actes des Martyrs ; mais j’avoue mon attrait particulier pour ceux qui retracent les combats qu’ont soutenus les femmes chrétiennes. Plus faible est l’athlète, plus glorieuse est la victoire ; car c’est alors que l’ennemi voit venir sa défaite du côté même où jusqu’alors il triomphait. Ce fut par la femme qu’il nous vainquit ; et c’est maintenant par elle qu’il est terrassé. Elle fut entre ses mains une arme contre nous ; elle devient le glaive qui le transperce. Au commencement, la femme pécha, et pour prix de son péché eut la mort en partage ; la martyre meurt, mais elle meurt pour ne pas pécher. Séduite par une promesse mensongère, la femme viola le précepte de Dieu ; pour ne pas enfreindre sa fidélité envers son dite vin bienfaiteur, la martyre sacrifie plutôt sa vie.
Quelle excuse maintenant présentera l’homme pour se faire pardonner la mollesse, quand de simples femmes déploient un si mâle courage ; quand on les a vues, faibles et délicates, triompher de l’infériorité de leur sexe, et, fortifiées s par la grâce, remporter de si éclatantes victoires [1] ? »
Les Leçons de l’Office de nos deux grandes martyres reproduisent les principaux traits de leurs glorieux combats. On y a fait entrer un fragment du propre récit de sainte Perpétue. Il inspirera sans doute à plus d’un lecteur le désir de lire en entier, dans les Actes des Martyrs, le reste de ce magnifique testament de notre héroïne.
Sous l’empereur Sévère, on arrêta en Afrique (à Carthage) plusieurs jeunes catéchumènes : entre autres Révocatus et Félicité, tous deux de condition servile ; Saturnin et Sécundulus ; enfin parmi eux se trouvait Vivia Perpétua, jeune femme de naissance distinguée, élevée avec soin, mariée à un homme de condition, et ayant un enfant qu’elle allaitait encore. Elle était âgée d’environ vingt-deux ans, et elle a laissé le récit de son martyre écrit de sa propre main, « Nous étions encore avec nos persécuteurs, dit-elle, lorsque mon père, dans l’affection qu’il me portait, vint faire de nouveaux efforts pour m’amènera changer de résolution. « Mon père, lui dis-je, il m’est impossible de dire autre chose si ce n’est que je suis chrétienne. » A ce mot, saisi de colère, il se jeta sur moi pour m’arracher les yeux ; mais il ne fit que me maltraiter, et il se retira vaincu ainsi que le démon avec tous ses artifices. Peu de jours après nous fûmes baptisés ; le Saint-Esprit m’inspira alors de ne demander autre chose que la patience dans les peines corporelles. Peu après, on nous renferma dans la prison. J’éprouvai d’abord un saisissement, ne m’étant jamais trouvée dans des ténèbres comme celles d’un cachot. Au bout de quelques jours, le bruit courut que nous allions être interrogés. Mon père arriva de la ville, accablé de chagrin, et vint près de moi pour me faire renoncer à mon dessein. Il me dit : « Ma fille, aie pitié de mes cheveux blancs, aie pitié de ton père, si je mérite encore d’être appelé ton père. Regarde tes frères, regarde ta mère, regarde ton enfant qui ne pourra vivre si tu meurs ; laisse cette fierté et ne sois pas la cause de notre perte à tous. » Mon père me disait toutes ces choses par tendresse ; puis se jetant à mes pieds tout en larmes, il m’appelait non plus sa fille, mais sa dame. Je plaignais la vieillesse de mon père, songeant qu’il serait le seul , de toute notre famille qui ne se réjouirait pas de mon martyre. Je lui dis pour le fortifier : « Il n’arrivera de tout ceci que ce qu’il plaira à Dieu ; sache que nous ne dépendons pas de nous-mêmes, mais de lui. » Et il se retira accablé de tristesse.
Un jour, comme nous dînions, on vint nous enlever pour subir l’interrogatoire. Arrivés sur le forum, nous montâmes sur l’estrade. Mes compagnons fuient interrogés et confessèrent. Quand mon tour fut venu, mon père parut tout à coup avec mon enfant ; il me tira à part, et me suppliant : « Aie pitié de ton enfant », me dit-il. Le procurateur Hilarien me dit aussi : « Épargne la vieillesse de ton père, épargne l’âge tendre de ton fils ; sacrifie pour la santé des empereurs. » Je répondis : « Je ne le ferai pas : je suis chrétienne. » Alors le juge prononça la sentence, qui nous condamnait aux bêtes, et nous redescendîmes joyeux à la prison. Comme je nourrissais mon enfant, et que je l’avais eu jusqu’alors avec moi dans la prison, je l’envoyai aussitôt réclamer à mon père ; mais mon père ne voulut pas me le donner. Dieu permit que l’enfant ne demandât plus à téter, et que je ne fusse pas incommodée par mon lait. » Tout ceci est tiré du récit de la bienheureuse Perpétue, qui le conduit jusqu’à la veille du combat. Quant à Félicité, elle était enceinte de huit mois lorsqu’elle avait été arrêtée ; et le jour des spectacles étant si proche, elle était inconsolable, prévoyant que sa grossesse ferait différer son martyre. Ses compagnons n’étaient pas moins affligés qu’elle, dans la pensée qu’ils laisseraient seule sur le chemin de l’espérance céleste une si excellente compagne. Ils unirent donc leurs instances et leurs larmes auprès de Dieu pour obtenir sa délivrance. C’était trois jours seulement avant les spectacles ; mais à peine avaient-ils fini leur prière que Félicité se sentit prise par les douleurs. Et parce que, l’accouchement étant difficile, la souffrance lui arrachait des plaintes, un guichetier lui dit : « Si tu te plains déjà, que feras-tu quand tu seras exposée aux bêtes, que tu as bravées cependant en refusant de sacrifier ? » Elle lui répondit : « Maintenant, c’est moi qui souffre ; mais alors il y en aura un autre qui souffrira pour moi, parce que je devrai souffrir pour lui. » Elle accoucha donc d’une fille qui fut adoptée par l’une de nos sœurs.
Le jour de la victoire étant arrivé, les martyrs partirent de la prison pour l’amphithéâtre comme pour le ciel, avec un visage gai et d’une beauté céleste, émus de joie et non de crainte. Perpétue s’avançait la dernière ; ses traits respiraient la tranquillité, et sa démarche était digne comme celle d’une noble matrone chérie du Christ. Elle tenait les yeux baissés, pour en dérober l’éclat aux spectateurs. Félicité était près d’elle, remplie de joie d’avoir accompli ses couches assez à temps pour pouvoir combattre les bêtes. C’était une vache très féroce que le diable leur avait préparée. On les enveloppa chacune dans un filet pour les exposer à cette bête. Perpétue fut exposée la première. La bête la lança en l’air, et la laissa retomber sur les reins. La martyre revenue à elle, et s’apercevant que sa robe était déchirée le long de sa cuisse, la rejoignit proprement, plus jalouse de la pudeur que sensible à ses souffrances. On la ramena pour recevoir un nouveau choc ; elle renoua alors ses cheveux qui s’étaient détachés : car il ne convenait pas qu’une martyre, en son jour de victoire, parût les cheveux épars, et montrât un signe de deuil dans un moment si glorieux. Quand elle fut relevée, ayant aperçu Félicité, que le choc avait toute brisée, étendue par terre, elle alla à elle, et lui donnant la main, elle la releva. Elles se présentèrent pour recevoir une nouvelle attaque ; mais le peuple se lassa d’être cruel, et on les conduisit vers la porte Sana-Vivaria. Alors Perpétue, sortant comme d’un sommeil, tant l’extase de son esprit avait été profonde, et regardant autour d’elle, dit, au grand étonnement de tous : « Quand donc nous exposera-t-on à cette vache furieuse ? »
Lorsqu’ on lui raconta ce qui était arrivé, elle ne put le croire qu’après avoir vu sur son corps et sur ses vêtements les traces de ce qu’elle avait souffert. Alors, faisant approcher son frère et un catéchumène nommé Rusticus, elle leur dit : « Demeurez fermes dans la foi, aimez-vous les uns les autres et ne soyez pas scandalisés de nos souffrances. »
Quant à Sécundulus, Dieu l’avait retiré de ce monde, pendant qu’il était encore renfermé dans la prison. Saturnin et Revocatus, après avoir été attaqués par un léopard, furent encore vivement traînés par un ours. Saturus fut d’abord exposé à un sanglier, puis exposé à un ours ; mais la bête ne sortit pas de sa loge, en sorte que le martyr, épargné deux fois, fut rappelé. A la fin du spectacle, il fut présenté à un léopard, qui d’un coup de dent le couvrit de sang. Le peuple, comme il s’en retournait, faisant une allusion à ce second baptême, s’écria : Sauvé, lavé ! Sauvé, lavé ! On transporta ensuite le martyr expirant au lieu où il devait être égorgé avec les autres. Le peuple demanda qu’on les ramenât tous au milieu de l’amphithéâtre, afin de repaître ses regards homicides du spectacle de leur immolation par le glaive. Les martyrs se levèrent, et se traînèrent où le peuple les demandait, après s’être embrassés, afin de sceller leur martyre par le baiser de paix. Ils reçurent le coup mortel sans faire aucun mouvement et sans laisser échapper une plainte ; surtout Saturus, qui expira le premier. Quant à Perpétue, afin qu’elle goûtât du moins quelque souffrance, l’épée du gladiateur s’arrêta sur ses côtes, et lui fit pousser un cri. Ce fut elle qui conduisit elle-même à sa gorge la main encore novice de cet apprenti. Peut-être aussi que cette sublime femme ne pouvait mourir autrement, et que l’esprit immonde qui la redoutait n’eût osé attenter à sa vie, si elle-même n’y eût consenti.
Nous donnons ici, en les réunissant sous une seule doxologie, les trois Hymnes que le Siège Apostolique a approuvées en l’honneur de nos saintes martyres.
PERPÉTUE ! Félicité ! Noms glorieux et prédestinés, r vous venez luire sur nous en ces jours, comme deux astres bienfaisants qui nous apportent à la fois la lumière et la vie. Les Anges vous répètent au ciel dans leurs chants de triomphe, et nous, sur la terre, nous vous redisons avec amour et espérance. Vous nous rappelez cette parole du livre sacré : « Le Seigneur a inauguré de nouveaux combats ; à la suite des guerriers, la femme s’est levée comme une noble mère dans Israël. » [2]. Gloire à la Toute-Puissance divine qui, voulant accomplir à la lettre la parole de l’Apôtre, choisit « ce qu’il y a de faible pour confondre ce qui est fort » ! [3] Gloire à l’Église d’Afrique, fille de l’Église de Rome, à l’Église de Carthage qui n’a pas encore entendu la voix de son Cvprien, et qui déjà produit de si grands cœurs !
La chrétienté tout entière s’incline devant vous, ô Perpétue ! elle fait plus encore : chaque jour, à l’autel, le sacrificateur prononce votre nom béni parmi les noms privilégiés qu’il redit en présence de l’auguste victime ; votre mémoire est ainsi pour jamais associée à l’immolation de l’Homme-Dieu, auquel votre amour a rendu le témoignage du sang. Mais quel bienfait il a daigné nous départir, en nous permettant de pénétrer les sentiments de votre âme généreuse dans ces pages tracées de votre main, et qui sont venues jusqu’à nous à travers les siècles ! C’est là que nous apprenons de vous ce qu’est cet amour plus fort que la mort » [4], qui vous rendit victorieuse dans tous les combats. L’eau baptismale n’avait pas touché encore votre noble front, et déjà vous étiez enrôlée parmi les martyrs. Bientôt il vous fallut soutenir les assauts d’un père, et triompher de la tendresse filiale d’ici-bas, pour sauver celle que vous deviez à cet autre Père qui est dans les cieux. Votre cœur maternel ne tarda pas d’être soumis à la plus terrible des épreuves, lorsque cet enfant qui, sous les voûtes obscures d’un cachot, puisait la vie à votre sein, vous fut enlevé comme un nouvel Isaac, et que vous demeurâtes seule, à la veille du dernier combat.
Mais dans ce combat, ô Perpétue, au milieu des compagnons de votre victoire, qui est semblable à vous ? Quelle est cette ivresse d’amour qui vous a saisie, lorsqu’est arrivé le moment de souffrir dans votre corps, au point que vous ne sentez pas même la cruelle brisure de vos membres délicats lancés sur le sol de l’arène ? « Où étiez-vous, dirons-nous avec saint Augustin, lorsque vous ne voyiez même pas cette bête furieuse à laquelle on vous avait exposée ? De quelles délices jouissiez-vous, au point d’être devenue insensible à de telles douleurs ? Quel amour vous enivrait ? Quelle beauté céleste vous captivait ? Quel breuvage vous avait ravi le sentiment des choses d’ici-bas, à vous qui étiez encore dans les liens d’un corps mortel [5] ? » Mais, avant la dernière lutte, le Seigneur vous avait préparée par le sacrifice. Nous comprenons alors que votre vie fût devenue toute céleste, et que votre âme, habitant déjà, par l’amour, avec Jésus qui vous avait tout demandé et à qui vous aviez tout accordé, fût dès lors comme étrangère à ce corps qu’elle devait sitôt abandonner. Un dernier lien vous retenait encore, et le glaive devait le trancher ; mais afin que votre immolation fût volontaire jusqu’à la fin, il fallut que votre main conduisît elle-même ce fer libérateur qui ouvrait passage à votre âme si rapide dans son vol vers le souverain bien. O femme véritablement forte, ennemie du serpent infernal et objet de sa haine, vous l’avez vaincu ! Votre grandeur d’âme vous a placée parmi les plus nobles héroïnes de notre foi ; et depuis seize siècles votre nom ait privilège de faire battre tout cœur chrétien.
Recevez aussi nos hommages, ô Félicité ! car vous avez été jugée digne de servir de compagne à Perpétue. Dans le siècle, elle brillait au rang des matrones de Carthage ; mais, malgré votre condition servile, le baptême l’avait rendue votre sœur, et vous marchiez son égale dans l’arène du martyre. A peine relevée de ses chutes violentes, elle courait à vous et vous tendait la main ; la femme noble et l’humble esclave se confondaient dans l’embrassement du martyre ; et les spectateurs de l’amphithéâtre pouvaient déjà pressentir que la nouvelle religion recelait en elle-même une vertu sous l’effort de laquelle succomberait l’esclavage. Vous aviez dit, ô Félicité, que lorsque l’heure du combat aurait sonné, ce ne serait plus vous qui souffririez, mais le Christ immortel qui souffrirait en vous : il a été fait selon votre foi et votre espérance ; et le Christ est apparu vainqueur dans Félicité comme dans Perpétue. Jouissez donc, ô femme bénie, du prix de vos sacrifices et de vos combats. Du haut du ciel, vous veillerez sur cet enfant qui naquit d’une martyre dans une prison ; déjà, sur la terre, une si noble naissance lui a fait rencontrer une seconde mère. Honneur à vous qui n’avez pas regardé en arrière, mais qui vous êtes élancée à la suite du Christ ! Votre félicité est éternelle au ciel, et ici-bas votre gloire durera autant que le monde.
Maintenant, ô sœurs illustres, soyez-nous propices en ces jours. Tendez vos palmes vers le trône de la divine majesté, et faites-en descendre sur nous les miséricordes. Nous ne sommes plus cette société païenne qui se pressait aux jeux de l’amphithéâtre pour voir répandre votre sang ; la foi chrétienne victorieuse par vous et par tant d’autres martyrs a triomphé des erreurs et des vices de nos aïeux ; et ceux-ci nous ont transmis le sacré symbole pour lequel vous aviez tout sacrifié. Mais, pour n’être pas aussi profondes, nos misères n’en sont pas moins lamentables. Il est un second paganisme qui se glisse chez les peuples chrétiens et qui les pervertit. Il a sa source dans l’indifférence qui glace le cœur et dans la mollesse qui énerve la volonté. O Perpétue, ô Félicité ! demandez que vos exemples ne soient pas perdus pour nous, et que la pensée de vos héroïques dévouements nous soutienne dans les sacrifices moindres que le Seigneur exige de nous. Priez aussi pour nos nouvelles Églises qui s’élèvent sur le rivage africain que vos souffrances ont illustré ; elles se recommandent à vous ; bénissez-les, et faites-y refleurir, par votre puissante intercession, la foi et les mœurs chrétiennes.
Ces illustres héroïnes, qui font partie d’un groupe comprenant quatre autres martyrs, Révocat, Secundulus, Saturnin et Saturas, n’appartiennent pas à l’Église de Rome puisqu’elles consommèrent leur martyre à Carthage, le 7 mars 202 ou 203. Toutefois, leur popularité et leur renommée, la diffusion de leurs Actes — rédigés, semble-t-il, par Tertullien — et les relations continuelles qui existaient alors entre la capitale de l’Afrique proconsulaire et Rome, firent que le natale de Vibia Perpétua et de Félicité le 7 mars se trouve déjà noté dans la liste romaine des Natalitia Martyrum, rédigée vers 336. Perpétue et Félicité seraient donc, avec saint Cyprien, l’objet des premières fêtes de caractère non local accueillies par Rome dans son Calendrier du IVe siècle. En conséquence, les diptyques romains de la messe contiennent eux aussi les trois noms de ces martyrs africains.
La fête de ce jour apparaît également dans le Sacramentaire Gélasien de l’époque carolingienne quoiqu’elle ait été effacée du. Grégorien au temps d’Hadrien Ier. Il n’est pas difficile d’ailleurs de deviner la cause de cette suppression. Alors que le fond du Gélasien évoque une période de libre efflorescence liturgique, les fêtes cimitérales des martyrs étant encore célébrées avec un grand concours de peuple, le Grégorien représente au contraire une réforme postérieure, sévère et générale, de la liturgie stationnale à Rome. Le Carême qui ne constituait pas encore, au ive siècle, un cycle liturgique spécial, avait acquis, peu à peu, une importance particulière ; le sacrifice eucharistique était offert solennellement tous les soirs au coucher du soleil, au lieu de l’être seulement le mercredi et le dimanche, comme au temps de saint Léon ; aussi, vers l’époque du pontificat de saint Grégoire Ier, le jeûne et les stations quotidiennes durent, par une conséquence naturelle, exclure toute autre station festive, et, en particulier, les antiques Natalitia Martyrum des siècles précédents. C’est ainsi que s’éclipsèrent, non seulement la fête des saintes Perpétue et Félicité, mais aussi celle de la Chaire de saint Pierre, de saint Lucius, de saint Caius et de plusieurs autres insignes pontifes.
Cependant le souvenir des grandes martyres carthaginoises survécut dans la dévotion du peuple à cette exclusion liturgique ; il se conserva même si fidèlement que leur fête, avec le rite d’une simple commémoraison, fut associée, durant le bas moyen âge, à celle de saint Thomas d’Aquin, mort également le 7 mars. Dernièrement, à l’occasion de la découverte à Carthage, parmi les ruines de la basilica Maiorum où avait prêché le grand saint Augustin, de l’épigraphe sépulcrale de Perpétue, Félicité et leurs compagnons, Pie X éleva leur office au rite double, fixant leur fête à la veille de leur natale, à cause de la solennité suivante au jour anniversaire de la mort de saint Thomas d’Aquin.
Voici le texte de cette importante épigraphe, l’unique relique que Carthage contemporaine conserve encore du groupe de martyrs fêtés aujourd’hui par toute l’Église latine :
HIC • SVNT • MARTYRES
SATVRVS • SATVRNINVS
REBOCATVS • SECVNDVLVS • PAS • NON • MART
FELICIT • PERPETV
Un fragment de peinture dans le cimetière de Callixte, appartenant comme certains le supposent, à la tombe des martyrs Marc et Marcellien ou, selon d’autres opinions, à celle des martyrs grecs, démontre à quel point les Actes de sainte Perpétue étaient alors populaires à Rome. On y voit en effet deux martyrs montant vers le Christ au moyen d’une échelle dont un serpent, placé à ses pieds, tente d’empêcher l’accès. L’inspiration de l’artiste est évidente, comme aussi sa dépendance de la célèbre vision de la martyre carthaginoise, narrée par elle avec tant de fraîcheur et de foi dans l’autobiographie de son martyre, ce chef-d’œuvre de l’antique littérature chrétienne qui mériterait d’être entre les mains de tous les fidèles et d’être étudié à fond.
La messe est celle du Commun des Martyres, Me exspectavérunt, dont les collectes, de même que celle après la communion, qui est propre, sont identiques à celles assignées déjà à la fête de ce jour dans le Sacramentaire Gélasien.
Souvent la Croix nous effraie, parce que nous ne considérons que son amertume, sans tenir compte de cette vérité, que quand nous souffrons pour Jésus-Christ, ce n’est pas tant nous qui-souffrons alors, que Jésus qui souffre en nous. C’est ainsi que Félicité, gémissant dans sa prison à cause des douleurs de l’enfantement, répondit avec dignité aux païens qui lui demandaient, en la raillant, comment elle ferait pour subir les peines du martyre, puisqu’elle se plaignait : « Maintenant c’est moi qui souffre ; mais alors un autre souffrira en moi, parce qu’alors je souffrirai pour Lui. »
Le Christ souffre en moi.
Les saints : Jour de mort : 7 mars 202 ou 203, à Carthage. — Tombeau : Inconnu. L’épitaphe a été retrouvée récemment à Carthage. Image : On les représente au moment où elles se disent adieu, ou bien quand on les jette devant une vache furieuse. Vie : Vibia Perpetua était une jeune femme et mère, d’une condition distinguée ; Félicité était une esclave qui, trois jours avant son martyre, donna naissance à un enfant. L’une et l’autre étaient catéchumènes. C’est précisément aux catéchumènes qu’on s’en prenait surtout pendant la persécution de Septime Sévère. Elles souffrirent le martyre le 7 mars, à Carthage. Le bréviaire raconte cet épisode émouvant ; Le jour des jeux, pendant lesquels elles devaient être jetées aux bêtes, était imminent.
Félicité était toute triste dans la crainte d’être obligée d’attendre plus longtemps que les autres. Car elle était enceinte de huit mois et, d’après les lois, on n’avait pas le droit de l’exécuter avant la naissance de l’enfant. Cependant la prière des autres martyrs hâta la naissance et elle mit au monde une fille. Comme elle souffrait les douleurs de l’enfantement, un des gardes lui cria ; « Si tu souffres tant déjà, que feras-tu quand tu seras exposée aux bêtes sauvages ? » — « Maintenant c’est moi qui souffres » répondit-elle, « mais, là-bas, il y en aura un autre en moi, qui souffrira pour moi parce que, moi aussi, je souffrirai pour lui. » Pendant le travail de l’enfantement, elle laissait échapper des plaintes, mais sa joie éclata quand elle fut exposée aux bêtes » (Martyrologe). Le 7 mars enfin, les héroïques femmes furent conduites à l’amphithéâtre et, d’abord, cruellement fouettées. Elles furent ensuite exposées à une vache très féroce qui les traîna un certain temps, les déchira et finalement les jeta par terre. — Au Canon de la messe, on fait tous les jours mention, avec honneur, de ces deux saintes femmes. — Nous disons la messe du Carême avec mémoire des deux martyres.
Les Actes. L’histoire du martyre de ces saintes nous a été conservée par des actes authentiques rédigés en partie par les saintes elles-mêmes, en partie par des témoins oculaires (peut-être Tertullien). Ces Actes sont parmi les plus beaux morceaux de la littérature chrétienne antique. Il en existe des traductions françaises. Citons-en un passage ; « Comme nous étions encore avec les gardes, raconte Perpétue, mon père, dans son amour pour moi, ne cessait de m’exhorter à apostasier. Alors je lui dis : « Tu vois, par exemple, ce vase qui se trouve ici, une cruche ou quelque chose de semblable ? » Il dit : « Oui, je le vois. » Alors je lui demandais : « Peut-on le désigner autrement que par ce qu’il est ? » Il répondit : « Non. » « Je ne puis pas non plus me nommer autrement que par ce que je suis : une chrétienne. » Mon père, irrité par cette parole, se jeta sur moi pour m’arracher les yeux. Il ne fit cependant que me tourmenter et s’en alla. Pendant les quelques jours où je fus débarrassée de mon père, je remerciai le Seigneur, et pendant son absence, je repris des forces. Dans cet intervalle de quelques jours, nous fûmes baptisées et l’Esprit m’inspira, après le baptême, de ne demander que l’endurance de la chair. Quelques jours après, nous fûmes enfermées dans le cachot et cela me fit horreur, car je n’avais jamais connu encore une telle obscurité. Ô jour effroyable ! une chaleur horrible y régnait, car les soldats y entassaient littéralement les gens ; enfin, j’étais tourmentée à cause de mon enfant. C’est alors que les excellents diacres, Tertius et Pomponius, qui nous servaient, nous obtinrent, à prix d’argent et pour quelques heures, une meilleure place dans la prison et nous pûmes trouver un peu de fraîcheur. Tous sortirent du cachot et se reposèrent. Je nourris mon enfant qui était déjà à moitié mort. Je m’occupai de ma mère et la consolai. J’encourageai mon frère et lui recommandai mon fils. Je souffrais beaucoup de les voir souffrir à cause de moi. Je fus en butte à de telles angoisses pendant plusieurs jours, mais j’obtins que mon enfant restât confié à mes soins dans la prison. Il se rétablit et je me sentis soulagée par les soins que je donnais à mon enfant. La prison me sembla tout d’un coup un palais et je m’y plaisais mieux que n’importe où.
Quelques jours après, le bruit courut que nous allions subir un interrogatoire. Mon père vint aussi de la ville, dévoré de chagrin. Il se rendit auprès de moi pour m’amener à apostasier ; il me dit : « Ma fille, aie pitié de toute ma maison. Aie pitié de ton père, si tu me juges encore digne d’être appelé ton père. Si ces mains t’ont élevée jusqu’à cet âge florissant, si je t’ai préférée à tous tes frères, ne m’abandonne pas à la raillerie des hommes. Regarde tes frères, regarde ta mère et ta tante, regarde ton enfant qui, après ta mort, ne pourra pas survivre. Fais violence à tes sentiments, ne nous perds pas, car aucun d’entre nous ne pourra parler librement s’il t’arrive quelque chose de mal. » Ainsi parlait-il dans son amour paternel. Il me baisait les mains, se jetait à mes pieds et, en versant des larmes, m’appelait non plus sa fille, mais sa dame. Je m’affligeais du sort de mon père, voyant que, seul de ma famille, il ne se réjouissait pas de mes souffrances. Je le consolais par ces paroles : « A ce tribunal, il n’arrivera que ce que Dieu veut ; car sache que nous ne sommes pas en notre pouvoir, mais au pouvoir de Dieu. » Et il s’en alla tout triste. »
[1] Homil. De diversis novi Testamenti locis.
[2] Judic. V, 7.
[3] I Cor. 1, 27.
[4] Cant. VIII, 6.
[5] In Natali SS. Perpétua : et Felicitatis.