Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Benoît XVI, catéchèses, 14 mars 2007 |
Bien que St Ignace ait été jeté aux bêtes à Rome, l’Église Romaine n’a pas retenu son natale, mais elle inscrivit dès le Vie siècle son nom au Canon de la Messe. Les orientaux le célèbrent le 17 octobre. Au début du VIIIe siècle sa fête se diffuse en Angleterre le 20 décembre (ou le 17 selon Bède le Vénérable) qui serait la date de la translation de ses reliques. Sur le continent on plaça sa mémoire le 1er février, selon une traduction latine erronée des Actes grecs de sa passion. La fête entre au calendrier à Rome à cette date aux XIe et XIIe siècle. St Pie V reçut la fête comme semi-double, Pie IX l’éleva au rang de double.
Ant. ad Introitum. Gal. 6, 14. | Introït |
Mihi autem absit gloriári, nisi in cruce Dómini nostri Iesu Christi, per quem mihi mundus crucifíxus est, et ego mundo. | Je souhaite de ne jamais me glorifier, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ ; par laquelle le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. |
Ps. 131, 1. | |
Meménto, Dómine, David : et omnis mansuetúdinis eius. | Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur. |
V/. Glória Patri. | |
Oratio. | Collecte |
Infirmitátem nostram réspice, omnípotens Deus : et, quia pondus própriæ actiónis gravat, beáti Ignátii Martyris tui atque Pontíficis intercéssio gloriósa nos prótegat. Per Dóminum. | Dieu tout-puissant, regardez notre faiblesse ; et parce que le poids de nos péchés nous accable, fortifiez-nous par la glorieuse intercession du bienheureux Ignace, votre Martyr et Pontife. |
Léctio Epistolæ beáti Pauli Apóstoli ad Romános. | Lecture de l’Epître de Saint Paul Apôtre aux Romains. |
8, 35-39. | |
Fratres : Quis nos separábit a caritáte Christi : tribulátio, an angustia, an fames, an núditas, an perículum, an persecútio, an gládius ? (sicut scriptum est : Quia propter te mortificámur tota die : æstimáti sumus sicut oves occisiónis). Sed in his ómnibus superámus propter eum, qui diléxit nos. Certus sum enim, quia neque mors, neque vita, neque ángeli, neque principátus, neque virtútes, neque instántia, neque futúra, neque fortitúdo, neque altitúdo, neque profúndum, neque creatúra alia poterit nos separáre a caritáte Dei, quæ est in Christo Iesu, Dómino nostro. | Mes Frères : Qui donc nous séparera de l’amour du Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou la persécution, ou le glaive ? (Selon qu’il est écrit : A cause de vous, nous sommes mis à mort tout le jour ; on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie.) Mais en tout cela nous demeurons victorieux, par Celui qui nous a aimés. Car je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni la violence, ni ce qu’il y a de plus élevé, ni ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. |
Graduale. Graduale. Eccli. 44, 16. | Graduel |
Ecce sacérdos magnus, qui in diébus suis plácuit Deo. | Voici le grand Pontife qui dans les jours de sa vie a plu à Dieu. |
V/. Ibid., 20. Non est invéntus símilis illi, qui conserváret legem Excélsi. | V/. Nul ne lui a été trouvé semblable, lui qui a conservé la loi du Très-Haut. |
Allelúia, allelúia. V/. Gal 2, 19-20. Christo confíxus sum Cruci : vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus. Allelúia. | Allelúia, allelúia. V/. Avec le Christ j’ai été cloué à la croix. Et je vis, non ce n’est plus moi, mais c’est le Christ qui vit en moi. Alléluia. |
Post Septuagesimam, ommissis Allelúia et versu sequenti, dicitur | Après la Septuagésime, on omet l’Alléluia et son verset et on dit : |
Tractus. Ps. 20, 3-4. | |
Desidérium ánimæ eius tribuísti ei : et voluntáte labiórum eius non fraudásti eum. | Vous lui avez accordé le désir de son cœur, et vous ne l’avez point frustré de la demande de ses lèvres. |
V/. Quóniam prævenísti eum in benedictiónibus dulcédinis. | V/. Car vous l’avez prévenu des plus douces bénédictions. |
V/. Posuísti in cápite eius corónam de lápide pretióso. | V/. Vous avez mis sur sa tête une couronne de pierres précieuses. |
¶ In Missis votivis Tempore paschali omittitur graduale, et eius loco dicitur : | ¶ Aux Messes votives pendant le temps pascal, on omet le graduel et à sa place on dit : |
Allelúia, allelúia. V/. Gal 2, 19-20. Christo confíxus sum Cruci : vivo ego, iam non ego, vivit vero in me Christus. | Allelúia, allelúia. V/. Avec le Christ j’ai été cloué à la croix. Et je vis, non ce n’est plus moi, mais c’est le Christ qui vit en moi. |
Allelúia. V/. Ps. 20, 4. Posuísti, Dómine, super caput eius corónam de lápide pretióso. Allelúia. | Allelúia. V/. Vous avez mis, Seigneur, sur sa tête une couronne de pierres précieuses. Alléluia. |
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Ioánnem. | Lecture du Saint Evangile selon saint Jean. |
Ioann. 12, 24-26. | |
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Amen, amen, dico vobis, nisi granum fruménti cadens in terram, mórtuum fúerit, ipsum solum manet : si autem mórtuum fúerit, multum fructum affert. Qui amat ánimam suam, perdet eam : et qui odit ánimam suam in hoc mundo, in vitam ætérnam custódit eam. Si quis mihi mínistrat, me sequátur : et ubi sum ego, illic et miníster meus erit. Si quis mihi ministráverit, honorificábit eum Pater meus. | En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra ; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. |
Ant. ad Offertorium. Ps. 8, 6-7. | Offertoire |
Glória et honore coronásti eum : et constituísti eum super ópera mánuum tuárum, Dómine. | Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur et vous l’avez établi sur les ouvrages de vos mains. |
Secreta | Secrète |
Hóstias tibi, Dómine, beáti Ignátii Mártyris tui atque Pontíficis dicátas méritis, benígnus assúme : et ad perpétuum nobis tríbue proveníre subsídium. Per Dóminum. | Seigneur, acceptez dans votre bonté ces hosties qui vous sont offertes en mémoire des mérites du bienheureux Ignace votre Martyr et Pontife ; et faites qu’elles nous obtiennent une continuelle assistance. |
Ant. ad Communionem. | Communion |
Fruméntum Christi sum : déntibus bestiárum molar, ut panis mundus invéniar. | Je suis le froment du Christ : Puisse-je être broyé sous les dents des bêtes féroces pour devenir un pain blanc. |
Postcommunio | Postcommunion |
Refécti participatióne múneris sacri, quǽsumus, Dómine, Deus noster : ut, cuius exséquimur cultum, intercedénte beáto Ignátio Mártyre tuo atque Pontífice, sentiámus efféctum. Per Dóminum. | Rassasiés par la participation à ce don sacré, nous vous supplions, Seigneur notre Dieu, par l’intercession du bienheureux Ignace, votre Martyr et Pontife, de nous faire ressentir l’effet du sacrifice que nous célébrons. |
Leçons des Matines avant 1960
Au deuxième nocturne.
Du Livre de saint Jérôme, Prêtre : Des Écrivains Ecclésiastiques.
Quatrième leçon. Ignace, troisième Évêque d’Antioche après l’Apôtre Pierre, ayant été condamné aux bêtes, alors que sévissait la persécution, de Trajan, fut envoyé à Rome chargé de liens. Pendant qu’on l’y transportait par mer le navire aborda à Smyrne, où Polycarpe, disciple de Jean, était Évêque. Il y écrivit une lettre aux Éphésiens, une autre aux Magnésiens, une troisième aux Tralliens, une quatrième aux Romains. C’est en quittant cette ville qu’il écrivit aux Philadelphiens et aux Smyrniens, et qu’il adressa à Polycarpe une lettre particulière, dans laquelle il lui recommande l’Église d’Antioche, et où il rapporte sur la personne du Christ un témoignage de l’Évangile que j’ai traduit naguère.
Cinquième leçon. Il semble juste, puisque nous parlons d’un si grand homme, de citer quelques lignes de l’épître qu’il écrivit aux Romains : « Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je lutte contre les bêtes, sur mer et sur terre, nuit et jour, lié que je suis à dix léopards, c’est-à-dire à dix soldats qui me gardent et dont mes bienfaits augmentent encore la méchanceté. Leur iniquité sert à m’instruire, mais je ne suis pas pour cela justifié. Plaise à Dieu que j’aie la jouissance d’être livré aux bêtes qui me sont préparées ; je demande qu’elles soient promptes à me faire souffrir les supplices et la mort et excitées à’ me dévorer, de peur qu’elles n’osent toucher à mon corps, comme il est arrivé pour d’autres Martyrs. Si elles ne veulent pas venir à moi, je leur ferai violence, je me jetterai devant elles pour être dévoré. Pardonnez-moi, mes petits enfants ; je sais ce qui m’est avantageux.
Sixième leçon. C’est maintenant que je commence à être disciple du Christ, ne désirant plus rien de ce qui est visible, afin de trouver Jésus-Christ. Que le feu, la croix, les bêtes, le brisement des os, la mutilation des membres, le broiement de tout le corps et tous les tourments du diable fondent sur moi, mais seulement que je jouisse de Jésus-Christ ! » Comme il était déjà exposé aux bêtes et qu’il entendait les rugissements des lions, il dit, dans son ardeur de souffrir : « Je suis le froment du Christ : que je sois broyé par les dents des bêtes, afin que je devienne un pain vraiment pur ! » Il souffrit le martyre la onzième année de Trajan. Les restes de son corps reposent à Antioche, dans le cimetière, hors de la porte de Daphné.
Au troisième nocturne.
Lecture du saint Évangile selon saint . Ioann. 12, 24-26.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul. Et le reste.
Homélie de saint Augustin, Évêque.
Septième leçon. Le Seigneur Jésus était lui-même ce grain qui devait mourir et se multiplier : mourir victime de l’infidélité des Juifs, se multiplier par la foi des peuples. Or, exhortant déjà à suivre les traces de sa passion : « Celui, dit-il, qui aime son âme, la perdra ». Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières. « Celui qui l’aime, la perdra », c’est-à-dire : Si tu l’aimes, perds-la. Si tu désires conserver la vie dans le Christ, ne crains pas de mourir pour le Christ. On peut les entendre également d’une autre façon : « Celui qui aime son âme, la perdra » ; ne l’aime pas, de peur que tu ne la perdes ; ne l’aime pas en cette vie, pour ne pas la perdre dans la vie éternelle.
Huitième leçon. La dernière explication que j’ai donnée semble être davantage le sens de l’Évangile. Car on y lit ensuite : « Et celui qui hait son âme en ce monde, la conserve pour la vie éternelle ». Donc, quand il est dit plus haut : « Celui qui aime son âme », (il est sous-entendu : en ce monde), celui-là la perdra assurément : mais celui qui hait son âme en ce monde, assurément celui-là la garde pour la vie éternelle. Grande et étonnante sentence : d’où il ressort que l’homme a pour son âme un amour qui cause sa perte, et une haine qui l’empêche de périr. Si vous l’aimez mal, vous la haïssez ; si vous la haïssez bien, vous l’aimez. Heureux ceux qui haïssent pour conserver, de crainte de perdre en aimant.
Neuvième leçon. Mais veille à ce qu’il ne s’insinue pas dans ton esprit la pensée de vouloir te tuer, en comprenant ainsi le devoir de haïr ton âme en ce mondé : de là vient que certains hommes méchants et pervers, cruels et impies, homicides d’eux-mêmes, se livrent aux flammes, se noient, se jettent dans les précipices, et périssent. Ce n’est pas là ce que le Christ a enseigné : au contraire, il a même répondu au diable qui lui suggérait de se précipiter du haut du temple : « Retire-toi, Satan, car il est écrit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ». De même le Seigneur dit à Pierre, indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu :» Quand tu étais jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras pas ». Paroles qui nous enseignent assez clairement que celui qui marche à la suite de Jésus-Christ doit, non point se donner la mort mais la recevoir d’un autre.
La veille du jour où va expirer notre heureuse quarantaine, c’est un des plus fameux martyrs du Christ qui paraît sur le Cycle : Ignace le Théophore, Évêque d’Antioche. Une antique tradition nous dit que ce vieillard, qui confessa si généreusement le Crucifié devant Trajan, avait été cet enfant que Jésus présenta un jour à ses disciples comme le modèle de la simplicité que nous devons posséder pour parvenir au Royaume des cieux. Aujourd’hui, il se montre à nous, tout près du berceau dans lequel ce même Dieu nous donne les leçons de l’humilité et de l’enfance.
Ignace, à la Cour de l’Emmanuel, s’appuie sur Pierre dont nous avons glorifié la Chaire ; car le Prince des Apôtres l’a établi son second successeur sur son premier Siège à Antioche. Ignace a puisé dans cette mission éclatante la fermeté qui lui a donné de résister en face à un puissant empereur, de défier les bêtes de l’amphithéâtre, de triompher par le plus glorieux martyre. Comme pour marquer la dignité incommunicable du Siège de Rome, la providence de Dieu a voulu que, sous les chaînes de sa captivité, il vînt aussi voir Pierre, et terminât sa course dans la Ville sainte, mêlant son sang avec celui des Apôtres. Il eût manqué à Rome quelque chose, si elle n’eût hérité de la gloire d’Ignace. Le souvenir du combat de ce héros est le plus noble souvenir du Colisée, baigné du sang de tant de milliers de Martyrs.
Le caractère d’Ignace est l’impétuosité de l’amour ; il ne craint qu’une chose, c’est que les prières des Romains n’enchaînent la férocité des lions, et qu’il ne soit frustré de son désir d’être uni au Christ. Admirons cette force surhumaine qui se révèle tout à coup au milieu de l’ancien monde, et reconnaissons qu’un si ardent amour pour Dieu, un si brûlant désir de le voir n’ont pu naître qu’à la suite des événements divins qui nous ont appris jusqu’à quel excès l’homme était aimé de Dieu. Le sacrifice sanglant du Calvaire n’eût-il pas été offert, la Crèche de Bethléhem suffirait à tout expliquer. Dieu descend du ciel pour l’homme ; il se fait homme, il se fait enfant, il naît dans une crèche. De telles merveilles d’amour auraient suffi pour sauver le monde coupable ; comment ne solliciteraient-elles pas le cœur de l’homme à s’immoler à son tour ? Et qu’est-ce que la vie terrestre à sacrifier, quand il ne s’agirait que de reconnaître l’amour de Jésus, dans sa naissance parmi nous ?
La sainte Église nous donne, dans les Leçons de l’Office de saint Ignace, la courte notice que saint Jérôme a insérée dans son livre de Scriptoribus ecclesiasticis. Le saint Docteur a eu l’heureuse pensée d’y insérer quelques traits brûlants de l’admirable lettre du Martyr aux fidèles de Rome. Nous l’eussions donnée tout entière, sans son extrême longueur ; et il nous en coûterait de la mutiler. Au reste, les passages cités par saint Jérôme représentent les plus sublimes traits qu’elle contient.
Nous trouvons dans les Menées de l’Église Grecque, en la fête de saint Ignace, les strophes suivantes :
Appelé à la succession de celui qui est le sommet des Apôtres et des Théologiens, tu as marché sur leurs traces ; ton lever a été à l’Orient, et tu t’es manifesté dans l’Occident, tout éclatant des splendeurs de la prédication divine ; c’est de là que tu es parti de ce monde pour t’élever à Dieu, couronné des feux de la grâce, ô homme plein de sagesse !
Resplendissant comme un soleil des rayons de l’Esprit-Saint, tu as illuminé d’une gracieuse splendeur les confins du monde par l’éclat de tes combats, nous donnant dans ta ferveur, nous écrivant dans ta vérité les documents de la piété ; c’est pourquoi tu es devenu l’aliment du Maître qui, dans sa bonté incessante, nourrit tous les êtres, ô bienheureux !
Ignace, qui portes Dieu et réchauffais dans ton cœur le Christ ton amour, tu as reçu le prix du sacrifice évangélique du Christ, qui se consomme par le sang ; c’est pour cela que, devenu froment de l’immortel laboureur, tu as été moulu par la dent des bêtes, et tu es devenu pour lui un pain agréable : supplie-le pour nous, bienheureux athlète !
Que ton âme fut solide, ferme comme le diamant, ô heureux Ignace ! Dévoré du désir qui te poussait vers Celui qui t’aimait véritablement, tu disais : Ce n’est point un feu matériel qui brûle dans ma poitrine, c’est bien plutôt une eau vive qui inonde mon âme et qui dit en moi : Viens au Père. C’est pourquoi, enflammé du divin Esprit, tu as irrité les bêtes, pour être plus tôt séparé du monde et rendu avec le Christ que tu aimais ; prie-le de sauver nos âmes.
O pain glorieux et pur du Christ votre Maître ! Vous avez donc obtenu l’effet de vos désirs ! Rome tout entière, assise sur les degrés du superbe amphithéâtre, applaudissait, avec une joie féroce, au déchirement de vos membres ; mais tandis que vos ossements sacrés étaient broyés sous la dent des lions, votre âme, heureuse de rendre au Christ vie pour vie, s’élançait d’un trait jusqu’à lui. Votre félicité suprême était de souffrir, parce que la souffrance vous semblait une dette contractée envers le Crucifié ; et vous ne désiriez son Royaume qu’après avoir donné en retour de sa Passion les tourments de votre chair. Que votre gloire est éclatante, dans la compagnie d’Etienne, de Sébastien, de Vincent, d’Agnès, et que votre palme est belle auprès du berceau de l’Emmanuel ! Prenez pitié de notre faiblesse, ô Martyr ! Obtenez-nous d’être du moins fidèles à notre Sauveur, en face du démon, de la chair et du monde ; de donner notre cœur à son amour, si nous ne sommes appelés à donner notre corps aux tourments pour son Nom. Choisi dans vos premières années par ce Sauveur, pour servir de modèle au chrétien par l’innocence de votre enfance, vous avez conservé cette candeur si précieuse sous vos cheveux blancs ; demandez au Christ, le Roi des enfants, que cette heureuse simplicité demeure toujours en nous, comme le fruit des mystères que nous célébrons.
Successeur de Pierre à Antioche, priez pour les Églises de votre Patriarcat ; rappelez-les à la vraie foi et à l’unité catholique. Soutenez l’Église Romaine que vous avez arrosée de votre sang, et qui est rentrée en possession de vos reliques sacrées, de ces ossements que la dent des lions n’avait pu broyer entièrement. Veillez sur le maintien de la discipline et de la subordination ecclésiastiques, dont vous avez tracé de si belles règles dans vos immortelles Épîtres ; resserrez, par le sentiment du devoir et de la charité, les liens qui doivent unir tous les degrés de la hiérarchie, afin que l’Église de Dieu soit belle d’unité, et terrible aux ennemis de Dieu, comme une armée rangée en bataille.
La fête de saint Ignace dans le Missel romain réalise le vœu suprême du martyr, qui, écrivant aux Romains, souhaitait que la nouvelle de son témoignage leur arrivât au moment même où serait préparé l’autel pour le sacrifice, afin qu’en chœur ils pussent tous élever une hymne d’action de grâces à Dieu, pour avoir, de la ville des Césars et du sanglant amphithéâtre de Rome, daigné appeler à Lui 1’ « Évêque de la Syrie ». Ignace fut déchiré par les lions le 17 octobre entre les années 110 et 118, mais dans le bas moyen âge sa mémoire fut assignée chez les Latins à ce jour. Le nom du magnanime évêque fut inséré dans les diptyques de la messe dès l’antiquité la plus reculée, mais comme il en fut pour tous les martyrs des deux premiers siècles, on n’en célébra que très tard un office spécial. Pie IX éleva la fête de saint Ignace au rite double.
L’Église romaine commémore chaque jour le nom d’Ignace dans ce qu’on appelle la Grande intercession, avant le Pater, sans que d’ailleurs les sacramentaires du moyen âge indiquent aucune station ou synaxe quelconque en l’honneur d’Ignace. La raison en est claire : la base matérielle de ce culte liturgique, la tombe, manquait.
L’identification de l’amphithéâtre où saint Ignace, à Rome, fut exposé aux bêtes féroces, avec celui de Vespasien Flavius, est très probable, mais ne peut être absolument prouvée, puisque la cité impériale avait alors plusieurs amphithéâtres. Quant au culte spécial attribué au martyr dans la basilique de Saint-Clément, où une tardive tradition veut précisément qu’ait été enseveli le grand évêque d’Antioche, le premier document qui en parle ne remonte pas au delà du début du XIIe siècle, et c’est l’inscription tracée sous la mosaïque de l’abside, où il est seulement question d’une petite relique de saint Ignace, cachée dans le mur sur lequel était représenté le Crucifix :
+ DE • LIGNO • CRVCIS • IACOBI • DENTE • IGNATIIQVE
IN • SVPRASCRIPTI • REQVIESCVNT • CORPORE • CHRISTI
L’antienne pour l’introït est tirée de la lettre de saint Paul aux Galates (VI, 14) : « Qu’il n’arrive jamais que je me glorifie, sinon dans la Croix de Jésus-Christ notre Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi je le suis au monde. » Suit le psaume 131.
La collecte est celle du Commun des martyrs pontifes.
L’épître du martyr à l’Église romaine, « Présidente de la société de l’amour » comme il l’appelle, fut sûrement lue au IIe siècle dans l’assemblée des fidèles de Rome avant le divin Sacrifice, à ce moment de l’Action sacrée. La discipline liturgique ne permet plus maintenant une semblable liberté, et c’est pourquoi aujourd’hui on récite à sa place un passage de l’épître de saint Paul aux Romains, tout semblable, il est vrai, au style énergique du martyr antiochien, lequel soupire après le moment où les bêtes féroces feront de lui la victime du Christ. Il semble justement que saint Paul ait inspiré l’admirable passage correspondant de saint Ignace.
Saint Paul (Rom., VIII, 35-39) tout enflammé d’amour en considérant celui que Dieu nous a prouvé en nous donnant Jésus crucifié, se sent uni à lui si fermement, moyennant la vertu surnaturelle de charité, qu’il s’écrie, dans la véhémence d’un saint enthousiasme : quelle chose pourra jamais me séparer du Christ ? Ni la persécution, ni la mort ; bien plus, l’éternité même ne pourra m’éloigner de Dieu, dont le sceau d’ineffable amour est précisément mon Seigneur crucifié. — Ainsi auparavant avait-il anticipé cette stabilité et cette confirmation en grâce, à laquelle fait suite, dans le ciel, la vision béatifique, en méprisant généreusement les dures épreuves de l’apostolat et le glaive du martyre qu’il prévoyait déjà proche.
Le verset alléluiatique, pour la fête de cette âme éprise de la Croix, est tiré de l’épître aux Galates (II, 19-20) : « Je suis cloué à la croix avec le Christ ; je vis donc, mais non plus moi : car c’est bien le Christ qui vit en moi. »
Voilà donc le secret de tant de labeurs et d’austérités que se sont imposés les saints : ce n’était pas tant eux-mêmes qui vivaient, que Jésus continuant en eux le mystère de sa croix pour la rédemption du monde. C’est une belle pensée, qui, bien méditée, devrait nous inspirer un profond respect pour cette vie mystique que le Sauveur veut mener en chaque âme chrétienne, mais particulièrement en celles qui lui sont consacrées d’une façon spéciale, comme les prêtres et les religieux.
Après la Septuagésime, au lieu du verset alléluiatique, on dit le trait.
La lecture évangélique (Ioann., XII, 24-26) est commune, en partie, au samedi avant le dimanche des Rameaux. Jésus y compare la vie chrétienne à un grain de blé qui, pour germer, doit d’abord pourrir en terre. Un tel exemple s’adapte fort bien à la fête de saint Ignace qui, s’inspirant précisément de cette image évangélique, et peut-être aussi d’un passage de la Didaché, écrivait : Je suis le froment du Christ. Ah ! puisse-je être broyé sous les dents des lions, pour devenir un pain blanc.
L’antienne du psaume qu’on chantait durant la distribution de la communion rappelle le dernier cri du martyr quand, dans le cirque, il entendait déjà les rugissements des lions frémissants : « Je suis comme le froment du Christ. Puisse-je être broyé sous les dents des bêtes féroces pour devenir un pain blanc. »
Ce cri suprême d’Ignace trouva un profond écho dans l’Église, et saint Irénée de Lyon le rappelle lui aussi : Quemadmodum quidam de nostris dixit, profiter martyrium in Deum adiudicatus ad bestias : Quoniam frumentum sum Christi, et per dentes bestiarum molar, ut mundus panis Deo inveniar [1].
La vertu le plus en rapport avec la fête de saint Ignace et que, en ce jour, nous devons implorer par son intercession, est un fidèle attachement à l’Église et à sa hiérarchie. C’est la pensée sur laquelle revient avec le plus d’insistance le grand martyr dans toutes ses épîtres : II ne peut y avoir d’Église là où n’est pas acceptée la légitime autorité de l’évêque, des prêtres et des diacres. Or comme l’hérésie, quelque occulte qu’elle soit, implique toujours l’insubordination envers les maîtres et les pasteurs, les fidèles ont donc, dans l’intime communion avec la hiérarchie établie par Jésus-Christ, un moyen aussi facile qu’assuré d’échapper à toutes les menées trompeuses des novateurs.
Je suis le froment du Christ.
Saint Ignace. — Jour de mort : le 17 octobre entre 110 et 118. Tombeau : à Antioche. Sa vie : le martyrologe relate : « A Rome, saint Ignace évêque et martyr, il fut le second successeur de l’Apôtre saint Pierre sur le siège d’Antioche ; pendant la persécution de Trajan, il fut condamné aux bêtes et amené enchaîné à Rome. Là, il fut, sur l’ordre de Trajan, exposé, devant le Sénat, aux peines les plus cruelles et ensuite jeté aux lions. Dévoré par leurs dents, il fut une victime pour le Christ. »
Parmi les héros de la primitive Église, saint Ignace est au premier rang. Son voyage pour le martyre est un voyage nuptial et en même temps un chemin de Croix ; les sept lettres qu’il écrivit, pendant ce voyage, sont, pour ainsi dire, sept stations du chemin de la Croix ; mais chacune est comme un chant nuptial où le saint martyr exhale son amour pour le Christ et son ardent désir d’être uni à lui. Ces lettres sont l’un des legs les plus précieux que nous ait laissé la primitive Église. La date de son martyre est inconnue. Peut-être mourut-il pendant les fêtes de victoire où Trajan offrit, pour amuser la populace sanguinaire, la vie de dix mille gladiateurs et celle de onze mille bêtes sauvages. C’est sans doute dans l’immense Colisée, qui venait d’être achevé et qui brillait de tout l’éclat de l’or et du marbre, que notre saint remporta la victoire du martyre.
La liturgie romaine honore particulièrement la mémoire de saint Ignace en nommant chaque jour son nom au Canon de la messe avec respect, et en choisissant une parole de ce saint — honneur rare — comme antienne de Communion. « Depuis la Syrie jusqu’à Rome, j’ai à lutter contre les bêtes sauvages sur terre et sur mer, car, nuit et jour, je suis enchaîné avec dix léopards, c’est-à-dire, avec les soldats qui me gardent et qui sont d’autant plus méchants qu’on leur fait plus de bien. Leurs mauvais traitements sont pour moi une instruction, mais malgré cela je suis encore loin d’être justifié. Oh ! si j’étais déjà arrivé auprès des ; bêtes sauvages qui me sont destinées ! Je les prierai de se hâter de me donner la mort et d’accélérer mon exécution. Je les exciterai à me dévorer, afin qu’elles ne fassent pas comme avec d’autres martyrs, en s’abstenant de toucher à mon corps. Si elles ne veulent pas se précipiter sur moi, je les forcerai à m’attaquer et à me dévorer. Mes petits enfants, pardonnez-moi ces paroles, je sais bien ce qui me convient. Maintenant. je commence à devenir un disciple du Christ, je ne désire plus rien de visible afin de trouver Jésus. Le feu, la croix, les bêtes féroces, la rupture de mes membres, l’écrasement de tout mon corps et les tourments du diable peuvent venir, pourvu que je parvienne au Christ. » Quand notre saint eut été condamné à combattre contre les bêtes féroces et que, plein d’ardeur pour le martyre, il entendit le rugissement des lions, il s’écria : « je suis le froment du Christ, je serai broyé par la dent des bêtes afin d’être trouvé un pain pur (du Christ) » (Comm.).
La messe (Mihi autem). — La messe a été composée spécialement pour saint Ignace et reflète sa vie. La marque caractéristique de sa vie est l’ardent amour de la Croix, c’est pourquoi la plupart des textes de la messe parlent de l’amour pour le Christ. Dès l’Introït, nous nous chargeons joyeusement de la Croix ou plutôt nous prenons place sur la Croix avec le Christ. L’Épître est le sublime passage de la lettre aux Romains, où saint Paul proclame son amour pour le Christ : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Les tribulations, le besoin, la faim, la nudité, le danger, la persécution ou le glaive ? » Quel bel accent a le verset de l’Alléluia : « Avec le Christ, je suis attaché à la Croix, c’est pourquoi ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi ! » Cette belle parole est encadrée par l’Alléluia. Mais ce qu’il y a de plus beau dans la messe, c’est l’image du grain de froment. Cette image se retrouve dans toute la messe, dans l’Évangile comme parabole, à l’Offrande sous l’aspect de l’hostie faite de pur froment, à la Communion dans les paroles même de saint Ignace. A l’Évangile, c’est tout d’abord le Christ qui est le grain de froment. On lit dans le bréviaire d’aujourd’hui : « Le Seigneur Jésus était lui-même le grain de froment qui devait mourir et se multiplier, mourir par l’incrédulité des Juifs, se multiplier par la foi des peuples. Et il nous exhorte tous à marcher sur les traces de sa Passion. Celui qui aime sa vie la perdra » (Saint Augustin). Par la mort de ce grain de froment s’est produit un gros épi (le corps mystique, l’Église). Chaque chrétien à son tour devient un grain de froment qui mûrit et en même temps est moulu dans le martyre. Nous aussi, nous sommes ce grain de froment. A la Communion, la parole de saint Ignace : je suis le froment du Christ, s’applique non seulement au saint martyr, mais à nous aussi. Chacun de nous doit être moulu. Qu’est-ce qui sera pour nous la dent des bêtes ? Seront-ce les persécutions, les souffrances, les hommes ? Il est certain que le grain de froment doit mourir, soit qu’il soit enfoui en terre pour devenir un nouveau germe, soit qu’il soit moulu pour devenir du pain. Telle est notre tâche dans la vie : mourir au monde, à la chair, à l’homme inférieur.
Les lettres du saint. — Que ceux de nos lecteurs qui peuvent se procurer les sept lettres de saint Ignace, en lisent l’une ou l’autre, aujourd’hui et les jours suivants, et les considèrent comme des conseils que leur adresse personnellement le vieil évêque. La lettre aux Romains, spécialement, respire un ardent désir de la palme du martyre. Saint Ignace supplie les Romains de ne rien entreprendre pour sa délivrance. Möhler appelle cette lettre « ce qu’il y a de plus charmant dans la littérature chrétienne ». Une pensée revient sans cesse, dans toutes les lettres : l’exhortation à la concorde et à l’unité, dans la communauté chrétienne. Pour nous, amis de la liturgie, l’étude de ces lettres est particulièrement importante, on y sent le souffle de cet esprit chrétien antique qui a créé la liturgie. Nous devons nous approprier cet esprit afin de parvenir à la piété liturgique.
Comme nous l’avons déjà fait mercredi, nous parlons des personnalités de l’Église naissante. La semaine dernière, nous avons parlé du Pape Clément I, troisième Successeur de saint Pierre. Aujourd’hui, nous parlons de saint Ignace, qui a été le troisième Évêque d’Antioche, de 70 à 107, date de son martyre. A cette époque, Rome, Alexandrie et Antioche étaient les trois grandes métropoles de l’empire romain. Le Concile de Nicée parle de trois "primats" : celui de Rome, mais Alexandrie et Antioche également participent, d’une certaine manière, à un "primat". Saint Ignace était Évêque d’Antioche, qui se trouve aujourd’hui en Turquie. Là, à Antioche, comme nous l’apprenons des Actes des Apôtres, se développa une communauté chrétienne florissante : le premier Évêque fut l’apôtre Pierre - c’est ce que nous rapporte la tradition - et là, "pour la première fois, les disciples reçurent le nom de chrétiens"(Ac 11, 26). Eusèbe de Césarée, un historien du IV siècle, consacre un chapitre entier de son Histoire ecclésiastique à la vie et à l’œuvre littéraire d’Ignace (3, 36). "De Syrie", écrit-il, "Ignace fut envoyé à Rome pour être livré en pâture aux bêtes sauvages, à cause du témoignage qu’il avait rendu du Christ. En accomplissant son voyage à travers l’Asie, sous la surveillance sévère des gardes" (qu’il appelle les "dix léopards" dans sa Lettre aux Romains, 5, 1), "dans toutes les villes où il s’arrêtait, à travers des prédications et des avertissements, il renforçait les Églises ; et surtout, il exhortait, avec la plus grande vigueur, à se garder des hérésies, qui commençaient alors à se multiplier, et recommandait de ne pas se détacher de la tradition apostolique". La première étape du voyage d’Ignace vers le martyre fut la ville de Smyrne, où était Évêque saint Polycarpe, disciple de saint Jean. Ici, Ignace écrivit quatre lettres, respectivement aux Églises d’Éphèse, de Magnésie, de Tralles et de Rome. "Parti de Smyrne", poursuit Eusèbe "Ignace arriva à Troade, et de là, envoya de nouvelles lettres" : deux aux Églises de Philadelphie et de Smyrne, et une à l’Évêque Polycarpe. Eusèbe complète ainsi la liste des lettres, qui nous sont parvenues de l’Église du premier siècle comme un trésor précieux. En lisant ces textes, on sent la fraîcheur de la foi de la génération qui avait encore connu les Apôtres. On perçoit également dans ces lettres l’amour ardent d’un saint. Enfin, de Troade, le martyr arriva à Rome où, dans l’amphithéâtre Flavien, il fut livré aux bêtes féroces.
Aucun Père de l’Église n’a exprimé avec autant d’intensité qu’Ignace l’ardent désir d’union avec le Christ et de vie en Lui. C’est pourquoi nous avons lu le passage de l’Évangile sur la vigne qui, selon l’Évangile de Jean, est Jésus. En réalité, en Ignace confluent deux "courants" spirituels : celui de Paul, entièrement tendu vers l’union avec le Christ, et celui de Jean, concentré sur la vie en Lui. A leur tour, ces deux courants débouchent sur l’imitation du Christ, proclamé plusieurs fois par Ignace comme "mon" ou "notre Dieu". Ainsi, Ignace supplie les chrétiens de Rome de ne pas empêcher son martyre, car il est impatient d’être "uni au Christ". Et il explique : "Il est beau pour moi de mourir en allant vers (eis) Jésus Christ, plutôt que de régner jusqu’aux confins de la terre. Je le cherche lui, qui est mort pour moi, je le veux lui, qui est ressuscité pour moi... Laissez-moi imiter la Passion de mon Dieu !" (Romains 5, 6). On peut saisir dans ces expressions ardentes d’amour le "réalisme" christologique prononcé, typique de l’Église d’Antioche, plus que jamais attentive à l’incarnation du Fils de Dieu et à son humanité véritable et concrète : Jésus Christ, écrit Ignace aux Smyrniotes, "est réellement de la souche de David", "il est réellement né d’une vierge", "il fut réellement cloué pour nous" (1, 1).
L’irrésistible aspiration d’Ignace vers l’union au Christ donne naissance à une véritable "mystique de l’unité". Lui-même se définit comme "un homme auquel est confié le devoir de l’unité" (Philadelphiens, 8, 1). Pour Ignace, l’unité est avant tout une prérogative de Dieu qui, existant dans trois personnes, est Un dans l’unité absolue. Il répète souvent que Dieu est unité, et que ce n’est qu’en Dieu que celle-ci se trouve à l’état pur et originel. L’unité à réaliser sur cette terre de la part des chrétiens n’est qu’une imitation, la plus conforme possible à l’archétype divin. De cette façon, Ignace arrive à élaborer une vision de l’Église qui rappelle de près certaines des expressions de la Lettre aux Corinthiens de Clément l’Évêque de Rome. "Il est bon pour vous", écrit-il par exemple aux chrétiens d’Éphèse, "de procéder ensemble en accord avec la pensée de l’Évêque, chose que vous faites déjà. En effet, votre collège des prêtres, à juste titre célèbre, digne de Dieu, est si harmonieusement uni à l’Évêque comme les cordes à la cithare. C’est pourquoi Jésus Christ est chanté dans votre concorde et dans votre amour symphonique. Et ainsi, un par un, vous devenez un chœur, afin que dans la symphonie de la concorde, après avoir pris le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix" (4, 1-2). Et après avoir recommandé aux Smyrniotes de ne "rien entreprendre qui concerne l’Église sans l’évêque" (8, 1), confie à Polycarpe : "J’offre ma vie pour ceux qui sont soumis à l’Évêque, aux prêtres et aux diacres. Puissé-je avec eux être uni à Dieu. Travaillez ensemble les uns pour les autres, luttez ensemble, courez ensemble, souffrez ensemble, dormez et veillez ensemble comme administrateurs de Dieu, ses assesseurs et ses serviteurs. Cherchez à plaire à Celui pour lequel vous militez et dont vous recevez la récompense. Qu’aucun de nous ne soit jamais surpris déserteur. Que votre baptême demeure comme un bouclier, la foi comme un casque, la charité comme une lance, la patience comme une armure" (6, 1-2).
D’une manière générale, on peut percevoir dans les Lettres d’Ignace une sorte de dialectique constante et féconde entre les deux aspects caractéristiques de la vie chrétienne : d’une part, la structure hiérarchique de la communauté ecclésiale, et de l’autre, l’unité fondamentale qui lie entre eux les fidèles dans le Christ. Par conséquent, les rôles ne peuvent pas s’opposer. Au contraire, l’insistance sur la communauté des croyants entre eux et avec leurs pasteurs est continuellement reformulée à travers des images et des analogies éloquentes : la cithare, la corde, l’intonation, le concert, la symphonie. La responsabilité particulière des Évêques, des prêtres et des diacres dans l’édification de la communauté est évidente. C’est d’abord pour eux que vaut l’invitation à l’amour et à l’unité. "Ne soyez qu’un", écrit Ignace aux Magnésiens, en reprenant la prière de Jésus lors de la Dernière Cène : "Une seule supplique, un seul esprit, une seule espérance dans l’amour ; accourez tous à Jésus Christ comme à l’unique temple de Dieu, comme à l’unique autel ; il est un, et procédant du Père unique, il est demeuré uni à Lui, et il est retourné à Lui dans l’unité" (7, 1-2). Ignace, le premier dans la littérature chrétienne, attribue à l’Église l’adjectif de "catholique", c’est-à-dire "universelle" : "Là où est Jésus Christ", affirme-t-il, "là est l’Église catholique" (Smyrn. 8, 2). Et c’est précisément dans le service d’unité à l’Église catholique que la communauté chrétienne de Rome exerce une sorte de primat dans l’amour : "A Rome, celle-ci préside, digne de Dieu, vénérable, digne d’être appelée bienheureuse... Elle préside à la charité, qui reçoit du Christ la loi et porte le nom du Père" (Romains, prologue).
Comme on le voit, Ignace est véritablement le "docteur de l’unité" : unité de Dieu et unité du Christ (au mépris des diverses hérésies qui commençaient à circuler et divisaient l’homme et Dieu dans le Christ), unité de l’Église, unité des fidèles "dans la foi et dans la charité, par rapport auxquelles il n’y a rien de plus excellent" (Smyrn. 6, 1). En définitive, le "réalisme" d’Ignace invite les fidèles d’hier et d’aujourd’hui, il nous invite tous à une synthèse progressive entre la configuration au Christ (union avec lui, vie en lui) et le dévouement à son Église (unité avec l’Évêque, service généreux de la communauté et du monde). Bref, il faut parvenir à une synthèse entre communion de l’Église à l’intérieur d’elle-même et mission proclamation de l’Évangile pour les autres, jusqu’à ce que, à travers une dimension, l’autre parle, et que les croyants soient toujours davantage "dans la possession de l’esprit indivis, qui est Jésus Christ lui-même" (Magn. 15). En implorant du Seigneur cette "grâce de l’unité", et dans la conviction de présider à la charité de toute l’Église (cf. Romains, prologue), je vous adresse le même souhait que celui qui conclut la lettre d’Ignace aux chrétiens de Tralles : "Aimez-vous l’un l’autre avec un cœur non divisé. Mon esprit s’offre en sacrifice pour vous, non seulement à présent, mais également lorsqu’il aura rejoint Dieu... Dans le Christ, puissiez-vous être trouvés sans tache" (13). Et nous prions afin que le Seigneur nous aide à atteindre cette unité et à être enfin trouvés sans tache, car c’est l’amour qui purifie les âmes. © Copyright 2006 - Libreria Editrice Vaticana
[1] Adv. Haeres., v. 28, 4., P. G., VII, col. 1200-01.