Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Benoît XVI, catéchèses, 11 mars 2009 |
Né vers 680, mort martyr en 755. Culte immédiat. Fête étendue à l’Église en 1874.
Ant. ad Introitum. Is. 65, 19 et 23. | Introït |
Exsultábo in Ierúsalem et gaudébo in pópulo meo : et non audiétur in eo ultra vos fletus et vox clamóris. Elécti mei non laborábunt frustra neque generábunt in conturbatióne : quia semen benedictórum Dómini est, et nepótes eórum cum eis. (T.P. Allelúia, allelúia.) | Je mettrai mon allégresse dans Jérusalem et ma joie dans mon peuple : et on n’entendra plus le bruit des pleurs ni le bruit des cris. Mes élus ne travailleront point en vain, et ils n’engendreront point pour le trouble ; car ils seront une race bénie du Seigneur, et leurs petits-enfants seront avec eux. (T.P. Alléluia, alléluia.) |
Ps. 43, 2. | |
Deus, áuribus nostris audívimus : patres nostri narravérunt opus, quod operátus es in diébus eórum. | O Dieu, nous avons entendu de nos oreilles ; nos pères nous ont annoncé l’œuvre que vous avez faite en leurs jours. |
V/. Glória Patri. | |
Oratio. | Collecte |
Deus, qui multitúdinem populórum, beáti Bonifátii Mártyris tui atque Pontíficis zelo, ad agnitiónem tui nóminis vocáre dignátus es : concéde propítius ; ut, cuius sollémnia cólimus, étiam patrocínia sentiámus. Per Dóminum nostrum. | O Dieu, qui avez daigné appeler une multitude de peuples à la connaissance de votre nom par le zèle du bienheureux Boniface, votre Martyr et Pontife, accordez-nous, dans votre bonté, que, célébrant sa fête, nous ressentions les effets de sa protection. |
Léctio libri Sapiéntiæ. | Lecture du livre de la Sagesse. |
Eccli. 44, 1-15. | |
Laudémus viros gloriósos et paréntes nostros in generatióne sua. Multam glóriam fecit Dóminus magnificéntia sua a sǽculo. Dominántes in potestátibus suis, hómines magni virtúte et prudéntia sua pr.diti, nuntiántes in prophétis dignitátem prophetárum, et imperántes in præsénti pópulo, et virtúte prudéntiæ pópulis sanctíssima verba. In perítia sua requiréntes modos músicos, et narrántes cármina scripturárum. Hómines dívites in virtúte, pulchritúdinis stúdium habéntes : pacificántes in dómibus suis. Omnes isti in generatiónibus gentis suæ glóriam adépti sunt, et in diébus suis habéntur in láudibus. Qui de illis nati sunt, reliquérunt nomen narrándi laudes eórum. Et sunt, quorum non est memória : periérunt, quasi qui non fúerint : et nati sunt, quasi non nati, et fílii ipsórum cum ipsis. Sed illi viri misericórdiæ sunt, quorum pietátes non defuérunt : cum semine eórum pérmanent bona, heréditas sancta nepótes eórum, et in testaméntis stetit semen eórum : et fílii eórum propter illos usque in ætérnum manent : semen eórum et glória eórum non derelinquétur. Córpora ipsórum in pace sepúlta sunt, et nomen eórum vivit in generatiónem et generatiónem. Sapiéntiam ipsórum narrent pópuli, et laudem eórum núntiet Ecclésia. | Louons ces hommes illustres, nos pères dont nous sommes la race. Le Seigneur a opéré beaucoup de merveilles, et signalé sa puissance dès le commencement. Ils ont dominé dans leurs États ; ils ont été des hommes grands en puissance et doués de prudence ; les prédictions qu’ils ont annoncées leur ont acquis la dignité de prophètes ; ils ont commandé au peuple de leur temps, et les nations ont reçu de la solidité de leur sagesse des paroles toutes saintes ; ils ont inventé par leur habileté des accords harmonieux, et ils ont publié les cantiques des Écritures ; ils ont été riches en vertu, ils ont eu le goût de la beauté, et ils ont établi la paix dans leurs maisons. Ils ont tous acquis la gloire parmi les générations de leur peuple, et de leur temps ils ont été loués. Ceux qui sont nés d’eux ont laissé un nom qui fait publier leur louange. Il en est d’autres dont on a perdu le souvenir ; ils ont péri comme s’ils n’avaient jamais existé ; ils sont nés comme s’ils n’étaient jamais nés, eux et leurs enfants. Quant aux premiers, ce sont des hommes de miséricorde, dont les œuvres de piété subsistent à jamais. Les biens qu’ils ont laissés demeurent à leur postérité ; leurs descendants sont un saint héritage, et leur race demeurée fidèle à l’alliance ; à cause d’eux, leurs fils subsistent éternellement, et ni leur race ni leur gloire n’aura de fin. Leurs corps ont été ensevelis en paix, et leur nom vivra de génération en génération. Que les peuples racontent leur sagesse, et que l’assemblée publie leurs louanges. |
Graduale. 1. Petri 4, 13-14. | Graduel |
Communicántes Christi passiónibus gaudéte, ut in revelatióne glóriæ eius gaudeátis exsultántes. | Parce que vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lorsque sa gloire sera manifestée, vous soyez aussi dans la joie et l’allégresse. |
V/. Si exprobrámini in nómine Christi, beáti éritis : quóniam, quod est honóris, glóriæ et virtútis Dei, et qui est eius Spíritus, super vos requiéscet. | V/. Si vous recevez des injures pour le nom du Christ, vous êtes bienheureux parce que l’honneur, la gloire et la puissance de Dieu, ainsi que l’Esprit de Dieu reposent sur vous. |
Allelúia, allelúia. V/. Is. 66, 12. Declinábo super eum quasi flúvium pacis, et quasi torréntem inundántem glóriam. Allelúia. | Allelúia, allelúia. V/. Je ferai couler sur elle comme un fleuve de paix et la gloire comme un torrent qui déborde. Alléluia. |
Tempore paschali omittitur graduale, et eius loco dicitur : | Pendant le temps pascal, on omet le graduel et à sa place on dit : |
Allelúia, allelúia. V/. Is. 66, 10 et 14. Lætámini cum Ierúsalem, et exsultáte in ea, omnes, qui dilígitis Dóminum. | Allelúia, allelúia. V/. Réjouissez-vous avec Jérusalem, et soyez dans l’allégresse avec elle, vous tous qui aimez le Seigneur |
Allelúia. V/. Vidébitis, et gaudébit cor vestrum : cognoscétur manus Dómini servis eius. Allelúia. | Allelúia. V/. Vous le verrez et votre cœur sera dans la joie ; la main de Dieu se manifestera en faveur de ses serviteurs. Alléluia. |
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Matthǽum. | Lecture du Saint Evangile selon saint Mathieu. |
Matth. 5, 1-12. | |
In illo témpore : Videns Iesus turbas, ascéndit in montem, et cum sedísset, accessérunt ad eum discípuli eius, et apériens os suum, docébat eos, dicens : Beáti páuperes spíritu : quóniam ipsórum est regnum cælórum. Beáti mites : quóniam ipsi possidébunt terram. Beáti, qui lugent : quóniam ipsi consolabúntur. Beáti, qui esúriunt et sítiunt iustítiam : quóniam ipsi saturabúntur. Beáti misericórdes : quóniam ipsi misericórdiam consequántur. Beáti mundo corde : quóniam ipsi Deum vidébunt. Beáti pacífici : quóniam fílii Dei vocabúntur. Beáti, qui persecutiónem patiúntur propter iustítiam : quóniam ipsórum est regnum cælórum. Beáti estis, cum maledíxerint vobis, et persecúti vos fúerint, et díxerint omne malum advérsum vos, mentiéntes, propter me : gaudete et exsultáte, quóniam merces vestra copiósa est in cælis. | En ce temps-là : Jésus, voyant les foules, monta sur la montagne, et lorsqu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, prenant la parole, il se mit à les enseigner, en disant : "Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! Heureux ceux qui sont affligés, car ils seront consolés ! Heureux ceux qui sont doux, car ils posséderont la terre ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! Heureux les pacifiques, car ils seront appelés enfants de Dieu ! Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous, lorsqu’on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense est grande dans les cieux. |
Ant. ad Offertorium. Ps. 15, 7 et 8. | Offertoire |
Benedícam Dóminum, qui tríbuit mihi intelléctum : providébam Deum in conspéctu meo semper, quóniam a dextris est mihi ne commóvear. (T.P. Allelúia.) | Je bénirai le Seigneur, qui m’a donné l’intelligence : je prenais soin d’avoir toujours le Seigneur devant mes yeux ; car il est à ma droite, pour que je ne sois pas ébranlé. (T.P. Alléluia.) |
Secreta | Secrète |
Super has hóstias. Dómine, quæsumus, benedíctio copiósa descéndat : quæ et sanctificatiónem nostram misericórditer operátur ; et de sancti Bonifátii Mártyris tui atque Pontíficis fáciat sollemnitáte gaudére. Per Dóminum nostrum. | Nous vous en supplions, Seigneur, qu’une abondante bénédiction descende sur ces hosties ; et qu’elle opère en nous, par votre miséricorde, la sanctification, et qu’elle nous fasse nous réjouir au sujet de la solennité de Saint Boniface, votre Martyr et Pontife. |
Ant. ad Communionem. Apoc. 3, 21. | Communion |
Qui vícerit, dabo ei sedére mecum in throno meo : sicut et ego vici et sedi cum Patre meo in throno eius. (T.P. Allelúia.) | Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, de même que moi aussi j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. (T.P. Alléluia.) |
Postcommunio | Postcommunion |
Sanctificati, Dómine, salutári mysterio : quæsumus ; ut nobis sancti Bonifátii Martyris tui atque Pontíficis pia non desit orátio, cuius nos donásti patrocínio gubernari. Per Dóminum. | Sanctifiés par ce mystère de salut, nous vous demandons, Seigneur, qu’elle ne nous fasse point défaut l’intercession bienveillante de Saint Boniface, votre Martyr et Pontife, au patronage de qui vous nous avez confiés pour être guidés. |
Leçons des Matines avant 1960
Quatrième leçon. Boniface, nommé d’abord Winfrid, naquit en Angleterre, à la fin du septième siècle. Dès son enfance, il n’eut que de l’éloignement pour le monde, et tourna ses vœux vers la vie monastique. Son père ayant tenté vainement de changer sa résolution en faisant valoir à ses yeux les attraits du siècle, il entra dans un monastère, et, sous la direction du bienheureux Wolfard, se forma à toute espèce de vertus et de sciences. A l’âge de trente ans il reçut le caractère sacerdotal. Prédicateur assidu de la parole divine, il n’était animé, dans cette fonction, que du désir de gagner des âmes. Ayant à cœur de voir s’étendre le règne de Jésus-Christ, il ne cessait de pleurer en pensant à la multitude de barbares qui, plongés dans l’ignorance, étaient asservis au démon. Comme ce zèle des âmes s’accroissait de jour en jour avec une ardeur inextinguible, il consulta la volonté divine par des prières accompagnées de larmes, et obtint du supérieur du monastère la permission de partir pour les rivages de la Germanie.
Cinquième leçon. Quittant l’Angleterre en bateau avec deux compagnons, il vint à la ville de Doreste en Frise ; mais comme une guerre très violente s’était déclarée entre Radbod, roi des Frisons, et Charles Martel, il prêcha l’Évangile sans résultat ; il revint donc en Angleterre, et retourna dans son monastère, au gouvernement duquel on l’éleva malgré lui. Deux ans après, il abdiqua sa charge du consentement de l’Évêque de Winchester, et partit pour Rome, afin que l’autorité apostolique le déléguât à la conversion des Gentils. Arrivé à Rome, Grégoire II le reçut avec bonté et changea son nom de Winfrid en celui de Boniface. Envoyé en Germanie, il annonça le Christ aux peuples de la Thuringe et de la Saxe ; et comme pendant ce temps-là le roi des Frisons, Radbod, ennemi acharné du nom chrétien, était mort, Boniface se dirigea de nouveau vers la Frise, où, en compagnie de saint Willibrod, il prêcha durant trois ans l’Évangile avec tant de fruit, que, les statues des idoles ayant été détruites, d’innombrables églises furent élevées au vrai Dieu.
Sixième leçon. Sollicité par saint Willibrod pour qu’il acceptât la dignité épiscopale, il s’y refusa afin de travailler plus librement et plus activement au salut des infidèles. S’étant avancé en Germanie, il détourna plusieurs milliers de Hessois du culte du démon. Appelé à Rome par le Pape Grégoire, il fut sacré Évêque, après avoir fait une admirable profession de foi. De là, il retourna vers les peuples germains et délivra presque entièrement la Hesse et la Thuringe des restes de l’idolâtrie. De si grand mérites valurent à Boniface d’être élevé par Grégoire III à la dignité archiépiscopale. S’étant rendu à Rome pour la troisième fois, il fut nommé par le souverain Pontife légat du Siège apostolique. Revêtu de cette autorité, il fonda quatre évêchés et réunit plusieurs synodes, parmi lesquels le mémorable concile de Leptines, dans le diocèse de Cambrai, en Belgique, et contribua alors puissamment à augmenter la foi parmi les Belges. Créé Archevêque de Mayence par le Pape Zacharie, il sacra par l’ordre du même Pontife, Pépin, roi des Francs. Après la mort de saint Willibrod, l’Église d’Utrecht lui fut confiée et il la gouverna d’abord par l’intermédiaire d’Eoban, ensuite par lui-même, lorsque, déchargé de l’Église de Mayence, il vint se fixer à Utrecht. Les Frisons étant retombés dans l’idolâtrie, il entreprit de nouveau de leur prêcher l’Évangile. Comme il était occupé de ce devoir pastoral, des hommes barbares et impies l’attaquèrent aux bords de la Burda. Enveloppé dans un sanglant massacre avec Eoban, associé à son épiscopat, et beaucoup d’autres, il eut comme eux les honneurs de la palme du martyre. Le corps de saint Boniface fut transporté à Mayence, puis enseveli, comme il l’avait demandé de son vivant, dans le monastère de Fulde, fondé par lui et devenu illustre par les nombreux miracles de ce Saint. Le souverain Pontife Pie IX a étendu son Office et sa Messe à l’Église universelle.
Le Fils de l’homme, proclamé Roi dans les hauteurs des cieux au jour de son Ascension triomphante, laisse à l’Épouse qu’il s’est donnée le soin et la gloire de faire reconnaître ici-bas son domaine souverain. La Pentecôte est le signal des conquêtes de l’Église ; c’est alors qu’elle s’éveille au souffle de l’Esprit-Saint ; toute remplie de cet Esprit d’amour, elle aspire comme lui aussitôt à posséder la terre. Les Anglo-Saxons et les Francs viennent de prêter en ses mains leur serment de foi et hommage au Christ, à qui toute puissance fut donnée sur la terre et au ciel [1]. Winfrid aujourd’hui, réalisant le beau nom de Boniface ou bienfaisant que lui donna Grégoire II, se présente entouré des multitudes arrachées par lui du même coup au paganisme et à la barbarie. Grâce à l’apôtre de la Germanie, l’heure bientôt va venir pour l’Église de constituer dans ce monde à l’Époux, indépendamment de sa principauté sur les âmes, un empire plus puissant qu’aucun de ceux qui l’auront précédé ou suivi.
Le Père éternel attire à son Fils [2], non pas seulement les hommes, mais les nations ; elles sont dans le temps son héritage [3], non moins que le ciel l’est pour l’éternité. Or il ne suffit pas aux complaisances de Dieu pour son Verbe fait chair, que les nations viennent isolément chacune reconnaître en lui leur Seigneur et maître. C’est le monde qui lui fut promis comme possession, sans distinction de peuples, sans limites autres que les bornes de la terre [4] ; reconnu ou non, son pouvoir est universel. Chez plusieurs sans doute, la méconnaissance ou l’ignorance du droit royal de l’Homme-Dieu doit durer jusqu’au delà du temps ; pour tous encore, nous le savons trop, la révolte sera possible. Il convenait cependant que l’Église, dès qu’elle le pourrait, mît à profit son influence sur les nations baptisées, pour les rassembler dans l’unité d’un même acquiescement extérieur à cette royauté source de toutes les autres. A côté du Pontife, vicaire de l’Homme-Dieu en ce qui touche les intérêts du ciel et des âmes, il y avait place, dans le domaine de la vie présente, pour un chef de la chrétienté qui ne fût tel qu’à titre de lieutenant du Christ Seigneur des seigneurs. Ainsi devait se trouver réalisée en toute plénitude, pour le fils de David, la principauté grandiose que les prophètes avaient annoncée [5].
Institution vraiment digne du nom qui lui sera donné de Saint-Empire ; dernier résultat de la glorieuse Pentecôte, comme étant la consommation du témoignage rendu par l’Esprit à Jésus pontife et roi [6]. Aussi, quelques jours encore ; et Léon III, l’auguste Pontife appelé par l’Esprit-Saint à poser le couronnement de son œuvre divine, proclamera, aux applaudissements du monde, l’établissement de cet empire nouveau sous le sceptre de l’Homme-Dieu, dans la personne de Charlemagne représentant du Roi des rois. Telle que nous pouvions la prévoir jusqu’ici néanmoins par les enseignements de la sainte Liturgie, cette œuvre merveilleuse n’était pas encore suffisamment préparée ; de vastes régions, celles-là même qui doivent former l’apanage principal du futur empire, ne connaissaient pas même le nom du Seigneur Jésus, ou ne conservaient d’une prédication première, étouffée sous le tumulte des invasions, qu’un mélange confus de pratiques chrétiennes et de superstitions idolâtriques. Et c’est pourquoi, précurseur de Léon III, Boniface se lève, revêtu de la force d’en haut [7]. Descendant de ces Angles à figure d’anges, par qui l’ancienne Bretagne est devenue l’île des Saints, il brûle de porter à la Germanie d’où sortirent ses aïeux, la lumière qui est venue les trouver dans la terre de leur conquête.
Trente ans d’une vie monastique commencée dès l’enfance malgré les caresses et les larmes d’un père, ont préparé son âme ; mûri dans la retraite et le silence d’un si long temps, rempli de la science divine, accompagné des prières de ses frères, il peut en toute sécurité suivre l’attrait qui l’appelle. Rome le voit d’abord soumettant ses vues au vicaire de l’Homme-Dieu, source féconde autant qu’unique de toute mission dans l’Église. Grégoire II, digne en tout des grands papes honorés du même nom, exerçait alors sur le monde chrétien la vigilance apostolique ; entre les écueils dressés par l’astuce lombarde et l’hérétique démence de Léon l’Isaurien, sa ferme et prudente main conduisait sûrement la barque de Pierre aux gloires souveraines qui l’attendaient en ce siècle huitième. Dans l’humble moine prosterné à ses pieds, l’immortel Pontife a bientôt reconnu l’auxiliaire puissant que lui envoie le ciel ; et, muni de la bénédiction apostolique, Winfrid, devenu Boniface, sent l’Esprit-Saint l’entraîner à des conquêtes que Rome même autrefois n’avait point rêvées.
Par les sentiers qu’il trace au delà du Rhin dans les régions non frayées de la terre barbare, l’Épouse du Fils de Dieu pénètre plus avant que ne firent les légions, renversant les dernières idoles des faux dieux, civilisant et sanctifiant les hordes farouches, fléau du vieux monde. Fils de saint Benoît, le moine anglo-saxon donne à son œuvre une stabilité qui défiera les siècles. Partout s’élèvent des monastères, prenant pour Dieu possession du sol même, fixant autour d’eux par la force de l’exemple et leurs bienfaits les tribus nomades. Sur tous les fleuves, du sein des forêts, en guise des cris de vengeance et de guerre, monte maintenant l’accent de la prière et de la louange au Dieu très-haut. Disciple chéri de Boniface, Sturm préside à cette colonisation pacifique, qui laisse loin derrière elle les colonies de vétérans dans lesquelles Rome païenne mettait la principale force de son empire.
Voici qu’à la même heure, en ces sauvages régions où la violence jusque-là régnait en souveraine, s’organise la milice sainte des épouses du Seigneur. L’Esprit de la Pentecôte a soufflé dans la terre des Angles, et, comme au Cénacle, les saintes femmes en ont eu leur part ; les vierges consacrées, obéissant à l’impulsion céleste, ont quitté leur patrie et le monastère où s’abrita leur enfance. Après avoir pourvu de loin d’abord aux besoins de Winfrid, copié pour lui en lettres d’or les livres saints, elles rejoignent l’apôtre ; intrépides, elles ont passé la mer, et sont venues, sous la garde de l’Époux, prendre leur part des travaux entrepris pour sa gloire. Lioba les conduit : Lioba, dont la douce majesté, dont les traits célestes élèvent la pensée au-dessus de la terre ; qui, par sa science des Écritures, des Pères et des saints Canons, égale les plus célèbres docteurs ; mais l’Esprit divin a plus encore enrichi son âme d’humilité et de saint héroïsme. Elle sera mère de la nation allemande. Les hères Germaines, avides de sang, qui, au jour de leurs noces, n’agréaient pour dons qu’un cheval de bataille avec le bouclier et la framée [8], apprendront d’elle les qualités de la femme forte. On ne les verra plus s’enivrer de carnage et ramener au combat leurs maris vaincus ; mais les vertus de l’épouse et de la mère remplaceront en elles la fureur des camps ; la famille sera fondée sur le sol germanique, et, avec elle, la patrie.
C’est ce qu’avait compris Boniface, en appelant à lui Lioba, Walburge, et leurs compagnes. Épuisé de travaux, fatigué plus encore, hélas ! Comme il arrive à tous les hommes de Dieu, par de mesquines jalousies se couvrant d’un faux zèle, l’athlète du Christ ne dédaignait pas de venir lui-même trouver près de sa fille bien-aimée conseil et réconfort. Appréciant à sa valeur la part qu’elle avait eue dans son œuvre, il la voulut pour compagne de son repos dans la tombe, en sa chère abbaye de Fulda.
Mais l’apôtre est loin encore d’être au soir de sa vie. Il doit assurer le sort spirituel des convertis sans nombre qu’a faits sa parole, et placer à leur tête ceux que l’Esprit-Saint désigne gouverner l’Église de Dieu [9]. Par ses soins, la hiérarchie sacrée se constitue et se développe ; le sol se couvre d’églises ; et sous la houlette d’évêques élus de Dieu, des peuples nouveaux, créés comme par enchantement, vivent à la gloire de la Trinité sainte en ces contrées hier païennes, où Satan avait cru pouvoir éterniser sa domination.
Vainement d’autre part, Arius, Manès, divers corrupteurs de la foi sainte anciens et nouveaux, chassés de partout, végètent encore sur les confins ignorés du paganisme germain ; vainement la cupidité d’indignes ministres du Seigneur se flatte d’exploiter toujours l’ignorance de chrétientés trop éloignées du centre vital, et jusque-là forcément délaissées. L’éclat inaltéré du Verbe divin, qui revêt Boniface comme une robe de gloire [10], rayonne de lui jusqu’au fond des retraites obscures où l’hérésie se dérobe ; le fouet dont l’Homme-Dieu s’arma pour expulser les vendeurs du temple est dans les mains de son apôtre, et il chasse loin de leurs troupeaux sacrilègement abusés les prêtres infâmes qui, à prix égal, offrent au Dieu très-haut l’hostie du salut, ou immolent des bœufs et des boucs aux divinités vaincues de la Germanie. Au bout de quarante années d’un fécond apostolat, l’Allemagne, convertie ou délivrée des pasteurs mercenaires, est acquise au Christ.
Mais le vaillant précurseur du Saint-Empire ne doit pas borner son action puissante à préparer la race germanique aux grandes destinées qui l’attendent. La France, fille aînée de l’Église, est, dans ses princes, appelée la première à porter le globe d’or surmonté de la croix, auguste emblème de l’universelle royauté du Fils de Dieu. Or, si la France de Clotilde, pure d’hérésie, reste fidèle à son baptême, elle-même cependant réclame du ciel à cette heure le secours nécessaire au salut des nations dans les périodes critiques de leur histoire. Les descendants de Clovis n’ont conservé de son royal héritage que le titre vain d’un pouvoir qu’ils n’ont plus, tandis que la vraie puissance est passée aux mains d’une famille nouvelle : race vigoureuse, qui vient de donner sa mesure en écrasant près de Poitiers l’immense armée des Maures. Mais en sauvant la chrétienté, Charles Martel conduit l’Église de France à deux doigts de sa ruine par la distribution qu’il fait des sièges épiscopaux, des abbayes, aux compagnons de sa victoire. Sous peine d’une situation non moins désastreuse que ne l’eût faite la victoire d’Abdrame, il faut déposséder de leurs crosses usurpées ces étranges titulaires, et renvoyer du moins leurs fils aux armées franques ; avec autant de douceur que de fermeté, par l’ascendant de la vertu, il faut amener le héros de Poitiers et sa descendance au respect du droit des Églises.
Victoire plus glorieuse que la défaite des Maures, et qui fut celle de notre Boniface ! Triomphe de la sainteté désarmée, aussi profitable aux vaincus qu’à l’Église même ; car il devait faire du farouche soldat, bâtard de Pépin d’Herstal, la souche pour les Francs d’une deuxième dynastie dont la gloire allait surpasser l’illustration des rois de la première race.
Légat de saint Zacharie comme il l’avait été de Grégoire III son prédécesseur, Boniface avait fixé à Mayence son siège épiscopal, pour mieux garder au Christ en même temps et la Germanie, conquête de son premier apostolat, et la France sauvée par ses derniers labeurs. Comme un autre Samuel, lui-même consacra de ses mains la nouvelle royauté, en conférant, par un rite nouveau chez les Francs, l’onction sacrée à Pépin le Bref, fils de Charles Martel. On était arrivé à l’année 752. Encore enfant, un autre Charles, héritier futur du trône qu’il venait d’affermir ainsi par la force de l’huile sainte, attirait les bénédictions du vieillard. Mais Fonction royale de cet enfant était réservée au Pontife suprême ; et un diadème plus auguste encore que celui des rois francs devait plus tard se poser sur son front, pour manifester en lui, à la tète de l’Empire romain renouvelé, le lieutenant du Christ.
L’œuvre personnelle de Boniface était achevée ; comme le vieillard Siméon, il avait vu l’objet des ambitions et des labeurs de sa vie, le salut préparé par Dieu au nouvel Israël. Lui aussi ne songe plus qu’à s’en aller dans la paix du Seigneur ; mais l’entrée dans la paix pour un tel apôtre, et il l’entend bien ainsi, ne saurait être que le martyre. L’heure va sonner ; le vieil athlète a choisi son dernier champ de bataille. C’est la Frise, encore à demi païenne ; il y a un demi-siècle, au début de sa carrière apostolique, il avait fui cette contrée pour échapper à l’épiscopat que saint Willibrord voulait lui imposer dès lors ; aujourd’hui qu’elle n’a plus que la mort à lui offrir, il aspire à s’y rendre. Dans une lettre d’humilité sublime, il se prosterne aux pieds d’Etienne III qui vient de succéder à Zacharie, et remet au Siège apostolique la correction de ce qu’il appelle les maladresses et les fautes de sa longue vie [11] ; il laisse à Lull, son très cher fils, l’Église de Mayence ; il recommande au roi des Francs les prêtres disséminés dans toute la Germanie, les moines, les vierges qui l’ont suivi dans ces lointaines contrées. Puis, faisant disposer parmi les quelques livres qu’il emporte avec lui le suaire qui doit envelopper son corps, il désigne les compagnons de son dernier voyage, et part avec eux pour cueillir la couronne.
Vous avez été, grand apôtre, le serviteur fidèle [12] de Celui qui vous avait choisi comme ministre de sa parole sainte et propagateur de son règne. En quittant la terre afin d’aller faire reconnaître sa royauté des célestes phalanges, le Fils de l’homme n’en restait pas moins le roi de ce monde qu’il abandonnait pour un temps. Il comptait sur l’Église pour lui garder sa principauté d’ici-bas.
Bien faible encore était, à l’heure de son Ascension, le nombre de ceux qui voyaient en lui leur Seigneur et Maître. Mais la foi déposée dans les âmes de ces premiers élus était un trésor qu’ils firent valoir en banquiers habiles, et surent multiplier par le commerce apostolique. Transmis de génération en génération jusqu’au retour de l’Homme-Dieu, le précieux dépôt devait produire au Seigneur absent des intérêts toujours plus considérables. Il en fut bien ainsi, ô Winfrid, dans le siècle où vous apportâtes à l’Église le tribut de labeurs qu’elle réclame de tous ses fils à cette fin, quoique en des proportions différentes. Vos œuvres parurent bonnes et profitables entre toutes à la Mère commune ; dans sa reconnaissance, prévenant la gratitude de l’Époux lui-même, elle voulut vous appeler dès ce monde du nom nouveau [13] sous lequel vous êtes maintenant connu dans les cieux.
Et, en effet, jamais richesses pareilles à celles que vous lui préparâtes, affluèrent-elles dans les mains de l’Épouse ? Jamais l’Époux apparut-il mieux et plus pleinement le chef du monde, qu’en ce huitième siècle où les princes francs, formés par vous à leurs grandes destinées, constituèrent la souveraineté temporelle de l’Église, et se firent gloire d’être, à côté du vicaire de l’Homme-Dieu, les lieutenants du Seigneur Jésus ? Le Saint-Empire vous doit d’avoir été possible, ô Boniface. Sans vous, la France s’abîmait dans les hontes d’un clergé simoniaque, et périssait avant même d’avoir vu Charlemagne ; sans vous, l’Allemagne restait aux barbares et à leurs dieux ennemis de toute civilisation et de tout progrès. Sauveur des Germains et des Francs, recevez nos hommages.
Devant la grandeur de vos œuvres, au souvenir des grands papes et de ces princes à la taille colossale dont la gloire relève de la vôtre en toute vérité, l’admiration égale en nous la reconnaissance. Mais pardonnez si, à la pensée des grands siècles, hélas ! si loin de nous, un retour sur nos temps amoindris vient mêler la tristesse aux joies de votre triomphe. Les pygmées qui s’admirent aujourd’hui parce qu’ils savent détruire et souiller, ne méritent sans doute que le mépris. Mais combien, à la lumière de votre politique sainte et de ses résultats, ô précurseur de la glorieuse confédération des peuples chrétiens, apparaissent malhabiles et coupables ces faux grands princes, ces hommes d’État de l’avant-dernier siècle, sottement admirés d’un monde qu’ils ont acheminé vers sa ruine ! Les nations catholiques, s’isolant l’une de l’autre, ont dénoué les liens qui les groupaient autour du vicaire de l’Homme-Dieu ; leurs princes, oubliant qu’ils étaient, eux aussi, les représentants du Verbe divin sur la terre, ont traité avec l’hérésie pour afficher leur indépendance à l’égard de Rome ou s’abaisser mutuellement. Aussi la chrétienté n’est plus. Sur ses débris, contre-façon odieuse du Saint-Empire, Satan dresse, à la honte de l’Occident, son faux empire évangélique, formé d’empiétements successifs, et reconnaissant pour première origine l’apostasie du chevalier félon Albert de Brandebourg.
Les complicités qui l’ont rendu possible ont reçu leur châtiment. Puisse la justice de Dieu être enfin satisfaite ! O Boniface, criez avec nous miséricorde au Dieu des armées. Suscitez à l’Église des serviteurs puissants comme vous le fûtes, en paroles et en œuvres. Venez de nouveau sauver la France de l’anarchie. Détruisez l’empire de Satan, et rendez à l’Allemagne le sentiment de ses vraies grandeurs avec la foi des anciens jours.
Si par certains côtés le grand Apôtre des Germains au VIIIe siècle ressemble à saint Augustin de Cantorbéry, il en diffère cependant beaucoup, car l’action apostolique de Boniface fut plus complète, plus vaste, plus énergique, plus longue et plus durable. Ce courageux fils de saint Benoît dont le diocèse avait pour limites, d’un côté la Hollande, de l’autre le Tyrol, presque tout le cœur de l’Europe, par conséquent, apparaît comme un de ces colosses à l’activité multiforme, mais toujours parfaite. Que nous considérions en effet Boniface comme moine, comme évêque, comme docteur et évangélisateur de peuples, comme diplomate, comme martyr, il ne dément jamais sa grandeur, il est toujours parfait.
Il est toutefois une note spéciale dans l’activité du Saint, qui ne doit pas être oubliée. En même temps que le caractère épiscopal, Grégoire II lui avait donné la charge de légat du Siège apostolique chez les Germains, et, dans toute l’activité variée qu’il exerça par la suite chez les Francs et les Allemands, ce fut toujours au nom du Pontife romain que Boniface intervint et agit. On peut dire que personne ne comprit mieux que lui à cette époque la romanité de sa mission ; personne ne l’exerça avec une pareille foi et un tel zèle. Il se considéra comme le héraut de Pierre et du Pontife romain, et ce fut en cette qualité que, sur ses épaules de géant, il soutint durant de longues années, tel un nouveau saint Paul, la sollicitude de toutes les Églises de Germanie. Une gloire lui manquait : l’auréole du martyre, et il l’ambitionna elle aussi. Déjà courbé sous le poids des ans, il s’embarqua pour la Frise, qui, dans sa jeunesse, avait été le champ de ses premières armes, au temps de saint Willibrord. Cette fois cependant l’apôtre, comme prévoyant sa mort, emporta avec lui le drap funèbre dans lequel il devait être enveloppé, et ordonna que son cadavre fût enseveli dans son cher monastère de Fulda. — Ici l’on reconnaît le moine, qui est, par son corps, hors du cloître, mais qui a attaché son cœur à la solitude. — Le 5 juin 755, une horde de païens assaillirent Boniface et ses compagnons, parmi lesquels se trouvaient quelques évêques et un grand nombre de moines, et, en haine de la foi, ils les massacrèrent. L’office de saint Boniface fut étendu par Pie IX à l’Église universelle.
La messe fut primitivement rédigée pour les pays allemands, l’on y célèbre le Saint comme l’apôtre et le patron de la race. L’extension de cette messe à l’Église entière rend quelque peu déplacé dans le Missel ce particularisme régional.
L’antienne pour l’introït est tirée d’Isaïe (LXV, 19, 23). « J’exulterai avec Jérusalem et je me réjouirai avec ma nation, où l’on n’entendra plus la voix des pleurs ou du sanglot. Mes élus ne travailleront pas en vain, ils n’engendreront pas dans la tristesse, parce que c’est une race de peuple bénie de Dieu, et leurs descendants avec eux ». Suit le psaume 43 : « O Dieu, nous l’avons entendu de nos oreilles ; nos pères nous ont narré ce que, de leurs jours, vous avez fait ». — Les nations chrétiennes pourront, comme les arbres, renouveler leurs feuilles jaunies, mais elles ne se dessécheront jamais complètement, parce que leurs différents apôtres arrosèrent jadis la semence évangélique avec tant de sueurs et tant de sang que Dieu, par égard pour les mérites des pères, ne privera jamais entièrement de sa bénédiction leurs fils même dégénérés. La partie catholique de l’Allemagne se souvient des prodiges admirables que Dieu opéra dans ce pays au temps de Boniface, de Sturme, de Lulle et de Willibrord, et sent que la magnificence du passé est la garantie de cette grâce future qui, selon la sainte Écriture, rendra les nations guérissables.
La collecte est la suivante : « O Dieu qui, par le zèle du bienheureux Boniface, votre pontife et martyr, avez appelé à la connaissance de votre nom un grand nombre de peuples ; faites que nous ressentions le patronage de celui dont nous célébrons aujourd’hui la fête ».
Parfois notre paresse nous fait trouver trop ardue la mission qui nous est imposée, ou nous nourrit de l’illusion d’avoir déjà accompli de grandes choses pour Dieu. Pour dissiper ces pensées, il faut considérer ce que les saints ont fait et souffert, et alors nous nous sentirons tout petits en face de ces colosses d’activité et de vertu.
La première lecture, où les lointains descendants célèbrent les mérites de leurs pères, est identique à celle de la fête des sept fondateurs de l’Ordre des Servîtes de la bienheureuse Vierge, le 12 février. L’Esprit Saint a lui-même façonné et perfectionné ces gigantesques figures que sont les apôtres des diverses nations, les fondateurs des grands Ordres religieux, etc. Ce sont des figures complètes et universelles, auxquelles ne manque aucun des charismes du Paraclet ; thaumaturges et prophètes, apôtres, docteurs et éducateurs des peuples, ils participent en une certaine mesure à l’universalité de Dieu.
Le choix du répons-graduel est tout à fait anormal. Au lieu du chant d’un psaume, le rédacteur de la messe est allé chercher l’épître de la fête de saint Martin Ier et en a extrait quelques versets. Le texte sacré est toujours excellent, mais dans le cas présent, ce sont les règles liturgiques qui ont été violées : « Réjouissez-vous d’avoir part aux souffrances du Christ, parce que, quand sa gloire sera révélée, vous serez dans la joie et l’allégresse ». « Vous serez bienheureux alors que vous souffrirez l’injure pour le nom du Christ, parce que sur vous reposera ce qu’il y a de plus honorable et glorieux, la vertu de Dieu et son Esprit ».
Voilà pourquoi les martyrs vainquirent le monde et furent supérieurs à eux-mêmes et à la fragilité de la nature humaine. Ce n’était pas tant eux-mêmes qui triomphaient des supplices, que l’auguste Trinité, résidant en eux par la grâce.
Le verset alléluiatique est tiré d’Isaïe, et veut rappeler ce caractère de pacifique douceur, qui marque toute l’activité apostolique de Boniface. « Voici que je l’inonderai de paix — ici le texte sacré parle de Jérusalem — à l’égal d’un fleuve, et je le remplirai de gloire, comme un torrent qui déborde ».
Durant le temps pascal, aux chants précédents on substitue ceux-ci : (Is., LXVI, 10, 14). « Réjouissez-vous avec Jérusalem et soyez dans l’allégresse avec elle, vous tous qui aimez le Seigneur ». — Le texte sacré porte ici : ea, c’est-à-dire vous tous qui aimez la cité sainte. « Vous le verrez, et votre cœur en bondira de joie : les serviteurs de Yahweh connaîtront la puissance de la main du Seigneur ».
La lecture évangélique est la même que pour la fête de la Toussaint (Matth., V, 1-12). Dans son évangile, le monde proclame bienheureux les riches, les puissants, ceux qui jouissent, ceux qui sont applaudis des hommes. Outre l’expérience quotidienne qui nous fait voir que, même au milieu de tous ces prétendus biens, notre cœur se sent inquiet, Jésus, pour dissiper l’enchantement illusoire de toutes ces fausses promesses, promulgue aujourd’hui, sur le sommet d’une montagne, ses béatitudes. Bienheureux les pauvres, bienheureux les opprimés pour la justice, bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’au ciel leur félicité sera impérissable.
Il faut toutefois considérer attentivement que cette béatitude nous est promise, non pas pour la terre, où, au contraire, l’Évangile nous avertit clairement que nous ne devons nous attendre qu’à la peine et à la douleur, mais dans le ciel, où le Christ lui aussi obtint sa gloire après l’ignominie de la passion. Nonne oportuit pati Christum, et ita intrare in gloriam suam [14] ?
L’antienne pour l’offertoire est tirée du psaume 15, comme le lundi après le IIe dimanche de Carême : « Je bénirai le Seigneur, parce qu’il m’a donné l’intelligence ; j’ai toujours tenu Dieu devant mes yeux ; s’il est à ma droite, je ne serai pas ébranlé ». — Tel est le secret des saints : marcher devant Dieu et ne s’éloigner jamais de lui.
La prière d’introduction à l’anaphore est tirée de la messe de la naissance de sainte Agnès, le 28 janvier. On y implore une abondante bénédiction qui enveloppe offrandes et offrants, afin que la fête du martyr greffe dans les fidèles des germes de sacrifice continu et complet de tout eux-mêmes à Dieu. Voilà la sainteté, voilà le martyre chrétien, auquel, d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous appelés.
L’antienne pour la Communion est tirée de l’Apocalypse (III, 21) : « A celui qui aura vaincu, j’accorderai de s’asseoir avec moi sur mon trône : comme moi j’ai vaincu, et je siège avec mon Père sur son trône ». Comme le Fils est assis sur le trône du Père parce qu’il lui est consubstantiel, ainsi les martyrs ont part à la gloire du Christ, parce que, plus parfaitement que tous les autres, ils ont participé à sa passion.
La collecte d’action de grâces est la même que celle du 18 janvier en l’honneur de saint Paul. Les mots patrocinio gubernari, sont à leur place sur les lèvres de Rome chrétienne, qui se proclame gouvernée et protégée par les deux Princes des Apôtres ; mais s’ils gardent tout leur sens en Allemagne quand on les applique à saint Boniface, ailleurs ils en sont dépourvus.
Nous aimons à rapporter ici la belle hymne de saint Boniface, due à la plume du bienheureux Raban Maur :
Præsulis exultans celebret Germania laudes,
Et Bonifatii opus Martyris almificum. Ordinat hunc Roma, mittit Britannia mater, Doctorem populis et decus Ecclesiæ, Pontificem summum, signorum fulmine clarum, Eloquio nitidum, moribus egregium. Quem Francus Frisoque simul Saxoque ministrum Æternæ vitæ prædicat esse sibi. Quod terra moritur frumentum, plurima confert Semina, fructumque multiplicare studet. Sicque Sacerdotis Domini lætissima crescit Paucis ex granis multiplicanda seges. Gloria summa Patri, compar sit gloria Nato ; Laus et in æternum, Spiritus alme, Tibi. Amen. | Avec joie, l’Allemagne célèbre les louanges de son évêque,
Et l’œuvre admirable du saint martyr Boniface. Rome l’ordonne, sa mère patrie la Grande-Bretagne L’envoie comme le docteur des peuples et l’honneur de l’Église. Pontife glorieux, illustre par l’éclat de ses miracles, D’une éloquence rare, de mœurs incomparables. Le Franc, comme le Frison ou le Saxon, le revendiquent Pour leur avoir communiqué la vie éternelle. Le froment, mourant à la terre, donne beaucoup de graines, Et son fruit aime à se multiplier. C’est ainsi qu’une moisson abondante germe Dans la joie et la gloire de quelques grains semés par le Prêtre du Seigneur. Gloire suprême soit au Père, et gloire égale au Fils, Et à vous, Saint-Esprit, louange éternelle. Ainsi soit-il. |
Pour l’unité religieuse de l’Allemagne.
1. Saint Boniface. — Jour de mort : 5 juin 756. Tombeau : à Fulda. Image : On le représente en évêque, avec une hache et, à ses pieds, un chêne abattu. Vie : Le grand apôtre et l’organisateur de l’Allemagne, originaire d’Angleterre, fut d’abord un moine bénédictin. Sa première tentative de mission (716) resta sans succès. Avant son second voyage de mission, il se rendit à Rome (718) ; il y reçut du pape un bref de mission ; il convertit alors, dans un travail de trois ans, sous la direction de l’évêque Willibrord, le pays des Frisons. Le 3 novembre 722, il fut consacré évêque par le pape Grégoire II. En 724, il reprit son œuvre missionnaire avec un zèle renouvelé ; il se tourna vers le peuple des Hessois. Sur une hauteur, près du village de Geismar, il abattit l’antique chêne du tonnerre que le peuple considérait comme un sanctuaire national et pour lequel il avait une grande vénération. Avec le bois du chêne abattu, il bâtit une chapelle dédiée à saint Pierre. Cet acte hardi scella la victoire du christianisme dans cette région. Il rencontra de grandes difficultés de la part du clergé local et des prêtres vivant à la cour. Calme et modeste, il continua de travailler seul, et confiant en Dieu seul, qu’il implorait dans des prières incessantes et qu’il faisait implorer par les religieux et les religieuses d’Angleterre. Sa confiance ne fut pas déçue. Le nombre des conversions s’accrut d’une manière étonnante. En 731, Grégoire III lui envoya le pallium, qui est le signe de la dignité archiépiscopale. Boniface couronna alors son œuvre par l’organisation de l’Allemagne. Il établit de dignes évêques, délimita les diocèses, prit soin de la vie religieuse du clergé et du peuple. Il tint, entre 742 et 747, de grands synodes nationaux. En 744, il fonda le monastère de Fulda qui devint le centre religieux de l’Allemagne moyenne. En 745, il choisit Mayence comme siège archiépiscopal, A ce siège furent soumis 13 diocèses. Ce fut l’achèvement de l’organisation ecclésiastique de l’Allemagne. Saint Boniface acheva sa vie si active, comme il l’avait commencée, dans l’œuvre missionnaire. Ayant appris, en 754, qu’une partie des Frisons avait apostasié, il fit ses adieux à son clergé ; dans le pressentiment de sa mort, il emporta son suaire. A 74 ans, il entreprit avec une ardeur juvénile l’œuvre de la restauration. Il ne devait pas l’achever. Près de la localité d’Ockum, au moment où il voulait administrer la Confirmation à des nouveaux baptisés, il fut surpris par une bande de païens sauvages et tué.
2. La messe. (Exultabo). — La messe a de beaux textes propres qui caractérisent le vénérable apôtre de l’Allemagne. L’Introït est un cri de joie de l’Église à la pensée de la conversion de l’Allemagne. Le verset du psaume (il faut oublier le sens littéral) célèbre l’œuvre de mission du saint. Dans la leçon, on nous demande de louer nos pères dans la foi (parmi eux, Boniface tient la première place). Leur mémoire doit toujours rester vivante dans l’Église, et nous devons marcher sur leurs traces. Au Graduel, nous entendons le saint martyr nous exhorter à nous unir sur la terre aux souffrances du Christ, comme il l’a fait jadis, afin de participer à la joie du Christ. A l’Alléluia, nous entendons pour ainsi dire la voix de Dieu répondre ; au Graduel, Boniface est glorifié. A l’Évangile, le Christ nous annonce lui-même les huit béatitudes. C’est la voix royale qui mène à la sainteté. Parmi ces béatitudes, nous remarquons celle des Martyrs : Heureux êtes-vous quand les hommes vous persécutent... A l’Offertoire, nous voyons le saint missionnaire parcourir l’Allemagne sous la protection de Dieu. A la Communion, nous voyons sa récompense. Il est assis sur un trône et nous recevons le gage de cette récompense dans le pain du ciel.
Chers frères et sœurs,
Nous nous arrêtons aujourd’hui sur un grand missionnaire du VIIIe siècle, qui a diffusé le catéchisme en Europe centrale, et dans ma patrie également : saint Boniface, passé à l’histoire comme l’« apôtre des Germains ». Nous possédons beaucoup d’informations sur sa vie grâce à la diligence de ses biographes : il naquit dans une famille anglo-saxonne dans le Wessex autour de 675 et fut baptisé avec le nom de Winfrid. Il entra très jeune au monastère, attiré par l’idéal monastique. Possédant de remarquables capacités intellectuelles, il semblait destiné à une carrière tranquille et brillante d’érudit : il devint enseignant de grammaire latine, écrivit plusieurs traités, composa plusieurs poésies en latin. Ordonné prêtre à l’âge de trente ans environ, il se sentit appelé par l’apostolat auprès des païens du continent. La Grande-Bretagne, sa terre, évangélisée à peine cent ans plus tôt par les Bénédictins guidés par saint Augustin, faisait preuve d’une foi si solide et d’une charité si ardente qu’elle envoya des missionnaires en Europe centrale pour y annoncer l’Évangile. En 716, Winfrid, avec quelques compagnons, se rendit en Frise (aujourd’hui la Hollande), mais il buta sur l’opposition du chef local et la tentative d’évangélisation échoua. Rentré dans sa patrie, il ne perdit pas courage, et deux ans plus tard, il se rendit à Rome pour s’entretenir avec le Pape Grégoire II et en recevoir des directives. Le Pape, selon le récit d’un biographe, l’accueillit « avec le visage souriant et le regard empli de douceur », et dans les jours qui suivirent, il tint avec lui « des conversations importantes » [15] et enfin, après lui avoir imposé le nouveau nom de Boniface, il lui confia avec des lettres officielles la mission de prêcher l’Évangile parmi les peuples de Germanie.
Conforté et soutenu par l’appui du Pape, Boniface se consacra à la prédication de l’Évangile dans ces régions, en luttant contre les cultes païens et en renforçant les bases de la moralité humaine et chrétienne. Avec un grand sens du devoir, il écrivait dans une de ses lettres : « Nous sommes fermes dans la lutte dans le jour du Seigneur, car des jours d’affliction et de malheur sont venus... Nous ne sommes pas des chiens muets, ni des observateurs taciturnes, ni des mercenaires qui fuient devant les loups ! Nous sommes en revanche des pasteurs diligents qui veillent sur le troupeau du Christ, qui annoncent aux personnes importantes et aux personnes communes, aux riches et aux pauvres la volonté de Dieu... à temps et à contretemps... » [16]. Avec son activité inlassable, ses dons d’organisation, son caractère souple et aimable bien que ferme, Boniface obtint de grands résultats. Le Pape « déclara qu’il voulait lui imposer la dignité épiscopale, pour qu’ainsi il puisse, avec une plus grande détermination, corriger et ramener sur la voie de la vérité les errants, qu’il se sente soutenu par la plus grande autorité de la dignité apostolique et fût d’autant mieux accepté de tous dans la charge de la prédication qu’il apparaissait que pour cette raison il avait été ordonné par le prélat apostolique » [17].
Ce fut le Souverain Pontife lui-même qui consacra « évêque régional » — c’est-à-dire pour toute la Germanie — Boniface, qui reprit ensuite son œuvre apostolique dans les territoires qui lui avaient été confiés et qu’il étendit son action également à l’Église de Gaule : avec une grande prudence, il rétablit la discipline ecclésiastique, réunit plusieurs synodes pour garantir l’autorité des canons sacrés, renforça la communion nécessaire avec le Pontife Romain : un point qui lui tenait particulièrement à cœur. Les successeurs du Pape Grégoire II le tinrent également en très haute estime : Grégoire III le nomma archevêque de toutes les tribus germaniques, lui envoya le pallium et lui donna faculté d’organiser la hiérarchie ecclésiastique dans ces régions [18] ; le Pape Zacharie confirma sa charge et loua son engagement [19] ; le Pape Stéphane III, tout juste élu, reçut de lui une lettre, par laquelle il lui exprimait son respect filial [20].
Ce grand évêque, outre ce travail d’évangélisation et d’organisation de l’Église à travers la fondation de diocèses et la célébration de synodes, ne manqua pas de favoriser la fondation de plusieurs monastères, masculins et féminins, pour qu’ils soient comme un phare pour le rayonnement de la foi et de la culture humaine et chrétienne sur le territoire. Des monastères bénédictins de sa patrie, il avait appelé des moines et des moniales qui lui apportèrent une aide très efficace et précieuse dans la tâche d’annoncer l’Évangile et de diffuser les sciences humaines et les arts au sein des populations. Il considérait en effet à juste titre que le travail pour l’Évangile devait également être un travail pour une véritable culture humaine. Le monastère de Fulda en particulier — fondé vers 743 — fut le cœur et le centre du rayonnement de la spiritualité et de la culture religieuse : en ce lieu, les moines, dans la prière, dans le travail et dans la pénitence, s’efforçaient de tendre à la sainteté, se formaient dans l’étude des disciplines sacrées et profanes, se préparaient à l’annonce de l’Évangile, à être missionnaires. Grâce au mérite de Boniface, de ses moines et de ses moniales - les femmes ont elles aussi joué un rôle très important dans cette œuvre d’évangélisation - fleurit donc également cette culture humaine qui est inséparable de la foi et en révèle la beauté. Boniface lui-même nous a laissé des œuvres intellectuelles significatives. Tout d’abord sa nombreuse correspondance, dans laquelle les lettres pastorales alternent avec les lettres officielles et d’autres à caractère privé, qui révèlent des faits sociaux et surtout son riche tempérament humain et sa foi profonde. Il composa également un traité d’Ars grammatica, dans lequel il expliquait les déclinaisons, les verbes, la syntaxe de la langue latine, mais qui pour lui devenait également un instrument pour diffuser la foi et la culture. On lui attribue aussi une Ars metrica, c’est-à-dire une introduction à la façon de faire de la poésie, et diverses compositions poétiques, et enfin un recueil de 15 sermons.
Bien qu’il fût déjà assez âgé - il était proche de 80 ans - il se prépara à une nouvelle mission évangélisatrice : avec une cinquantaine de moines il revint en Frise, où il avait commencé son œuvre. Comme un présage de sa mort imminente, faisant allusion au voyage de la vie, il écrivait à son disciple et successeur sur le siège de Mayence, l’évêque Lullo : « Je désire mener à bien l’objectif de ce voyage ; je ne peux en aucune façon renoncer au désir de partir. Le jour de ma fin est proche et le temps de ma mort s’approche ; une fois déposée ma dépouille mortelle, je monterai vers la récompense éternelle. Mais toi, fils très cher, rappelle sans cesse le peuple de la confusion de l’erreur, mène à bien l’édification de la basilique de Fulda déjà commencée et, en ce lieu, tu déposeras mon corps vieilli par les longues années de vie » [21]. Alors que commençait la célébration de la messe à Dokkum (aujourd’hui dans la Hollande du nord), le 5 juin 754 il fut assailli par une bande de païens. Alors, s’étant avancé, le visage serein, « il interdit à ses hommes de combattre en disant : "Mes fils, cessez les combats, abandonnez la guerre, car le témoignage de l’Écriture nous exhorte à ne pas rendre le mal pour le mal, mais le bien pour le mal. Voilà le jour depuis longtemps désiré, voilà que le temps de notre fin est venu ; courage dans le Seigneur !" » [22]. Ce furent ses dernières paroles avant de tomber sous les coups de ses agresseurs. La dépouille mortelle de l’évêque martyr fut ensuite portée dans le monastère de Fulda, où il reçut une digne sépulture. L’un de ses premiers biographes s’exprime déjà sur lui avec le jugement suivant : « Le saint évêque Boniface peut se dire le père de tous les habitants de la Germanie, car il a été le premier à les engendrer au Christ avec la parole de sa sainte prédication, il les a confirmés par l’exemple et, enfin, il a donné sa vie pour eux, un signe de charité qui ne pourrait pas être plus grand » [23].
Des siècles plus tard, quel message pouvons-nous aujourd’hui recueillir de l’enseignement et de l’activité prodigieuse de ce grand missionnaire et martyr ? Une première évidence s’impose à celui qui étudie saint Boniface : le caractère central de la Parole de Dieu, vécue et interprétée dans la foi de l’Église, Parole qu’il vécut, prêcha et dont il témoigna jusqu’au don suprême de lui-même dans le martyre. Il était tellement passionné par la Parole de Dieu qu’il ressentait l’urgence et le devoir de l’apporter aux autres, même au risque de sa propre vie. Sur elle reposait la foi à la diffusion de laquelle il s’était solennellement engagé au moment de sa consécration épiscopale : « Je professe intégralement la pureté de la sainte foi catholique et, avec l’aide de Dieu, je veux rester dans l’unité de cette foi, dans laquelle réside sans aucun doute tout le salut des chrétiens » [24].
La deuxième évidence, très importante, qui ressort de la vie de saint Boniface, est sa communion fidèle avec le Siège apostolique, qui était un point ferme et central de son travail de missionnaire. Il conserva toujours cette communion comme la règle de sa mission et la laissa comme son testament. Dans une lettre au Pape Zacharie, il affirmait : « Je ne cesse d’inviter et de soumettre à l’obéissance du Siège apostolique ceux qui veulent rester dans la foi catholique et dans l’unité de l’Église romaine et tous ceux que, dans ma mission, Dieu me donne comme auditeurs et disciples » [25]. Le fruit de cet engagement fut le ferme esprit de cohésion autour du Successeur de Pierre que Boniface transmit aux Églises de son territoire de mission, ajoutant à Rome l’Angleterre, la Germanie et la France, et contribuant ainsi de façon déterminante à planter les racines chrétiennes de l’Europe qui devaient produire des fruits féconds au cours des siècles successifs.
Une troisième caractéristique par laquelle Boniface attire notre attention : il promut la rencontre entre la culture romano-chrétienne et la culture germanique. Il savait en effet qu’humaniser et évangéliser la culture était une partie intégrante de sa mission d’évêque. En transmettant l’antique patrimoine de valeurs chrétiennes, il donna aux populations germaniques un nouveau style de vie plus humain, grâce auquel les droits inaliénables de la personne étaient mieux respectés. En tant qu’authentique fils de saint Benoît, il sut unir la prière et le travail (manuel et intellectuel), la plume et la charrue.
Le témoignage courageux de Boniface représente une invitation pour nous tous à accueillir dans notre vie la Parole de Dieu comme point de référence essentiel, à aimer passionnément l’Église, à nous sentir coresponsables de son avenir, à rechercher son unité autour du Successeur de Pierre. Dans le même temps, il nous rappelle que le christianisme, en favorisant la diffusion de la culture, promeut le progrès de l’homme. C’est à présent à nous d’être à la hauteur d’un patrimoine si précieux et de le faire fructifier au bénéfice des générations qui suivront.
Je suis toujours impressionné par son zèle ardent pour l’Évangile : à quarante ans, il quitte une vie monastique belle et féconde, une vie de moine et de professeur pour annoncer l’Évangile aux simples, aux barbares ; à quatre-vingt ans, une fois de plus, il se rend dans une région où il pressent son martyre. En comparant sa foi ardente, ce zèle pour l’Évangile à notre foi parfois si tiède et bureaucratisée, nous voyons ce que nous devons faire pour renouveler notre foi, pour donner en don à notre époque la perle précieuse de l’Évangile.
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[1] Matth. XXVIII, 18.
[2] Johan. VI, 44.
[3] Psalm. II, 6, 8.
[4] Psalm. II, 6, 8.
[5] Psalm. LXXI.
[6] Johan. XV, 26.
[7] Act. I, 8.
[8] Tacit. De mor. Germ. 18.
[9] Act. XX, 28.
[10] Eccli. XV, 1, 5.
[11] Epist. LXXVIII.
[12] Luc. XIX.
[13] Apoc. II, 17.
[14] Luc. 24, 26 : ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ?
[15] Willibald, Vita S. Bonifatii, éd. Levison, pp. 13-14.
[16] Epistulae, 3, 352-354 : MGH.
[17] Otloho, Vita S. Bonifatii, éd. Levison, livre I, p. 127.
[18] Cf. Epist. 28 : S. Bonifatii Epistulae, éd. Tangl, Berolini 1916.
[19] Cf. Epist. 51, 57, 58, 60, 68, 77, 80, 86, 87, 89 : op. cit.
[20] Cf. Epist. 108 : op. cit.
[21] Willibald, Vita S. Bonifatii, éd. cit., p. 46.
[22] Ibid. pp. 49-50.
[23] Otloho, Vita S. Bonifatii, éd. cit., lib. I, p. 158.
[24] Epist. 12, in S. Bonifatii Epistolae, éd. cit., p. 29.
[25] Epist. 50 : in Ibid. p. 81.