Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Benoît XVI, catéchèses, 18 juin 2008 |
Mort à Séville le 4 avril 636. Culte immédiat en Espagne.
Innocent XIII inscrivit sa fête comme docteur, au rite double, en 1722.
Missa In médio, de Communi Doctorum. | Messe In médio, du Commun des Docteurs. |
Oratio C | Collecte C |
Deus, qui pópulo tuo ætérnæ salútis beátum Isidórum minístrum tribuísti : præsta, quǽsumus ; ut, quem Doctórem vitæ habúimus in terris, intercessórem habére mereámur in cælis. Per Dóminum. | O Dieu qui avez fait à votre peuple la grâce d’avoir le bienheureux Isidore, pour ministre du salut éternel, faites, nous vous en prions, que nous méritions d’avoir pour intercesseur dans les cieux celui qui nous a donné sur terre la doctrine de vie. |
Ante 1960 : Credo | Avant 1960 : Credo |
Secreta C 1 | Secrète C 1 |
Sancti Isidóri Pontíficis tui atque Doctóris nobis, Dómine, pia non desit orátio : quæ et múnera nostra concíliet ; et tuam nobis indulgéntiam semper obtíneat. Per Dóminum. | Que la pieuse intercession de saint Isidore, Pontife et Docteur, ne nous fasse point défaut, Seigneur, qu’elle vous rende nos dons agréables et nous obtienne toujours votre indulgence. |
Postcommunio C 1 | Postcommunion C 1 |
Ut nobis, Dómine, tua sacrifícia dent salútem : beátus Isidórus Póntifex tuus et Doctor egrégius, quǽsumus, precátor accédat. Per Dóminum nostrum. | Afin, Seigneur, que votre saint sacrifice nous procure le salut, que le bienheureux Isidore, votre Pontife et votre admirable Docteur intercède pour nous. |
Leçons des Matines avant 1960
Au deuxième nocturne.
Quatrième leçon. Isidore, Docteur illustre, était Espagnol de nation ; il naquit à Carthagène ; son père, Sévérien, était gouverneur de la province. Les saints Évêques, Léandre de Séville, et Fulgence de Carthagène, ses frères, prirent soin de lui enseigner la piété et les lettres. Formé aux littératures latine, grecque et hébraïque, et instruit dans les lois divines et humaines, il acquit à un degré éminent toutes les sciences et toutes les vertus chrétiennes. Dès sa jeunesse, il combattit avec tant de courage l’hérésie aérienne, depuis longtemps déjà répandue chez les Goths alors maîtres de l’Espagne, que peu s’en fallut qu’il ne fût mis à mort par les hérétiques. Léandre ayant quitté cette vie, Isidore fut élevé, malgré lui, au siège épiscopal de Séville, sur les instances du roi Récarède, avec l’assentiment unanime du clergé et du peuple. On rapporte que saint Grégoire le Grand ne se contenta pas de confirmer cette élection par l’autorité apostolique, mais qu’il envoya, selon l’usage, le pallium au nouvel élu, et l’établit son vicaire ainsi que celui du Siège apostolique dans toute l’Espagne.
Cinquième leçon. On ne peut dire combien Isidore fut, durant son épiscopat, constant, humble, patient, miséricordieux, zélé pour !a restauration des mœurs chrétiennes et de la discipline ecclésiastique, infatigable à les soutenir par ses paroles et ses écrits, remarquable enfin par l’éclat de toutes les vertus. Ardent promoteur et propagateur des institutions monastiques en Espagne, il construisit plusieurs monastères et édifia également des collèges, où, se livrant à la science sacrée et à l’enseignement, il instruisit un grand nombre de disciples qui affluaient vers lui, et parmi lesquels brillèrent saint Ildephonse, Évêque de Tolède, et saint Braulion, Évêque de Saragosse. Dans un concile rassemblé à Séville, il réprima et écrasa par une discussion vive et éloquente l’hérésie des Acéphales déjà menaçante. Isidore acquit auprès de tous une telle renommée de sainteté et de science, que seize ans à peine après sa mort, au milieu des applaudissements de tout un synode réuni à Tolède et composé de cinquante-deux Évêques, et avec le suffrage de saint Ildephonse, il mérita d’être appelé un Docteur excellent, la gloire la plus récente de l’Église catholique, l’homme le plus docte de la-fin des temps ; et les Prélats déclarèrent que son nom ne devait être prononcé qu’avec respect. Saint Braulion ne se contente pas de le comparer à saint Grégoire, mais il estime que le ciel l’avait donné à l’Espagne pour l’instruire, et tenir la place de l’Apôtre saint Jacques.
Sixième leçon. Isidore composa des livres sur les Étymologies, sur les Offices ecclésiastiques, et beaucoup d’autres ouvrages si utiles pour la discipline chrétienne et ecclésiastique, que le Pape Léon IV n’a pas hésité à écrire aux Évêques de Bretagne, que l’on doit faire le même cas des paroles d’Isidore que de celles de Jérôme et d’Augustin, lorsqu’il se présente une difficulté nouvelle qui ne peut être résolue par les Canons. On voit plusieurs sentences tirées de ses écrits placées parmi les lois canoniques de l’Église. Le saint Évêque de Séville présida le quatrième concile de Tolède, le plus célèbre de tous ceux d’Espagne. Enfin, après avoir banni de l’Espagne l’hérésie arienne, prédit publiquement sa mort et la dévastation du royaume par les armées des Sarrazins, et gouverné son Église environ quarante ans, il mourut à Séville l’an six cent trente-six. Son corps fut d’abord inhumé, comme lui-même l’avait demandé, entre son frère Léandre et sa sœur Florentine. Ferdinand Ier, roi de Castille et de Léon, l’ayant racheté à grand’peine d’Enète prince sarrazin alors maître de Séville, le transporta à Léon, et l’on a élevé en son honneur une église où ses miracles l’ont rendu célèbre, et où le peuple l’honore avec une grande dévotion.
Au troisième nocturne.
Lecture du saint Évangile selon saint Matthieu. Cap. 5, 13-19.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Vous êtes le sel de la terre. Que si le sel perd sa vertu, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes. Et le reste.
Homélie de saint Isidore, Évêque.
Septième leçon. Celui qui a la charge d’instruire les peuples et de les former à la vertu doit de toute nécessité, avoir une sainteté accomplie, et se montrer absolument irrépréhensible. Car pour reprendre les pécheurs, il faut qu’il soit lui-même exempt de péché. Comment, en effet, oserait-il reprendre ses subordonnés, exposé qu’il serait à s’entendre répondre : Commencez par adresser à vous-même vos leçons de vertu. Celui qui se propose d’enseigner aux autres à bien vivre doit donc d’abord régler sa propre conduite. Qu’en tout il se montre un modèle de bonne vie, et que ses exemples comme sa doctrine engagent au bien tous les hommes. La science des Écritures lui est également nécessaire. Car la sainte vie de l’Évêque toute seule, ne serait profitable qu’à lui-même, mais s’il y joint la science et la parole, il pourra encore instruire les autres, donnant l’enseignement aux fidèles et combattant les ennemis de la foi qui, s’ils ne sont réfutés et convaincus de fausseté, peuvent trop facilement tromper les simples.
Huitième leçon. La parole de l’Évêque doit être pure, simple, claire, pleine de gravité et de noblesse, pleine de douceur et de grâce ; il doit traiter des mystères de la loi, de la doctrine de la foi, de la modération chrétienne, des règles de la justice. Son langage doit varier avec la profession, la qualité, les mœurs de ses auditeurs ; il doit à l’avance mesurer Si>n enseignement quant à l’objet, au temps, à la manière et aux personnes. Avant tout, il doit, pour accomplir son office, lire la sainte Écriture, étudier les Canons, imiter les exemples des Saints, s’adonner aux veilles, au jeûne, à la prière ; il doit garder la paix avec tous ses frères, et ne blesser aucun des membres du corps dont il est le chef, ne condamner personne sans preuve, n’excommunier personne sans examen. Il doit unir dans la prélature l’humilité à l’autorité ; qu’une humilité indiscrète ne favorise pas les vices de ses subordonnés, qu’une sévérité immodérée n’accompagne point l’exercice de sa puissance ; mais qu’envers ceux qui lui sont confiés, il se montre d’autant plus rempli de sollicitude qu’il doit redouter du Christ lui-même un examen plus sévère de sa vertu.
Neuvième leçon. Il conservera la charité, cette vertu qui s’élève au-dessus de tous les dons, et sans laquelle toutes les autres ne sont rien. Il mettra sa chasteté sous la garde de la charité ; et le lieu où cette gardienne habitera sera l’humilité. Il aura donc parmi tous ces biens l’excellence de la chasteté, afin que son âme, donnée entièrement à Jésus-Christ, soit pure et libre de toute souillure de la chair. Cependant il devra, prudent dispensateur, prendre soin des pauvres, nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus, recevoir les étrangers, racheter les captifs, protéger les veuves et les orphelins montrer en tout une vigilante sollicitude, une prudence pleine de discrétion dans les distributions de chaque jour. Il exercera excellemment l’hospitalité, recevant toute sorte de personnes avec bonté et chanté ; car si tous les fidèles désirent entendre cette parole de l’Évangile : « J’ai été sans asile et vous m’avez donné l’hospitalité », combien plus l’Évêque, dont la demeure doit être un abri ouvert à tous ?
La sainte Église nous présente aujourd’hui la douce et imposante figure d’un de ses plus vertueux Pontifes. Isidore, le grand Évêque de Séville, le plus savant homme de son siècle, mais plus recommandable encore par les effets de son zèle sur sa noble patrie, vient nous encourager dans la carrière par ses exemples et par son intercession.
Entre toutes les provinces du Christianisme, il en est une qui a mérité par excellence le nom de Catholique : c’est l’Espagne. Dès le commencement du VIIIe siècle, la divine Providence la soumit à la plus dure épreuve, en permettant que l’inondation sarrasine la submergeât presque tout entière : en sorte qu’il fallut à ses héroïques enfants huit siècles de combats pour recouvrer enfin leur patrie. Les vastes contrées de l’Asie et de l’Afrique qui, à la même époque, subirent l’invasion musulmane, sont demeurées sous le joug de l’Islamisme. D’où vient que l’Espagne a triomphé de ses oppresseurs, et que le sentiment de la dignité humaine ne s’est jamais éteint dans la race qui l’habite ? La réponse est facile à donner : l’Espagne, au moment de l’invasion, était catholique ; la vie catholique animait cette vaste région ; tandis que les peuples qui succombèrent sous le cimeterre musulman avaient déjà rompu avec la chrétienté par l’hérésie ou par le schisme. Dieu les délaissa, parce qu’ils avaient repoussé la vérité de la Foi, l’unité de l’Église ; ils ne furent plus qu’une proie, et n’offrirent presque aucune résistance à leurs farouches vainqueurs.
L’Espagne cependant avait couru un immense danger. La race des Goths, en la subjuguant, avait en même temps déposé l’hérésie dans son sein. L’Arianisme élevait dans l’Ibérie ses autels sacrilèges ; mais Dieu ne permit pas que cette terre privilégiée demeurât longtemps sous le joug de l’erreur. Avant l’arrivée du Sarrasin, l’Espagne était déjà réconciliée avec l’Église ; une famille aussi illustre que sainte avait eu la gloire de consommer ce grand œuvre. Le voyageur qui parcourt, de nos jours encore, l’Andalousie, remarque avec un pieux étonnement, à chacun des quatre angles des places publiques, une statue correspondant à trois autres : ces statues représentent trois frères et une sœur : saint Léandre, Évêque de Séville ; saint Isidore que nous fêtons aujourd’hui ; saint Fulgence, Évêque de Carthagène ; et leur sœur, sainte Florentine, vierge consacrée à Dieu. Par les efforts du zèle et de l’éloquence de saint Léandre, le roi Récarède et toute la nation des Goths se réunirent à la foi catholique, au concile de Tolède, en 589 ; la science et le grand caractère de notre Isidore consolidèrent cette heureuse révolution ; Fulgence la soutint par ses vertus et par sa doctrine ; et Florentine apporta à cette œuvre si féconde pour l’avenir de sa patrie le tribut de ses soupirs et de ses prières.
Isidore, Pasteur fidèle, le peuple chrétien honore vos vertus et vos services ; il se réjouit de la récompense dont le Seigneur a couronné vos mérites ; soyez-lui donc propice en ces jours de salut. Sur la terre, votre vigilance n’abandonna jamais l’heureux troupeau qui lui était confié ; regardez-nous comme vos brebis, défendez-nous des loups ravissants qui nous menacent sans cesse. Que vos prières obtiennent pour nous la plénitude tics grâces qui nous sont nécessaires pour achever dignement cette sainte carrière qui s’avance vers sa fin. Soutenez notre courage ; animez notre ardeur ; préparez-nous à la célébration des grands mystères qui nous attendent. Nous avons regretté nos offenses, expié, quoique bien faiblement, nos fautes ; l’œuvre de notre conversion a fait un pas ; il faut maintenant qu’elle se consomme par la contemplation des souffrances et de la mort de notre Rédempteur. Assistez-nous, ô Pontife du Christ qui l’avez tant aime ; vous dont la vie fut toujours si pure, prenez soin des pécheurs, et écoutez la prière de l’Église qui se recommande à vous aujourd’hui. Du sein des joies éternelles, souvenez-vous aussi de votre patrie terrestre ; bénissez l’Espagne qui vous conserve un culte si fervent. Rendez-lui l’ardeur primitive de la foi ; renouvelez en son sein les mœurs chrétiennes ; faites disparaître l’ivraie qui s’est levée parmi le bon grain. L’Église entière honore cette contrée pour sa fidélité dans la garde du dépôt de la doctrine du salut ; sauvez-la de toute décadence, et arrêtez les maux dont elle souffre ; qu’elle soit toujours fidèle, toujours digne du beau nom que vous l’avez aidée à conquérir.
Le culte de ce vrai Patriarche (+ 636) de l’Espagne au temps de la domination visigothe est très ancien, et l’autorité dont il jouissait déjà dans l’Église durant le haut moyen âge fut si indiscutable que Bédé le Vénérable et les encyclopédistes de l’époque carolingienne lui sont en grande partie redevables de leur science ecclésiastique. Le VIIIe synode de Tolède en 653 fait l’éloge suivant de saint Isidore : Nostri saeculi doctor egregius, ecclesiae catholicae novissimum decus, praecedentibus aetate postremus, doctrinae comparatione non infimus, et, quod maius est, in saeculorum fine doctissimus [1].
Cependant, son office liturgique dans le calendrier du Siège apostolique date seulement de la Renaissance parce que, non seulement saint Isidore n’est pas Romain, mais l’anniversaire de sa mort tombe presque toujours en Carême ou durant la semaine pascale.
La messe est celle du Commun des Docteurs.
A Rome, un monastère de Saint-Isidore est mentionné dans la biographie de Léon III, qui l’enrichit d’un coffret d’argent du poids de deux livres. Une autre église de Saint-Isidore existait derrière la diaconie de Sainte-Marie in Domnica, et elle est mentionnée dans une bulle d’Innocent III [2]. Enfin, un oratoire de Saint-Isidore, également détruit à présent, s’élevait près des thermes de Dioclétien là où, autrefois, étaient les dépôts de grains confiés au praefectus annonae. Il s’agit donc d’un culte ancien et assez répandu dont le saint Docteur était autrefois l’objet dans la Ville éternelle ; c’est pourquoi la Renaissance, en insérant saint Isidore dans le Calendrier romain, n’a fait que rétablir une vieille et traditionnelle dévotion envers ce grand docteur de la catholique Espagne.
Recherchons l’enseignement liturgique.
Saint Isidore : Jour de mort : 4avril 636. — Tombeau : Il fut d’abord dans la cathédrale de Séville ; depuis 1063, il est dans l’église Saint-Isidore, à Léon (Espagne). Image : On le représente en évêque, souvent en compagnie de saint Léandre. Vie : Saint Isidore, frère du saint évêque Léandre, est considéré comme la figure la plus importante de l’Église d’Espagne à cette époque. Il fut, en raison de sa sainteté manifeste, très aimé de son peuple. On se pressait partout autour de lui dès qu’on l’apercevait. « Les uns venaient pour entendre son enseignement salutaire ; les autres, pour voir les miracles qu’il faisait au nom du Seigneur ; les malades venaient pour être guéris de leurs maux, car la force de Dieu sortait de lui et les guérissait tous » [3]. Il est considéré comme le restaurateur de l’Église d’Espagne après le retour des Wisigoths à la foi catholique. Il a aussi beaucoup fait pour la liturgie de rit espagnol. Isidore présida le quatrième concile provincial de Tolède (633), le plus important qui ait été tenu en Espagne. Il gouverna son Église pendant quarante ans et mourut, en 636, riche de mérites.
Pratique : L’oraison nomme saint Isidore un docteur de vie. Il fut, pour son temps, un interprète excellent et un docteur éminent de la liturgie, à laquelle il était attaché de toute son âme. C’est ce que nous voyons dans ses deux livres sur l’office liturgique. — La messe (In medio) est du commun des docteurs.
Chers frères et sœurs,
Je voudrais parler aujourd’hui de saint Isidore de Séville : il était le petit frère de Léandre, évêque de Séville, et grand ami du Pape Grégoire le Grand. Ce fait est important, car il permet de garder à l’esprit un rapprochement culturel et spirituel indispensable à la compréhension de la personnalité d’Isidore. Il doit en effet beaucoup à Léandre, une personne très exigeante, studieuse et austère, qui avait créé autour de son frère cadet un contexte familial caractérisé par les exigences ascétiques propres à un moine et par les rythmes de travail demandés par un engagement sérieux dans l’étude. En outre, Léandre s’était préoccupé de prédisposer le nécessaire pour faire face à la situation politico-sociale du moment : en effet, au cours de ces décennies les Wisigoths, barbares et ariens, avaient envahi la péninsule ibérique et s’étaient emparé des territoires qui avaient appartenu à l’empire romain. Il fallait donc les gagner à la romanité et au catholicisme. La maison de Léandre et d’Isidore était fournie d’une bibliothèque très riche en œuvres classiques, païennes et chrétiennes. Isidore, qui se sentait attiré simultanément vers les unes et vers les autres, fut donc éduqué à développer, sous la responsabilité de son frère aîné, une très grande discipline en se consacrant à leur étude, avec discrétion et discernement.
Dans l’évêché de Séville, on vivait donc dans un climat serein et ouvert. Nous pouvons le déduire des intérêts culturels et spirituels d’Isidore, tels qu’ils apparaissent dans ses œuvres elles-mêmes, qui comprennent une connaissance encyclopédique de la culture classique païenne et une connaissance approfondie de la culture chrétienne. On explique ainsi l’éclectisme qui caractérise la production littéraire d’Isidore, qui passe avec une extrême facilité de Martial à Augustin, de Cicéron à Grégoire le Grand. La lutte intérieure que dut soutenir le jeune Isidore, devenu successeur de son frère Léandre sur la chaire épiscopale de Séville en 599, ne fut pas du tout facile. Peut-être doit-on précisément à cette lutte constante avec lui-même l’impression d’un excès de volontarisme que l’on perçoit en lisant les œuvres de ce grand auteur, considéré comme le dernier des Pères chrétiens de l’antiquité. Quelques années après sa mort, qui eut lieu en 636, le Concile de Tolède de 653 le définit : "Illustre maître de notre époque, et gloire de l’Église catholique".
Isidore fut sans aucun doute un homme aux contrastes dialectiques accentués. Et, également dans sa vie personnelle, il vécut l’expérience d’un conflit intérieur permanent, très semblable à celui qu’avaient déjà éprouvé Grégoire le Grand et saint Augustin, partagés entre le désir de solitude, pour se consacrer uniquement à la méditation de la Parole de Dieu, et les exigences de la charité envers ses frères, se sentant responsable de leur salut en tant qu’évêque. Il écrit, par exemple, à propos des responsables des Églises : "Le responsable d’une Église (vir ecclesiasticus) doit d’une part se laisser crucifier au monde par la mortification de la chair et, de l’autre, accepter la décision de l’ordre ecclésiastique, lorsqu’il provient de la volonté de Dieu, de se consacrer au gouvernement avec humilité, même s’il ne voudrait pas le faire" [4]. Il ajoute ensuite, à peine un paragraphe après : "Les hommes de Dieu (sancti viri) ne désirent pas du tout se consacrer aux choses séculières et gémissent lorsque, par un mystérieux dessein de Dieu, ils sont chargés de certaines responsabilités... Ils font de tout pour les éviter, mais ils acceptent ce qu’ils voudraient fuir et font ce qu’ils auraient voulu éviter. Ils entrent en effet dans le secret du cœur et, à l’intérieur de celui-ci, ils cherchent à comprendre ce que demande la mystérieuse volonté de Dieu. Et lorsqu’ils se rendent compte de devoir se soumettre aux desseins de Dieu, ils humilient le cou de leur cœur sous le joug de la décision divine" [5].
Pour mieux comprendre Isidore, il faut tout d’abord rappeler la complexité des situations politiques de son temps dont j’ai déjà parlé : au cours des années de son enfance, il avait dû faire l’expérience amère de l’exil. Malgré cela, il était envahi par un grand enthousiasme apostolique : il éprouvait l’ivresse de contribuer à la formation d’un peuple qui retrouvait finalement son unité, tant sur le plan politique que religieux, avec la conversion providentielle de l’héritier au trône wisigoth, Ermenégilde, de l’arianisme à la foi catholique. Il ne faut toutefois pas sous-évaluer l’immense difficulté à affronter de manière appropriée les problèmes très graves, tels que ceux des relations avec les hérétiques et avec les juifs. Toute une série de problèmes qui apparaissent très concrets aujourd’hui également, surtout si l’on considère ce qui se passe dans certaines régions où il semble presque que l’on assiste à nouveau à des situations très semblables à celles qui étaient présentes dans la péninsule ibérique de ce VI siècle. La richesse des connaissances culturelles dont disposait Isidore lui permettait de confronter sans cesse la nouveauté chrétienne avec l’héritage classique gréco-romain, même s’il semble que plus que le don précieux de la synthèse il possédait celui de la collatio, c’est-à-dire celui de recueillir, qui s’exprimait à travers une extraordinaire érudition personnelle, pas toujours aussi ordonnée qu’on aurait pu le désirer.
Il faut dans tous les cas admirer son souci de ne rien négliger de ce que l’expérience humaine avait produit dans l’histoire de sa patrie et du monde entier. Isidore n’aurait rien voulu perdre de ce qui avait été acquis par l’homme au cours des époques anciennes, qu’elles fussent païenne, juive ou chrétienne. On ne doit donc pas s’étonner si, en poursuivant ce but, il lui arrivait parfois de ne pas réussir à transmettre de manière adaptée, comme il l’aurait voulu, les connaissances qu’il possédait à travers les eaux purificatrices de la foi chrétienne. Mais de fait, dans les intentions d’Isidore, les propositions qu’il fait restent cependant toujours en harmonie avec la foi pleinement catholique, qu’il soutenait fermement. Dans le débat à propos des divers problèmes théologiques, il montre qu’il en perçoit la complexité et il propose souvent avec acuité des solutions qui recueillent et expriment la vérité chrétienne complète. Cela a permis aux croyants au cours des siècles de profiter avec reconnaissance de ses définitions jusqu’à notre époque. Un exemple significatif en cette matière nous est offert par l’enseignement d’Isidore sur les relations entre vie active et vie contemplative. Il écrit : "Ceux qui cherchent à atteindre le repos de la contemplation doivent d’abord s’entraîner dans le stade de la vie active ; et ainsi, libérés des scories des péchés, ils seront en mesure d’exhiber ce cœur pur qui est le seul qui permette de voir Dieu" [6]. Le réalisme d’un véritable pasteur le convainc cependant du risque que les fidèles courent de n’être que des hommes à une dimension. C’est pourquoi il ajoute : "La voie médiane, composée par l’une et par l’autre forme de vie, apparaît généralement plus utile pour résoudre ces tensions qui sont souvent accentuées par le choix d’un seul genre de vie et qui sont, en revanche, mieux tempérées par une alternance des deux formes" [7].
Isidore recherche dans l’exemple du Christ la confirmation définitive d’une juste orientation de vie : "Le sauveur Jésus nous offrit l’exemple de la vie active, lorsque pendant le jour il se consacrait à offrir des signes et des miracles en ville, mais il montrait la voie contemplative lorsqu’il se retirait sur la montagne et y passait la nuit en se consacrant à la prière" [8]. A la lumière de cet exemple du divin Maître, Isidore peut conclure avec cet enseignement moral précis : "C’est pourquoi le serviteur de Dieu, en imitant le Christ, doit se consacrer à la contemplation sans se refuser à la vie active. Se comporter différemment ne serait pas juste. En effet, de même que l’on aime Dieu à travers la contemplation, on doit aimer son prochain à travers l’action. Il est donc impossible de vivre sans la présence de l’une et de l’autre forme de vie à la fois, et il n’est pas possible d’aimer si l’on ne fait pas l’expérience de l’une comme de l’autre" [9]. Je considère qu’il s’agit là de la synthèse d’une vie qui recherche la contemplation de Dieu, le dialogue avec Dieu dans la prière et dans la lecture de l’Écriture Sainte, ainsi que l’action au service de la communauté humaine et du prochain. Cette synthèse est la leçon que le grand évêque de Séville nous laisse à nous aussi, chrétiens d’aujourd’hui, appelés à témoigner du Christ au début d’un nouveau millénaire.
[1] Mansi, SS. Conc. Coll., X, 1215.
[2] ARMELLINI, op. cit., 503.
[3] Bollandistes, Avril I, 340.
[4] Sententiarum liber III, 33, 1 : PL 83, col 705 B.
[5] Sententiarum liber III, 33, 3 : PL 83, coll. 705-706.
[6] Differentiarum Lib II, 34, 133 : PL 83, col 91A.
[7] o.c., 134 : ibid., col 91B.
[8] o.c. 134 : ibid.
[9] o.c., 135 : ibid., col 91C.