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La Théologie de la Liturgie (2001)

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mardi 24 juillet 2001.


Conférence donnée à l’abbaye de Fontgombault, in La Nef n° 120 - octobre 2001

Le Concile Vatican II définit la liturgie comme "l’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église". L’œuvre de Jésus Christ est désignée dans le même texte comme l’œuvre de la rédemption que le Christ a accomplie spécialement par le mystère pascal de sa passion, de sa résurrection d’entre les morts et sa glorieuse ascension. "Par ce mystère, en mourant il a détruit notre mort et en ressuscitant il a restauré la vie". À première vue, dans ces deux phrases le mot "œuvre du Christ" semble utilisé selon deux significations différentes. "Œuvre du Christ" désigne tout d’abord les actions rédemptrices historiques de Jésus, sa mort et sa résurrection ; d’autre part, on appelle "œuvre du Christ" la célébration de la liturgie. En réalité, les deux significations sont inséparablement liées : la mort et la résurrection, le mystère pascal, ne sont pas seulement des événements historiques extérieurs. Pour la résurrection, cela ressort très clairement. Elle rejoint et pénètre l’histoire, mais la transcende en un double sens : elle n’est pas l’action d’un homme, mais une action de Dieu, et elle conduit de la sorte Jésus ressuscité au-delà de l’histoire là où il siège à la droite du Père. Mais la croix non plus n’est pas une simple action humaine. L’aspect purement humain est présent chez les personnes qui menèrent Jésus à la croix. Pour Jésus lui-même, la croix n’est pas d’abord une action, mais une passion, et une passion qui signifie qu’il ne fait qu’un avec la volonté divine - une union dont l’épisode du Jardin des Oliviers nous fait voir le caractère dramatique. Ainsi la dimension passive de la mise à mort se transforme-t-elle en la dimension active de l’amour : la mort devient abandon de soi-même au Père pour les hommes. De cette façon, le rayon va, ici comme dans la résurrection, bien au-delà du pur aspect humain et bien au-delà du pur fait d’avoir été cloué et d’être mort. Le langage de la foi a appelé "mystère" ce plus à l’égard du pur instant historique et a condensé dans le mot "mystère pascal" le noyau le plus intime de l’événement rédempteur. Si nous pouvons dire dès lors que le "mystère pascal" constitua le noyau de l’"œuvre de Jésus", le rapport avec la liturgie est déjà patent : c’est précisément cette "œuvre de Jésus" qui est le véritable contenu de la liturgie. En elle, par la foi et la prière de l’Église, l’"œuvre de Jésus" rejoint continuellement l’histoire pour la pénétrer. Dans la liturgie, le pur instant historique est de la sorte toujours à nouveau transcendé et entre dans l’action divino-humaine permanente de la rédemption. En elle, le Christ est le vrai sujet porteur : elle est l’œuvre du Christ ; mais en elle il attire à soi l’histoire, précisément dans cette action permanente qui est le lieu de notre salut.

Si nous en revenons à Vatican II, nous y trouvons la description suivante de ces rapports : "La liturgie, par laquelle, surtout dans le divin sacrifice de l’Eucharistie, "s’exerce l’œuvre de notre rédemption", contribue au plus haut point à ce que les fidèles, par leur vie, expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Église". Tout cela est devenu étranger à la pensée moderne et bien trente ans après le Concile, même parmi des liturgistes catholiques, fait l’objet de points d’interrogation. Qui parle aujourd’hui encore de "sacrifice divin de l’Eucharistie" ? Certes, les discussions autour de la notion de sacrifice sont redevenues étonnement vivantes tant du côté catholique que protestant. On sent que dans une idée qui a toujours occupé, sous bien des formes, non seulement l’histoire de l’Église mais l’histoire tout entière de l’humanité, il doit y avoir l’expression de quelque chose d’essentiel qui nous concerne nous aussi. Mais en même temps restent encore partout vivantes les vieilles positions de l’Illuminisme avec ses préjugés à l’égard de la magie et du paganisme, les oppositions entre rite et éthos, la conception d’un christianisme se départant du culte et entrant dans le monde profane ; des théologiens catholiques n’ont guère envie, précisément, de se voir taxer d’anti-modernité. Même si on a, d’une manière ou d’une autre, le désir de retrouver le concept de sacrifice, ce qui reste, à la fin, c’est de l’embarras et la critique. Ainsi récemment Stefan Orth, dans un vaste panorama de la bibliographie récente consacrée au thème du sacrifice, a-t-il cru, en résumé de toute son enquête, pouvoir faire la constatation suivante : "En fait, aujourd’hui beaucoup de catholiques ratifient eux-mêmes le verdict et les conclusions de Martin Luther, que parler de sacrifice est la "plus grande et plus épouvantable horreur" et une "maudite impiété" c’est pourquoi nous voulons nous abstenir de tout ce qui a une tonalité de sacrifice, y compris tout le canon, et retenir seulement ce qui est pur et saint". Puis Orth ajoute : "Cette maxime fut après le Concile Vatican II suivie également dans l’Église catholique, au moins tendanciellement, et conduisit à penser avant tout le culte divin à partir de la fête de la Pâque relatée dans les récits de la Cène". Faisant appel à un ouvrage sur le sacrifice édité par deux liturgistes catholiques de pointe, il dit ensuite, en termes un peu plus modérés : il apparaît clairement que la notion de sacrifice de la messe - plus encore que celle de sacrifice de la croix - est dans le meilleur des cas une notion prêtant hautement à des malentendus.

Je n’ai certainement pas besoin de dire que je ne fais pas partie des "nombreux catholiques" considérant avec Luther comme la plus épouvantable horreur et une maudite impiété le fait de parler de sacrifice de la messe. On comprend donc aussi que le rédacteur ait renoncé à mentionner mon livre sur l’esprit de la liturgie, qui analyse en détail la notion de sacrifice. Son diagnostique demeure consternant. Est-il vrai ? Je ne connais pas ces nombreux catholiques considérant comme une maudite impiété le fait de comprendre l’Eucharistie en tant que sacrifice. Le second diagnostique, plus circonspect, selon lequel on considère la notion de sacrifice de la messe comme prêtant hautement à des malentendus, se laisse à l’inverse facilement vérifier. Même si on laisse de côté la première affirmation du rédacteur, n’y voyant qu’une exagération rhétorique, il reste un problème troublant, auquel on doit faire face. Une partie non négligeable des liturgistes catholiques semble en être pratiquement arrivée au résultat qu’il faut donner substantiellement raison à Luther contre Trente dans le débat du XVIème siècle ; on peut largement constater aussi la même position dans les discussions post-conciliaires sur le sacerdoce. Le grand historien du Concile de Trente, Hubert Jedin, indiquait ce fait, en 1975, dans la préface au dernier volume de son histoire du Concile de Trente : "Le lecteur attentif... ne sera pas, en lisant cela, moins consterné que l’auteur, quand il s’aperçoit combien de choses, presque toutes, même, qui irritaient autrefois les hommes, nous sont de nouveau aujourd’hui proposées". C’est seulement à partir de là, de la disqualification pratique de Trente, que l’on peut comprendre l’exaspération accompagnant la lutte contre la possibilité de célébrer encore, après la réforme liturgique, la messe selon le missel de 1962. Cette possibilité est la contradiction la plus forte et dès lors la moins tolérable par rapport à l’opinion de qui estime que la foi en l’Eucharistie formulée par Trente a perdu sa validité.

Il serait aisé de rassembler des preuves à l’appui de cette situation. Je fais abstraction de la théologie liturgique extrême de Harald Schützeichel, qui se détache complètement du dogme catholique et expose par exemple l’affirmation aventureuse que c’est seulement au Moyen Âge que l’idée de présence réelle aurait été inventée. Un liturgiste de pointe tel David N. Power nous enseigne qu’au cours de l’histoire, non seulement la manière dont une vérité est exprimée, mais même le contenu de ce qui y est exprimé, peut perdre sa signification. Il met concrètement cette théorie en rapport avec les énoncés de Trente. Th. Schnitker nous dit qu’une liturgie rénovée inclut également une expression différente de la foi et des changements théologiques. Il y aurait du reste, selon lui, des théologiens, au moins dans les cercles de l’Église romaine et de sa liturgie, qui n’auraient pas encore saisi la portée de ces transformations promues par la réforme liturgique, dans le domaine de la doctrine de la foi. L’œuvre sans doute sérieuse de R. Messner sur la réforme de la messe chez Martin Luther et l’Eucharistie de l’Église antique, qui a bien des réflexions intéressantes, n’en arrive pas moins à la conclusion que Luther a mieux compris que Trente l’Église antique. La gravité de ces théories vient du fait que fréquemment elles passent aussitôt dans la pratique. La thèse selon laquelle c’est la communauté qui est comme telle le sujet de la liturgie, passe pour une autorisation à manipuler la liturgie selon la compréhension d’un chacun. De prétendues nouvelles découvertes et les formes qui s’ensuivent, se diffusent avec une rapidité étonnante et avec une obéissance à l’égard de telles modes qui depuis longtemps n’existent plus à l’égard des normes de l’autorité ecclésiale. Des théories, dans le domaine de la liturgie, se transforment aujourd’hui très rapidement en pratique, et la pratique, à son tour, crée ou détruit des comportements et des formes de compréhension.

La problématique s’est du reste entre-temps aggravée du fait que le nouvel Illuminisme dépasse de loin Luther : tandis que Luther prenait encore à la lettre les récits de l’institution et les plaçait, comme norma normans, au fondement de ses essais de réforme, les hypothèses de la critique historique sont, depuis longtemps, en train de provoquer une ample érosion des textes. Les récits de la cène apparaissent comme un produit de la construction liturgique de la communauté, on cherche là-derrière un Jésus historique qui naturellement ne pouvait pas avoir pensé au don de son corps et de son sang ni compris sa croix comme sacrifice d’expiation ; il faudrait plutôt songer à un repas d’adieu incluant une perspective eschatologique. Non seulement l’autorité du magistère ecclésial est déclassée aux yeux de beaucoup, mais l’est aussi l’Écriture, à la place de laquelle entrent des hypothèses pseudo-historiques changeantes, qui au fond donnent lieu ensuite à n’importe quel arbitraire et mettent la liturgie à la merci de la mode. Là où, sur la base de telles idées, on manipule toujours plus librement la liturgie, les croyants sentent qu’en réalité rien n’y est célébré, et il est compréhensible qu’ils désertent la liturgie et avec elle l’Église.

Revenons-en à la question fondamentale : est-il juste de qualifier l’Eucharistie de sacrifice divin, ou est-ce une maudite impiété ? Dans ce débat il faut tout d’abord établir les présupposés principaux que déterminent en tout état de cause la lecture de l’Écriture et par là même les conclusions que l’on en tire. Pour le chrétien catholique valent ici deux lignes d’orientation herméneutiques essentielles. La première : nous faisons confiance à l’Écriture et nous nous basons sur l’Écriture, non sur des reconstructions hypothétiques qui remontent en deçà d’elle et reconstruisent à leur guise une histoire dans laquelle joue un rôle principal la question présomptueuse de savoir ce qu’on peut ou ne peut pas attribuer à Jésus, ce qui signifie naturellement seules les choses qu’un érudit moderne veut bien attribuer à un homme d’un temps qu’il a lui-même reconstruit. La seconde est que nous lisons l’Écriture dans la communauté vivante de l’Église, et donc sur la base des décisions fondamentales grâce auxquelles elle est devenue historiquement efficace, elle a, précisément, jeté les bases de l’Église. Il ne faut pas séparer le texte de ce contexte vivant. En ce sens, l’Écriture et la Tradition forment un tout inséparable, et c’est là ce que Luther, à l’aube de l’éveil de la conscience historique, n’a pas pu voir. Il croyait à l’univocité de la lettre, une univocité qui n’existe pas et à laquelle a depuis longtemps renoncé l’historiographie moderne. Que dans l’Église naissante, l’Eucharistie fut, dès le début, comprise comme sacrifice, même dans un texte comme la Didachè, si difficile et plutôt marginal vis-à-vis de la grande Tradition, c’est là un élément d’interprétation de premier ordre.

Mais il y a encore un autre aspect herméneutique fondamental dans la lecture et l’interprétation du témoignage biblique. Le fait que je puisse ou non reconnaître un sacrifice dans l’Eucharistie telle que le Seigneur l’a instituée, tient très essentiellement à la question de savoir ce que j’entends par sacrifice, donc à ce qu’on appelle la pré-compréhension. La pré-compréhension de Luther, par exemple, en particulier sa conception du rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament, sa conception de l’événement et de la présence historique de l’Église, était telle que la catégorie de sacrifice telle qu’il la voyait, ne pouvait, dans son application à l’Eucharistie de l’Église, apparaître que comme une impiété. Les débats auxquels se réfère Stefan Orth montrent combien confuse et embrouillée est la notion de sacrifice chez presque tous les auteurs, et mettent en état de voir tout le travail à faire ici. Pour le théologien croyant, il ressort clairement que c’est l’Écriture elle-même qui doit lui apprendre la définition essentielle du sacrifice, et cela à partir d’une lecture " canonique " de la Bible dans laquelle l’Écriture est lue dans son unité et son mouvement dynamique, dont les différentes étapes reçoivent leur signification dernière du Christ auquel ce mouvement tout entier conduit. Dans cette mesure même, l’herméneutique ici présupposée est une herméneutique de la foi, fondée sur sa logique interne. Cela ne devrait-il pas, au fond, être une évidence ? Car sans la foi, l’Écriture elle-même n’est pas l’Écriture, mais un ensemble plutôt disparate de morceaux littéraires, qui ne peut revendiquer aujourd’hui aucune signification normative.

La tâche à laquelle il est fait ici allusion dépasse de loin, bien entendu, les limites d’une conférence ; qu’il me soit dès lors permis de renvoyer à mon livre sur l’esprit de la liturgie, dans lequel j’ai cherché à retracer les grandes lignes de cette question. Ce qui ressort de là, c’est que, dans son parcours à travers l’histoire des religions et l’histoire biblique, la notion de sacrifice a des connotations qui vont bien au-delà de la problématique que nous lions habituellement à la notion de sacrifice. De fait, elle ouvre l’accès à une compréhension globale du culte et de la liturgie : ce sont ces grandes perspectives que je voudrais essayer d’indiquer ici. Aussi dois-je nécessairement renoncer ici à des questions spéciales d’exégèse, en particulier au problème fondamental de l’interprétation des récits de l’institution, au sujet duquel, par delà mon livre sur la liturgie, j’ai tâché de fournir quelques éléments dans ma contribution sur "Eucharistie et Mission".

Il y a néanmoins une indication que je ne puis pas m’empêcher de donner. Dans la revue bibliographique mentionnée St. Orth dit que le fait d’avoir, après Vatican II, évité la notion de sacrifice, a conduit à "penser le culte divin surtout à partir de la fête de la Pâque rapportée dans les récits de la cène". Cette formulation paraît à première vue ambiguë : pense-t-on le culte divin à partir des récits de la cène ou bien de la fête de la Pâque qu’ils indiquent comme cadre temporel, mais ne décrivent pas ultérieurement ? Il serait juste de dire que la Pâque juive, dont l’institution est rapportée dans Ex 12, acquiert dans le Nouveau Testament un sens nouveau. C’est là que se manifeste un grand mouvement historique qui va des origines jusqu’à la cène, la croix et la résurrection de Jésus. Mais ce qui étonne surtout dans la formulation de Orth, c’est l’opposition construite entre l’idée de sacrifice et la Pâque. Les données vétérotestamentaires judaïques privent cela de sens, car depuis la législation deutéronomique l’abattage des agneaux est lié au temple, mais même dans la période primitive, où la Pâque était encore une fête familiale, l’abattage des agneaux avait déjà un caractère sacrificiel. Ainsi, à travers précisément la tradition de la Pâque, l’idée de sacrifice arrive-t-elle jusqu’aux paroles et aux gestes de la cène, où elle est présente, du reste, sur la base d’un second passage vétérotestamentaire, Ex 24, relatant la conclusion de l’Alliance au Sinaï. Là il est rapporté que le peuple fut aspergé du sang des victimes précédemment amenées et que Moïse dit à cette occasion : "Ceci est le sang de l’Alliance que Yahvé a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses" (Ex 24,8). La Pâque nouvelle, chrétienne, est ainsi tout à fait expressément interprétée dans les récits de la cène comme un événement sacrificiel, et sur la base des paroles de la cène, l’Église naissante savait que la croix était un sacrifice, car la cène serait un geste vide sans la réalité de la croix et de la résurrection, qui y est anticipée et rendue accessible pour tous les temps en son contenu interne.

Je mentionne cette étrange opposition entre la Pâque et le sacrifice, parce qu’elle représente le principe architectonique d’un livre récemment publié par la Fraternité Pie X, prétendant qu’il existe une rupture dogmatique entre la liturgie nouvelle de Paul VI et la tradition liturgique catholique précédente. Cette rupture est vue précisément dans le fait que l’on interprète censément le tout, désormais, à partir du "mystère pascal" au lieu du sacrifice rédempteur d’expiation du Christ ; la catégorie du mystère pascal serait l’âme de la réforme liturgique, et c’est précisément cela qui paraît la preuve de la rupture par rapport à la doctrine classique de l’Église. Il est clair qu’il y a des auteurs qui prêtent le flanc à un tel malentendu. Mais qu’il s’agisse là d’un malentendu, c’est tout à fait évident pour qui y regarde de plus près. En effet le terme de mystère pascal renvoie clairement aux réalités qui ont eu lieu dans les jours allant du Jeudi Saint au matin de Pâques : la cène comme anticipation de la croix, le drame du Golgotha et la résurrection du Seigneur. Dans le terme de mystère pascal, ces épisodes sont vus synthétiquement comme un unique événement, unitaire, comme "l’œuvre du Christ", ainsi que nous l’avons initialement entendu dire par le concile, un fait constituant un événement historique qui transcende en même temps le moment précis. Comme cet événement est, intérieurement, un culte rendu à Dieu, il a pu devenir un culte divin et de la sorte se faire présent à tous les moments. La théologie pascale du Nouveau Testament, sur laquelle nous avons jeté un rapide coup d’œil, donne précisément à entendre ceci : que l’épisode apparemment profane de la crucifixion du Christ est un sacrifice d’expiation, un acte sauveur de l’amour réconciliateur du Dieu fait homme. La théologie de la Pâque est une théologie de la rédemption, une liturgie du sacrifice expiatoire. Le pasteur est devenu agneau. La vision de l’agneau, qui apparaît dans l’histoire d’Isaac - de l’agneau qui s’enchevêtre dans les broussailles et rachète le fils - est devenue une vérité : le Seigneur se fait agneau ; il se laisse lier et sacrifier, pour nous délivrer.

Tout ceci est devenu extrêmement étranger à la pensée contemporaine. Réparation ("expiation") peut évoquer peut-être quelque chose dans le cadre des conflits humains et de la liquidation de la culpabilité régnant entre les humains, mais sa transposition au rapport entre Dieu et l’homme ne réussit pas. Cela tient pour sûr largement au fait que notre image de Dieu a pâli, s’est rapprochée du déisme. On ne peut plus se figurer que la faute humaine puisse blesser Dieu, et encore moins qu’elle aurait besoin d’une expiation pareille à celle que constitue la croix du Christ. Il en va de même de la substitution vicaire : nous ne pouvons guère nous représenter encore quelque chose là-dessous - notre image de l’homme est devenue trop individualiste pour cela. Aussi la crise de la liturgie a-t-elle pour base des conceptions centrales de l’homme : pour la surmonter, il ne suffit pas de banaliser la liturgie et la transformer en un simple rassemblement ou en un pur repas fraternel. Mais comment sortir de ces désorientations ? Comment retrouver le sens de cette chose immense qui est au cœur du message de la croix et de la résurrection ? En dernière instance, certainement pas à travers des théories et des réflexions savantes - mais seulement par la conversion, par un changement radical de vie. À celui-ci peuvent certes ouvrir la voie certains éléments de discernement, et je voudrais proposer des indications en ce sens, et cela en trois étapes.

La première étape doit être une question préalable à la compréhension essentielle du terme sacrifice. On considère communément le sacrifice comme la destruction d’une réalité précieuse aux yeux de l’homme ; en la détruisant, celui-ci veut consacrer cette réalité à Dieu, reconnaître sa souveraineté. Une destruction n’honore pas Dieu, cependant. Des hécatombes d’animaux ou de quoi que ce soit, ne peuvent honorer Dieu. "Si j’ai faim, je n’irai pas te le dire, car le monde est à moi et son contenu. Vais-je manger la chair des taureaux, le sang des boucs, vais-je le boire ? Offre à Dieu un sacrifice d’action de grâces, accomplis tes vœux pour le Très-Haut" dit Dieu à Israël dans le Psaume 50 (49), 12-14. En quoi consiste alors le sacrifice ? Non point dans la destruction, non point dans telle ou telle choses, mais dans la transformation de l’homme. Dans le fait qu’il devient lui-même conforme à Dieu. Conforme à Dieu, il le devient quand il devient amour. "C’est pourquoi, le vrai sacrifice est toute œuvre qui nous permet de nous unir à Dieu en une sainte communauté", dit dès lors Augustin. À partir de cette clef néotestamentaire, Augustin interprète les sacrifices vétérotestamentaires comme des symboles signifiant ce sacrifice proprement dit, et c’est pourquoi, dit-il, le culte devait être transformé, le signe devait disparaître en faveur de la réalité." Toutes les prescriptions divines de l’Écriture touchant les sacrifices du tabernacle ou du temple, sont des figures qui se rapportant à l’amour de Dieu et du prochain" (X 5). Mais Augustin sait aussi que l’amour ne devient vrai que lorsqu’il conduit l’homme à Dieu et ainsi l’ordonne à sa véritable fin ; c’est là seulement que peut se produire également l’unité des hommes entre eux. Aussi le concept de sacrifice renvoie-t-il à la communauté, et la première définition qu’a tentée Augustin, se trouve dès lors élargie par l’énoncé suivant : "Toute la communauté humaine rachetée, c’est-à-dire le rassemblement et la communauté des saints, est offerte à Dieu en sacrifice par le Grand Prêtre qui s’est offert lui-même" (X, 6). Et plus simplement encore : "Ce sacrifice, c’est nous-mêmes " ou encore : "Tel est le sacrifice des chrétiens : la multitude - un seul corps dans le Christ" (X, 6). Le "sacrifice" consiste donc - disons-le encore une fois - dans un processus de transformation, dans la conformation de l’homme à Dieu, dans sa theiosis diraient les Pères. Il consiste, pouvons-nous l’exprimer en termes modernes, en l’abolition de la différence - en l’union entre Dieu et l’homme, entre Dieu et la création : "Dieu tout en tous" (1 Co 15,28).

Mais comment a lieu ce processus qui fait que nous devenons amour et un seul corps avec le Christ, que nous devenons un avec Dieu, comment a lieu cette abolition de la différence ? Il existe ici tout d’abord une nette frontière entre les religions fondées sur la foi d’Abraham d’une part et d’autre part les autres formes de religion telles que nous les trouvons en particulier en Asie, mais aussi - sur le fond, probablement, de traditions asiatiques - dans le Néo-platonisme d’empreinte plotinienne. Là l’union signifie délivrance par rapport à la finitude, qui se dévoile finalement comme apparence, abolition du moi dans l’océan du tout autre qui, face à notre monde d’apparences, est le néant, en vérité cependant le seul être véritable. Dans la foi chrétienne qui accomplit la foi d’Abraham, l’unité est vue de façon toute autre : elle est l’unité de l’amour, dans laquelle les différences ne sont pas abolies, mais se transforment en l’unité supérieure des aimants, telle qu’elle se trouve, de façon archétypique, dans l’unité trinitaire de Dieu. Tandis que, par exemple chez Plotin, la finitude est décadence par rapport à l’unité, et pour ainsi dire le noyau du péché, et comme telle en même temps le noyau de tout mal, la foi chrétienne ne voit pas le fini comme une négation, mais comme une création, le fruit d’un vouloir divin qui crée un partenaire libre, une créature qui n’a pas à être abolie, mais doit être accomplie, s’insérer dans l’acte libre de l’amour. La différence n’est pas abolie, mais devient la modalité d’une unité supérieure.

Cette philosophie de la liberté, qui est à la base de la foi chrétienne et la différencie des religions asiatiques, inclut la possibilité de la négation. Le mal n’est pas une simple décadence de l’être, mais la conséquence d’une liberté mal utilisée. Le chemin de l’unité, le chemin de l’amour, est dès lors un chemin de conversion, un chemin de purification : il prend la figure de la croix, il passe par le mystère pascal, par la mort et la résurrection. Il a besoin du Médiateur qui, dans sa mort et dans sa résurrection, devient pour nous le chemin, nous attire tous à lui et ainsi nous exauce (Jn 12,32).

Jetons un coup d’œil en arrière. Dans sa définition : sacrifice = amour, Augustin s’appuie avec raison sur le mot, présent sous diverses variantes dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, qu’il cite d’après Osée : "c’est l’amour que je veux, non les sacrifices" (6,6 ; St Aug. Cité de Dieu, X, 5). Mais ce mot ne met pas simplement une opposition entre ethos et culte - alors le christianisme se réduirait à un moralisme. Il renvoie à un processus qui est plus que la morale - à un processus dont Dieu prend l’initiative. Lui seul peut éveiller en l’homme la mise en marche vers l’amour. C’est l’amour dont Dieu aime qui seul fait croître l’amour envers lui. Ce fait d’être aimé est un processus de purification et de transformation, dans lequel nous ne sommes pas seulement ouverts à Dieu, mais unis les uns aux autres. L’initiative de Dieu a un nom : Jésus Christ - le Dieu qui se fait lui-même homme et se donne à nous. C’est pourquoi Augustin peut synthétiser le tout en disant : "Tel est le sacrifice des chrétiens : la multitude - un seul corps dans le Christ. L’Église célèbre ce mystère par le sacrifice de l’autel, bien connu des croyants, parce qu’en celui-ci il lui est montré que dans les choses qu’elle offre, c’est elle-même qui est offerte" (X, 6). Qui a compris cela, ne sera plus d’avis que parler de sacrifice de la messe est pour le moins hautement ambigu et même une épouvantable horreur... Au contraire : Si nous ne retrouvons pas cela, nous perdons de vue la grandeur de ce que Dieu nous donne dans l’Eucharistie.

Je voudrais encore maintenant mentionner très brièvement deux autres approches. Une indication importante est donnée, à mon sens, dans la scène de la purification au temple, en particulier sous la forme telle que Jean la transmet. Jean, en effet, rapporte une parole de Jésus qui n’apparaît dans les Synoptiques que dans le procès de Jésus, sur les lèvres de faux témoins et de façon déformée. La réaction de Jésus à l’égard des marchands et des changeurs du temple était pratiquement une attaque contre les immolations d’animaux qui y étaient présentés, donc une attaque contre la forme existante du culte, du sacrifice en général. C’est pourquoi les autorités juives compétentes lui demandent à bon droit par quel signe il justifie un tel geste, qui devait équivaloir à une attaque contre la loi de Moïse et les prescriptions sacrées de l’Alliance. Là-dessus Jésus répond : "Détruisez (dissolvez) ce sanctuaire ; en trois jours je le relèverai" (Jn 2,19). Cette formule subtile évoque une vision dont Jean lui-même dit que les disciples ne la comprirent qu’après la résurrection, en se remémorant les faits, et qu’elle les amena à "croire à l’Écriture et à la parole de Jésus" (Jn 2,22). Car ils comprennent maintenant que le temple a été aboli au moment de la crucifixion de Jésus : Jésus, selon Jean, fut crucifié exactement au moment où les agneaux pascals étaient immolés dans le sanctuaire. Au moment où le Fils se constitue lui-même comme agneau, c’est-à-dire se donne librement au Père et ainsi à nous, il est mis fin aux anciennes prescriptions du culte qui ne pouvaient être qu’un signe des réalités authentiques. Le temple est "détruit". Et désormais son corps ressuscité - lui-même - devient le véritable temple de l’humanité, dans lequel se déroule l’adoration en esprit et vérité (Jn 4,23). Mais esprit et vérité ne sont pas des concepts philosophiques abstraits - il est lui-même la vérité, et l’esprit est l’Esprit Saint qui procède de lui. Ici aussi il apparaît ainsi clairement que le culte n’est pas remplacé par la morale, mais que le culte passé termine par le succédané et ses malentendus souvent tragiques, parce que la réalité elle-même se manifeste, le nouveau temple : le Christ ressuscité qui nous attire, transforme et unit à lui. Et de nouveau il est clair que l’Eucharistie de l’Église - pour parler avec Augustin - est sacramentum du vrai sacrificium - signe sacré dans lequel se produit le signifié.

Finalement je voudrais signaler en toute brièveté un troisième chemin sur lequel s’est progressivement éclairé le passage du culte succédané, des immolations d’animaux, au véritable sacrifice - à la communion à l’offrande du Christ. Chez les prophètes précédant l’exil, il y avait eu une critique extraordinairement dure contre le culte du temple, qu’Etienne, à l’effroi des docteurs et des prêtres du temple, reprit dans son grand discours, avec quelques citations, notamment ce verset d’Amos : " Avez-vous donc offert victimes et sacrifices à Moi, pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Mais vous avez porté la tente de Moloch et l’étoile du dieu Rephân, les figures que vous aviez faites pour les adorer" (5,25 ; Ac 7,42). La critique des prophètes était le présupposé interne permettant à Israël de traverser l’épreuve de la destruction du temple, du temps sans culte. On fut obligé alors de mettre plus profondément et d’une nouvelle manière en lumière ce qu’est le culte, l’expiation, le sacrifice. Au temps de la dictature hellénistique, où Israël était de nouveau sans temple et sans sacrifice, le livre de Daniel nous a transmis cette prière : "Seigneur, nous voici plus petits que toutes les nations... Il n’est plus, en ce temps, chef ni prophète... holocauste, sacrifice, oblation ni encens, lieu où t’offrir les prémices et trouver grâce auprès de toi. Mais qu’une âme brisée et un esprit humilié soient agréés de toi, comme des holocaustes de béliers et de taureaux, comme des milliers d’agneaux gras ; que tel soit notre sacrifice aujourd’hui devant toi, et qu’il te plaise que pleinement nous te suivions, car il n’est point de confusion pour ceux qui espèrent en toi. Et maintenant nous mettons tout notre cœur à te suivre, à te craindre et à rechercher ta face" (Dan 3,37-41). Ainsi a mûri lentement la découverte que la prière, la parole, l’homme priant et devenant lui-même parole est le vrai sacrifice. La lutte d’Israël a pu ici entrer en contact fécond avec la recherche du monde hellénistique, qui lui-même cherchait le moyen de sortir du culte succédané des immolations d’animaux pour arriver au culte proprement dit, à la vraie adoration, au véritable sacrifice. Sur ce chemin a mûri l’idée de la logike tysia - du sacrifice [consistant] dans la parole -, que nous rencontrons dans le Nouveau Testament en Rm 12, 1, là où l’Apôtre exhorte les croyants "à s’offrir eux-mêmes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu" : c’est cela qui est désigné comme logike latreia, comme service divin selon la parole, raisonnable. Nous trouvons la même chose, sous une autre tournure, en He 13,15 : "Par lui - le Christ -, offrons sans cesse un sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui confessent son nom". De nombreux exemples provenant des Pères de l’Église montrent comment ces idées furent prolongées et devinrent le point de jonction entre la christologie, la foi eucharistique et la mise en pratique existentielle du mystère pascal. Je voudrais seulement citer, à titre d’exemple, quelques phrases de Pierre Chrysologue, dont on devrait, à vrai dire, lire le sermon en question tout entier, pour pouvoir suivre cette synthèse d’un bout à l’autre : "Étrange sacrifice, où le corps s’offre sans le corps, le sang sans le sang ! Je vous conjure - dit l’Apôtre - par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos personnes en hostie vivante. Frères, ce sacrifice s’inspire à l’exemple du Christ, qui a immolé son corps, pour que les hommes vivent... Deviens, homme, deviens le sacrifice de Dieu et son prêtre... Dieu cherche la foi, non la mort. Il a soif de ta promesse, non de ton sang. La ferveur l’apaise, non le meurtre". Ici aussi il s’agit de tout autre chose que d’un pur moralisme, tant l’homme y est engagé en son être tout entier : sacrifice [consistant] dans la parole - cela, les penseurs grecs l’avaient déjà mis en relation au logos, à la parole elle-même, indiquant que le sacrifice de la prière ne doit pas être un pur discours, mais bien la transmutation de notre être dans le logos, l’union avec lui. Le culte divin implique que nous devenions nous-mêmes des êtres de la parole, que nous nous conformions à la Raison créatrice. Mais de nouveau il est clair que nous ne pouvons pas faire cela à partir de nous-mêmes, et ainsi tout semble de nouveau finir dans la vanité - jusqu’au jour où vient le Logos, le véritable, le Fils, où il se fait chair et nous élève à lui-même dans l’exode de la croix. Ce vrai sacrifice, qui nous transforme tous en sacrifice, c’est-à-dire nous unit à Dieu, fait de nous des êtres conformes à Dieu, est, certes, fixé et fondé dans un événement historique, mais il ne gît pas comme une chose du passé, derrière nous, au contraire, il se fait contemporain et accessible à nous dans la communauté de l’Église croyante et priante, dans son sacrement : c’est là ce que signifie le "sacrifice de la messe". L’erreur de Luther gisait, j’en suis convaincu, dans un faux concept d’historicité, dans une mauvaise intelligence de l’unicité. Le sacrifice du Christ ne gît pas derrière nous comme quelque chose de passé. Il touche tous les temps et nous est présent. L’Eucharistie n’est pas simplement la distribution de ce que vient du passé, mais bien la présence du mystère pascal du Christ, qui transcende et unit les temps. Si le canon romain cite Abel, Abraham, Melchisédech, les incluant parmi ceux qui célèbrent l’Eucharistie, c’est dans la conviction qu’en eux aussi, les grands offrants, c’est le Christ qui traversait les temps, ou mieux, peut-être : que dans leur recherche ils marchaient à la rencontre du Christ. La théologie des Pères telle que nous la trouvons dans le canon, ne nie pas la vanité et l’insuffisance des sacrifices pré-chrétiens ; le canon inclut du reste, avec les figures d’Abel et de Melchisédech, les "saints païens" eux-mêmes dans le mystère du Christ. Ce qui se passe, c’est précisément ceci : tout ce qui précédait est vu en son insuffisance, comme ombre, mais aussi ceci : que le Christ attire tout à lui, qu’il y a, même dans le monde païen, une préparation à l’Évangile, que même des éléments imparfaits peuvent conduire au Christ, quelles que soient les purifications dont elles ont besoin.

J’en viens à la conclusion. Théologie de la liturgie - cela veut dire que Dieu agit par le Christ dans la liturgie et que nous ne pouvons agir que par lui et avec lui. De nous-mêmes nous ne pouvons pas construire le chemin vers Dieu. Ce chemin, il ne s’ouvre que si Dieu lui-même se fait le chemin. Et une fois encore : des chemins de l’homme qui ne finissent pas du côté de Dieu, sont des non-chemins. Théologie de la liturgie - cela signifie ultérieurement que dans la liturgie le Logos lui-même nous parle, et non seulement il parle : il vient en corps et âme, chair et sang, divinité et humanité, pour nous unir à lui, faire de nous un seul "corps". Dans la liturgie chrétienne, toute l’histoire du salut, bien plus, toute l’histoire de la recherche humaine de Dieu est présente, assumée et menée à son terme. La liturgie chrétienne est une liturgie cosmique - elle embrasse la création tout entière qui "attend avec impatience la révélation des fils de Dieu" (Rm 8,19).

Trente ne s’est pas trompé, il était assis sur le fondement solide de la Tradition de l’Église. Il demeure un critère fiable. Mais nous pouvons et devons le comprendre d’une manière plus profonde en puissant aux richesses du témoignage biblique et de la foi de l’Église de tous les temps. Il y a de vrais signes d’espérance que cette compréhension renouvelée et approfondie de Trente puisse, en particulier par l’intermédiaire des Églises d’Orient, être rendue accessible aux chrétiens protestants. Une chose devrait être claire : la liturgie ne doit pas être un terrain d’expérimentation d’hypothèses théologiques. Trop rapidement, dans ces dernières décennies, des conceptions d’experts sont entrées dans la pratique liturgique, souvent aussi en passant à côté de l’autorité ecclésiale, à travers le chemin de commissions qui surent diffuser au niveau international leur consensus du moment, et en faire pratiquement des lois de l’action liturgique. La liturgie tient sa grandeur de ce qu’elle est et non de ce que nous en faisons. Notre participation est certes nécessaire, mais comme un moyen de s’insérer humblement dans l’esprit de la liturgie et de servir celui qui est le véritable sujet de la liturgie : Jésus Christ. La liturgie n’est pas l’expression de la conscience d’une communauté, qui du reste est diffuse et changeante. Elle est la révélation accueillie dans la foi et la prière, et sa mesure est dès lors la foi de l’Église, qui est le récipient de la révélation. Les formes que l’on donne à la liturgie peuvent varier en fonction des lieux et des temps, comme les rites sont divers. Essentiel est le lien à l’Église qui, de son côté, est liée par la foi dans le Seigneur. L’obéissance de la foi garantit l’unité de la liturgie par-delà la frontière des lieux et des temps, et nous laisse ainsi expérimenter l’unité de l’Église, l’Église comme patrie du cœur. L’essence de la liturgie est finalement résumée dans la prière que nous ont transmise saint Paul (l Cor 16,22 et la Didachè (10,6) : Maran atha - notre Seigneur est là - Seigneur, viens ! Dans l’Eucharistie s’accomplit dès maintenant la parousie, mais cela, en nous allongeant en direction du Seigneur qui vient, précisément en nous apprenant à clamer : Viens, Seigneur Jésus. Et elle nous laisse toujours à nouveau percevoir sa réponse et en éprouver la vérité : oui, je viens bientôt (Ap 22,17.20).

Joseph Cardinal Ratzinger Fontgombault, 22-24 juillet 2001