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Commentaires liturgiques de la fête des Sts Pierre et Paul

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Sommaire

  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

On trouvera les textes de la messe et de l’Office ici

On se reportera aussi aux jours liturgiques suivantes :
- vigile
- commémoraison de St Paul
- 6ème jour dans l’octave
- Octave

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

« Simon, fils de Jean, m’aimez-vous ? » Voici l’heure où la réponse que le Fils de l’homme exigeait du pêcheur de Galilée, descend des sept collines et remplit la terre. Pierre ne redoute plus la triple interrogation du Seigneur. Depuis la nuit fatale où le coq fut moins prompt à chanter que le premier des Apôtres à renier son Maître, des larmes sans fin ont creusé deux sillons sur les joues du Vicaire de l’Homme-Dieu ; le jour s’est levé où tarissent ces pleurs. Du gibet où l’humble disciple a réclamé d’être cloué la tête en bas, son cœur débordant redit enfin sans crainte la protestation qui, depuis la scène des bords du lac de Tibériade, a silencieusement consumé sa vie : « Oui, Seigneur ; vous savez que je vous aime [1] ! »

Jour sacré, où l’oblation du premier des Pontifes assure à l’Occident les droits du suprême sacerdoce ! Jour de triomphe, où l’effusion d’un sang généreux conquiert à Dieu la terre romaine ; où, sur la croix de son représentant, l’Époux divin conclut avec la reine des nations son alliance éternelle !

Ce tribut de la mort, Lévi ne le connut pas ; cette dot du sang, Jéhovah ne l’avait point exigée d’Aaron : car on ne meurt pas pour une esclave, et la synagogue n’était point l’Épouse [2]. L’amour est le signe qui distingue le sacerdoce des temps nouveaux du ministère de la loi de servitude. Impuissant, abîmé dans la crainte, le prêtre juif ne savait qu’arroser du sang de victimes substituées à lui-même les cornes de l’autel figuratif. Prêtre et victime à la fois, Jésus veut plus de ceux qu’il appelle en participation de la prérogative sacrée qui le fait pontife à jamais selon l’ordre de Melchisédech [3]. « Je ne vous appellerai plus désormais serviteurs, déclare-t-il à ces hommes qu’il vient d’élever au-dessus des Anges, à la Cène ; je ne vous appellerai plus serviteurs, car le serviteur ne sait ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai communiqué tout ce que j’ai reçu de mon Père [4]. Comme mon Père m’a aimé, ainsi je vous ai aimés ; demeurez donc en mon amour [5] ».

Or, pour le prêtre admis de la sorte en communauté avec le Pontife éternel, l’amour n’est complet que s’il s’étend à l’humanité rachetée dans le grand Sacrifice. Et, qu’on le remarque : il y a là pour lui plus que l’obligation, commune à tous les chrétiens, de s’entr’aimer comme membres d’un même Chef ; car, par son sacerdoce, il fait partie du Chef, et, à ce titre, la charité doit prendre en lui quelque chose du caractère et des profondeurs de l’amour que ce Chef divin porte à ses membres. Que sera-ce, si, au pouvoir qu’il possède d’immoler le Christ lui-même, au devoir qu’il a de s’offrir avec lui dans le secret des Mystères, la plénitude du pontificat vient ajouter la mission publique de donner à l’Église l’appui dont elle a besoin, la fécondité que l’Époux céleste attend d’elle ? C’est alors que, selon la doctrine exprimée de toute antiquité par les Papes, les Conciles et les Pères, l’Esprit-Saint l’adapte à son rôle sublime en identifiant pleinement son amour à celui de l’Époux dont il remplit les obligations, dont il exerce les droits. Mais alors aussi, d’après le même enseignement de la tradition universelle, se dresse devant lui le précepte de l’Apôtre ; sur tous les trônes où siègent les évêques de l’Orient comme de l’Occident, les anges des Églises se renvoient la parole : « Époux, aimez vos Épouses, comme le Christ a aimé l’Église, et s’est livré pour elle afin de la sanctifier » [6].

Telle apparaît la divine réalité de ces noces mystérieuses, qu’à tous les âges l’histoire sacrée flétrit du nom d’adultère l’abandon irrégulier de l’Église premièrement épousée. Telles sont les exigences d’une union si relevée, que celui-là seul peut y être appelé qui demeure établi déjà sur les sommets de la perfection la plus haute ; car l’Évêque doit se tenir prêt à justifier sans cesse de ce degré suprême de charité, dont le Seigneur a dit : « Il n’y a point de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » [7]. Là ne réside point seulement la différence du mercenaire et du vrai pasteur [8] ; cette disposition du Pontife à défendre jusqu’à la mort l’Église qui lui fut confiée, à laver dans son sang toute tache déparant la beauté de l’Épouse [9], est la garantie du contrat qui l’unit à cette très noble élue du Fils de Dieu, le juste prix des joies très pures qui lui sont réservées. « Je vous ai révélé ces choses, avait dit le Seigneur instituant le Testament de la nouvelle alliance, afin que ma propre joie soit en vous, et que votre joie soit pleine » [10].

Si tels devaient être les privilèges et obligations des chefs des Églises, combien plus du pasteur de tous ! En confiant à Simon fils de Jean l’humanité régénérée, le premier soin de l’Homme-Dieu avait été de s’assurer qu’il serait bien le vicaire de son amour [11] ; qu’ayant reçu plus que les autres, il aimerait plus qu’eux tous [12] ; qu’héritier de la dilection de Jésus pour les siens qui étaient dans le monde, il les aimerait comme lui jusqu’à la fin [13]. C’est pourquoi l’établissement de Pierre au sommet de la hiérarchie sainte, concorde dans l’Évangile avec l’annonce de son martyre [14] : pontife souverain, il devait suivre jusqu’à la Croix l’hiérarque suprême [15].

Les fêtes de ses deux Chaires à Antioche et à Rome, nous ont rappelé la souveraineté avec laquelle il préside au gouvernement du monde, l’infaillibilité de la doctrine qu’il distribue comme nourriture au troupeau tout entier ; mais ces deux fêtes, et la primauté dont elles rendent témoignage au Cycle sacré, appelaient pour complément et pour sanction les enseignements de la solennité présente. Ainsi que la puissance reçue par l’Homme-Dieu de son Père [16], la pleine communication faite par lui de cette même puissance au chef visible de son Église avait pour but la consommation de la gloire poursuivie par le Dieu trois fois saint dans son œuvre [17] ; toute juridiction, tout enseignement, tout ministère ici-bas, nous dit saint Paul d’autre part, aboutit à la consommation des saints [18], qui ne fait qu’un avec la consommation de cette gloire souveraine : or, la sainteté de la créature, et, tout ensemble, la gloire du Dieu créateur et sauveur, ne trouvent leur pleine expression qu’au Sacrifice embrassant pasteur et troupeau dans un même holocauste.

C’est pour cette fin dernière de tout pontificat, de toute hiérarchie, que, depuis l’Ascension de Jésus, Pierre avait parcouru la terre. A Joppé, lorsqu’il était encore au début de ses courses d’Apôtre, une faim mystérieuse s’était saisie de lui : « Lève-toi, Pierre ; tue et mange », avait dit l’Esprit ; et, dans le même temps, une vision symbolique présentait réunis à ses yeux les animaux de la terre et les oiseaux du ciel [19]. C’était la gentilité qu’il devait joindre, sur la table du banquet divin, aux restes d’Israël. Vicaire du Verbe, il partagerait sa faim immense : sa parole, comme un glaive acéré, abattrait devant lui les nations ; sa charité, comme un feu dévorant, s’assimilerait les peuples ; réalisant son titre de chef, un jour viendrait que, vraie tête du monde, il aurait fait de cette humanité, offerte en proie à son avidité, le corps du Christ en sa propre personne. Alors, nouvel Isaac, ou plutôt vrai Christ, il verrait, lui aussi, s’élever devant lui la montagne où Dieu regarde, attendant l’oblation [20].

Regardons, nous aussi ; car ce futur est devenu le présent, et, comme au grand Vendredi, nous avons part au dénouement qui s’annonce. Part bienheureuse, toute de triomphe : ici du moins, le déicide ne mêle pas sa note lugubre à l’hommage du monde, et le parfum d’immolation qui déjà s’élève de la terre ne remplit les cieux que de suave allégresse. Divinisée par la vertu de l’adorable hostie du Calvaire, on dirait, en effet, que la terre aujourd’hui se suffit à elle-même. Simple fils d’Adam par nature, et pourtant vrai pontife souverain, Pierre s’avance portant le monde : son sacrifice va compléter celui de l’Homme-Dieu qui l’investit de sa grandeur [21] ; inséparable de son chef visible, l’Église aussi le revêt de sa gloire [22]. Loin d’elle aujourd’hui les épouvantements de cette nuit en plein midi, où elle cacha ses pleurs, quand pour la première fois la Croix fut dressée. Elle chante ; et son lyrisme inspiré célèbre « la pourpre et l’or dont la divine lumière compose les rayons de ce jour qui donne aux coupables la grâce » [23]. Dirait-elle plus du Sacrifice de Jésus lui-même ? C’est qu’en effet, par la puissance de cette autre croix qui s’élève, Babylone aujourd’hui devient la cité sainte. Tandis que Sion reste maudite pour avoir une fois crucifié son Sauveur, Rome aura beau rejeter l’Homme-Dieu, verser son sang dans ses martyrs, nul crime de Rome ne prévaudra contre le grand fait qui se pose à cette heure : la croix de Pierre lui a transféré tous les droits de celle de Jésus, laissant aux Juifs la malédiction ; c’est elle maintenant qui est Jérusalem.

Telle étant donc la signification de ce jour, on ne s’étonnera pas que l’éternelle Sagesse ait voulu la relever encore, en joignant l’immolation de Paul l’Apôtre au sacrifice de Simon Pierre. Plus que tout autre, Paul avait avancé par ses prédications l’édification du corps du Christ [24] ; si, aujourd’hui, la sainte Église est parvenue à ce plein développement qui lui permet de s’offrir en son chef comme une hostie de très suave odeur, qui mieux que lui méritait donc de parfaire l’oblation, d’en fournir de ses veines la libation sacrée [25] ? L’âge parfait de l’Épouse étant arrivé [26], son œuvre à lui aussi est achevée [27]. Inséparable de Pierre dans ses travaux par la foi et l’amour, il l’accompagne également dans la mort [28] ; tous deux ils laissent la terre aux joies des noces divines scellées dans leur sang, et montent ensemble à l’éternelle demeure où l’union se consomme [29]. LES PREMIÈRES VÊPRES.

Après les grandes solennités du Cycle mobile et la fête de saint Jean-Baptiste, il n’en est point de plus ancienne ni de plus universelle en l’Église que celle des deux princes des Apôtres. Dès l’origine, Rome célébra leur triomphe à la date même du 29 juin qui les avait vus s’élever de la terre au ciel. Son usage prévalut de bonne heure sur celui de quelques contrées, où la coutume s’était d’abord établie de fixer la fête des Apôtres aux derniers jours de décembre. Assurément, c’était une belle pensée que de faire ainsi des pères du peuple chrétien le cortège de l’Emmanuel à son entrée dans le monde. Mais, nous l’avons vu, les enseignements de ce jour ont, par eux-mêmes, une importance prépondérante dans l’économie du dogme chrétien ; ils sont le complément de l’œuvre entière du Fils de Dieu ; la croix de Pierre fixe l’Église en sa stabilité, et assigne au divin Esprit l’immuable centre de ses opérations. Rome était donc bien inspirée lorsque, réservant au disciple bien-aimé l’honneur de veiller pour ses frères près de la crèche de l’Enfant-Dieu, elle maintenait la solennelle mémoire des princes de l’apostolat au jour choisi par Dieu pour consommer leurs travaux et couronner, en même temps que leur vie, le cycle entier des mystères.

C’est aujourd’hui que les cieux racontent pleinement la gloire de Dieu, comme parle David, et qu’ils nous montrent achevée la course de l’Époux parti des sommets éternels [30]. Le jour l’annonce au jour, et la nuit en révèle à la nuit le secret profond [31] : au nord et au midi de la nouvelle Sion, des deux rives de son fleuve. Pierre et Paul se renvoient pour adieu l’épithalame sacré, la parole excellente [32] ; écho sublime, dont la portée puissante embrasse dès maintenant la terre [33] dont la durée sera celle du monde. Les deux flambeaux du salut combinent leurs feux au-dessus des palais de la Rome antique ; l’obscurcissement passager de leur mort, cette nuit que chantait le Psaume, concentre à jamais la lumière au sein de la cité reine. Près du trône de l’Époux affermi jusqu’aux siècles sans fin sur les sept collines [34], la gentilité, devenue l’Épouse, resplendit glorieuse [35] et toute belle de l’incomparable pureté qu’elle puise en leur sang uni au Sang du Fils de Dieu.

Mais il convenait de ne point oublier, en un si grand jour, ces autres messagers du père de famille qui arrosèrent eux-mêmes de leurs sueurs et de leur sang toutes les routes du monde, pour hâter le triomphe et rassembler les conviés du festin des noces [36], C’est grâce à eux qu’à cette heure, la loi de grâce est définitivement promulguée parmi les nations, que dans tous les idiomes et sur tous les rivages la bonne nouvelle a retenti[Psalm. XVIII, 4-5.]]. Aussi la fête de saint Pierre, plus spécialement complétée par le souvenir de Paul son compagnon dans la mort, fut-elle néanmoins regardée, dès les temps les plus reculés, comme celle du collège entier des Apôtres. On n’eût point cru, primitivement, pouvoir séparer de leur glorieux chef aucun de ceux que le Seigneur en avait rapprochés si intimement, dans la solidarité de leur œuvre commune. Par la suite cependant, des solennités particulières furent consacrées successivement à chacun d’eux, et la fête du 29 juin resta plus exclusivement attribuée aux deux princes dont le martyre avait illustré cette journée. Il arriva même bientôt, comme nous le verrons, que l’Église romaine, ne croyant pouvoir suffire à les honorer convenablement tous deux en un même jour, renvoya au lendemain la louange plus explicite du Docteur des nations. Elle se trouvait plus libre, ainsi, de concentrer les démonstrations de son pieux enthousiasme autour de celui que l’Église grecque elle-même proclame, en toute manière, le coryphée du bienheureux chœur des Apôtres [37]. Ces remarques étaient nécessaires à l’intelligence de l’Office qui va suivre.

Les Antiennes et le Capitule des premières Vêpres, nous reportent aux débuts du ministère apostolique. Nous sommes dans les jours qui suivirent la descente du Saint-Esprit. Pierre et Jean montent ensemble au temple de Jérusalem, dont les figures ont pris fin récemment par le Sacrifice du Calvaire, mais qui reste encore un lieu de prières agréable au ciel en raison de ses grands souvenirs. A la porte de l’édifice sacré, un homme, boiteux depuis sa naissance, ayant demandé l’aumône aux Apôtres, Pierre, dépourvu d’argent et d’or, use en sa faveur du pouvoir qu’il a de guérir au nom de Jésus-Christ de Nazareth. La synagogue ne se rend pas plus aux miracles du disciple, qu’elle ne s’était convertie à ceux du Maître ; et bientôt, un nouvel Hérode, voulant plaire aux Juifs, ne trouve point de meilleur moyen pour cela que de faire mourir Jacques, frère de Jean, et d’emprisonner Pierre. Mais l’ange du Seigneur est descendu dans la prison où celui-ci dormait, à la veille du supplice ; il lui ordonne de reprendre ses vêtements et de le suivre. L’Apôtre, délivré, proclame la réalité de ce qui lui paraissait d’abord un songe. Il s’éloigne de Jérusalem, maudite désormais sans retour ; et, de toutes parts au milieu des nations, se vérifie la prophétie : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » [38].

On trouvera le texte des 1ères Vêpres ici

Quoique retouchée selon le goût du temps, au XVIIIe siècle, l’Hymne qui suit exprime avec magnificence les gloires de cette journée. Ce chant de triomphe eut pour auteur la Sicilienne Elpis, tante de saint Placide martyr, et femme du sénateur Boèce, le plus illustre rejeton de la gens Anicia, si cette famille n’eût donné dans le même temps saint Benoît à l’Église. La troisième strophe, d’une majesté toute royale en l’honneur de la cité reine, est tirée, avec quelques modifications, d’un autre poème antique attribué à saint Paulin d’Aquilée. Ce fut l’immortel saint Pie V qui compléta, par cette heureuse addition, l’œuvre d’Elpis.

Les fêtes de chaque Apôtre, durant l’année, étaient de précepte autrefois pour le peuple chrétien. Le Saint-Siège ayant dû permettre qu’il n’en fût plus ainsi dans un grand nombre d’églises, a voulu qu’au moins, par une sorte de compensation, ces églises fissent mémoire de tous les saints Apôtres à la Messe et aux Offices principaux de la fête de saint Pierre. C’est, en quelque chose, un retour à l’ancien usage où la fête du chef était, comme nous l’avons dit, celle du collège apostolique entier.

MÉMOIRE DE TOUS LES SAINTS APÔTRES.
Ant. Tradent enim vos * in concíliis, et in synagógis suis flagellábunt vos, et ante reges et præsides ducémini propter me in testimónium illis, et Géntibus.Ant. Ils vous livreront à leurs assemblées, et ils vous flagelleront dans leurs synagogues, et vous serez conduits devant les rois et les gouverneurs à cause de moi, en témoignage pour eux et les nations.
V/.In omnem terram exívit sonus eórum.V/.Ils ont annoncé les œuvres de Dieu,
R/.Et in fines orbis terræ verba eórum.R/.Et compris ses ouvrages.
ORAISON.
Deus, qui nos per beátos Apostolos tuos ad agnitiónem tui nóminis veníre tribuísti : da nobis ; eórum glóriam sempitérnam et proficiéndo celebráre, et celebrándo profícere. Per Dóminum.O Dieu qui, par vos bienheureux Apôtres, nous avez donné d’arriver à la connaissance de votre nom ; accordez-nous tout ensemble, et de célébrer en progressant leur gloire sans fin, et de progresser en la célébrant. Par Jésus-Christ.

Le soleil penche vers l’horizon. Bientôt l’Église va reprendre ses chants, et commencer la Veille sacrée qui se poursuivra jusqu’au matin, dans toute la pompe et l’ampleur des plus augustes solennités. Par le cœur du moins, veillons avec elle. Cette nuit fut la dernière où le chef que lui donna l’Époux, remplit, dans les cachots de Néron, son ministère de prière et de souffrance ; elle le quittera d’autant moins, et s’emploiera plus que jamais à relever ses grandeurs. Lorsque de nouveau l’astre du jour, paraissant à l’orient, dardera ses feux sur les sept collines où la reine des nations s’est assise, l’heure du sacrifice aura sonné pour le Vicaire de l’Homme-Dieu. Préparons-nous à lui faire cortège, en repassant dans notre pensée les circonstances historiques de ce glorieux dénouement et les faits qui l’amenèrent [39].

Depuis l’atroce persécution de l’année 64, Rome était devenue pour Pierre un séjour plein de périls, et il se souvenait que son Maître, en l’établissant Pasteur des agneaux et des brebis, lui avait dit : « Tu me suivras » [40]. L’Apôtre attendait donc le jour où il mêlerait son sang à celui de tant de milliers de chrétiens dont il avait été l’initiateur et le père. Mais, avant de sortir de ce monde, Pierre devait avoir triomphé de Simon le Magicien, son ignoble antagoniste. L’hérésiarque ne s’était pas contenté de séduire les âmes par ses doctrines perverses ; il eût voulu imiter Pierre dans les prodiges que celui-ci opérait. Il annonça un jour qu’il volerait dans les airs. Le bruit de cette nouveauté se répandit dans Rome, et le peuple se félicitait de contempler cette ascension merveilleuse. Si l’on s’en rapporte à Dion Chrysostome, Néron aurait retenu quelque temps à sa cour le personnage qui s’était engagé à cette tentative aérienne. Il voulut même honorer de sa présence un si rare spectacle [41]. On dressa la loge impériale sur la voie Sacrée, où la scène devait se passer. La déception fut cruelle pour l’imposteur. « A peine cet Icare se fut-il lancé, dit Suétone, qu’il alla tomber près de la loge de Néron qui fut inondé de son sang » [42]. L’accord des plus graves écrivains de l’antiquité chrétienne est unanime pour attribuer à la prière de Pierre l’humiliation infligée au jongleur samaritain au sein même de Rome, où il avait osé se poser comme rival du Vicaire du Christ.

Le déshonneur de l’hérésiarque, aussi bien que son sang, avait rejailli jusque sur l’empereur. La curiosité et la malveillance n’avaient qu’à s’unir, pour appeler sur la personne de Pierre une attention qui pouvait devenir funeste. Que l’on ajoute à cela le péril signalé par saint Paul, « le péril des faux frères » ; les froissements inévitables dans une société aussi nombreuse que l’était déjà celle des chrétiens ; la nécessité de mécontenter les âmes vulgaires, lorsqu’on ne doit consulter que les intérêts les plus élevés dans le choix toujours délicat des dépositaires d’une haute confiance : on s’expliquera alors ce que saint Clément, témoin du martyre des Apôtres, atteste dans sa lettre aux Corinthiens, que « les rivalités et les jalousies » eurent grande part au dénouement tragique des suspicions que l’autorité avait fini par concevoir au sujet de ce Juif.

La piété filiale des chrétiens de Rome s’alarma, et ils supplièrent le vieillard de se soustraire au danger par une fuite momentanée. « Bien qu’il eût préféré souffrir », dit saint Ambroise [43], Pierre s’acheminait sur la voie Appienne. Il était arrivé près de la porte Capène, lorsque tout à coup se présente à lui le Christ entrant lui-même dans la ville. « Seigneur, où allez-vous ? » s’écrie l’Apôtre. — « A Rome, répond le Christ, pour y être de nouveau crucifié ». Le disciple comprit le Maître ; il revint sur ses pas, n’ayant plus qu’à attendre l’heure de son martyre. Cette scène tout évangélique exprimait la suite des desseins du Sauveur sur son disciple. Afin de fonder l’unité dans l’Église chrétienne, il avait étendu à ce disciple son nom prophétique de Pierre ; maintenant c’était jusqu’à sa croix dont il allait le faire participant. Rome allait avoir son Calvaire, comme Jérusalem qu’elle remplaçait.

Dans la fuite du chef de l’Église, une bandelette qui liait une de ses jambes était tombée à terre, et elle fut ramassée avec respect par un disciple. On éleva sur place un monument dès les premiers siècles, pour en conserver la mémoire. C’est l’église des saints Nérée et Achillée, appelée dans l’antiquité Titulus fasciolœ, le Titre de la bandelette. Selon les desseins de la Providence, l’humble fasciola était destinée à rappeler la glorieuse et mémorable rencontre, où le Christ en personne s’était trouvé en face de son Apôtre aux portes de Rome, lui annonçant que la croix était proche.

Pierre dès lors disposa toutes choses en vue de sa fin prochaine. Ce fut alors qu’il écrivit sa seconde Épître, qui est comme son testament et ses adieux à l’Église. Il y annonce que le terme de sa vie est arrivé, et compare son corps à un abri passager que l’on démonte, pour émigrer ailleurs. « Bientôt, dit-il, ma tente sera détendue, ainsi que me l’a signifié notre Seigneur Jésus-Christ lui-même ». L’allusion à l’apparition sur la voie Appienne est ici évidente. Mais Pierre, avant de sortir de ce monde, avait encore à se préoccuper de la transmission de sa charge pastorale et à pourvoir au besoin de l’Église, qui bientôt allait être veuve de son chef. C’est dans cette intention qu’il ajoute : « J’aurai soin qu’après ma mort, vous soyez en mesure de vous rappeler mes enseignements ».

En quelles mains passeraient les clefs que Pierre avait reçues du Christ, en signe de son pouvoir sur le troupeau tout entier ? Linus était depuis plus de dix ans l’auxiliaire de l’Apôtre au sein de la chrétienté de Rome ; l’accroissement du peuple fidèle avait amené Pierre à lui donner un collègue dans la personne de Clétus ; ce n’était cependant ni sur l’un, ni sur l’autre, que devait s’arrêter le choix de l’Apôtre, en ce moment solennel, où il allait remplir l’engagement qu’il avait pris dans la lettre de ses adieux, de pourvoir à la continuation de son ministère. Clément, que la noblesse de son origine recommandait à la considération des Romains, en même temps que son zèle et sa doctrine lui méritaient l’estime des fidèles, fut celui sur lequel s’arrêta la pensée du prince des Apôtres. Dans les derniers jours qui lui restaient encore, Pierre lui imposa les mains, et l’ayant ainsi revêtu du caractère épiscopal, il l’intronisa dans sa propre Chaire, et déclara son intention de l’avoir pour successeur. Ces faits, rapportés dans le Liber pontificalis, sont confirmés par le témoignage de Tertullien et de saint Épiphane.

Ainsi la qualité d’évêque de Rome entraînait celle de pasteur universel ; et Pierre devait laisser l’héritage des clefs divines à celui qui occuperait après lui le siège que lui-même occupait au moment de sa mort. Ainsi l’avait ordonné le Christ ; et l’inspiration céleste avait amené Pierre à choisir Rome pour sa dernière station, Rome préparée de longue main par la divine Providence à l’empire universel. De là advint qu’au moment où la suprématie de Pierre passa à l’un de ses disciples, aucun étonnement ne se manifesta dans l’Église. On savait que la Primauté devait être un héritage local, et on n’ignorait pas que la localité dont Pierre avait fait choix depuis longues années déjà, était Rome elle-même. Après la mort de Pierre, il ne vint en pensée à aucun chrétien de chercher le centre de l’Église soit à Jérusalem, soit à Alexandrie, soit à Antioche, soit ailleurs.

La chrétienté de Rome tenait compte à son chef du paternel dévouement dont il s’était montré prodigue envers elle. De là ces alarmes, auxquelles l’Apôtre consentit un jour à céder. Les Épîtres de Pierre, si affectueuses, rendent témoignage de la tendresse d’âme qu’il avait reçue à un si haut degré. Il y est constamment le Pasteur dévoué aux brebis, craignant par-dessus tout les airs de domination ; c’est le délégué qui sans cesse s’efface, pour ne laisser apercevoir que la grandeur et les droits de celui qu’il doit représenter. Cette ineffable modestie est encore accrue chez Pierre par le souvenir qu’il conserva toute sa vie, ainsi que le rapportent les anciens, de la faute qu’il avait commise et qu’il pleura jusque dans les derniers jours de sa vieillesse. Fidèle à cet amour supérieur dont son Maître divin avait exigé de sa part une triple affirmation, avant de lui remettre le soin de son troupeau, il supporta, sans fléchir, les immenses labeurs de sa charge de pêcheur d’hommes. Une circonstance de sa vie, qui se rapporte à la dernière période, révèle d’une manière touchante le dévouement qu’il gardait à celui qui avait daigné l’appeler à sa suite, et pardonner à sa faiblesse. Clément d’Alexandrie nous a conservé le trait suivant [44].

Avant d’être appelé à l’apostolat, Pierre avait vécu dans la vie conjugale. Dès lors sa femme ne fut plus pour lui qu’une sœur ; mais elle s’attacha à ses pas, et le suivit dans ses pérégrinations pour le servir [45]. Elle se trouvait à Rome, lorsque sévissait la persécution de Néron, et l’honneur du martyre la vint chercher. Pierre la vit marcher au triomphe, et à ce moment sa sollicitude pour elle se traduisit dans cette seule exclamation : « Oh ! souviens-toi du Seigneur ». Ces deux Galiléens avaient vu le Seigneur, ils l’avaient reçu dans leur maison, ils l’avaient fait asseoir à leur table. Depuis, le divin Pasteur avait souffert la croix, il était ressuscité, il était monté aux cieux, laissant le soin de sa bergerie au pêcheur du lac de Génésareth. Qu’avait à faire à ce moment l’épouse de Pierre ? si ce n’est de repasser de tels souvenirs, et de s’élancer vers celui qu’elle avait connu sous les traits de l’humanité, et qui s’apprêtait à couronner sa vie obscure d’une gloire immortelle.

Le moment d’entrer dans cette gloire était enfin arrivé pour Pierre lui-même. « Lorsque tu seras devenu vieux, lui avait dit mystérieusement son Maître, tu étendras les mains : un autre alors te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas » [46]. Pierre devait donc atteindre un âge avancé ; comme son Maître, il étendrait les bras sur une croix ; il connaîtrait la captivité et le poids des chaînes dont une main étrangère le garrotterait ; il subirait violemment cette mort que la nature repousse, et boirait ce calice dont son Maître lui-même avait demandé d’être délivré. Mais, comme son Maître aussi, il se relèverait, fort du secours divin, et marcherait avec ardeur vers la croix. L’oracle allait s’accomplir à la lettre.

Au jour marqué par les desseins de Dieu, la puissance païenne donna l’ordre de mettre la main sur l’Apôtre. Les détails nous manquent quant aux procédures judiciaires qui suivirent son arrestation, mais la tradition de l’Église romaine est qu’il fut enfermé dans la prison Mamertine. On a donné ce nom au cachot que fit construire Ancus Martius au pied du mont Capitolin, et qui fut ensuite complété par Servius Tullius, d’où lui est venu le nom de carcer Tullianus. Deux escaliers extérieurs, appelés les Gémonies, conduisaient à cet affreux réduit. Un cachot supérieur donnait entrée à celui qui devait recevoir le prisonnier, et ne le rendre que mort, à moins qu’on ne le destinât à un supplice public. Pour l’introduire dans ce terrible séjour, il fallait le descendre, à l’aide de cordes, par une ouverture pratiquée dans la voûte, et qui servait aussi à le remonter, quel que fût son sort. La voûte étant assez élevée et les ténèbres complètes dans le cachot, la garde d’un prisonnier, chargé d’ailleurs de lourdes chaînes, était facile.

Ce fut le 29 juin de l’année 67, que Pierre fut tiré de son cachot pour être conduit à la mort. Selon la loi romaine, il subit d’abord la flagellation, qui était le prélude du supplice des condamnés à la peine capitale. Une escorte de soldats conduisit l’Apôtre au lieu de son martyre, en dehors des murs de la ville, comme le voulait aussi la loi romaine. Pierre, marchant au supplice, était suivi d’un grand nombre de fidèles que l’affection enchaînait à ses pas, et qui bravaient ainsi tous les périls.

Au delà du Tibre, en face du Champ de Mars, s’étendait une vaste plaine à laquelle conduisait le pont appelé Triomphal. Ce pont mettait en communication avec la ville les deux voies Triomphale et Cornélia, qui toutes deux se dirigeaient vers le nord. A partir du fleuve, la plaine était bornée à gauche par le Janicule, au fond par les monts Vaticans, dont la chaîne se continuait à droite en amphithéâtre. Près de la rive du Tibre, le terrain était occupé par d’immenses jardins, ceux-là mêmes dont Néron avait fait, trois années auparavant, dans ces mêmes jours, le principal théâtre de l’immolation des chrétiens. A l’ouest de la plaine Vaticane, et au delà des jardins de Néron, était un cirque de vaste étendue, que l’on désigne ordinairement sous le nom de ce prince, bien qu’il ait dû sa première origine à Caligula, qui fit apporter d’Égypte l’obélisque destiné à marquer le point central du monument. En dehors du cirque, vers son extrémité, s’élevait un temple d’Apollon, divinité protectrice des jeux publics. A l’autre extrémité commençait la déclivité des monts Vaticans, et vers le milieu, en face de l’obélisque, était planté un térébinthe connu du peuple. L’emplacement désigné pour le supplice de Pierre était près de ce térébinthe. C’était là également que sa tombe était préparée. Nul endroit de Rome ne convenait mieux à une fin si auguste. De tout temps quelque chose de mystérieux avait plané sur le Vatican. Les Romains y considéraient avec respect un vieux chêne, que d’antiques traditions disaient antérieur à la fondation de Rome. On parlait d’oracles qui s’étaient fait entendre en ces lieux. Et quel emplacement convenait mieux pour son repos à ce vieillard qui était venu conquérir Rome, qu’un hypogée sous ce sol vénéré, ouvrant sur la voie Triomphale et s’étendant jusqu’à la voie Cornélia, unissant ainsi les souvenirs de Rome victorieuse et le nom des Cornelii devenu inséparable de celui de Pierre ?

La prise de possession de ces lieux par le Vicaire de l’Homme-Dieu avait une souveraine grandeur. L’Apôtre était arrivé près de l’instrument de son supplice. Ce fut alors qu’il pria les bourreaux de l’y établir la tête en bas, et non à la manière ordinaire, afin, dit-il, que l’on ne vît pas le serviteur dans la même attitude qui avait convenu au Maître. La demande fut accordée, et la tradition chrétienne tout entière rend témoignage de ce fait qui atteste, à la suite de tant d’autres, la profonde modestie d’un si grand Apôtre. Pierre, les bras étendus sur le bois du sacrifice, pria pour la ville et pour le monde, tandis que son sang s’épanchait sur le sol romain dont il achevait la conquête. A ce moment, Rome était devenue pour jamais la nouvelle Jérusalem. Après que l’Apôtre eut parcouru en entier le cycle de ses souffrances, il expira ; mais il devait revivre dans chacun de ses successeurs jusqu’à la fin des siècles. A LA MESSE.

« Plus que de coutume se presse la foule en fête ; dis-moi, ami, quel est ce concours : tout Rome en allégresse s’agite en divers sens. — C’est que le présent jour ramène le souvenir de plus d’un triomphe : Pierre et Paul, vainqueurs tous deux dans un trépas sublime, ennoblirent autrefois cette journée de leur sang. Sacré sur ses deux rives depuis qu’il coule entre leurs tombes, le Tibre fut témoin de la croix et du glaive. Double trophée, doubles richesses, réclamant le culte de la cité reine ; double solennité dans un jour unique. Aussi, vois en deux courants le peuple de Romulus se croiser dans la ville entière. Hâtons le pas pour suffire aux deux fêtes ; ne perdons rien des hymnes saintes. Suivons d’abord la voie qui mène au delà du pont d’Adrien : sur la rive droite, ces toits dorés nous montrent où Pierre repose. Là, dès le matin, le Pontife offre ses premiers vœux. Puis bientôt, regagnant la rive gauche, il vient au tombeau de Paul célébrer un nouveau Sacrifice. Toi-même donc, souviens-toi qu’ainsi l’on honore ce jour deux fois sacré » [47].

C’est Prudence, le grand poète chrétien du IVe siècle, qui se fait ici le témoin de l’enthousiasme avec lequel on célébrait à Rome, de son temps, la solennité des saints Apôtres. Théodoret [48], saint Astère d’Amasée [49], nous apprennent que la piété des fidèles n’était pas moindre en cette fête jusque dans les églises les plus lointaines de la Syrie et de l’Asie. Dans les Codes qui portent leurs noms, Théodose et Justinien établissent ou rappellent la prohibition qui frappe le travail ou le négoce, les procédures et les spectacles profanes, au jour du martyre des Apôtres, maîtres de toute la chrétienté [50]. Sur ce terrain, le schisme et l’hérésie ne devaient pas prévaloir en Orient contre la reconnaissance et l’amour. Plus près de nous, jusqu’au milieu des ruines amoncelées par la prétendue Réforme, on vit l’Angleterre protestante conserver la fête du 29 juin avec le jeûne de sa vigile ; toutefois, phénomène étrange, peu en rapport avec les tendances de l’Église établie, saint Paul alors dut s’effacer pour laisser place entière à celui dont l’évêque de Rome est le successeur ; et tandis que le calendrier anglican ne garde plus du premier d’autre souvenir que celui de sa conversion au 25 janvier, il continue de porter à la date de ce jour le nom seul de Pierre : c’est de lui seul également qu’il est fait mention dans tout l’Office.

Le poème de Prudence, que nous citions plus haut, fait ressortir la difficulté qu’il y avait pour le peuple romain à ne rien perdre de la double Station de ce jour. La distance est grande, en effet, de la basilique Vaticane à celle de la voie d’Ostie ; et les deux courants dont parle le poète indiquent assez qu’un grand nombre de pèlerins, faute de pouvoir se trouver aux deux Messes solennelles, étaient réduits à choisir. Ajoutons que la nuit précédente n’avait pas été, elle non plus, sans fatigue, si dès lors, ainsi qu’il conste pour les siècles suivants, les Matines des Apôtres, commencées au crépuscule, y étaient suivies de celles des Martyrs au premier chant du coq [51]. Saint Grégoire le Grand, voulant donc épargner à son peuple et aux clercs une accumulation qui tournait au détriment de l’honneur même rendu aux deux princes des Apôtres, renvoya au lendemain la Station de la voie d’Ostie et la solennelle mémoire du Docteur des nations. En conséquence, on ne s’étonnera pas que, sauf dans la Collecte, commune aux deux Apôtres, les formules chantées de la Messe qui va suivre se rapportent exclusivement à saint Pierre : cette Messe n’était dans l’origine que la première de ce jour, celle qui se célébrait au matin sur le tombeau du Vicaire de l’Homme-Dieu.

L’Épouse resplendit sous la pourpre sacrée, teinte deux fois [52] aujourd’hui dans le bain d’un sang généreux. Tandis que le Pontife s’avance vers l’autel, entouré des divers Ordres de l’Église qui lui font un cortège auguste, le chœur des chantres entonne l’Antienne d’Introït et l’alterne avec les versets du Psaume CXXXVIII. Ce Psaume, que l’on trouvera plus loin tout entier aux secondes Vêpres, est principalement choisi pour honorer les saints Apôtres, à cause des paroles de son verset dix-septième : « Pour moi, vos amis sont honorés jusqu’à l’excès, ô Dieu ; leur puissance s’est accrue par delà toute limite ».

La Collecte, qui revient terminer chacune des Heures de l’Office divin, est la formule principale de prière qu’emploie l’Église chaque jour. C’est dans cette formule solennelle qu’on doit chercher sa pensée. La suivante nous indique que l’Église entend bien célébrer conjointement aujourd’hui les deux princes des Apôtres, et ne les pas séparer dans sa piété reconnaissante.

ÉPÎTRE.

Il est difficile de revenir avec plus d’insistance que ne le fait la Liturgie de ce jour, sur l’épisode de la captivité de saint Pierre à Jérusalem. Plusieurs Antiennes et tous les Capitules de l’Office en sont tirés ; l’Introït le chantait tout à l’heure ; et voici que l’Épître nous donne en son entier le récit qui intéresse si particulièrement aujourd’hui, semble-t-il, l’Église de Dieu. Le secret d’une telle préférence est aisé à découvrir. Cette fête est celle où la mort de Pierre confirme la reine des nations dans ses augustes prérogatives de Souveraine, de Mère et d’Épouse ; mais quel fut le point de départ de ces grandeurs, sinon le moment solennel entre tous où le Vicaire de l’Homme-Dieu, secouant sur Jérusalem la poussière de ses pieds [53], tourna vers l’Occident son visage, et transféra dans Rome les droits de la synagogue répudiée ? Or c’est à sa sortie de la prison d’Hérode, qu’eut lieu ce grand fait. Et sortant de la ville, il s’en alla, disent les Actes, en un autre lieu [54]. Cet autre lieu, d’après le témoignage de l’histoire et de toute la tradition, c’était la ville appelée à devenir la nouvelle Sion ; c’était Rome, où, quelques semaines après, abordait Simon Pierre. Aussi, reprenant la parole de l’ange dans un des Répons de l’Office des Matines, la gentilité chantait cette nuit : « Lève-toi, Pierre, et revêts tes vêtements : ceins-toi de force, pour sauver les nations ; car les chaînes sont tombées de tes mains » [55].

Comme autrefois Jésus dans la barque prête à sombrer, Pierre dormait tranquillement à la veille du jour où il devait mourir. La tempête, les dangers de toutes sortes, ne seront point ménagés dans le cours des âges aux successeurs de Pierre. Mais on ne verra plus, sur le vaisseau de l’Église, l’effarement qui s’était emparé des compagnons du Seigneur dans l’esquif que soulevait l’ouragan. La foi manquait alors aux disciples, et c’était son absence qui causait leurs terreurs [56]. Mais depuis la descente de l’Esprit divin, cette foi précieuse, d’où découlent tous les dons, est inamissible dans l’Église. Elle donne aux chefs le calme du Maître ; elle entretient au cœur du peuple fidèle la prière ininterrompue, dont l’humble confiance triomphe silencieusement du monde, des éléments et de Dieu lui-même. S’il arrive que la barque de Pierre côtoie des abîmes, le pilote semblât-il endormi, l’Église n’imitera pas les disciples sous la tourmente du lac de Génésareth. Elle ne se fera point juge du temps et des moyens de la Providence, ni ne se croira permis de reprendre tumultuairement celui qui doit veiller pour tous : se souvenant que, pour dénouer sans bruit, les situations les plus extrêmes, elle possède un moyen meilleur et plus sûr ; n’ignorant point que, si l’intercession ne fait pas défaut, l’ange du Seigneur viendra lui-même au temps voulu réveiller Pierre et briser ses chaînes.

Oh ! combien quelques âmes sachant prier sont plus puissantes, en leur simplicité ignorée, que la politique et les soldats de tous les Hérodes du monde ! La petite communauté rassemblée dans la maison de Marie mère de Marc [57] était bien peu nombreuse ; mais d’elle, jour et nuit, s’élevait ht prière ; par bonheur, on n’y connaissait point le naturalisme fatal qui, sous le beau prétexte de ne pas tenter Dieu, se refuse à lui demander l’impossible, quand l’intérêt de son Église est en jeu : ennemi domestique, plus lourd à porter, dans les temps de crise, que ne l’est la crise même ! Certes, les précautions d’Hérode Agrippa pour ne point laisser échapper son prisonnier faisaient honneur à sa prudence, et, à coup sûr, c’était l’impossible que réclamait l’Église en demandant la délivrance de Pierre : si bien que ceux-là même qui priaient alors, étant exaucés, n’en croyaient point leurs yeux. Mais leur force avait été précisément d’espérer contre toute espérance [58] ce qu’eux-mêmes regardaient comme folie [59], de soumettre dans leur prière le jugement de la raison aux seules vues de la foi.

Le Graduel chante la puissance promise dans l’épithalame sacré [60] aux compagnons et fils de l’Époux ; eux aussi ont vu des fils nombreux remplacer les pères qu’ils avaient abandonnés pour suivre Jésus. Le Verset alléluiatique célèbre la pierre qui porte l’Église, dans ce grand jour qui la voit se fixer pour jamais en son lieu prédestiné.

ÉVANGILE.

Rome, dans l’Épître, a célébré le jour où l’obstination de Juda, repoussant le Vicaire de l’Homme-Dieu, valut à la gentilité les honneurs d’Épouse. Voici maintenant que sa reconnaissante allégresse la porte à rappeler l’instant heureux où, pour la première fois, l’Époux fut salué de son titre divin par cette humanité à lui fiancée dès le sein du Père. Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ! Parole fortunée, attente des siècles, et que Jean-Baptiste avait préparée ! Mais le Précurseur lui-même devait quitter la terre, avant qu’elle ne vînt éveiller les échos d’un monde longtemps assoupi. Son rôle à lui était de mettre en présence le Verbe et l’Église ; après quoi, comme il fit, devait-il aussitôt disparaître, laissant l’Épouse à la spontanéité de ses effusions. Mais la première excellence du Bien-Aimé que relève l’Épouse au sacré Cantique, n’est-elle pas l’or très pur de la divinité dont sa tête est ornée [61] ? Ainsi fait-elle dans les champs de Césarée de Philippe ; et son organe est Simon fils de Jean, qui, pour avoir en cette sorte traduit son cœur, reste à jamais la bouche de l’Église.

Amour et foi, faisant de concert explosion, constituent Pierre en ce moment la suprême et très antique sommité des théologiens, comme l’appelle saint Denys dans son livre des Noms divins [62]. Le premier, en effet, dans l’ordre du temps comme pour la plénitude du dogme, il résout le problème dont la formule sans solution avait été le suprême effort de la théologie des siècles prophétiques. « Paroles de celui qui assemble les peuples, disait alors le Sage, paroles du fils de celui qui répand les vérités ; vision qu’a rapportée l’homme avec qui Dieu demeure. Fortifié par Dieu habitant avec lui, voici ce qu’il trouve à dire : « J’ignore la vraie Sagesse. Qui est monté au ciel et en est descendu, pour savoir appeler par son nom celui qui a fait la terre ? Et le nom de son fils ? qui le connaît pour le dire [63] ? » Et après si solennel exorde amenant la question mystérieuse, le Sage, sans poursuivre plus outre, concluait dans une réserve confiante et craintive : « Toute parole du Seigneur est de flamme ; soyez fort de votre espérance en lui. Mais gardez-vous d’ajouter rien à ses oracles, de peur que vous ne donniez « prise à réprimande et ne soyez trouvé menteur » [64].

Quoi donc, ô Pierre, êtes-vous plus sage que Salomon ? Et ce que l’Esprit-Saint déclarait au-dessus de toute science, serait-il le secret d’un pauvre pêcheur ? Il est ainsi. Nul ne connaît le Fils que le Père [65] ; mais le Père même a révélé à Simon le mystère de son Fils, et la parole qui en fait foi n’est point sujette à réprimande. Car elle n’est pas une addition mensongère aux dogmes divins : oracle des cieux passant par une bouche humaine, elle élève son heureux interprète au-dessus de la chair et du sang. Comme le Christ dont elle lui vaut de devenir le Vicaire, il aura pour unique mission d’être un fidèle écho du ciel ici-bas [66], donnant aux hommes ce qu’il reçoit [67] : la parole du Père [68]. C’est tout le mystère de l’Église, à la fois de la terre et du ciel, et contre laquelle l’enfer ne prévaudra pas.

Les rites du Sacrifice se poursuivent dans leur grandiose majesté. Tandis que les échos de la basilique retentissent encore des accents du sublime Credo qu’ont prêché les Apôtres, et qui s’appuie sur Pierre, l’Église s’est levée, apportant ses dons à l’autel. A la vue de ce long défilé des peuples et de leurs rois qui se succèdent durant les siècles, rendant redevance et hommage en ce jour au pêcheur crucifié, le chœur reprend sous une mélodie nouvelle le verset du Psaume qui, au Graduel, a déjà exalté la suréminence de cette principauté créée par le Christ en faveur des messagers de son amour.

Les dons de la terre n’ont rien, par eux-mêmes, qui puisse les faire agréer du ciel. Aussi l’Église, dans la Secrète, implore l’intervention de la prière apostolique pour rendre acceptable son offrande ; c’est cette prière des Apôtres qui, aujourd’hui encore, et toujours, est notre sûr refuge et le remède de nos misères.

C’est ce qu’exprime également la belle Préface qui suit. Le Pasteur éternel ne saurait abandonner son troupeau ; mais il continue de le garder par les bienheureux Apôtres, pasteurs eux-mêmes, et toujours guides pour lui du peuple chrétien.

L’Église expérimente, au saint banquet, l’étroite relation du Mystère d’amour et de la grande unité catholique fondée sur la pierre. Elle chante à nouveau : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église.

La Postcommunion revient sur la puissance de la prière apostolique, comme sauvegarde et boulevard des chrétiens que nourrit le céleste aliment.

LES SECONDES VÊPRES.

La plus grande des journées de la ville éternelle avance dans son cours ; le solennel Office des Vêpres réunit les fidèles près de la tombe où repose, après le labeur du Sacrifice qu’il vient d’accomplir, le Vicaire de l’Homme-Dieu. Cependant ce n’est plus de labeur, ce n’est plus de prison ni de chaînes, qu’il est question dans les chants de la sainte Église : l’œuvre est achevée ; Pierre a fini sa vie militante ; et des mille phases qu’elle a traversées, du grand combat qui l’a terminée, il ne reste plus que l’éternel triomphe. Aussi la Liturgie sacrée ne reviendra pas, comme hier et ce matin, sur les faits de l’histoire de Simon fils de Jean, épisodes glorieux, mais qui n’étaient que les préliminaires de la victoire finale remportée en ce jour. La louange du soir va célébrer les résultats acquis, dans leur imposante et immuable grandeur. Les cinq Psaumes qui suivent, accompagnés de leurs Antiennes, sont devenus par extension ceux des secondes Vêpres de tous les Apôtres ; mais ils s’appliquent d’abord à Pierre et à Paul, son illustre compagnon.

Pierre, s’offrant lui-même, est entré dans le Saint des Saints, au sanctuaire des cieux. Parvenu dans son sang au delà du voile, il s’entend confirmer pour jamais le sacerdoce suprême qui a fait de lui, aujourd’hui, la reproduction très parfaite de Jésus le souverain Prêtre. L’Église de la terre et celle du ciel chantent à la fois à son honneur

On trouvera le texte des 2ndes Vêpres ici

Commentaires des cinq psaumes et antiennes de l’Année Liturgique :

A l’entrée de ce Pontife nouveau, plus grand qu’Aaron et qui tient de si près au Christ leur chef, les célestes hiérarchies ont ouvert leurs rangs, saluant sa principauté, qui n’a rien à envier à la leur.

Mieux qu’au sortir de la prison d’Hérode, Pierre peut maintenant s’écrier à Dieu : « Vous avez brisé mes liens ». Et, tout aussitôt, commençant, dans l’union à Jésus, sa fonction de Pontife éternel, il ajoute : « Je vous sacrifierai l’hostie de ma louange ».

Or, tel doit être pour tous l’encouragement de cette fête auguste : ceux qui sèment présentement dans les larmes, ont à se dire qu’un jour ils moissonneront, eux aussi, dans la joie. Pierre et Paul ont peiné plus qu’eux par les chemins de cette vie.

Et aujourd’hui, dans ce jour sans couchant qui s’est levé pour les deux Apôtres, après la marche, après la fatigue et les larmes, c’est l’éternel repos avec la puissance et la gloire de Dieu lui-même. Car Dieu qui déjà les appelait ses amis dès ce monde [69], les met à ce titre, dans l’autre, en participation de tous ses biens.

L’Église relève ensuite, dans le Verset, la divine science que les Apôtres ont reçue et communiquée à la terre.

L’Antienne qui suit, est digne de couronner les chants consacrés par la reine des nations à honorer ses deux princes. La mélodie dont elle est accompagnée, s’adapte noblement au résumé triomphal des événements qui rendent ce jour à jamais illustre pour la terre et les cieux.

Comme pendant à la glorieuse Antienne qui vient d’accompagner le chant du Magnificat, nous placerons ici la suivante, d’une composition si suave, et qui était aimée de nos pères autrefois comme elle méritait de l’être.

ANTIENNE.
Dum duceretur Petrus Apostolus ad crucem, repletus gaudio magno, dixit : Non sum dignus ita esse in cruce, sicut Dominus meus, qui de Spiritu Sancto conceptus est, me autem de limo terræ ipse formavit : nam crux mea caput meum in terra debet ostendere. At illi verterunt crucem, et pedes ejus sursum confixerunt, manus vero deorsum. Dum esset Petrus in cruce, venit turba multa maledicens Cæsarem, et fecerunt planctum magnum ante crucem. Petrus exhortabatur eos de cruce, dicens : Nolite flere, sed gaudete mecum, quia ego hodie vado vobis parare locum. Et cum hoc dixisset, ait : Gratias tibi ago, Pastor bone quia oves quas tradidisti mihi, compatiuntur mecum : peto namque, ut participentur mecum de gratia tua in sempiternum.Comme l’on conduisait Pierre l’Apôtre à la croix, rempli d’une grande joie, il dit : Je ne suis pas digne d’être sur la croix comme mon Seigneur, qui lui fut conçu du Saint-Esprit, tandis que moi j’ai été formé par lui du limon de la terre ; ainsi ma croix à moi doit montrer ma tête en la terre. On tourna donc la croix ; on cloua ses pieds en haut et ses mains en bas. Pendant que Pierre était en croix, vint une grande multitude maudissant César, et ce fut une grande lamentation devant la croix. Pierre, de la croix, exhortait tout ce peuple, et il disait : Ne pleurez pas, mais réjouissez-vous avec moi, parce que je m’en vais aujourd’hui vous préparer une place. Et ayant dit cela, il ajouta : Bon Pasteur, je vous rends grâces de ce que les brebis que vous m’avez confiées s’unissent de cœur à mes souffrances ; faites donc, je vous en prie, qu’elles participent comme moi à votre grâce dans l’éternité.

Il convient de mettre, en son entier, sous les yeux du lecteur le poème dont la strophe O felix Roma fut tirée. D’autres strophes de cette Hymne, la quatrième et la cinquième, sont également employées dans les fêtes des deux Chaires de saint Pierre et dans celle de saint Pierre-ès-Liens.

HYMNE.
Felix per omnes festum mundi cardines
Apostolorum præpollet alacriter
Petri beati, Paulique sanctissimi,
Quos Christus almo consecravit sanguine,
Ecclesiarum deputavit principes.
D’un pôle à l’autre, l’heureuse fête des Apôtres répand la joie,
fait sentir sa puissance.
Pierre le bienheureux, Paul le très saint,
consacrés par le Christ en l’effusion d’un sang auguste,
furent choisis par lui comme princes des Églises.
Hi sunt olivæ duæ coram Domino
Et candelabra luce radiantia,
Præclara cœli duo luminaria,
Fortia solvunt peccatorum vincula,
Portas Olympi reserant fidelibus.
Ils sont les deux oliviers présents devant le Seigneur,
les chandeliers étincelants,
les deux nobles lumières des cieux ;
ils brisent la forte chaîne du péché,
ils ouvrent aux fidèles les portes de l’empyrée.
Habent supernas potestatem claudere
Sermone sedes, pandere splendentia
Limina poli super alta sidera,
Linguas eorum claves cœli factæ sunt,
Larvas repellunt ultra mundi limitem.
Ils ont le pouvoir de fermer d’un mot l’entrée du céleste séjour,
d’ouvrir les resplendissantes demeures
situées au loin par delà les étoiles ;
leurs langues sont devenues les clefs du ciel ;
ils repoussent les génies malfaisants par delà les confins du monde.
Petrus beatus catenarum laqueos
Christo jubente rupit mirabiliter,
Custos ovilis et doctor Ecclesiæ
Pastorque gregis, conservator omnium,
Arcet luporum truculentam rabiem.
Par l’ordre de Jésus-Christ, le bienheureux Pierre
rompt merveilleusement les liens les plus durs.
Il garde le bercail, il enseigne l’Église,
il paît le troupeau, il conserve toutes choses,
il contient la rage funeste des loups.
Quodcumque vinclis super terram strinxerit
Erit in astris religatum fortiter,
Et quod resolvit in terris arbitrio
Erit solutum super cœli radium,
In fine mundi judex erit sæculi.
Tout ce qu’il lie sur la terre est lié fortement dans les cieux ;
et ce que par sa libre volonté il délie sur la terre,
est délié plus haut que les astres.
A la fin des siècles, il jugera le monde.
Non impar Paulus huic, doctor gentium,
Electionis templum sacratissimum,
In morte compar, in corona particeps,
Ambo lucerna ; et decus Ecclesiæ
In orbe claro coruscant vibramine.
Avec lui marche de pair Paul, le docteur des nations,
le vase d’élection, temple très saint,
compagnon du premier en la mort, partageant sa couronne :
tous deux flambeaux et gloire de l’Église,
ils dardent leurs feux sur l’univers en possession par eux de la pure lumière.
O Roma felix, quæ tantorum principum
Es purpurata pretioso sanguine,
Excellis omnem mundi pulchritudinem,
Non laude tua, sed sanctorum meritis
Quos cruentatis jugulasti gladiis.
O Rome heureuse, que de si grands princes
ont empourprée de leur sang précieux,
tu l’emportes sur toute beauté d’ici-bas,
non par ton propre mérite, mais par celui des Saints
qu’a immolés ta sanglante épée.
Vos ergo modo, gloriosi martyres,
Petre beate, Paule mundi lilium,
Cœlestis aulas triumphales milites,
Precibus almis vestris nos ab omnibus
Munite malis, ferte super æthera.
Vous donc maintenant, glorieux martyrs,
Pierre bienheureux, Paul lis du monde,
guerriers qui triomphez en la céleste cour,
par vos prières puissantes gardez-nous de tous maux,
transportez-nous par delà les cieux.
Gloria Patri per immensa sæcula,
Sit tibi, Nate, decus et imperium,
Honor, potestas, Sanctoque Spiritui :
Sit Trinitati salus individua,
Per infinita sæculorum sæcula.
Amen.
Gloire au Père dans les siècles sans fin ;
à vous, ô Fils, empire et beauté,
honneur et puissance, ainsi qu’au Saint-Esprit :
à la Trinité félicité commune
dans l’infinie série des siècles !
Amen.

Nous reviendrons, dans les jours qui vont suivre, aux formules d’hommage que l’Occident a consacrées à ses deux princes. Mais il convient de prêter aussi l’oreille, à cette heure, aux accents qui parviennent jusqu’à nous des Églises orientales ; recueillons pieusement ces échos de la foi primitive, qu’une heureuse inconséquence n’a point étouffés dans les bouches mêmes qu’empoisonne le schisme. Voici d’abord l’Église syrienne, tout enivrée du vin généreux dont les deux grappes foulées aujourd’hui sous le pressoir de Néron ont abreuvé la terre entière. Elle unit ses louanges aux parfums qui s’élèvent des deux encensoirs d’or ; elle chante les deux témoins de l’Époux, auxquels la Sunamite a dû de voir finir son abandon [70]. Puis, s’attachant à relever les mérites particuliers de chacun d’eux, elle exalte Pierre, fondement de l’Église, chef de ses frères, Pierre qui paît brebis et agneaux, et enseigne à tous l’Alléluia divin. Écoutons cette Hymne de l’Office de la nuit, et pénétrons-nous de la prière touchante qui la termine, en dépit de l’impie Eutychès, auteur premier de la division qui tient séparés de l’Église-mère des peuples si bien faits pour en être la gloire.

NOCTIS CANTUS.

Le Christ a péché Simon le pêcheur ; depuis lors, en guise de poissons, Simon pêche les hommes, les amenant à la vie. Il a jeté son filet sur Rome même, et l’a retiré plein ; il a lié la lionne ainsi qu’une brebis, l’amenant à l’Église ; et elle aussitôt, prenant les idoles en horreur, tourna le dos à ces ouvrages de main d’homme et adora la croix du Sauveur. Béni, ô vous qui fîtes choix des Apôtres et glorifiez leur nom !

Combien douce fut la parole de Jésus à Simon fait prince de ses frères, lorsqu’il lui disait, le créant Pontife : « Je t’établis sur ma maison et te confie mon trésor céleste ; en tes mains sont les clefs du ciel et de l’abîme. Si tu lies, je lierai moi aussi ; quand tu délieras, je le ferai avec toi ; prie pour les pécheurs, tu seras exaucé !

« Si tu m’aimes, Simon fils de Jean, pais mes brebis ; restaure par la foi ceux qu’a brisés l’erreur, guéris les malades par la vertu du remède des cieux, avec la croix chasse les loups et rassemble les agneaux au bercail de la vie. Alors les célestes phalanges crieront dans les hauteurs : Béni soit celui qui a magnifié son Église ! »

Devant celui qui vous a choisis présentez-vous, ô Apôtres : suppliez-le que schismes et querelles cessent enfin dans l’Église et parmi des frères ; car les sophistes, hélas ! nous assiègent, obscurcissant la foi de leurs arguties. Seigneur, l’Église dans laquelle votre parole a été annoncée, qu’elle soit le creuset éprouvant tout discours comme la fournaise éprouve l’or ; et que vos prêtres chantent ici-bas, dans la pureté de la foi : Béni soit celui qui a magnifié son Église !

L’Église d’Arménie fait à son tour entendre sa voix. Parmi les chants sublimes de son Charagan, ou recueil d’Hymnes, elle entonne celui-ci au jour qu’elle a choisi pour célébrer les princes des Apôtres.

PETRI ET PAULI CANON.

Établie sur la pierre ferme de la foi, l’Église de Dieu se réjouit en ce jour de la solennité des Apôtres qui l’ont ornée de joyaux sans prix à la gloire du Verbe fait chair. L’un d’eux, dans la lumière du Père qui est aux cieux, a proclamé l’ineffable nature du Fils unique, et, bienheureux par la divine grâce, il a mérité de devenir la pierre contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront pas ; l’autre, quoique mortel encore, a dépassé dans leur vol immatériel les légions angéliques, ayant été jugé digne que l’éternelle Sagesse le ravît jusqu’aux tabernacles des cieux.

Seigneur, qui, au-dessus des autres Apôtres choisis par vous, avez désigné le bienheureux Pierre comme chef de la foi et fondement de l’Église ; qui, par un appel d’en haut, avez élevé à l’apostolat le Vase d’élection pour que, par la révélation du mystère caché du Christ, il appelât lui-même les nations au salut ; qui, par ces deux élus, lumières du monde, avez affermi votre Église : par leurs prières, ô Christ, ayez pitié de nous.

Le défaut d’espace ne nous permet point de prolonger la citation davantage. Nous ne saurions pourtant finir, sans extraire également quelques perles de la mer sans rivages où se complaît comme toujours la Liturgie grecque. Il doit nous plaire aussi de constater comment, malgré plus d’un essai d’altération frauduleuse des textes de sa Liturgie, Byzance condamne elle-même son propre schisme en ce jour ; Pierre n’y cesse point d’être proclamé par elle le roc et le fondement de la foi, la base souveraine, le prince et premier prince des Apôtres, le gouverneur et le chef de l’Église, le porte-clefs de la grâce et du royaume des cieux [71].

MENSIS JUNII DIE XXIX,

In festivitate sanctorum, illustrium et maxime memorabilium apostolorum ac majorum coryphœorum Petri et Pauli.

Vous avez donné les saints Apôtres à votre Église comme son orgueil et sa joie, ô Dieu ami des hommes ! Pierre et Paul, flambeaux spirituels, soleils des âmes, resplendissent en elle magnifiquement ; l’univers brille de leurs rayons ; c’est par eux que vous avez dissipé les ténèbres de l’Occident, Jésus très puissant, sauveur de nos âmes.

Vous avez établi la stabilité de votre Église, ô Seigneur, sur la fermeté de Pierre et sur la science et l’éclatante sagesse de Paul. Pierre, coryphée des illustres Apôtres, vous êtes le rocher de la foi ; et vous, admirable Paul, le docteur et la lumière des églises : présents devant le trône de Dieu, intercédez pour nous auprès du Christ.

Que le monde entier acclame les coryphées Pierre et Paul, disciples du Christ : Pierre, base et rocher ; Paul, vase d’élection. Tous deux, attelés sous le même joug du Christ, ont attiré à la connaissance de Dieu tous les hommes, les nations, les cités et les îles. Rocher de la foi, délices du monde, tous deux confirmez le bercail que vous avez acquis par votre magistère.

Pierre, vous qui paissez les brebis, défendez contre le loup rusé le troupeau de votre bercail ; gardez de chutes funestes vos serviteurs ; car tous nous vous avons pour vigilant protecteur auprès de Dieu, et la joie que nous goûtons en vous est notre salut.

Paul, flambeau du monde, bouche incomparable du Christ Dieu vivant, qui comme le soleil visitez tous les rivages dans votre prédication de la foi divine : délivrez des liens du péché ceux qui vous nomment avec amour et veulent vous imiter, confiants dans votre aide.

Rome bienheureuse, à toi ma louange et ma vénération, à toi mes hymnes et mon chant de gloire ; car en toi sont gardés et la dépouille des coryphées, et les dogmes divins dont ils furent le flambeau ; reliques sans prix de vases incorruptibles. Très-haut prince des Apôtres, souverain chef et dispensateur du trésor royal, ferme base de tous les croyants, solidité, socle, sceau et couronnement de l’Église catholique, ô Pierre qui aimez le Christ, conduisez ses brebis aux bons pâturages, menez ses agneaux dans les prés fertiles.

O Pierre, nous aussi nous saluons la glorieuse tombe où vous êtes descendu. C’est bien à nous, les fils de cet Occident que vous avez voulu choisir, c’est à nous avant tous qu’il appartient de célébrer dans l’amour et la foi les gloires de cette journée. Si toutes les races s’ébranlent à la nouvelle de votre mort triomphante ; si les nations proclament, chacune en leur langue, que de Rome doit sortir pour le monde entier la loi du Seigneur : n’est-ce pas par la raison que cette mort a fait de Babylone la cité des oracles divins, saluée par le fils d’Amos en sa prophétie [72] ? n’est-ce pas que la montagne préparée pour porter la maison du Seigneur dans le lointain des âges, se dégage des ombres, et apparaît en pleine lumière à cette heure aux yeux des peuples ? L’emplacement de la vraie Sion est fixé désormais ; car la pierre d’angle a été posée en ce jour [73], et Jérusalem ne doit avoir d’autre fondement que cette pierre éprouvée et précieuse. O Pierre, c’est donc sur vous que nous devons bâtir ; car nous voulons être les habitants de la cité sainte. Nous suivrons le conseil du Seigneur [74], élevant sur le roc nos constructions d’ici-bas, pour qu’elles résistent à la tempête et puissent devenir une demeure éternelle. Combien notre reconnaissance pour vous, qui daignez nous soutenir ainsi, est plus grande encore en ce siècle insensé qui, prétendant construire à nouveau l’édifice social, voulut l’établir sur le sable mouvant des opinions humaines, et n’a su que multiplier les éboulements et les ruines ! La pierre qu’ont rejetée les modernes architectes, en est-elle moins la tête de l’angle ? et sa vertu n’apparaît-elle pas alors même, selon ce qui est écrit, en ce que, n’en voulant pas, c’est contre elle qu’ils se heurtent et se brisent [75] ?

Debout, parmi ces ruines, sur le fondement contre lequel les portes de l’enfer ne prévaudront pas, nous avons d’autant mieux le droit d’exalter ce jour où le Seigneur a, comme le chante le Psaume, affermi la terre [76]. Certes le Seigneur était grand, lorsqu’il lançait les mondes dans l’espace, en les équilibrant par ces lois merveilleuses dont la découverte est l’honneur de la science ; mais son règne, sa beauté, sa puissance éclatent bien plus, quand il place en son lieu la base faite pour porter le temple dont tous les mondes méritent à peine d’être appelés le parvis. Aussi était-ce bien de ce jour immortel, dont à l’avance elle savourait divinement les très pures délices, que l’éternelle Sagesse chantait, préludant à nos joies et conduisant déjà nos chœurs : « Lorsque les monts élevaient leur masse sur une immuable base et que le monde s’étayait sur ses pôles, lorsque s’établissait le firmament et que s’équilibrait l’abîme, quand le Seigneur posait les fondements de la terre, j’étais avec lui, disposant tout de concert ; et chaque jour m’apportait une nouvelle allégresse, et je me jouais devant lui sans cesse, je me jouais dans l’orbe du monde ; car mes délices sont d’être avec les fils des hommes » [77].

Maintenant donc que l’éternelle Sagesse élève sur vous, ô Pierre, la maison de ses délices mystérieuses [78], où pourrions-nous elle-même la trouver ailleurs, nous enivrer à son calice, avancer dans l’amour ? De par Jésus remonté dans les cieux, n’est-ce pas vous qui avez désormais les paroles de la vie éternelle [79] ? En vous se poursuit le mystère du Dieu fait chair habitant avec nous. Notre religion, notre amour de l’Emmanuel sont incomplets dès lors, s’ils n’atteignent jusqu’à vous. Et vous-même ayant rejoint le Fils de l’homme à la droite du Père, le culte que nous vous rendons pour vos divines prérogatives, s’étend au Pontife votre successeur, en qui vous continuez de vivre par elles : culte réel, allant au Christ en son Vicaire, et qui, partant, ne saurait s’accommoder de la distinction trop subtile entre le Siège de Pierre et celui qui l’occupe. Dans le Pontife romain, vous êtes toujours, ô Pierre, l’unique pasteur et le soutien du monde. Si le Seigneur a dit : « Personne ne vient au Père que par moi » [80] ; nous savons que personne n’arrive que par vous au Seigneur. Comment les droits du Fils de Dieu, le pasteur et l’évêque de nos âmes [81], auraient-ils à souffrir en ces hommages de la terre reconnaissante ? Nous ne pouvons célébrer vos grandeurs, sans qu’aussitôt attirant nos pensées à Celui dont vous êtes comme le signe sensible, comme un auguste sacrement, vous ne nous disiez, ainsi qu’à nos pères, par l’inscription de votre antique statue : CONTEMPLEZ LE DIEU VERBE, LA PIERRE DIVINEMENT TAILLÉE DANS L’OR, SUR LAQUELLE ÉTANT ÉTABLI, JE NE SUIS PAS ÉBRANLÉ !

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Fête des saints apôtres Pierre et Paul.
Station à leurs basiliques, Vaticane et Ostienne.

Pâques était, pour nos pères, la plus grande solennité du cycle liturgique ; mais pour les Romains, au mois de juin, il y avait comme une seconde fête de Pâques, qui, si elle ne la surpassait pas en splendeur, égalait certes la première. C’était le dies natalis des deux Princes des apôtres Pierre et Paul, ou, pour mieux dire, c’était, dans leur personne, la fête de la primauté pontificale, la fête du Pape, le Natalis urbis, le jour natal de la Rome chrétienne, le triomphe de la Croix sur Jupiter, père du tonnerre, et sur ses vicaires les Pontifices Maximi, établis dans la Regia du Forum. Il est si vrai que Rome y attachait ce sens symbolique, que les évêques de la province métropolitaine du Pape avaient l’habitude de se rendre dans la Ville éternelle, en signe de respectueuse sujétion, pour célébrer avec le Pontife une si grande solennité.

Comme Noël, ce jour comportait la célébration de plusieurs messes. D’accord avec le Philocalien, saint Ambroise, dans une hymne célèbre en l’honneur des Princes des Apôtres nous atteste qu’en ce jour :

Trinis celebratur viis
Festa sanctorum Martyrum,
tandis que le Martyrologe hiéronymien qui, en cela, dépend du Laterculum philocalien, ajoute que, outre les stations du dies natalis aux deux sépulcres de Pierre et de Paul, victimes de la cruauté de Néron, on en célébrait une troisième in Catacumbis dès le consulat de Tuscus et Bassus. Ces données correspondent à l’an 258 et au règne de Valérien, alors que la confiscation des cimetières décida les chrétiens à retirer de leurs tombes les corps des deux Apôtres et à les cacher dans une propriété située ad Catacumbas, où, en effet, les fouilles de ces dernières années ont donné une éclatante confirmation à cette antique tradition romaine.

Les corps des deux Princes des Apôtres demeurèrent au deuxième mille de la voie Appienne environ deux ans. Nous ignorons les motifs qui déterminèrent les chrétiens à préférer cet asile, et aussi la manière dont s’y prirent les propriétaires du domaine pour éviter la confiscation. On a supposé que les deux Apôtres, ou tout au moins Pierre, avaient déjà, de leur vivant, sanctifié par leur présence cette villa suburbaine relativement peu éloignée de la Porte Capène, et comprise par conséquent dans un rayon d’influence juive. D’autres pensent, avec saint Grégoire le Grand, que le premier transport des deux saints corps en ce lieu suivit immédiatement leur martyre, d’autant plus que le Liber Pontificalis semble insinuer que c’est seulement sous Anaclet qu’on érigea les deux tombeaux sur la voie Triomphale et sur la voie d’Ostie. Peut-être ne pourra-t-on jamais faire la pleine lumière sur ces questions secondaires ; en tout cas il demeure acquis que le 29 juin 258 Tusco et Basso consulibus, les reliques des Princes des Apôtres furent cachées in Catacumbis ; et, même après qu’on les eut rendues à leurs propres et anciens tombeaux, ce lieu continua d’être l’objet d’un culte fervent de la part du peuple, culte dont l’expression monumentale et solennelle est la basilique Apostolorum, qui, aujourd’hui encore, s’élève au pied de la colline sur laquelle domine, majestueux, le mausolée de Cæcilia Metella.

Le péril ou la menace de profanation par les païens des deux tombeaux sacrés, si les fidèles n’en avaient enlevé promptement les saintes reliques, excita chez les chrétiens comme une sorte de pieuse réaction. La cachette de la voie Appienne devint la vraie cathédrale de Rome et du monde, et la date de la nouvelle depositio fit aisément oublier celle de la première, immédiatement consécutive au martyre. Le fait est que les Orientaux et les Églises franques, au début, ignorèrent absolument la date du 29 juin et solennisèrent Pierre et Paul — ils sont toujours ensemble — soit le 27 décembre, soit le 28, soit après l’Épiphanie le 18 et le 25 janvier, soit le 22 février. Rome s’attacha au contraire à la date du 29 juin, qui finit par prévaloir non seulement en Occident, mais aussi en Orient, en raison de l’influence pontificale.

Nous trouvons, vers le début du IIIe siècle, un témoignage solennel de la célébrité des deux tombes apostoliques chez tous les chrétiens. Eusèbe nous a conservé quelques fragments de l’ouvrage du prêtre Gaïus contre le Montaniste Proclus où l’auteur, reprenant l’ancien argument d’Irénée contre la nouveauté de l’hérésie, dit entre autres choses : Je peux te montrer les tombeaux des Apôtres, car, soit que tu ailles sur le Vatican, soit que tu te rendes sur la voie d’Ostie, tu trouveras les trophées (τρόπαια) des Fondateurs de cette Église.

Ce témoignage et le sens du mot (τρόπαια) employé par Gaïus pour indiquer que les tombes des deux Apôtres, sur le champ même de leur combat, représentaient leurs trophées victorieux, font comprendre parfaitement que, si les ossements des Princes des Apôtres n’avaient pas été soustraits à temps, leurs tombeaux auraient été profanés par les païens quand on eut confisqué les cimetières durant la persécution de Valérien. Néanmoins, deux ans plus tard, époque où Gallien rendit à l’Église les immeubles confisqués par le fisc, la célébrité des τρόπαια construits par le pape Anaclet était si notoire qu’il parut anormal de ne pas y transférer les saintes dépouilles ; on les rapporta donc à nouveau sur la voie Triomphale et sur la voie d’Ostie.

Le Liber Pontificalis en attribue l’initiative au pape Corneille, mais la translation put à peine s’accomplir sous les papes Denys ou Félix Ier, lequel s’occupa effectivement du culte liturgique des martyrs dans les cimetières romains.

Constantin et Hélène élevèrent sur les tombes des saints Pierre et Paul deux insignes basiliques qu’ils enrichirent de revenus importants et de précieux mobilier. Sur l’arc triomphal de la basilique vaticane, Constantin fit apposer ce distique :

QVOD • DVCE • TE • MVNDVS • SVRREXIT • IN • ASTRA • TRIVMPHANS
HANC • CONSTANTINVS • VICTOR • TIBI • CONDIDIT • AVLAM

La basilique Constantinienne érigée sur la tombe du Docteur des Gentils sembla déjà trop petite, en 386, pour contenir le fleuve des fidèles et des pèlerins qui s’y pressaient. Valentinien II commença donc un temple de proportions beaucoup plus vastes, et l’œuvre continuée par Théodose et par Honorius fut définitivement achevée par Galla Placidia et par saint Léon le Grand. Cela nous est attesté par l’inscription qui, aujourd’hui encore, entoure la mosaïque de l’arc triomphal dans la basilique de Saint-Paul :

THEODOSIVS • COEPIT • PERFECIT • HONORIVS • AVLAM
DOCTORIS • MVNDI • SACRATAM • CORPORE • PAVLI
PLACIDIAE • PIA • MENS • OPERIS • DECVS • OMNE • PATERNI
GAVDET • PONTIFICIS • STVDIO • SPLENDERE • LEONIS

Pour mieux protéger les tombeaux contenant les corps des deux Apôtres, Constantin les revêtit d’abord de bronze massif, — quod est immobile, — comme le note le Liber Pontificalis, puis il les enferma dans deux chambres sépulcrales qu’il orna avec une splendeur royale. Sur le sarcophage de saint Pierre était une croix d’or avec cette inscription :

CONSTANTINVS • AVG. • ET • HELENA • AVG. • HANC • DOMVM • RESIMILI • FVLGORE • CORVSCANS • AVLA • CIRCVNDAT [GALEM...

Sur la tombe du Docteur des Gentils, l’empereur déposa également une croix d’or de grandes proportions.

Léon le Grand confia la garde des deux tombes apostoliques à un collège spécial d’ecclésiastiques qu’il décora du titre honorifique de Cubiculares porté par les attachés au sacrum cubiculum des empereurs. Plus tard, le pape Simplice y députa un corps de prêtres qui s’y succédaient chacun à son tour et qui étaient chargés de l’administration du baptême et de la pénitence, qu’on préférait recevoir sur les tombes apostoliques. D’autres prêtres attachés aux Titres du voisinage jouissaient de l’honneur de remplir aussi les fonctions d’hebdomadari dans les basiliques Vaticane et Ostienne. Chacun à leur tour ils célébraient la messe maior sur les autels des deux Confessions apostoliques, et cette discipline demeura en vigueur pendant plusieurs siècles, même après que l’office de ces prêtres eut pris de l’importance et qu’apparurent les fameux cardinales du XIe siècle, seuls électeurs du Pape.

Près de la basilique vaticane, Léon le Grand érigea un monastère dédié aux martyrs Jean et Paul. Trois autres se constituèrent successivement dans le voisinage ; ainsi les chœurs nourris de quatre monastères bénédictins commencèrent à faire retentir jour et nuit de leurs psalmodies la basilique de Saint-Pierre. Les moines de celui de Saint-Martin obtinrent pendant quelque temps une certaine primauté sur les trois autres. Chacun des abbés de ce monastère avait aussi la dignité d’archicantor et ils semblent avoir été préposés à la schola cantorum que Grégoire le Grand avait rétablie près de Saint-Pierre.

Près de la basilique Ostienne nous trouvons aussi, longtemps avant le VIIIe siècle, deux monastères. Grégoire II les restaura et leur attribua définitivement l’administration de l’important patrimoine du temple et son service liturgique. Si grande était toutefois la foule des fidèles qui affluaient au tombeau de saint Paul, qu’une seule messe — conformément à la règle alors en vigueur — ne suffisait plus. Grégoire III ordonna donc d’en célébrer cinq chaque jour, mais pas plus d’une sur le même autel.

Les quatre monastères vaticans, d’où était même sorti un pape, saint Léon IV, disparurent vers le Xe siècle, et les moines se transformèrent en chanoines. Ceux qui étaient près de Saint-Paul demeurèrent plus fermes dans leurs généreuses résolutions, si bien qu’ils ont pu, jusqu’à présent, perpétuer en ce sanctuaire la tradition bénédictine.

Tout est suggestif, tout parle à l’esprit, dans cette atmosphère chargée d’une histoire de plus de dix-neuf siècles. Les papes Grégoire VII et Paschal II montèrent du siège abbatial de Saint-Paul au trône apostolique. Le pape saint Paul Ier résidait à Saint-Paul quand la mort vint le prendre. Le pape Jean XVIII, après cinq ans de pontificat, renonça à la tiare et voulut se faire moine à Saint-Paul, où il termina ses jours en paix.

Un grand nombre de saints, saint Odon, saint Maïeul, saint Odilon, saint Pierre de Cava, le bienheureux Jean Rainucci, ont prié, ont habité, ont vécu dans cette douce atmosphère de prière liturgique et de tranquille labeur, où, à la fin du XVIIIe siècle, un autre bénédictin, Pie VII, se préparait, par l’enseignement de la théologie aux clercs de l’abbaye, au rude martyre de son pontificat.

Prudence nous a dépeint sous de vives couleurs ce qu’était pour les Romains du IVe siècle la fête des deux Princes des Apôtres. Ne pas rapporter son poème intégralement serait le déflorer :

On trouvera le texte intégral de Prudence ici

Prudence ne dit rien de la fête des deux Apôtres ad Catacumbas mentionnée par saint Ambroise. Cette omission est peut-être due à ce que le Pape n’y célébrait pas la messe en ce jour.

D’autres sanctuaires rappelaient aussi le séjour de Pierre et de Paul à Rome et devaient attirer aujourd’hui la foule des pèlerins. Entre la voie Salaria et la voie Nomentane, se trouvait le baptistère ad Nymphas, avec la très vénérée sedes sancti Petri qui conservait la tradition du ministère pastoral exercé en ce lieu par le fils de Jonas. Sur le Viminal le Titre du Pasteur, et sur l’Aventin celui de Prisque, revendiquaient l’honneur d’avoir eu pour hôtes les deux Apôtres. Sur la voie Appienne, le titulus de fasciola rappelait aux Romains du IVe siècle un des épisodes les plus émouvants de la vie de saint Pierre, tandis qu’un autre groupe de fidèles s’empressait de gagner l’Esquilin, pour couvrir de pieux baisers la chaîne de fer qui, jadis, avait lié le premier des Vicaires du Christ.

Les labyrinthes des cimetières de Priscille et de Domitille conservent peut-être encore les tombeaux des premiers disciples de saint Paul et l’écho de sa prédication évangélique. On ne sait pas cependant si l’Apôtre, durant la période de sa double détention à Rome, habita dans les castra peregrina sur le Cœlius, ou dans la caserne des milices prétoriennes près de la voie Nomentane, comme le donnerait à penser une phrase de son épître aux Philippiens, où il parle de la favorable impression laissée par lui dans tout le prétoire [82].

Il est certain que ses premiers fidèles et admirateurs, qui conservèrent avec une piété jalouse les chaînes qu’il porta pour le Christ, — Ego Paulus, vinctus Christi, — dont parle saint Grégoire le Grand et qui aujourd’hui encore sont vénérées dans la basilique Ostienne — gardèrent fidèlement aussi la tradition de la présence de Paul sur la voie Appienne, sur l’Aventin, sur le Viminal et au Transtévère.

Une ancienne légende veut que Paul ait été décapité non pas au deuxième mille de la voie d’Ostie, mais deux milles plus loin, à un détour écarté de la voie Laurentine appelé : Ad Aquas Salvias. Au temps de Narsès, cette assertion des apocryphes était parfaitement accréditée chez les Romains, aussi le chef byzantin éleva-t-il en ce lieu un monastère d’ascètes orientaux originaires de la Cilicie et donc compatriotes de Paul. Plus tard, le 25 janvier 604, saint Grégoire le Grand, trouvant regrettable que cette Massa Salvia consacrée par le sang de l’Apôtre ne servît pas à la gloire de son sépulcre, en attribua la propriété à la basilique Ostienne, afin que, dit-il, des lampes plus nombreuses brillent autour de la tombe de celui qui, par la splendeur de sa prédication, avait illuminé le monde entier.

Cette pensée était aussi fort bien exprimée par un ancien distique qui se lisait sur la tombe du Docteur des Gentils :

HIC • POSITVS • CAELI • TRANSCENDIT • CVLMINA • PAVLVS
CVI • DEBET • TOTVS • QVOD • CHRISTO • CREDIDIT • ORBIS

Malheureusement, les Ordines Romani les plus anciens, traitant rarement du cycle sanctoral de Rome, ne disent rien de la solennité des deux Princes des Apôtres. Le Sacramentaire Léonien nous a pourtant conservé pour le 29 juin au moins vingt-huit messes, dont plusieurs représentent toutefois de simples pièces de rechange. On y trouve de fréquentes allusions à l’accueil fait à la prière de saint Léon par Genséric, qui leva le siège de Rome le jour du natalis des Apôtres, pour que les Romains pussent célébrer cette fête en toute sécurité.

Deux stations sont indiquées aujourd’hui : l’une à Saint-Pierre et l’autre à Saint-Paul ; mais à l’une et à l’autre messes les collectes sont communes aux deux Apôtres, inséparablement unis en un unique culte. Cela représente bien l’antique mentalité, nous ne disons pas romaine, mais celle de tous les saints Pères, pour qui les deux Fondateurs de l’Église romaine ne peuvent jamais être séparés. Voici ce que disait saint Léon le Grand dans une homélie faite à Saint-Pierre en ce jour même : De quorum mentis atque virtutibus (c’est-à-dire de Pierre et de Paul), quæ omnem loquendi superant facultatem, nihil cliversum, nihil debemus sentire discretum : quia illos et electio pares, et labor similes, et finis fecit æquales [83].

Dans le Sacramentaire dit Gélasien, outre une messe vigiliale et une messe festive commune aux deux apôtres, nous trouvons aujourd’hui deux autres messes distinctes, l’une in Natal. sancti Petri proprie, et l’autre in Natal. sancti Pauli proprie.

Par exception, la fête a aussi un office vespéral, avec un grand nombre de collectes.

Il en va à peu près de même dans le Sacramentaire Grégorien, mais la station à Saint-Paul y est remise au lendemain, 30 juin, comme dans la liste des évangiles de Würzbourg, tandis que dans le Comes des épîtres, qui est plus ancien, les deux stations, au Vatican et sur la voie d’Ostie, se célèbrent le 29 juin, conformément au témoignage de Prudence et de saint Ambroise.

La première messe vers l’aurore.
Station à Saint-Pierre.

Transtiberina prius solvit sacra pervigil sacerdos [84], chante Prudence. La solennelle veillée à Saint-Pierre est donc suivie de la messe de l’aurore.

L’antienne pour l’introït est empruntée aux Actes des Apôtres, XII, 11, et nous décrit la stupeur de Pierre revenant à lui après l’extase où il se trouvait plongé alors que l’ange le fit sortir de la prison. C’est un cri d’admiration et d’humble reconnaissance envers le Seigneur qui prend soin des serviteurs qui se confient en Lui. — Il est donc vrai que le Seigneur m’a envoyé son ange pour me soustraire au pouvoir d’Hérode et à l’attente du peuple hébreu ?

La collecte se rapporte particulièrement à l’Église romaine. La voici : « Seigneur, qui avez voulu consacrer ce jour par le martyre de vos apôtres Pierre et Paul, accordez à l’Église fondée par eux de se maintenir toujours fidèle à leurs saints enseignements ».

La première lecture (Act., XII, 1-11) nous redit l’emprisonnement de Pierre et sa miraculeuse délivrance par l’ange. Les détails de cette scène sont émouvants, tels que saint Luc nous les donne. Pierre est en prison, et toute l’Église prie pour lui, mais Dieu attend jusqu’au dernier moment pour opérer le miracle.

Quand, du côté des hommes, il ne demeure plus d’autre voie de salut, c’est alors que sonne l’heure de Dieu, l’heure de la foi et du prodige. En attendant, la confiance et l’abandon de Pierre s’élèvent à un degré héroïque. Le lendemain matin il doit être mis à mort, et néanmoins, gardé par un piquet de soldats, il s’abandonne paisiblement au sommeil dans sa prison ; pour se reposer plus aisément, il a même délacé ses sandales, dénoué sa ceinture et déposé ses vêtements extérieurs. L’Apôtre dormait donc ; mais ce sommeil lui-même était comme son acte de foi dans la divine Providence qui n’abandonne pas celui qui se confie en Elle.

Cette scène des Actes des Apôtres, souvent reproduite sur maints sarcophages romains, acquiert dans la Ville éternelle une signification spéciale. L’Apôtre délivré de la prison de Jérusalem s’en alla in alium locum comme l’écrit saint Luc avec une prudente réserve : c’est-à-dire qu’il alla fonder l’Église de Rome. Aussi la lecture faite aujourd’hui à la messe est-elle comme l’acte de naissance de l’Église mère et maîtresse de toutes les autres.

Le répons-graduel est commun à la fête du frère de Pierre, saint André, le 30 novembre, il est tiré du psaume 44, qui décrit la fécondité virginale de l’Église et la gloire de sa lignée de saints : « Vous les établirez princes sur toute la terre ; ils remémoreront votre nom pour toujours, ô Seigneur. Les fils qui naîtront de vous prendront la place de vos pères, c’est pourquoi les peuples vous loueront pour toujours. »

Le verset alléluiatique et la lecture évangélique sont les mêmes que le 18 janvier, Fête de la Chaire de St Pierre à Rome : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église. » De même que les fondations soutiennent toute la masse de l’édifice, ainsi est-elle la véritable Église fondée par Jésus-Christ, celle qui est érigée sur l’autorité et sur la foi de Pierre, toujours vivant et visible dans ses successeurs.

De même que dans les sacrements l’élément matériel est le signe sensible et productif de la grâce invisible, ainsi Jésus a voulu subordonner la dignité de son Vicaire sur la terre à un fait historique, visible à tous, pour que, de la sorte, personne ne puisse errer dans une chose de si suprême importance. La véritable Église est celle qui est fondée sur l’autorité de Pierre et de ses successeurs. Mais quels sont ces successeurs dans la primauté de Pierre ? Ceux qui lui succèdent dans les fonctions d’évêque de Rome.

Cette foi est comme la pierre de touche de l’orthodoxie catholique ; en sorte que tous les Pères et les Docteurs de l’Église, depuis Clément, Ignace et Irénée jusqu’à saint François de Sales et à saint Alphonse, tous à l’unisson confessent la même doctrine au sujet de la primauté papale sur la famille catholique tout entière.

Le verset de l’offertoire est tiré du psaume 44 : « Vous les établirez princes sur toute la terre ; je rappellerai, Seigneur, le souvenir de votre nom pour toujours. »

Voici la collecte sur les oblations : « Que la prière des saints apôtres accompagne nos offrandes ; c’est à cause d’elle que nous implorons pardon et protection ».

Le Sacramentaire Grégorien assigne aujourd’hui pour préface propre celle qui, dans le Missel actuel, est devenue commune à tous les apôtres. Primitivement elle concernait seulement Rome chrétienne demandant au Seigneur que Pierre et Paul, qui jadis avaient tenu sa place pour lui annoncer l’Évangile, continuent du ciel leur office de pasteurs.

Parmi les magnifiques préfaces du Sacramentaire Léonien pour la fête des saints Pierre et Paul, nous choisissons la suivante à. titre d’exemple : Vere dignum etc. Cuius providentia donisque concessum est, ut festivitatem nobis annuam beatorum Petri et Pauli triumpho præstet insignem, par mundo venerabile, Apostolatus ordine primus et minimus, sed gratia et passione particeps. Hic princeps Fidei confitendæ, ille intelligendæ clarus assertor ; Hic Christum Filium Dei vivi pronuntiavit divinitus inspiratus ; Ille, hunc eumdem, Verbum, Sapientiam Dei, atque Virtutem, vas factus electionis adstruxit. Hic Isræliticæ delibationis instituens Ecclesiam primitivam ; Ille Magister et Doctor gentium vocandarum. Sic dispensatione diversa, unam Christi familiam congregantes, tempore licet discreto, recurrens una dies in æternum et una corona sociavit. Per Christum etc. L’incise finale se rapporte à la tradition anciennement répandue et commune à un grand nombre de Pères, selon laquelle Paul serait mort le même jour que Pierre, mais non pas la même année. Des études récentes sur la chronologie chrétienne primitive font considérer cette tradition comme très probable.

Le verset pour la communion est le même que le verset alléluiatique : « Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église ». Elle sera donc légitime, cette Eucharistie qui sera offerte en communion avec le Pontife de Rome dont le nom, dans les pays latins, était commémoré durant l’anaphore dès les premiers siècles. Taire à la messe le nom du Pape c’était, pour Ennodius de Pavie, offrir, contre la tradition antique, un sacrifice tronqué et incomplet : sine ritu catholico et cano more, semiplenas nominatim hostias [85].

Suit la prière d’action de grâces : « Par l’intercession des saints apôtres, gardez, Seigneur, contre toute adversité, ceux qui ont participé au banquet céleste ».

Nous ne pouvons rien par nos seules forces ; mais unis à Jésus-Christ rien ne nous est impossible ; il en est pour nous comme pour Élie, qui ambulavit in fortitudine cibi illius... usque ad montem Dei Horeb (III Reg., XIX, 8). A la seconde Messe.
Station à Saint-Paul.

Quando Apostolicus duas missas celebrat una die, in eas non lavat os, nisi post officium : sed, absque intervalle, finita priore, incipitur altera [86]. Ainsi s’exprime le Sacramentaire Grégorien ; et cette rubrique nous a déjà été expliquée par Prudence quand, après avoir décrit la messe de l’aurore à Saint-Pierre, il nous montre le Pontife se rendant en grande hâte à la basilique de Saint-Paul pour y répéter le même rite : Mox huc recurrit duplicatque vota [87].

Cette seconde station, le 29 juin, qui nous est attestée par les plus anciennes sources liturgiques romaines, dut demeurer en honneur jusque vers le temps d’Hadrien Ier. Ce fut seulement au VIIIe siècle que, à la notion classique de la Rome papale qui voyait dans la prédication des saints apôtres Pierre et Paul un unique principe de l’Église romaine, un unique fondement de son édifice spirituel, deux yeux d’un même corps, deux clefs de salut, c’est-à-dire l’autorité hiérarchique confiée à Pierre et l’évangélisation des nations remise à Paul, se substitua une autre conception visant à la commodité. En transférant la station sur la voie d’Ostie au lendemain, on rendait la fête moins fatigante et plus solennelle.

Cette mesure affaiblit toutefois quelque peu l’esprit primitif de la solennité, le dies bifestus de Prudence. C’est pourquoi, tout en suivant l’ordre du Missel actuel, nous tiendrons compte de la place qu’occupaient primitivement ces rites dans les anciens sacramentaires.

La messe du 29 juin sur le tombeau de saint Paul est presque identique à celle que nous avons déjà donnée le 25 janvier. Les différences sont peu nombreuses, et nous les noterons.

La première collecte est la même, sauf que, au lieu de parler de sa conversion, on parle de son dies natalis : cuius Natalitia colimus. Cette prière spéciale à saint Paul, que nous trouvons aujourd’hui pour la première fois dans le Gélasien, remplace une collecte plus ancienne, commune aux deux apôtres, et qui nous est rapportée par le Léonien. La voici :

Item ad sanctum Paulum.
Apostolico, Domine, quæsumus, beatorum Petri et Pauli patrocinio nos tuere, et eosdem quorum tribuisti solemnia celebrare, securos fac nostros semper esse custodes [88].

Dans notre missel actuel, la première lecture est celle que le Comes de Würzbourg assigne, comme nous l’avons dit, à la messe vigiliale (Gal. I, 11-20). Paul, pour défendre devant les Galates l’authenticité de son apostolat, narre sa propre histoire et démontre que, n’ayant jamais été à l’école d’aucun apôtre et ayant reçu directement de Dieu la révélation évangélique, il était apôtre à l’égal des Douze, et choisi par celui-là même qui avait élu les Douze. Il n’est donc pas admissible, comme le prétendaient ceux des Galates qui étaient judaïsants, qu’il y ait quelque divergence ou rivalité entre Paul et les apôtres. Identique est leur esprit, identique leur mission. Paul, quelques années auparavant, s’est même rendu à Jérusalem, et s’est entretenu quinze jours durant avec le Chef visible de l’Église, comme pour soumettre publiquement son enseignement à son contrôle.

Remarquons ces paroles : Cum autem placuit... ut revelaret Filium suum in me, ut evangelizarem illum in gentibus. La grâce, avant de pousser Paul à prêcher le Christ, le transforme lui-même dans le Christ, et ainsi révèle celui-ci au monde d’abord dans la vie, puis dans les paroles de l’apôtre.

Selon le Comes que nous avons déjà cité, in Nat. S. Pauli la lecture était la même que le 25 janvier ; son sujet était la conversion du Docteur des Nations sur le chemin de Damas.

Le répons-graduel est aussi le même que le 25 janvier. Le verset alléluiatique est le suivant : « Paul, Apôtre saint, prédicateur de vérité et Docteur des gentils, intercédez pour nous ».

Pourquoi Paul, tout en n’appartenant pas au chœur des Douze, a-t-il mérité d’être préféré aux autres, et même de partager avec Pierre le titre de Prince des Apôtres ? Saint Léon le Grand répond que ce privilège est dû à l’élection divine. Le Seigneur a voulu que Paul fût le trophée le plus insigne de sa miséricorde ; le persécuteur devait devenir l’Apôtre par excellence, et celui qui, au commencement, avait nui plus que les autres aux débuts de l’Église, devait travailler plus que tous les autres apôtres à la diffusion du saint Évangile : Abundantius illis laboravi. Le Seigneur en a donc ainsi disposé : tandis que nous ne savons que peu de choses des faits et gestes des Douze, les Actes et les Épîtres nous documentent suffisamment sur la vie de saint Paul, car elle constitue à elle seule la règle et le modèle de toute vie vraiment pastorale et apostolique.

Et ce n’est pas le seul privilège dont Dieu ait honoré son grand « Ouvrier ». Comme Pierre vit et gouverne dans ses successeurs, ainsi Paul continue chaque jour dans le monde entier sa prédication au moyen de ses écrits que l’Église lit presque quotidiennement à la messe.

Après sa mort, Paul a joui encore d’autres privilèges. Le culte de sa splendide basilique sépulcrale est confié depuis plus de quatorze siècles aux disciples du patriarche du Mont-Cassin, qui, jour et nuit, la font retentir des chants de l’Office divin, exécuté avec toute cette splendeur si pieuse dont les Bénédictins ont conservé la tradition. Les soixante abbayes qui autrefois desservaient les Basiliques romaines ont presque toutes disparu, celle de la voie d’Ostie survit encore vigoureuse, elle que, par égard pour saint Paul, les pontifes nomment sans plus, dans leurs Bulles : sacratissimum monasterium in quo tuum Venerabile Corpus celebri memoria requiescit. En ce lieu sacré les moines, guidés par la Règle de Saint Benoît, continuent dans la pauvreté évangélique, dans l’obéissance et dans la chasteté, cette vie religieuse qui, ayant été inaugurée par les saints apôtres, fut appelée, durant le haut moyen âge, apostolique. Et, très à propos, la divine Providence ouvrit, à l’ombre de la Basilique de Saint-Paul, une dominici schola servitii, comme saint Benoît appelle son monastère, pour que, à la garde du tombeau du Docteur universel — les cubilares de saint Léon — fût député, non pas un autre ordre religieux avec ses traditions ascétiques, ses saints, ses systèmes doctrinaux, ses objectifs particuliers, quelque vénérables et saints qu’ils soient, mais l’Ordre bénédictin qui, au dire de saint Bernard, existant avant tous les autres, et étant né à l’époque patristique, vit purement et simplement de la vie catholique de l’Église et, sans particularismes doctrinaux, prêche et enseigne avec elle, par l’intermédiaire de ses Docteurs, Grégoire le Grand, Bédé le Vénérable, saint Pierre Damien, saint Anselme, saint Bernard, etc., nourrissant sa piété aux sources mêmes de la piété de l’Église, grâce à la sainte liturgie.

La lecture évangélique est commune à la fête de l’ancien compagnon de Paul dans l’apostolat, saint Barnabé, le 11 juin. Cependant le Lectionnaire de Würzbourg assigne à cette seconde station dans la basilique Ostienne la même péricope évangélique que nous avons déjà rapportée le 25 janvier.

Tout le reste de la messe, dans le Missel actuel, est commun à fête de la Conversion de saint Paul. Dans le Léonien, la collecte sur les oblations est au contraire la suivante : Munera supplices, Domine, tuis altaribus adhibemus, quantum de nostro merita formidantes, tantum beati Petri et Pauli, pro quorum solemnibus offeruntur, intercessionibus confisi [89]. — Toujours les deux apôtres apparaissent ensemble, même pour la station (natalis) sur la voie d’Ostie.

La préface est la même que celle rapportée ci-dessus.

Dans le Léonien manque une prière spéciale pour l’action de grâces. Dans le Grégorien, nous trouvons celle-ci, qui d’ailleurs est importante, parce que, conformément à l’antique tradition, elle aussi se rapporte non seulement à Paul, comme dans le Missel actuel, mais aux deux apôtres : Perceptis, Domine, Sacramentis, beatis Apostolis intervenientibus deprecamur, ut quæ pro illorum celebrata sunt gloria, nobis proficiant ad medelam [90].

Nous empruntons au Sacramentaire Léonien cette autre collecte encore toute vibrante du style et du génie du grand saint Léon : Omnipotens, sempiterne Deus, qui ineffabili sacramento ius Apostolici principatus in Romani nominis arce posuisti, unde se Evangelica veritas per tota mundi regna diffunderet ; præsta ut quod in orbem terrarum Eorum prædicatione manavit, Christianæ devotionis sequatur universitas [91].

Les Sacramentaires ne nous ont conservé aucune messe pour le sanctuaire de la voie Appienne, mentionné en ce jour dans l’hymne célèbre de saint Ambroise : Trinis celebratur viis esta Sanctorum Martyrum.

Cependant des fouilles récentes ont restitué à la basilica Apostolorum de la voie Appienne toute son importance ; si bien que les deux sanctuaires du Vatican et de la voie d’Ostie ne peuvent aujourd’hui se flatter de posséder des monuments aussi anciens ni des graffites aussi nombreux. Ce sont les fidèles du IIIe et du IVe siècle qui invoquent Pierre et Paul, et transmettent à leurs descendants le souvenir de la célébration en leur honneur, près de leur cénotaphe, du liturgique refrigerium : Paule, Petre, pro Erate rogate. — Petrus et Paulus in mente abeatis Antonius e in mente abeatis Gelasius. — Petro et Paulo Tomius Coelius refrigerium feci. — Dalmatius botum is promisit refrigerium.

Le pape Damase décora ce sanctuaire d’une de ses belles inscriptions habituelles. La voici :

HIC • HABITASSE • PRIVS • SANCTOS • COGNOSCERE • DEBES
NOMINA • QVISQVE • PETRI • PARITER • PAVLIQVE • REQVIRIS
DISCIPVLOS • ORIENS • MISIT • QVOD • SPONTE • FATEMVR
SANGVINIS • OB • MERITVM • CHRISTVM • PER • ASTRA • SECVTI
AETHERIOS • PETIERE • SINVS • REGNAQVE • PIORVM
ROMA • SVOS • POTIVS • MERVIT • DEFENDERE • CIVES
HAEC • DAMASVS • VESTRAS • REFERAT • NOVA • SYDERA • LAVDES
Sache que jadis il y eut ici des Saints ;
Si tu veux connaître leurs noms, les voici : Pierre et Paul.
Nous confessons bien volontiers que l’Orient nous envoya ses disciples,
Qui, par le mérite de leur martyre, suivirent le Christ au ciel,
Et s’en allèrent au royaume des bienheureux.
Rome fit toutefois prévaloir leurs titres à leur droit de cité.
O Astres nouveaux, qu’ainsi Damase chante toujours vos louanges.

Cette inscription est un peu obscure. Elle fait allusion à la tradition rapportée par saint Grégoire le Grand, selon laquelle, peu après le martyre des deux apôtres, les Orientaux étaient déjà prêts à dérober leurs corps et à les emporter dans la mère patrie. Dans ce but, ils les avaient transportés dans la cachette ad Catacumbas, quand les Romains s’en aperçurent à temps et firent prévaloir leurs droits. Roma suos potius meruit defendere cives.

Synaxe vespérale.
Station à Saint-Paul.

L’ancien rit romain ne connaissait pas précisément nos vêpres actuelles, puisque — à part le quotidien cursus psalmodique des chœurs monastiques — l’office festif des vêpres, dans son concept primitif, n’est qu’une anticipation ou une extension de la synaxe vigiliale : une cérémonie préparatoire à la fête. A Rome, la semaine pascale faisait exception, et aussi la solennité des deux princes des apôtres, pour laquelle le Sacramentaire dit Gélasien nous conserve huit collectes de rechange.

Selon l’Ordo Romanus XI du chanoine Benoît, dans l’après-midi du 29 juin, le Pape, avec toute sa cour, se rendait à Saint-Paul, et là, ayant célébré les vêpres, il se mettait à table avec sa suite. Comme à Saint-Pierre, à Saint-Paul aussi le rite vigilial était double. Le premier office commençait immédiatement après le repas du soir. Après le chant de trois psaumes, les moines de l’Abbaye lisaient les trois premières leçons des Actes des Apôtres, où est narrée la conversion de Saul. Après chaque leçon, les solistes exécutaient des chants responsoriaux, tandis que le Pape, assisté des cardinaux, encensait la tombe apostolique. La quatrième et la cinquième leçons étaient réservées à deux évêques, la sixième et la septième aux cardinaux, la huitième à un sous-diacre et la neuvième au Pape. Durant le chant du quatrième répons, le Pape, au lieu d’encenser seulement l’autel (la fenestella confessionis ayant été ouverte avec la clef d’or), pénétrait dans l’espace libre qu’on voit encore entre la pierre tombale de l’apôtre et la table de l’autel. Sur cette pierre sépulcrale de l’âge constantinien, on lit cette inscription : Les deux ouvertures carrées qui brisent le mot Paulo étaient appelées par les anciens : cataractes, et c’est par là qu’on introduisait des voiles ou d’autres objets de dévotion qu’on voulait mettre en contact avec la tombe apostolique. L’une de ces deux ouvertures est plus profonde que l’autre, car c’était une faveur accordée seulement aux personnages, que d’introduire leurs objets de piété — sanctuaria — usque ad secundam cateractam.

Quant à l’ouverture centrale, elle était réservée à une touchante cérémonie. Chaque année, le jour de saint Paul, tandis qu’à l’ambon le soliste modulait les mélismes du quatrième répons vigilial, le Pontife pénétrant, comme nous l’avons dit, dans la camera confessionis, retirait l’encensoir que, l’année précédente, en la même circonstance, il avait descendu par cette ouverture sur la tombe de l’Apôtre, et il en introduisait un autre, plein, lui aussi, d’encens fumant. Le chanoine Benoît ajoute que l’archidiacre distribuait au peuple les résidus de l’encens et des charbons qui, pendant ces douze mois, avaient été si proches des ossements apostoliques hac ratione, ut quicumque febricitans devote in fide Apostoli ex his biberit, sanetur [92].

Le second office vigilial commençait vers l’aurore et se terminait par la messe solennelle que le Pape devait célébrer avec toute la splendeur du rite romain : celeberrime, dit le chanoine Benoît, qui ajoute même que les oblations déposées par les fidèles sur l’autel de Saint-Paul servaient à rémunérer le clergé qui avait pris part à la fête. L’archidiacre recevait les dix-huit deniers habituels, avec lesquels il devait rétribuer les solistes pour les répons ; à chacun des autres chantres revenait pro beneficia solemnitatis un jeton de présence de quatre sous.

Le dernier souvenir d’une si grande solennité était, jusqu’à 1870, la chapelle papale que, le 30 juin, le Pontife tenait chaque année dans la basilique du Docteur des Gentils. Le Pape célébrait d’abord le divin sacrifice sur l’autel de la Confession ; puis il prenait place au trône, entouré de sa noble cour, des patriarches et des évêques assistants au trône pontifical, du chœur des moines, et la solennelle fonction commençait, embellie par les polyphonies classiques de la Chapelle Sixtine. Après la cérémonie avait lieu, au monastère, l’habituel et frugal refrigerium romain, — dernier souvenir de l’agape de charité, — auquel prenaient part avec le Pape, les cardinaux, les prélats de la cour et la communauté monastique, à peu près comme nous le décrivent déjà les Ordines Romani du chanoine Benoît.

Nous reproduisons, en l’honneur des deux Princes des Apôtres, la simple et touchante inscription que les anciens compilateurs de recueils épigraphiques copièrent sur la porte qu’au VIe siècle, on appelait simplement de Saint-Pierre :

IANITOR • ANTE • FORES • FIXIT • SACRARIA • PETRVS
QVIS • NEGET • HAS • ARCES • INSTAR • ESSE • POLI
PARTE • ALIA • PAVLI • CIRCVMDANT • ATRIA • MVROS
HOS • INTER • ROMA • EST • HIC • SEDET • ERGO • DEVS
Pierre, le portier, a érigé son sanctuaire devant la porte :
Qui maintenant pourra nier que notre cité fortifiée soit semblable au ciel ?
Du côté opposé, le sanctuaire de Saint-Paul avoisine les murs
Au milieu est Rome. Ici donc est le trône de Dieu.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

« Aujourd’hui, Simon Pierre monta sur l’arbre de la croix, Alléluia ;
Aujourd’hui, le porte-clefs du royaume du ciel s’en alla joyeux vers le Christ ;
Aujourd’hui, l’Apôtre Paul, la lumière de l’univers, Inclina la tête pour le nom du Christ
Et reçut la couronne du martyre, Alléluia ».

Le martyrologe romain annonce la fête en ces termes : « A Rome, la naissance au ciel des bienheureux Apôtres Pierre et Paul qui souffrirent sous l’empereur Néron, la même année et le même jour. Le premier fut crucifié dans la ville, la tête en bas, et inhumé au Vatican, près de la voie triomphale où il est l’objet de la vénération de tout l’univers. Le second eut la tête tranchée et fut enseveli sur la voie d’Ostie où il reçoit de pareils honneurs ». Dans l’antiquité, les fêtes des saints étaient toujours célébrées à leur tombeau. Aussi, il y avait aujourd’hui deux offices religieux : au tombeau de saint Pierre et au tombeau de saint Paul. Aujourd’hui, on célèbre les deux Apôtres ensemble et le même jour. Mais comme la messe et l’office d’aujourd’hui s’occupent davantage de saint Pierre, on consacre à l’Apôtre des nations la journée de demain 30 juin.

1. St Pierre. — Pierre s’appelait originairement Simon. Son changement de nom fut l’œuvre du Christ lui-même. Cette nouvelle appellation fut annoncée dès la première rencontre de Simon avec le Seigneur et elle devint effective au moment de l’élection des Apôtres. Ce nom devait indiquer l’importance du premier Apôtre pour l’Église et en même temps exprimer ses caractéristiques. L’Apôtre s’appela désormais Pierre (en hébreu Képhas), le rocher. Pierre était né à Bethsaïde, près du lac de Génésareth. Il exerçait avec son frère plus jeune, André, le métier de pêcheur. Il habitait Capharnaüm et était marié. La maison de Pierre fut souvent le théâtre des actions du Seigneur qui, à chacun de ses séjours à Capharnaüm, en faisait sa demeure. Pierre, ainsi qu’André son frère et Jean, fut des premiers disciples de Jésus (Jean 1,40-50). Plus tard, après la pêche miraculeuse sur le lac de Génésareth, le Seigneur se l’attacha d’une manière permanente. Il quitta sa profession et sa famille, et le Seigneur le mit au premier rang des douze Apôtres. Désormais nous le trouvons constamment aux côtés de Jésus, soit comme porte-parole du collège apostolique (Jean VI, 68 ; Math. XVI, 16), soit comme Apôtre privilégié (à la résurrection de la fille de Jaïre, à la Transfiguration, à l’agonie au jardin des Oliviers). Son caractère impétueux l’entraîna souvent à des paroles et à des actes précipités et irréfléchis. Le reniement du Seigneur au moment de la Passion fut pour lui une salutaire leçon qui le détermina à faire disparaître les faiblesses de son caractère. Il devint humble. Le Christ lui remit, après sa Résurrection, la charge de pasteur suprême. Après l’Ascension du Seigneur, il occupe sans conteste le premier rang. Il fait le premier sermon de Pentecôte ; il accepte le premier païen (le centurion Corneille) dans l’Église (Act. Ap., X, 1 sq.). Paul va à Jérusalem pour voir Pierre. Après son évasion miraculeuse de prison (Pâques 42), « il se rendit dans un autre lieu » (sans doute à Rome). A partir de ce moment, les renseignements sont rares. Nous entendons encore parler de sa présence à l’assemblée dite : concile de Jérusalem (Act. Ap., XV, 1 sq.), de son voyage à Antioche (Gal. II, II sq.). Il est certain qu’il a travaillé à Rome comme Apôtre, qu’il a été le premier évêque de cette ville, qu’il est mort à Rome comme martyr et que son martyre a été le crucifiement (67 après J.-C.). D’après la tradition, il fut aussi le premier évêque d’Antioche (v. 22 février, fête de la Chaire). Il est l’auteur de deux Épîtres, les premières lettres pastorales adressées à la chrétienté. Son tombeau est la plus vénérable église de la chrétienté. Sur la coupole brillent ces mots : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ».

2. La messe (Nunc scio). — La messe de la vigile avait surtout pour objet le martyre de saint Pierre ; la messe de la fête célèbre la pierre fondamentale de l’Église. Le leitmotiv est la parole du Seigneur : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». La messe commence d’une manière dramatique par les paroles de Pierre lui-même : « Maintenant je sais vraiment que le Seigneur a envoyé son ange et m’a délivré de la main d’Hérode... » Cette scène se passe dans la nuit. Remarquons que, dans l’antiquité, la messe se célébrait in aurora (à l’aurore). La leçon nous raconte la délivrance miraculeuse de Pierre. Cet exemple doit nous montrer la protection divine sur la papauté et l’Église. A l’Évangile, nous sommes témoins du grand jour de Césarée de Philippe, jour où le Christ posa la pierre fondamentale de son Église. A la Communion, chacun de nous est Pierre, un rocher sur lequel le Seigneur veut bâtir son Église.

3. Prière des Heures. — Les psaumes de matines avec leurs antiennes sont empruntés au Commun des Apôtres. Ce commun provient très probablement de notre fête. Les répons sont très dramatiques et d’une grande beauté ; Ils nous présentent diverses scènes de la vie de saint Pierre comme autant de miniatures. La lecture d’Écriture nous raconte la guérison du paralytique par Pierre (Act. Ap., III, 1-16). Les trois leçons du jour sont comme un triptyque. Des deux côtés, les miracles et la protection de Pierre ; au centre, la promesse : « Tu es Petrus ». Au second nocturne, nous entendons une prédication historique du grand pape saint Léon 1er à propos de notre fête : « Certes, le monde entier a part à toutes les festivités saintes, car une même véritable foi demande que soit célébré partout dans une commune joie tout ce qui s’est passé pour le salut de tous et que l’on commémore. Mais la fête d’aujourd’hui, indépendamment de la vénération dont elle jouit dans le monde entier, doit être célébrée dans notre ville (Rome) avec une jubilation particulière et extraordinaire. Il faut qu’en ce lieu où les Apôtres ont achevé si glorieusement leur vie, en ce jour anniversaire de leur martyre, règne la plus grande joie ; car ce sont les hommes, ô Rome, par lesquels a brillé pour toi l’Évangile du Christ. Et toi qui étais jadis une maîtresse d’erreur, tu es devenue aujourd’hui un disciple de la vérité. Ce sont tes véritables pères et tes vrais pasteurs, ces hommes qui, pour te transplanter dans le céleste royaume, t’ont fondée bien plus heureusement que ceux qui posèrent tes murs de fondation. L’homme (Romulus) dont tu portes le nom t’a souillée d’un fratricide. Mais ceux-ci t’ont élevée à une si grande gloire que tu es devenue le peuple saint, la race élue, la ville sacerdotale et royale, et, par la chaire de Saint-Pierre, la capitale du monde. Et même par la religion chrétienne, ta souveraineté s’exerce sur un plus vaste domaine que jadis au temps de ta puissance terrestre. Sans doute, c’est par de nombreuses victoires que tu étendis autrefois ta domination sur terre et sur mer ; néanmoins les conquêtes que t’ont procurées les combats guerriers sont bien moins importantes que celles que tu dois à la paix chrétienne ».

[1] Johan. XXI.

[2] Gal. IV, 22-31.

[3] Psalm. CIX.

[4] Johan. XV, 15.

[5] Ibid. 9.

[6] Eph. V, 25-26.

[7] Johan. XV, 13.

[8] Ibid. X, 11-18.

[9] Eph. V, 27.

[10] Johan. XV, 11.

[11] Ambr. in Luc. X.

[12] Luc. VII, 47 ; Johan. XXI, 15.

[13] Ibid. XIII, 1.

[14] Ibid. XXI, 18.

[15] Ibid. 19, 22.

[16] Matth. XXVIII, 18.

[17] Johan. XVII, 4.

[18] Eph. IV, 12.

[19] Act. X, 9-16.

[20] Gen. XXII, 14.

[21] Col. I, 24.

[22] I Cor. XI, 7.

[23] Hymn. Vesp.

[24] Eph. IV, 12.

[25] Col. I, 24 ; II Cor. XII, 15.

[26] Eph. IV, 13.

[27] II Cor. XI, 2.

[28] Ant. Oct. Apost. ad Benedictus.

[29] II Cor. V.

[30] Psalm. XVIII, 2, 6.

[31] Ibid. 3.

[32] Psalm. XLIV, 2.

[33] Psalm. XVIII, 4-3.

[34] Psalm. XLIV, 7, 10.

[35] Eph. V, 27.

[36] Matth. XXII, 8-10.

[37] Patres, Concil. et Liturg. passim.

[38] Matth. XVI, 18.

[39] On ne s’étonnera pas que nous empruntions les différents traits de ce récit à l’ouvrage de notre Père et Maître : Sainte Cécile et la société romaine aux deux premiers siècles.

[40] Johan. XXI.

[41] Orat. XXI.

[42] In Néron XII.

[43] Contra Auxent.

[44] Stromat. VII.

[45] I Cor. IX.

[46] Johan. XX.

[47] Prudent. Peristeph. Hymn. XII.

[48] Grœc. aff. cur. Disput. VIII.

[49] Homil. VIII.

[50] Cod. Theod. Lib. XV, tit. V, leg. 5.

[51] Thomasius, Distributio psalm. ad Opus Dei juxta antiquior. psall. morem Eccl. rom.

[52] Ex. XXV, 4 ; etc.

[53] Luc. X, 11.

[54] Act. XII, 17.

[55] Respons. 2um Ii Nocturni.

[56] Marc, IV, 40.

[57] Act. XII, 12.

[58] Rom. IV, 18.

[59] Act. XII, 14-15. Currens nuntiavit stare Petrum ante januam ; at illi dixerunt ad eam : Insanis.

[60] Psalm. XLIV.

[61] Cant. I, 11 ; I Cor. XI, 3.

[62] Dionys, De div. Nom. III, 2.

[63] Prov. XXX, 1-4.

[64] Prov. XXX, 5-6.

[65] Matth. XI, 27.

[66] Johan. XV, 15.

[67] Ibid. XVII, 18.

[68] Ibid. 14.

[69] Johan. XV, 14-15.

[70] Passim.

[71] Menées, passim.

[72] Isai. II, 1-5.

[73] Ibid. XXVIII, 16.

[74] Matth. VII, 24-27.

[75] I Petr. II, 6-8.

[76] Psalm. XCII, 1.

[77] Prov. VIII.

[78] Prov. IX.

[79] Johan. VI, 69.

[80] Ibid. XIV, 6.

[81] I Petr. II, 25.

[82] Philip. 1, 13.

[83] Serm. I in Nat. Apostol. ; P. L., LIV, col. 427-28.

[84] Le Pontife commence par célébrer après une veille au delà du Tibre.

[85] ENNODIVS EP. PAP., Lib. Apologet. pro synodo, P. L., LXVII, col. 197.

[86] Quand le Pape célèbre deux messe le même jour, il ne se purifie pas la bouche, si ce n’est après l’office : mais sans interval, une fois la première finie, il commence la seconde.

[87] Puis se rend là-bas et renouvelle son offrande.

[88] Protégez-nous, Seigneur, nous vous en prions, par le patronage appostolique des bienheureux Pierre et Paul, et que ceux dont vous nous donnez de célébrer les solennités soient toujours nos gardiens.

[89] Nous apportons les dons sur vos autels, Seigneur, et autant nous craignons pour nos mérites, autant nous nous confions aux intercessions des bienheureux Pierre et Paul en les solennités desquels ils sont offerts.

[90] Après avoir reçu les Sacrements, Seigneur, nous prions par l’intercession des bienheureux Apôtres, pour que ce qui est célébré pour leur gloire devienne pour nous un remède.

[91] Dieu éternel et tout puissant, vous avez posé par un ineffable sacrement le droit du pouvoir apostolique dans la citadelle du nom Romain, afin qu’elle répande dans tous les royaumes du monde la vérité évangélique ; faites que ce qui fut répandu sur toute la terre par leur prédication, entraîne l’universalité de la foi chrétienne.

[92] P. L., LXXVIII, col. 1051.