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Commentaires liturgiques de la fête de St Jean-Baptiste

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Sommaire

  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Dom Flicoteaux, la Noël d’été  

On trouvera les textes de la messe et de l’Office ici

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

On se reportera au commentaire du jour de la Vigile, le 23 juin, ici ; et aux commentaires du 27 juin et du 1er juillet ici

« Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez les sentiers du Seigneur ; voici votre Dieu [1] ! » Oh ! Qui, dans notre siècle refroidi, comprendra les transports de la terre à cette annonce si longtemps attendue ? Le Dieu promis n’est point manifesté encore ; mais déjà les cieux se sont abaissés [2] pour lui livrer passage. Il n’a plus à venir, celui que nos pères, les illustres saints des temps prophétiques, appelaient sans fin dans leur indomptable espérance. Caché toujours, mais déjà parmi nous, il repose sous la nuée virginale près de laquelle pâlit pour lui la céleste pureté des Chérubins et des Trônes ; les ardeurs réunies des brûlants Séraphins se voient dépassées par l’amour dont l’entoure à elle seule, en son cœur humain, l’humble fille d’Adam qu’il s’est choisie pour mère. La terre maudite, devenue soudain plus fortunée que l’inexorable ciel fermé jadis à ses supplications, n’attend plus que la révélation de l’auguste mystère ; l’heure est venue pour elle de joindre ses cantiques à l’éternelle et divine louange qui, dès maintenant, monte de ses profondeurs, et, n’étant autre que le Verbe lui-même, célèbre Dieu comme il mérite de l’être. Mais sous le voile d’humilité où, après comme avant sa naissance, doit continuer de se dérober aux hommes sa divinité, qui découvrira l’Emmanuel ? Qui surtout, l’ayant reconnu dans ses miséricordieux abaissements, saura le faire accepter d’un monde perdu d’orgueil, et pourra dire, en montrant dans la foule le fils du charpentier [3] : Voilà celui qu’attendaient vos pères !

Car tel est l’ordre établi d’en haut pour la manifestation du Messie : en conformité de ce qui se fait parmi les hommes, le Dieu fait homme ne s’ingérera pas de lui-même dans les actes de la vie publique ; il attendra, pour inaugurer son divin ministère, qu’un membre de cette race devenue la sienne, un homme venu avant lui, et doué à cette fin d’un crédit suffisant, le présente à son peuple.

Rôle sublime, qui fera d’une créature le garant de Dieu, le témoin du Verbe ! La grandeur de celui qui doit le remplir était signalée, comme celle du Messie, longtemps avant sa naissance. Dans la solennelle liturgie du temps des figures, le chœur des lévites, rappelant au Très-Haut la douceur de David et la promesse qui lui fut faite d’un glorieux héritier, saluait de loin la mystérieuse lumière préparée par Dieu même à son Christ [4]. Non que, pour éclairer ses pas, le Christ dût avoir besoin d’un secours étranger : splendeur du Père, il n’avait qu’à paraître en nos obscures régions, pour les remplir de la clarté des cieux ; mais tant de fausses lueurs avaient trompé l’humanité, durant la nuit des siècles d’attente, que la vraie lumière, s’élevant soudain, n’eût point été comprise, ou n’eût fait qu’aveugler des yeux rendus impuissants par les ténèbres précédentes à porter son éclat.

L’éternelle Sagesse avait donc décrété que comme l’astre du jour est annoncé par l’étoile du matin, et prépare sa venue dans la clarté tempérée de l’aurore ; ainsi le Christ lumière serait précédé ici-bas d’un astre précurseur, et signalé parle rayonnement dont lui-même, non visible encore, revêtirait ce fidèle messager de son avènement. Lorsqu’autrefois le Très-Haut daignait pour ses prophètes illuminer l’avenir, l’éclair qui, par intervalle, sillonnait ainsi le ciel de l’ancienne alliance s’éteignait dans la nuit, sans amener le jour ; l’astre chanté dans le psaume ne connaîtra point la défaite ; signifiant à la nuit que désormais c’en est fini d’elle, il n’éteindra ses feux que dans la triomphante splendeur du Soleil de justice. Aussi intimement que l’aurore s’unit au jour, il confondra avec la lumière incréée sa propre lumière ; n’étant de lui-même, comme toute créature, que néant et ténèbres, il reflétera de si près la clarté du Messie, que plusieurs le prendront pour le Christ [5].

La mystérieuse conformité du Christ et de son Précurseur, l’incomparable proximité qui les unit, se retrouvent marquées en maints endroits des saints Livres. Si le Christ est le Verbe, la parole éternelle du Père, lui sera la Voix portant cette parole où elle doit parvenir ; Isaïe l’entend par avance qui remplit d’accents jusque-là inconnus le désert, et le prince des prophètes exprime sa joie dans l’enthousiasme d’une âme qui déjà se voit en présence de son Seigneur et Dieu [6]. Le Christ est l’ange de l’alliance ; mais dans le texte même où l’Esprit-Saint lui donne un titre si rempli pour nous d’espérance, paraît aussi portant ce nom d’ange l’inséparable messager, l’ambassadeur fidèle à qui la terre devra de connaître l’Époux : « Voici que j’envoie mon ange qui préparera le chemin devant ma face, et aussitôt viendra dans son temple le dominateur que vous cherchez, l’ange de l’alliance que vous réclamez ; voici qu’il vient, dit le Seigneur des armées » [7]. Et mettant fin au ministère prophétique dont il est le dernier représentant, Malachie termine ses propres oracles par les paroles que nous avons entendu Gabriel adresser à Zacharie, pour lui notifier la naissance prochaine du Précurseur [8].

La présence de Gabriel en cette occasion, montrait elle-même combien l’enfant promis alors serait l’intime du Fils de Dieu ; car le même prince des célestes milices allait aussi, bientôt, venir annoncer l’Emmanuel. Nombreux pourtant se pressent les messagers fidèles au pied du trône de la Trinité sainte, et le choix de ces augustes envoyés varie, d’ordinaire, selon la grandeur des instructions que le Très-Haut transmet par eux au monde. Mais il convenait que l’archange chargé de conclure les noces sacrées du Verbe avec l’humanité, préludât à cette grande mission en préparant la venue de celui que les décrets éternels avaient désigné comme l’Ami de l’Époux [9]. Six mois après, député vers Marie, il appuyait son divin message en révélant à la Vierge très pure le prodige qui, dès maintenant, donnait un fils à la stérile Élisabeth : premier pas du Tout-Puissant vers une merveille plus grande. Jean n’est pas né encore ; mais, sans plus tarder, son rôle est ouvert : il atteste la vérité des promesses de l’ange. Ineffable garantie que celle de cet enfant, caché toujours au sein de sa mère, et déjà témoin pour Dieu dans la négociation sublime qui tient en suspens la terre et les deux ! Éclairée d’en haut, Marie reçoit le témoignage et n’hésite plus : « Voici la servante du Seigneur, dit-elle à l’archange ; qu’il me soit fait selon votre parole » [10].

Gabriel s’est retiré, emportant avec lui le secret divin qu’il n’est point charge de communiquer au reste du monde. La Vierge très prudente ne parlera pas davantage ; Joseph lui-même, son virginal époux, n’aura pas d’elle communication du mystère. Ne craignons point cependant : l’accablante stérilité dont le monde a gémi, ne sera pas suivie d’une ignorance plus triste encore, maintenant que la terre a donné son fruit [11]. Il est quelqu’un pour qui l’Emmanuel n’aura ni secret, ni retard ; et lui saura bien révéler la merveille. A peine l’Époux a-t-il pris possession du sanctuaire sans tache où doivent s’écouler les neuf premiers mois de son habitation parmi les hommes, à peine le Verbe s’est fait chair : et Notre-Dame, instruite au dedans du désir de son Fils, se rend en toute hâte vers les monts de Judée [12]. Voix de mon bien-aimé ! Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes, franchissant les collines [13]. A l’ami de l’Époux sa première visite, à Jean le début de ses grâces. Une fête distincte nous permettra d’honorer spécialement la journée précieuse où l’Enfant-Dieu, sanctifiant son Précurseur, se révèle à Jean par la voix de Marie ; où Notre-Dame, manifestée par Jean qui tressaille en sa mère, proclame enfin les grandes choses que le Tout-Puissant a opérées en elle selon la miséricordieuse promesse qu’il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais [14].

Mais le temps est venu où, des enfants et des mères, la nouvelle doit s’étendre au pays d’alentour, en attendant qu’elle parvienne au monde entier. Jean va naître, et, ne pouvant parler encore, il déliera la langue de son père. Il fera cesser le mutisme dont le vieux prêtre, image de l’ancienne loi, avait été frappé par l’ange ; et Zacharie, rempli lui-même de l’Esprit-Saint, va publier dans un cantique nouveau la visite bénie du Seigneur Dieu d’Israël [15].

Préludons par le chant des premières Vêpres, avec la sainte Église, aux joies de la grande solennité qui s’annonce. Et, tout d’abord, remarquons la couleur blanche des ornements que revêt aujourd’hui l’Épouse ; les pages qui suivent nous en expliqueront le mystère.

LES PREMIÈRES VÊPRES DE SAINT JEAN-BAPTISTE.

Textes des 1ères Vêpres ici.

Les Antiennes des Vêpres ont rappelé les promesses concernant le saint Précurseur. Lui-même, au Capitule, nous invite à chanter les sublimes prévenances du Très-Haut à son égard. L’Hymne qui suit, fournit à l’Église une belle formule de prière et de louange. Il en est peu d’aussi célèbre dans la sainte Liturgie.

Sa composition est attribuée à Paul Diacre, moine du Mont-Cassin au VIIIe siècle ; et l’histoire qu’on en raconte est particulièrement touchante. Honoré de l’ordre sacré dont le titre allait rester inséparable de son nom dans la suite des âges, Paul Warnefrid, l’ami de Charlemagne et l’historien des Lombards, fut un jour désigné pour bénir le cierge triomphal dont l’apparition annonce à l’Église, chaque année, la résurrection prochaine de l’Époux ; mais pendant qu’il s’apprête à remplir la plus solennelle des fonctions réservées aux lévites de la nouvelle alliance, sa voix, auparavant claire et sonore, s’éteint soudain, le laissant impuissant à envoyer au ciel les notes joyeuses du glorieux Exultet. Dans cette extrémité, Paul se recueille ; et se tournant vers Jean, patron à la fois du peuple lombard et de l’église bâtie par Benoît au sommet de la sainte montagne, il invoque celui dont la naissance mit fin au mutisme d’un père, et qui garde le pouvoir de rendre aux fibres vocales leur souplesse perdue. Le fils de Zacharie exauça son dévot client. Telle serait l’origine des strophes harmonieuses qui composent aujourd’hui les trois Hymnes de la fête.

Ce que l’on connaît mieux, est l’importance que la première de ces strophes a conquise dans l’histoire du chant grégorien et de la musique. L’air primitif sur lequel on chantait l’Hymne de Paul Diacre, offrait cette particularité que la syllabe initiale de chaque hémistiche s’élevait d’un degré sur la précédente dans l’échelle des sons ; on obtenait, en les rapprochant, la série des notes fondamentales qui forment la base de notre gamme actuelle. L’usage s’introduisit de donner aux notes elles-mêmes les noms de ces syllabes : Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La. Gui d’Arezzo, par sa méthode d’enseignement, avait donné naissance à cet usage ; en le complétant par l’introduction des lignes régulières de la portée musicale, il fit faire un pas immense à la science du chant sacré, auparavant laborieuse et longue à acquérir. Il convenait que le divin Précurseur, la Voix dont les accents révélèrent au monde l’harmonie du Cantique éternel, eût cet honneur de voir se rattacher à son nom l’organisation des mélodies de la terre.

Au Magnificat, reconnaissons la part qu’eut notre Saint à cette ineffable effusion des sentiments de la Vierge Mère, selon ce que nous rappelait la quatrième strophe de l’Hymne précédente. Les deux Cantiques du soir et du matin, le Magnificat et le Benedictus, se rattachent à Jean comme à celui qui fut l’occasion de l’un et de l’autre par son mystérieux tressaillement et par sa naissance.

Les chants de l’Église en l’honneur de la glorieuse Nativité du Précurseur sont commencés, et déjà tout nous montre en cette fête une des solennités les plus chères à l’Épouse. Que serait-ce, si, remontant vers des temps plus heureux, il nous était donné d’avoir part aux anciennes manifestations de l’instinct catholique en ce jour ? Dans les grands siècles où la piété des peuples suivait docilement les inspirations de la Mère commune, le spectacle des démonstrations suggérées à la foi de tous par le retour d’anniversaires aimés, entretenait en chacun l’intelligence de l’œuvre divine et des grandes harmonies que le Cycle ancien savait rendre. Aujourd’hui que l’esprit liturgique a baissé pour plusieurs, le mouvement si catholique qu’il imprimait aux foules ne se retrouve plus, et l’absence d’un gouvernail assuré se fait sentir à la dévotion d’un grand nombre : désemparée, ne se guidant plus sur les phares lumineux que l’Église avait disposés à chaque détour de la route, parfois elle apparaît plus sensible au vent des nouveautés qu’au souffle traditionnel de l’Esprit-Saint ; elle est privée du sens exquis que les plus petits comme les plus grands de la famille chrétienne puisaient à la commune école du Cycle sacré ; sans vue d’ensemble, trop souvent elle manque de proportions, et son défaut d’équilibre l’expose à mille faux mouvements pleins de périls, ou sans autre résultat qu’une fatigue sans profit. Toutefois les soubresauts et les écarts amenés par l’insuffisance de quelques-uns, ne font point sombrer le navire de la vraie piété, parce que, contre vents et marée, et au milieu même des diminutions qu’il est obligé de consentir, la ferme main du pilote suprême maintient toujours authentiquement la direction première. Nous sommes loin du temps où deux armées ennemies, se trouvant en présence la veille de Saint-Jean, remettaient le combat au lendemain de la fête [16] : en France,, où la sagesse condescendante de l’Église s’est résignée à tant de pertes douloureuses, la Nativité de saint Jean-Baptiste n’est plus solennisée que lorsqu’elle tombe un Dimanche ; mais néanmoins, portée au Calendrier comme double de première classe avec Octave, et ne le cédant qu’à la fête du Corps du Seigneur, elle continue de se présenter au fidèle attentif revêtue des caractères qui désignent en elle un des plus importants jours de l’année.

Une autre fête doit venir, à la fin d’août, réclamer nos hommages envers le fils de Zacharie et d’Élisabeth : la fête de son glorieux martyre et de sa naissance au ciel. Mais, toute vénérable qu’elle doive être pour nous, selon l’expression même de l’Église au jour de la Décollation de saint Jean-Baptiste [17], elle n’aura pas la splendeur de celle-ci. C’est qu’en effet la solennité de ce jour se rapporte moins à Jean qu’à Jésus qu’il annonce ; tandis que la Décollation, plus personnelle à notre Saint, ne présente pas dans le plan divin l’importance qu’avait sa naissance, prélude de celle du Fils de Dieu.

Entre les fils des femmes, il n’y en a point de plus grand, dira l’Homme-Dieu de son Précurseur [18] ; et déjà Gabriel, les annonçant tous deux, affirmait de chacun qu’il serait grand [19]. Mais la grandeur de Jésus sera d’être appelé le Fils du Très-Haut, et la grandeur de Jean est de marcher devant lui [20]. Descendu du ciel comme celui de son Maître, le nom de Jean proclame la grâce que Jésus, sauvant l’homme, doit apporter au monde [21]. Jésus, qui vient d’en haut en personne, est au-dessus de tous, et c’est lui, et lui seul, qu’attend l’humanité ; Jean, qui vient d’ici-bas au contraire, n’a rien qu’il n’ait reçu ; mais il a reçu d’être l’ami de l’Époux [22], son introducteur, et l’Époux ne vient que par lui à l’Épouse [23].

L’Épouse elle-même ne se connaît, ne se prépare aux noces sacrées, que par lui : sa prédication la réveille au désert [24] ; il l’orne de tous les attraits de la pénitence et des vertus ; sa main enfin, dans un commun baptême, l’unit au Christ sous les eaux. Sublime moment où, élevé par delà tous les hommes et les anges, Jean apparaît au milieu même de la Trinité sainte [25], investissant comme avec autorité d’un titre nouveau la seconde personne incarnée, le Père et l’Esprit agissant avec lui de concert ! Bientôt toutefois, redescendu des sommets plus qu’humains où sa mission l’avait porté, il ambitionne de disparaître : l’Épouse est à l’Époux, sa joie à lui est entière, son œuvre achevée ; il n’a plus qu’à s’effacer et décroître [26]. A Jésus manifesté désormais [27], à Jésus seul de paraître et grandir. Ainsi l’astre du jour, à partir de la naissance de Jean, qui nous le montre dans sa splendeur, redescend-il des hauteurs du solstice vers l’horizon ; tandis que Noël sera pour lui le signal du mouvement de retour qui lui rendra progressivement tous ses feux.

Jésus seul en effet est la lumière, la lumière sans laquelle le monde resterait dans la mort ; et Jean n’est que l’homme envoyé de Dieu, sans qui la lumière demeurerait inconnue [28]. Mais Jésus étant inséparable de Jean comme le jour l’est de son aurore, on ne doit pas s’étonner que l’allégresse du monde, à la naissance de Jean, participe de celle qu’excitera dans son temps la venue du Sauveur : tout ainsi que l’aurore excite en nous la joie du jour qu’elle précède et annonce. Jusqu’au quinzième siècle, l’Église latine, avec les Grecs qui continuent de le faire, célébra en septembre la Conception du Précurseur : non qu’elle fût sainte de soi, mais parce qu’elle marquait le commencement des mystères. Dans le même esprit, quoique déjà sainte en elle-même, la Nativité de saint Jean-Baptiste n’est si grandement célébrée, de nos jours encore, que parce qu’elle porte en elle pour ainsi dire la fête même de la Nativité du Sauveur. C’est la Noël d’été. Dès le commencement, Dieu et son Église prirent soin, comme nous l’allons voir, d’accuser par mille rapprochements la dépendance et ressemblance des deux solennités.

Dieu, dont la providence poursuit en tout la glorification de son Verbe fait chair, estime les hommes et les siècles à la mesure du témoignage qu’ils rendent au Christ ; et c’est pourquoi Jean est si grand. Car de celui que les prophètes annonçaient comme à venir, que les apôtres prêchaient comme déjà venu, lui seul, en même temps prophète et apôtre, a dit en le montrant : Le voici ! Jean étant donc le témoin par excellence [29], il convenait qu’ il présidât à la période glorieuse où, trois siècles durant, l’Église rendit à l’Époux ce témoignage du sang qui donne aux martyrs la première place dans sa reconnaissance, après les apôtres et les prophètes sur le fondement desquels elle est bâtie [30]. Dix fois s’ouvrirent, sur l’immense étendue de l’empire romain, les veines de l’Épouse ; et l’éternelle Sagesse voulut que la dixième et dernière lutte se rattachât, par la journée du 25 décembre 303 dans Nicomédie [31], à la naissance du Fils de Dieu dont elle assurait le triomphe. Mais si la Nativité de l’Emmanuel éclaire ainsi dans les fastes sacrés la fin des grands combats, celle de Jean, comme il convenait, en marque les débuts. Ce fut en l’année 64 que, pour la première fois, Rome païenne ouvrit ses arènes aux soldats du Christ ; et c’est le 24 juin que l’Église en consacre l’auguste souvenir, par cette mention qui fait suite, dans son Martyrologe, à l’annonce concernant la Nativité du Précurseur : « A Rome, la mémoire sainte des nombreux martyrs qui, sous l’empereur Néron, furent accusés calomnieusement de l’incendie de la Ville, et moururent par l’ordre du prince en divers supplices : les uns exposés sous des peaux de bêtes aux morsures des chiens, d’autres crucifiés, d’autres embrasés en manière de torches à la chute du jour pour éclairer dans la nuit. Tous ceux-là étaient disciples des Apôtres : prémices choisies que l’Église romaine, champ fertile en martyrs, offrit avant la mort des Apôtres au Seigneur » [32].

La solennité du 24 juin éclaire donc doublement les origines du christianisme. Il n’y eut pas d’assez mauvais jours dans l’Église, pour mettre en défaut, une seule année, la prédiction de l’ange que beaucoup se réjouiraient à la naissance de Jean [33] ; avec la joie, sa parole, ses exemples, son intercession, apportaient le courage aux martyrs. Après le triomphe remporté par le Fils de Dieu sur la négation païenne, lorsque au témoignage du sang succéda celui de la confession par les œuvres et la louange, Jean conserva son rôle de précurseur du Christ dans les âmes. Guide des moines, il les conduit loin du monde et les fortifie dans les combats de la solitude ; ami de l’Époux, il continue de former l’Épouse, en préparant au Seigneur un peuple parfait [34].

Dans les divers états, à tous les degrés de la vie chrétienne, se fait sentir sa bienveillante et nécessaire influence. Ce n’est pas en vain qu’au commencement du quatrième Évangile, dans le passage le plus dogmatique du Testament nouveau, si l’on peut ainsi parler, Jean se retrouve, comme au Jourdain, intimement uni aux opérations de la Trinité souveraine dans l’universelle économie de la divine Incarnation : Il y eut un homme envoyé de Dieu qui s’appelait Jean, dit l’Esprit-Saint ; il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI [35]. « Précurseur dans sa naissance, précurseur dans sa mort, saint Jean, dit saint Ambroise, continue de marcher en avant du Seigneur. Et peut-être plus que nous ne le pensons, son action mystérieuse a sa part dans notre présente vie, dans ce présent jour. Lorsque nous commençons à croire au Christ, il y a comme une vertu de Jean qui nous attire après elle ; il incline dans le sens de la foi les sentiers de notre âme ; il redresse les chemins tortueux de cette vie, il en fait la voie droite de notre pèlerinage, de peur que nous ne tombions dans les anfractuosités de l’erreur ; il fait en sorte que toutes nos vallées puissent se remplir des fruits des vertus, que toute hauteur mondaine s’abaisse devant le Seigneur » [36].

Mais si le Précurseur garde sa part dans chaque progrès de la foi rapprochant du Christ les âmes, il intervient plus encore dans tout baptême accroissant l’Épouse. Les baptistères lui sont consacrés. Le baptême qu’il donnait aux foules sur les bords du Jourdain n’eut jamais, il est vrai, la puissance du baptême chrétien ; mais en plongeant l’Homme-Dieu sous les eaux, il mettait ces dernières en possession de la vertu fécondante qui, sortie de cet Homme-Dieu, allait leur donner de compléter jusqu’à la fin des temps, par l’accession de membres nouveaux, le corps de l’Église unie au Christ.

La foi de nos pères n’ignorait pas les grands biens dont étaient redevables à Jean les particuliers et les peuples. Tant de néophytes recevaient son nom au baptême, si efficace pour conduire jusqu’à la sainteté était le secours prêté par lui à ses clients fidèles, qu’il n’est pas de jour du calendrier où l’on ne puisse honorer la naissance au ciel de quelqu’un d’entre eux [37]. Patron autrefois des Lombards, saint Jean-Baptiste l’est aujourd’hui du Canada français. Mais, soit en Orient, soit en Occident, qui pourrait compter les contrées, les villes, les familles religieuses, les abbayes, les églises placées sous ce puissant patronage : depuis le temple qui, sous Théodose, remplaça dans Alexandrie l’antique Sérapéon aux mystères fameux, jusqu’au sanctuaire élevé sur les ruines de l’autel d’Apollon, au sommet du Cassin, par le patriarche des moines ; depuis les quinze églises que Byzance, devenue la nouvelle Rome, avait consacrées dans ses murs au Précurseur, jusqu’à cette basilique auguste de Latran, vraiment digne du nom qui lui fut donné de basilique d’or, et qui, dans la capitale de l’univers chrétien, reste la maîtresse et la mère de toutes les églises de la Ville et du monde ! Primitivement dédiée au Sauveur, elle adjoignit bientôt à ce vocable sacré, comme inséparable, celui de l’Ami de l’Époux. Le nom de Jean l’évangéliste, cet autre ami de Jésus, dont une tradition place au 24 juin la mort précieuse, fut lui-même ajouté aux deux autres ; mais il n’en demeure pas moins assuré que la pratique commune est d’accord avec les anciens documents, pour rapporter plus spécialement au Précurseur le titre de Saint-Jean-de-Latran sous lequel on désigne aujourd’hui la basilique patriarcale des Pontifes romains.

« Il convenait en effet, dit saint Pierre Damien, que l’autorité de l’Épouse souscrivît au jugement de l’Époux, et que celui-ci vit son ami le plus grand élevé en gloire là où celle-là serait reine. Élection remarquable, à coup sûr, que celle qui donne à Jean cette primauté en la ville même consacrée par la mort glorieuse des deux flambeaux du monde. Pierre de sa croix, Paul sous le glaive, voient la première place rester à un autre ; Rome s’empourpre du sang d’innombrables martyrs, et ses honneurs vont tous au bienheureux Précurseur. Jean, partout, est le plus grand » [38].

En ce jour donc, imitons l’Église ; évitons les oublis de l’ingratitude ; saluons avec action de grâces et pleine allégresse, l’arrivée de celui qui nous promet le Sauveur. Déjà Noël s’annonce. Sur la place du Latran, le fidèle peuple romain veillera cette nuit, attendant l’heure qui lui permettra de rompre le jeûne sévère et la stricte abstinence de la vigile, pour se livrer à d’innocentes réjouissances, prélude de celles qui, dans six mois, accueilleront l’Emmanuel.

La Vigile de saint Jean n’est plus de précepte dans un grand nombre d’églises ; autrefois, pourtant, ce n’était pas un seul jour de jeûne qu’on savait s’imposer à l’approche de la Nativité du Précurseur, mais un carême entier, rappelant par sa durée et ses prescriptions l’Avent du Seigneur [39]. Plus sévères avaient été les saintes exigences de la préparation, plus chère aussi et mieux comprise était la fête. Après avoir égalé la pénitence du Carême de Jean aux austérités de celui de Noël, on ne s’étonnait plus de voir l’Église rapprocher dans sa Liturgie les deux Nativités, à un point qui surprendrait aujourd’hui la foi boiteuse de plusieurs.

Trois Messes célébraient la naissance de Jean, comme celle de Celui qu’il fit connaître à l’Épouse : la première, à nuit close, rappelait son titre de précurseur ; la seconde, au point du jour, honorait son baptême ; la troisième, à Tierce, exaltait sa sainteté [40]. Préparation de l’Épouse, consécration de l’Époux, sainteté sans paire : triple triomphe, qui rapprochait le serviteur du Maître, et méritait l’hommage d’un triple Sacrifice au Dieu trois fois saint, manifesté à Jean dans la pluralité de ses personnes et révélé par lui à l’Église. De même encore qu’il y avait autrefois deux Matines en la nuit de Noël, Durand de Mende nous apprend, après Honorius d’Autun, que plusieurs célébraient en la fête de saint Jean un double Office [41]. Le premier commençait à la chute du jour ; il était sans alléluia, pour signifier le temps de la Loi et des Prophètes qui dura jusqu’à Jean [42]. Le second, commencé au milieu de la nuit, se terminait à l’aurore ; on le chantait avec alléluia, pour marquer l’ouverture des temps de la grâce et du royaume de Dieu [43].

L’allégresse, qui est le caractère propre de cette fête, débordait en dehors du saint lieu, et se répandait jusque sur les Musulmans infidèles. Si, à Noël, la rigueur de la saison confinait au foyer domestique les expansions touchantes de la piété privée, la beauté des nuits de la Saint-Jean d’été offrait une occasion de dédommagement à la foi vive des peuples. Aussi complétait-elle ce qui lui semblait l’insuffisance de ses démonstrations envers l’Enfant-Dieu, parles honneurs rendus au Précurseur dans son berceau. A peine s’éteignaient les derniers rayons de l’astre du jour, que du fond de l’Orient jusqu’à l’extrême Occident, sur la surface du monde entier, d’immenses jets de flammes s’élançaient des montagnes, et s’allumaient soudain par toutes les villes, dans chaque bourgade, dans les moindres hameaux. C’étaient les feux de la Saint-Jean : témoignage authentique, sans cesse renouvelé, de la vérité des paroles de l’ange et de la prophétie annonçant cette joie universelle qui devait saluer la naissance du fils d’Élisabeth. Comme une lampe ardente et luisante, selon l’expression du Seigneur, il était apparu dans la nuit sans fin, et, pour un temps, la synagogue avait voulu se réjouir à ses rayons [44] ; mais, déconcertée par sa fidélité qui l’empêchait de se donner pour le Christ et la vraie lumière [45], irritée à la vue de l’Agneau qu’il montrait comme le salut du monde et non plus seulement d’Israël [46], la synagogue bientôt s’était retournée vers la nuit, et, d’elle-même, avait mis sur ses yeux le bandeau fatal qui lui permet de rester dans ses ténèbres jusqu’à nos jours. Reconnaissante à celui qui n’avait voulu ni diminuer, ni tromper l’Épouse, la gentilité l’exalta d’autant plus, au contraire, qu’il s’était abaissé davantage ; elle recueillit les sentiments qu’aurait dû garder la synagogue répudiée, et manifesta par tous les moyens en son pouvoir que, sans confondre la lumière empruntée du Précurseur avec l’éclat du Soleil de justice, elle n’en saluait pas moins avec enthousiasme cette lumière qui avait été pour l’humanité l’aurore des joies nuptiales.

On pourrait presque dire des feux de la Saint-Jean qu’ils remontent, comme la fête elle-même, à l’origine du christianisme. Ils apparaissent du moins dès les premiers temps de la paix, comme un fruit de l’initiative populaire, non sans exciter parfois la sollicitude des Pères et des conciles, attentifs à bannir toute idée superstitieuse de manifestations qui remplaçaient, si heureusement d’ailleurs, les fêtes païennes des solstices. Mais la nécessité de combattre quelques abus, possibles aujourd’hui comme alors, n’empêcha point l’Église d’encourager un genre de démonstrations qui répondait si bien au caractère de la fête. Les feux de la Saint-Jean complétaient heureusement la solennité liturgique ; ils montraient unies dans une même pensée l’Église et la cité terrestre. Car l’organisation de ces réjouissances relevait des communes, et les municipalités en portaient tous les frais. Aussi le privilège d’allumer les feux était-il réservé, d’ordinaire, aux premiers personnages de l’ordre civil. Les rois eux-mêmes, prenant part à la joie de mus, tenaient à honneur de donner ce signal d’allégresse à leurs peuples ; Louis XIV, en 1648, mit encore le feu au bûcher de la place de Grève, comme l’avaient fait ses prédécesseurs. Ailleurs, comme il se fait toujours en plus d’un endroit de la catholique Bretagne, le clergé, invité à bénir les bois amoncelés, y jetait lui-même le premier brandon ; tandis que la foule, portant des torches embrasées, se répandait dans les campagnes autour des moissons mûrissantes, ou suivait au bord de l’Océan les sinuosités du rivage, avec mille cris joyeux auxquels répondaient les feux allumés dans les îles voisines.

En certains lieux, la roue ardente, disque enflammé tournant sur lui-même et parcourant les rues des villes ou descendant du sommet des montagnes, représentait le mouvement du soleil qui n’atteint le plus haut point de sa course que pour redescendre aussitôt ; elle rappelait la parole du Précurseur au sujet du Messie : Il faut qu’il croisse et que je diminue [47]. Le symbolisme se complétait par l’usage où l’on était de brûler les ossements et débris de toutes sortes, en ce jour qui annonça la fin de la loi ancienne et le commencement des temps nouveaux, selon le mot de l’Écriture : Vous rejetterez ce qui est vieux, à l’arrivée des nouveaux biens [48].

Heureuses les populations qui conservent encore quelque chose des coutumes où l’antique simplicité de nos pères puisait une joie plus vraie, et plus pure assurément, que celles demandées par leurs descendants à des fêtes où l’âme n’a plus de part !

L’Office des Laudes a aujourd’hui une importance particulière, le Cantique Benedictus, qu’on y chante toute l’année, étant l’expression même des sentiments inspirés par l’Esprit-Saint au père de Jean-Baptiste, à l’occasion de la naissance qui réjouit ainsi Dieu et les hommes. C’est pourquoi, ne pouvant insérer l’Office entier, nous donnerons du moins ici le Cantique, en le faisant précéder des deux Hymnes de Matines et de Laudes, qui font suite à celle des Vêpres dans la composition de Paul Diacre. Les Antiennes, le Capitule et le Verset des Laudes, sont les mêmes que l’on trouvera plus loin aux secondes Vêpres.

On trouvera l’Hymne des Matines, au commencement de celles-ci, ici ; et le textes des Laudes ici. A LA MESSE.

La Messe est composée de divers passages de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’Église, disent les auteurs liturgistes, veut ainsi nous rappeler que Jean forme le trait d’union des deux alliances et participe de chacune. Il est l’agrafe précieuse qui fixe le double manteau de la loi et de la grâce [49] sur la poitrine du Pontife éternel.

L’Introït est d’Isaïe ; nous retrouverons plus au long, dans l’Épître, le texte d’où il est tiré. Le Psaume qui se chantait autrefois avec lui est le XCIe, dont le premier verset reste seul maintenant en usage, quoique la raison primitive du choix de ce psaume se trouve dans le suivant et le treizième : Il est bon d’annoncer au matin votre miséricorde, et de manifester votre vérité dans la nuit !... Le juste fleurira comme le palmier ; il se multipliera comme le cèdre du Liban.

La Collecte rassemble les vœux du peuple fidèle, en ce jour devenu si grand par la naissance du Précurseur. Elle implore l’abondance des joies spirituelles, qui sont la grâce propre de cette fête, ainsi que l’avait annoncé Gabriel ; et, rappelant le rôle du fils de Zacharie qui consiste à redresser les sentiers du salut, elle demande que pas un des chrétiens ne s’écarte des voies de l’éternelle vie.

ÉPÎTRE.

Isaïe, dans ces quelques lignes, a directement en vue d’annoncer le Sauveur ; l’application qu’en fait l’Église à saint Jean-Baptiste, nous montre une fois de plus l’étroite union du Christ et de son Précurseur dans l’œuvre de la Rédemption. Capitale de la gentilité, devenue la mère de l’univers chrétien, Rome s’est plue à faire entendre, dans ce grand jour, aux fils que l’Époux lui a donnés, la prophétie consolante qui s’adressait à eux, avant même qu’elle ne fût fondée sur les sept collines. Huit siècles avant la naissance de Jean et du Messie, une voix s’élevait de Sion, et, franchissant les limites de Jacob, retentissait sur tous les rivages où la nuit du péché retenait l’homme asservi à l’enfer : Écoutez, îles ; et vous, peuples éloignés, soyez attentifs ! C’était la voix de Celui qui devait venir et de l’ange chargé de marcher devant lui, la voix de Jean et du Messie, exaltant la commune prédestination qui faisait d’eux, comme serviteur et Maître, l’objet des mêmes décrets éternels. Et la voix, après avoir célébré le privilège qui les désignerait, quoique si diversement, dès le sein maternel, aux complaisances du Tout-Puissant, formulait l’oracle divin qui devait être promulgué en d’autres termes, sur leurs berceaux, par le ministère de Zacharie et des anges. Je me glorifierai en vous, qui êtes vraiment pour moi Israël ; c’est peu de Jacob, qui ne vous écoutera point et dont vous ne me ramènerez qu’un petit nombre [50] : voici que je vous ai donné pour lumière aux nations, vous êtes le salut que j’enverrai jusqu’aux extrémités de la terre ; pour le peu d’accueil que vous aura fait mon peuple, les rois se lèveront et, à votre parole, ils adoreront le Seigneur qui vous a choisi comme négociateur de son alliance [51].

Enfants de l’Épouse, entrons dans ses pensées ; comprenons quelle reconnaissance doit être la nôtre, à nous gentils, envers celui à qui toute chair devra d’avoir connu le Sauveur [52]. Du désert, où sa voix stigmatisait l’orgueil des descendants des patriarches, il nous voyait succéder à l’altière synagogue ; sans rien diminuer des divines exigences, son austère prédication avait, pour les futurs privilégiés de l’Époux, des ménagements de langage qu’il ne connaissait point avec les Juifs. « Race de vipères, disait-il à ceux-ci, qui donc vous montre à fuir le châtiment qui s’avance ? Faites de dignes fruits de pénitence, et n’allez pas dire : Nous avons pour père Abraham ; car je vous dis, moi, que Dieu peut faire sortir de ces pierres des fils d’Abraham. Pour vous, déjà la cognée est à la racine, et l’arbre stérile sera jeté au feu » [53]. Mais au publicain méprisé, au soldat détesté, à tous les cœurs arides de la gentilité, trop comparables en effet aux rochers du désert, Jean-Baptiste annonçait la grâce qui désaltérerait et féconderait dans la justice leurs âmes desséchées : « Publicains, ne dépassez pas les exigences du fisc ; soldats, contentez-vous de votre solde [54]. Moïse a donné la loi ; mais meilleure est la grâce, œuvre de celui que j’annonce [55] : c’est lui qui ôte les péchés du monde [56], et nous donne à tous de sa plénitude » [57]. Quels horizons nouveaux pour ces délaissés, que le dédain d’Israël avait si longtemps tenus à l’écart ! Mais pour la synagogue, pareille atteinte au privilège prétendu de Juda était un crime. Elle avait supporté les invectives sanglantes du fils de Zacharie ; elle s’était montrée prête à l’acclamer comme le Christ [58] ; mais l’inviter à marcher de pair, elle qui se proclamait pure, avec l’impure gentilité, c’en était trop : Jean, dès ce moment, fut jugé comme le sera son Maître. Jésus, plus tard, insistera sur cette différence de l’accueil fait à son Précurseur par ceux qui l’écoutaient ; il en fera la base de sa sentence de réprobation contre les Juifs : « En vérité, je vous le dis, les publicains et les femmes perdues vous précéderont dans le royaume de Dieu ; car Jean est venu à vous dans la voie de la justice et vous ne l’avez point écouté, tandis que les publicains et les femmes perdues ont reçu sa parole, sans que cette vue vous ait amenés à pénitence » [59].

A la suite d’Isaïe prophétisant la venue de Jean et du Sauveur, Jérémie, figure de l’un et de l’autre, apparaît au Graduel ; lui aussi fut sanctifié dès le sein de sa mère, et préparé dès lors au ministère qu’il devait remplir. Le Verset demeure en suspens sur l’annonce d’un discours du Seigneur ; selon le rit autrefois usité, il se complétait par la reprise du Graduel. Le Verset alléluiatique est emprunté à l’Évangile, et tiré du Benedictus.

ÉVANGILE.

Après les lieux sanctifiés par le passage en ce monde du Verbe fait chair, il n’en est point, dans la Palestine, qui doive intéresser plus l’âme chrétienne que celui où se sont accomplis les événements racontés dans notre Évangile. La ville qu’illustra la naissance du Précurseur se trouve à deux lieues de Jérusalem vers le couchant, comme Bethléhem, où naquit le Sauveur, est à deux lieues au midi de la Ville sainte. Sorti par la porte de Jaffa, le pèlerin qui se dirige vers Saint-Jean-de-la-Montagne rencontre d’abord le monastère grec de Sainte-Croix, élevé sur l’emplacement où furent coupés les arbres dont fut faite la croix du Seigneur. Puis, continuant sa marche à travers le massif des montagnes de Juda, il atteint un sommet d’où se découvre à ses yeux la Méditerranée. La maison d’Obed-Edom qui abrita trois mois l’arche sainte, s’élevait en cet endroit, d’où un sentier rapide conduit au lieu où Marie, la véritable arche d’alliance, passa elle-même trois, mois de bénédictions chez sa cousine Élisabeth. Deux sanctuaires, éloignés d’environ mille pas l’un de l’autre, consacrent les grands souvenirs qui viennent de nous être rappelés par saint Luc : dans l’un fut conçu et naquit Jean-Baptiste ; dans l’autre eut lieu la circoncision du Précurseur, huit jours après sa naissance. Le premier remplace la maison de ville de Zacharie ; il remonte, dans sa forme actuelle, à une époque antérieure aux croisades. C’est une belle église à trois nefs et à coupole, mesurant trente-sept pas en longueur. L’autel majeur est dédié à saint Zacharie, celui de droite à sainte Élisabeth. Sur la gauche, sept degrés de marbre conduisent à une chapelle souterraine creusée dans le roc, et qui n’est autre que l’appartement le plus reculé de la maison primitive : c’est le sanctuaire de la Nativité de saint Jean. Quatre lampes tempèrent l’obscurité de cette crypte vénérable, tandis que six autres, suspendues sous la table même de l’autel, éclairent cette inscription gravée sur le marbre du pavé : HIC PRAECURSOR DOMINI NATUS EST. Unissons-nous en ce jour aux pieux enfants de saint François, gardiens de tant d’ineffables souvenirs ; plus heureux ici qu’à la grotte bénie de Bethléhem, ils n’ont point à disputer au schisme les honneurs qu’au nom de l’Épouse légitime, ils rendent à l’Ami de l’Époux sur le lieu même de sa naissance.

Les traditions locales placent à quelque distance de ce premier sanctuaire, ainsi que nous l’avons dit, le souvenir de la circoncision du Précurseur. Outre sa maison de ville en effet, Zacharie en possédait une autre plus isolée. Élisabeth s’y était retirée durant les premiers mois de sa grossesse, pour goûter dans le silence le don de Dieu [60]. C’était là que Notre-Dame venant de Nazareth l’avait rencontrée, là que s’était produit le sublime tressaillement des enfants et des mères, là que le Magnificat avait prouvé au ciel que la terre désormais l’emportait sur lui dans la louange et l’amour. Il convenait que le chant de Zacharie, le Cantique du matin, retentît lui-même, pour la première fois, au lieu d’où celui du soir était monté comme un encens de si suave odeur. Les récits des anciens pèlerins signalent en cet endroit deux sanctuaires superposés, avec un escalier conduisant de l’un à l’autre : en bas avait eu lieu la rencontre de Marie et d’Élisabeth ; ce fut au-dessus, à l’étage supérieur de la maison de campagne de Zacharie, que se passa la plus grande partie du récit qui vient de nous être proposé par la sainte Église.

Urbain V, en 1368, avait ordonné de chanter le Credo au jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste et durant l’Octave, pour éviter que le Précurseur ne parût inférieur aux Apôtres. La coutume ancienne de supprimer le Symbole en cette fête a néanmoins prévalu [61] : non comme une marque d’infériorité, à l’égard de celui qui s’élève au-dessus de tous ceux qui annoncèrent jamais le royaume de Dieu ; mais pour rappeler qu’il acheva sa course avant la promulgation de l’Évangile.

L’Offertoire est tiré du psaume d’Introït ; c’est le verset qui formait autrefois l’Introït même de la deuxième Messe du Saint, à l’aurore.

La Secrète relève le double caractère de Prophète et d’Apôtre, qui fait la grandeur de saint Jean ; le Sacrifice qui s’apprête en son honneur va encore augmenter sa gloire, en mettant de nouveau sous nos yeux l’Agneau de Dieu qu’il annonça et qu’il montra au monde.

L’Époux est en possession de l’Épouse, et c’est Jean-Baptiste qui lui a préparé les voies, ainsi que le rappelle l’Antienne de la Communion. Le moment des Mystères est celui où, chaque jour, il répète : L’Époux est celui à qui est l’Épouse ; l’ami de l’Époux, qui se tient près de lui et l’entend, tressaille de joie à la voix de l’Époux : cette joie donc, qui est la mienne, est complète [62].

Si la joie déborde en l’Ami de l’Époux, comment l’Épouse, en ce moment béni des Mystères, ne serait-elle pas elle-même toute allégresse et reconnaissance ? Qu’elle exalte donc, en la Postcommunion, celui qui lui fit connaître son Sauveur et Seigneur !

LES SECONDES VÊPRES.

Les secondes Vêpres de saint Jean-Baptiste ne diffèrent des premières, que par les Antiennes et le Verset. L’Église continue d’y célébrer les grandeurs de celui qui est venu apporter la joie au monde, en lui montrant le Dieu si longtemps attendu.

La belle Séquence que nous donnons ici, a mérité d’être attribuée à Adam de Saint-Victor, quoiqu’elle soit peut-être un peu plus ancienne.

SÉQUENCE
Ad honorem tuum, Christe,
Recolat Ecclesia
Præcursoris et Baptistæ
Tui natalitia.
L’Église, ô Christ,
à votre honneur
doit célébrer la naissance
de votre précurseur et baptiseur.
Laus est Regis in præconis
Ipsius præconio,
Quem virtutum ditat donis,
Sublimat officio.
C’est glorifier le roi,
que d’exalter le héraut
dont la vertu, dont la mission sublime
est un fruit de sa grâce.
Promittente Gabriele
Seniori filium,
Hæsitavit, et loquelæ
Perdidit officium.
Gabriel promit
un fils au vieillard ;
lui douta,
et perdit la parole.
Puer nascitur,
Novæ legis novi regis
Præco, tuba, signifer.
Vox præit Verbum,
Paranymphus sponsi sponsum,
Solis ortum lucifer.
L’enfant naît,
du Roi nouveau de la loi nouvelle
héraut, signal, porte-étendard.
La Voix précède le Verbe,
le paranymphe l’époux,
l’étoile du matin le lever du soleil.
Verbo mater,
Scripto pater
Nomen indit parvulo,
Et soluta
Lingua muta
Patris est a vinculo.
De vive voix la mère,
par écrit le père,
déclarent le nom du nouveau-né,
et la langue du père,
aussitôt déliée,
voit cesser son mutisme.
Est cœlesti præsignatus
Johannes oraculo,
Et ab ipso præmonstratus
Uteri latibulo.
Jean, signalé par le ciel
à l’avance,
s’était révélé dans le secret même
du sein maternel.
Quod ætate præmatura
Datur hæres, id figura
Quod infecunda
Diu parens, res profunda !
Contra carnis quidem jura
Johannis hæc genitura :
Talem gratia
Partum format, non natura.
Héritier donné après l’âge ;
longtemps stérile,
devenue mère :
mystère profond !
Il est vrai, cette conception de Jean
n’est point suivant l’ordre de la chair :
c’est la grâce qui produit
un tel enfantement, non la nature.
Alvo Deum virgo claudit,
Clauso clausus hic applaudit
De ventris angustia.
Agnum monstrat in aperto
Vox clamantis in deserto,
Vox Verbi prænuntia.
Dieu s’emprisonne au sein de la Vierge :
au prisonnier, pareillement prisonnier
Jean applaudit de son étroit séjour.
Voix de celui qui crie dans le désert,
Voix qui annonce le Verbe,
à ciel ouvert il montre l’Agneau.
Ardens fide, verbo lucens,
Et ad veram lucem ducens,
Multa docet millia.
Non lux iste, sed lucerna ;
Christus vero lux æterna,
Lux illustrans omnia.
Son ardente foi, sa parole lumineuse
et qui conduit à la vraie lumière
enseigne d’innombrables foules.
Non qu’il soit la lumière,
mais il est le flambeau :
c’est le Christ qui est la lumière éternelle,
la lumière illuminant tout.
Cilicina tectus veste,
Pellis cinctus strophium,
Cum locustis mel silvestre
Sumpsit in edulium.
Un cilice était son vêtement,
sa ceinture une lanière ;
des sauterelles et le miel des forêts
faisaient sa nourriture.
Attestante sibi Christo,
Non surrexit major isto
Natus de muliere :
Sese Christus sic excepit,
Qui de carne carnem cepit
Sine carnis opere.
Au témoignage que lui rendit le Christ,
il ne s’éleva jamais de plus grand
parmi les enfants nés d’une femme ;
par cette parole le Christ s’exceptait,
lui qui de chair avait pris chair
sans que la chair y eût part.
Capitali justus pœna
Jubetur in carcere
Consummari,
Cujus caput rex in cœna
Non horret pro munere
Præsentari.
Le juste est condamné à mort ;
ordre est donné de lui enlever
la vie dans la prison ;
le roi n’a pas horreur d’offrir sa tête
en don dans un festin.
Martyr Dei, licet rei
Simus, nec idonei
Tuæ laudi,
Te laudantes et sperantes
De tua clementia,
Nos exaudi.
Témoin de Dieu, quoique pécheurs,
quoique inhabiles
à vos louanges,
nous vous louons,
nous espérons votre clémence :
exaucez-nous.
Tuo nobis in natale
Da promissum gaudium,
Nec nos minus triumphale
Delectet martyrium.
En votre nativité
accordez-nous la joie promise,
et que ne nous délecte pas moins
votre triomphant martyre.
Veneramur
Et miramur
In te tot mysteria :
Per te frui
Christus sui
Det nobis praæentia !
Amen.
Nous vénérons,
nous admirons
en vous tant de mystères !
par vous le Christ
nous daigne accorder
sa douce présence ! Amen.

Les recueils liturgiques des diverses Églises abondent en formules profondes et gracieuses, pour exprimer la grandeur de Jean et du rôle qu’il eut à remplir. Telle cette solennelle Antienne des Laudes, au Bréviaire Ambrosien :

PSALLENDA.
Lumen quod animi cernunt, non sensus corporeus, in utero vidit Johannes, exsultans in Domino. Natus est luminis Præcursor ; Propheta mirabilis ostendit Agnum, qui venit peccata mundi tollere.Jean vit dans le sein maternel la lumière que contemplent les âmes, non les sens, et il tressaillit dans le Seigneur. Il est né, le Précurseur de la lumière, l’admirable Prophète montrant l’Agneau qui vient ôter les péchés du monde.

Telle encore cette antique prière de notre Sacramentaire Gallican :

COLLECTIO.
Deus qui hunc diem nativitate Johannis Baptistæ incomparabilem hominibus consecrasti : præsta nobis de ejus meritis, illius nos calceamenti sequi vestigium qui se ad solvendam Salvatoris corrigiam prædicavit indignum.O Dieu qui avez rendu ce jour incomparable dans l’histoire du genre humain, en le consacrant par la naissance de Jean-Baptiste ; accordez-nous, par ses mérites, de suivre les traces que laissa ici-bas la chaussure de celui qui se proclamait indigne de dénouer les cordons du Sauveur.

Mais, comme il convenait, l’Église Romaine, vouée à Jean, dépassa toutes celles dont elle est la maîtresse et la mère, par l’abondance et la magnificence des formules qu’elle consacra à célébrer l’Ami de l’Époux. Sans parler des trois Messes du Sacramentaire Grégorien pour ce jour, le Léonien en renfermait deux autres dites ad Fontem, et dont le texte se réfère aux nouveaux baptisés, selon l’ancienne coutume où l’on était de donner le baptême à la fête de saint Jean, comme on le faisait à Pâques, à la Pentecôte et à l’Épiphanie. Des cinq Préfaces spéciales du Sacramentaire Léonien pour chacune de ces Messes, nous donnerons seulement la suivante.

PRÉFACE.
Vere dignum. In die festivitatis hodiernæ, quo beatus ille Baptista Johannes exortus est, nondum terrena conspiciens, cœlestia jam revelans ; lucis æternæ prædicator , priusquam lumen temporale sentiret ; testis veritatis, antequam visus ; et ante propheta quam natus ; maternis visceribus latens, et Unigenitum Dei præscia exsultatione prænuntians ; Christique tui, nondum genitus, jam præcursor. Nec mirum, si Filium tuum, Domine, procreatus ostenditquem adhuc utero clausus agnovit ; meritoque inter natos mulierum nullus inventus est similis, quia nulli hominum prorsus indultum est, ut exsecutor Divinitatis existeret, priusquam vitam humanæ conditionis hauriret ; satisque firmatum, quam esset mirabilis Nuntiatus, cujus tam insignis Nuntius appareret ; convenienterque pro lavacri ministerio, quod gerebat, detulit famulatum perfecti baptismatis mysterium consecranti, et ad remissionem peccatorum mortalibus conferendam, huic jure debitam reddidit servitutem, quem mundi tollere dixerat venisse peccatum. Unde cum angelis, etc.Il est vraiment juste de vous louer, ô Seigneur, en ce jour où naquit le bienheureux Jean-Baptiste. Sans voir encore les spectacles de la terre, il révélait déjà ceux du ciel ; il annonçait l’éternelle lumière, avant d’avoir aperçu celle du temps : témoin de la vérité, avant même d’être apparu au monde, prophète avant d’être né ; caché dans les entrailles maternelles, et par son tressaillement prophétique annonçant dès lors le Fils unique de Dieu ; précurseur de votre Christ, avant que de naître. Et il n’est pas étonnant, Seigneur, que, venu au jour, il ait montré votre Fils qu’enfermé dans le sein de sa mère il avait reconnu. Il est bien vrai qu’entre les enfants des femmes il n’eut point de semblable ; car il est inouï qu’aucun homme ait eu mandat pour la Divinité, avant d’être entré dans les conditions de l’humaine vie. Combien admirable est l’annoncé, c’est ce qui apparaît clairement dans les merveilles de celui qui l’annonce. Il convenait également que, serviteur d’office du bain symbolique, il accordât son ministère à celui qui venait consacrer le mystère du parfait baptême ; prêchant aux mortels la rémission des péchés, c’était justice qu’il obéit à celui qu’il avait désigné comme étant venu pour ôter le péché du monde.

Dans ce concert des Églises à l’honneur de Jean, pourrions-nous oublier les Églises orientales, auxquelles le saint Précurseur inspira tant de chants harmonieux ? Au nom de toutes celles que le défaut d’espace nous contraint de laisser dans le silence, l’Église Syriaque exaltera l’auguste baptiseur du Christ en ces strophes que lui consacre son poète sublime, le grand diacre d’Édesse. La longueur de cette Hymne admirable nous oblige à l’abréger et à n’en donner aujourd’hui qu’une partie, réservant l’autre pour le jour de l’Octave.

HYMNE [63] (De Domino nostro et Johanne.)

Transporté en esprit au Jourdain, j’y ai vu des choses admirables, lorsque le glorieux Époux s’est révélé à l’Épouse, pour la délivrer de la servitude du péché et la sanctifier.

J’ai vu Jean dans la stupeur, la foule debout autour de lui, et le glorieux Époux incliné devant le fils de la stérile pour recevoir de lui le baptême.

Mon âme admire et le Verbe et la Voix. Jean est la Voix du Seigneur Verbe : celui qui était caché va se manifester au monde.

L’Épouse, fiancée à l’Époux, contemple l’Époux sans le connaître ; les paranymphes sont là ; le désert est rempli ; au milieu d’eux le Seigneur est caché.

Alors l’Époux, se manifestant lui-même, s’approcha de Jean près du fleuve. Ému, le héraut divin dit de lui : « C’est lui l’Époux que j’ai annoncé ! »

Il est venu au baptême, l’auteur de tout baptême, il s’est manifesté au Jourdain. Jean l’a vu, et, retirant sa main, l’a supplié, disant :

« Comment voulez-vous être baptisé, ô Seigneur dont le baptême sanctifie tous les êtres ? C’est vous qui possédez le vrai baptême d’où découle la sainteté parfaite ».

Le Seigneur a répondu : « Je le veux : approche et donne-moi le baptême ; c’est ma volonté. Tu ne peux résister à ma volonté ; je serai baptisé par toi, parce que je le veux ainsi ».

— Ne dites pas cela, je vous en prie, Seigneur ; ne me contraignez pas, car ce que vous me dites est difficile. C’est à moi d’être baptisé par vous, car votre hysope purifie tout.

— Je le demande, et il me plaît que la chose soit ainsi. Mais toi, Jean, pourquoi hésites-tu ? laisse-nous accomplir ce qui est juste. Va donc, baptise-moi ; pourquoi cette incertitude ?

— Qui peut saisir en ses mains la flamme ? O vous, feu consumant dans tout votre être, ayez pitié de moi, et permettez que je n’approche pas de vous ; car ce m’est une chose difficile.

— Je t’ai manifesté ma volonté : que crains-tu ? Approche donc et baptise-moi, tu ne seras pas consumé. Le repas des noces est prêt ainsi que la chambre nuptiale : ne m’en éloigne pas.

— Il faut bien, Seigneur, que je considère ma nature : je ne suis que terre, et c’est vous qui m’avez façonné, qui donnez l’être à toute créature. Pourquoi donc vous baptiserais-je dans les eaux ?

— Il faut que tu saches pourquoi je suis venu et à quelle fin je t’ai demandé le baptême. Le baptême est au milieu de la route que j’ai choisie, ne me le refuse pas.

— Ce fleuve est trop étroit pour que vous y puissiez descendre. Les cieux ne peuvent contenir votre immensité ; combien moins ces eaux du baptême !

— Le sein d’une vierge est plus étroit que le Jourdain, et pourtant librement j’en ai fait mon séjour. Si j’ai pu naître du sein d’une vierge, je puis être baptisé dans le Jourdain.

— Voici que les armées des cieux sont ici présentes ; les phalanges angéliques, prosternées, vous adorent ; épouvantement qui fait trembler mes membres, ô Seigneur, s’oppose à ce que je puisse vous baptiser.

— Toutes les phalanges des célestes Vertus te proclament bienheureux, de ce que je t’ai choisi dès le sein de ta mère pour me donner le baptême ; ne crains donc point, puisque c’est ma volonté.

— J’ai préparé la voie, c’était ma mission ; j’ai fiancé l’Épouse, selon l’ordre que j’en avais reçu. Maintenant que vous êtes venu, que votre manifestation éclate par le monde, et que je n’aie pas à vous baptiser.

— Les fils d’Adam attendent de moi le don de la nouvelle naissance ; je leur ouvrirai la voie dans les eaux ; mais cela n’est possible que par mon baptême.

— Les sacrificateurs reçoivent de vous leur consécration, votre hysope purifie les pontifes, vous constituez les christs et les rois. Que vous servira le baptême ?

— L’Épouse que tu m’as fiancée attend que, descendant dans le fleuve, j’y sois baptisé et la sanctifie. Ami de l’Époux, ne me refuse pas le bain qui m’attend.

Précurseur du Messie, nous partageons la joie que votre naissance apporta au monde. Elle annonçait la propre naissance du Fils de Dieu. Or, chaque année, l’Emmanuel prend vie à nouveau dans l’Église et les âmes ; et, pas plus aujourd’hui qu’il y a dix-huit siècles, il ne veut naître sans que vous-même ayez, comme alors, préparé les voies à cette nativité qui donne à chacun de nous son Sauveur. A peine s’achève, au Cycle sacré, la série des mystères qui ont consommé la glorification de l’Homme-Dieu et fondé l’Église, que déjà Noël se montre à l’horizon ; déjà, dans son berceau, Jean tressaille et révèle l’approche de l’Enfant-Dieu. Doux prophète du Très-Haut, qui ne pouvez parler encore et déjà, pourtant, dépassez tous les princes de la prophétie, bientôt le désert, comme nous le redirons, semblera vous avoir ravi pour jamais au commerce des hommes. Mais dans les jours de l’Avent, l’Église vous aura retrouvé ; elle nous ramènera sans cesse à vos enseignements sublimes, aux témoignages que vous rendrez à Celui qu’elle attend. Dès maintenant, commencez la préparation de nos âmes ; redescendu sur notre terre en ce jour d’allégresse, venu comme messager de la prochaine arrivée du Seigneur, pourriez-vous un instant rester oisif devant l’œuvre immense qui vous incombe en nous ?

Chasser le péché, dompter les vices, redresser les instincts faussés de la pauvre nature déchue : tout cela devrait être accompli sans doute, tout cela serait achevé dès longtemps, si nous avions répondu fidèlement à vos labeurs passés. Il n’est que trop vrai pourtant ; c’est à peine s’il semble, en plusieurs, que le défrichement ait jamais commencé : terres rebelles, où les pierres et les ronces défient vos soins depuis des années. Nous le reconnaissons, dans la confusion de nos âmes coupables : nous confessons nos fautes à vous et au Dieu tout-puissant, comme l’Église nous apprend à le faire au début du grand Sacrifice ; mais, en même temps, nous vous prions avec elle d’intercéder pour nous auprès du Seigneur notre Dieu. Vous le proclamiez au désert : de ces pierres mêmes, Dieu peut toujours faire sortir des fils d’Abraham. Chaque jour, les solennelles formules de l’oblation qui prépare l’immolation sans cesse renouvelée du Sauveur, nous apprennent la part honorable ex. puissante qui vous revient dans cet auguste Sacrifice ; votre nom, de nouveau prononcé lorsque la victime sainte est sur l’autel, supplie alors pour nous pécheurs le Dieu de toutes miséricordes. Puisse-t-il, en considération de vos mérites et de notre misère, être propice à la prière persévérante de notre mère l’Église, changer nos cœurs, et remplacer leurs attaches mauvaises par les attraits des vertus qui nous vaudront la visite de l’Emmanuel ! A ce moment sacré des Mystères, trois fois invoqué selon la formule même que vous nous avez apprise, l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde aura lui-même pitié de nous et nous donnera la paix : cette paix précieuse avec le ciel, avec la terre, avec nous-mêmes, qui nous préparera pour l’Époux en nous rendant les fils de Dieu [64] selon le témoignage que, chaque jour également, vous renouvelez par la bouche du prêtre au sortir de l’autel. Alors votre joie et la nôtre sera complète, ô Précurseur ; l’union sacrée, dont ce jour de votre nativité renferme pour nous l’espérance déjà si joyeuse, sera devenue, dès cette terre et sous les ombres de la foi, une réalité sublime, en attendant la claire vision de l’éternité.

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

On se reportera au commentaire du jour de la Vigile, le 23 juin, ici.

Saint Jean-Baptiste.
Station au Latran.

Aujourd’hui à Rome se célébraient plusieurs messes ; le Sacramentaire Léonien en contient quatre en l’honneur de saint Jean-Baptiste, et la troisième a pour titre : Ad fontem. Cela prouve que les autres étaient célébrées dans la grande basilique du Sauveur, et en quelque autre sanctuaire romain dédié à saint Jean, — le pape Symmaque en avait élevé un également près du baptistère Vatican, — seule la troisième messe était offerte dans l’oratoire du Latran, construit par le pape Hilaire Ad fontem.

De cette richesse primitive de la liturgie romaine, le Sacramentaire Grégorien conserve lui aussi une trace. Outre la messe nocturne, on y trouve les collectes in prima missa et pour une deuxième qui, vraisemblablement, était la messe stationnale, célébrée dans la basilique du Sauveur.

Aux Vêpres se présente la même disposition. Après l’office accompli dans la grande basilique du Latran, le clergé se rendait processionnellement ad fontes, pour y célébrer, comme le jour de Pâques, un office plus court, dont le Sacramentaire Grégorien nous conserve également la collecte finale.

Personne ne peut s’étonner de la magnificence de la dévotion de nos pères envers Jean-Baptiste, si l’on réfléchit à la place éminente qu’il occupe dans l’histoire même de la divine Incarnation. Sa bulle de canonisation est l’éloge que fit de lui le Verbe de Dieu fait homme, quand il le montra aux foules comme le plus grand de tous les prophètes et de tous les fils de la femme, le nouvel Élie, la lumière ardente et resplendissante.

La liturgie s’appliqua donc d’une manière spéciale à célébrer la gloire particulière de Jean, le maior inter natos mulierum. C’est pourquoi, alors qu’on célébrait seulement le jour du trépas des autres saints, on voulut fêter le jour même de la naissance de Jean, comme ayant été entourée de la splendeur des charismes du Paraclet.

Nous avons la preuve de l’intense dévotion professée par Rome envers saint Jean-Baptiste, anciennement surtout, dans le grand nombre d’églises qui lui étaient dédiées. On en compte une vingtaine au moins. Vingt-trois Papes voulurent porter son nom, et la basilique du Latran elle-même, dans l’usage commun sanctionné par le Missel, est appelée sans plus : Saint-Jean de Latran.

Le culte de saint Jean-Baptiste trouva ses propagateurs les plus ardents parmi les moines qui, dans la vie austère passée par le Précurseur au désert, reconnaissaient une sorte de prélude à l’institution monastique. Le patriarche saint Benoît lui érigea sur le Mont-Cassin un sanctuaire où il voulut être enseveli. Le saint évêque syrien Laurent, qui, au Ve siècle, fonda la célèbre abbaye de Farfa, consacra sa basilique en l’honneur de la Vierge et des deux saints Jean, le Baptiste et l’Évangéliste. A Subiaco également, l’un des douze monastères élevés par saint Benoît reçut aussi le nom du Précurseur du Christ.

La question de la préséance accordée à saint Jean sur saint Joseph dans les litanies des saints fut étudiée par Benoît XIV. L’introduction de l’invocation à saint Joseph dans la prière litanique est relativement récente, et quand elle se fit, on ne jugea pas opportun de fixer en quel sens doit être entendue cette parole de l’Évangile disant que Jean est le maior inter natos mulierum. Depuis de longs siècles, Jean était en pacifique possession de cette première place dans le long cortège litanique des saints ; en outre c’est un martyr. Pour ne rien innover, on plaça saint Joseph entre saint Jean et saint Pierre.

Maintenant que la dévotion au patriarche saint Joseph a projeté tant de lumière sur sa figure, la question est moins difficile à résoudre dans le sens déjà indiqué d’ailleurs par la liturgie, quand elle plaçait saint Joseph avant les chœurs des Apôtres. Du contexte de l’Évangile, il ressort que la primauté accordée à Jean s’entend de sa mission prophétique et messianique. Il est au sommet de la pyramide des patriarches, des prophètes et des saints qui annoncent et préparent le Nouveau Testament. Comme Jean les surpasse tous en dignité, il l’emporte aussi sur eux en sainteté puisqu’il fut sanctifié dès le sein maternel.

Saint Joseph, de son côté, fait partie d’un autre système et d’un autre cadre. Il n’appartient pas, peut-on dire, au cortège de patriarches qui va au-devant du Messie, il n’a pas une mission prophétique au service du Christ, mais il entre au contraire dans le plan même de sa sainte Incarnation, comme le véritable époux de Marie et le dépositaire, au nom du Père éternel, de la patria potestas sur l’Enfant Jésus. C’est Joseph, fils de David qui, par son mariage virginal avec Maiie, introduit et présente honorablement au monde Jésus, comme l’héritier légitime des promesses messianiques faites à David et à Abraham.

La transcendance de Marie et de Joseph n’enlève donc rien à la gloire de Jean, proclamé par le Rédempteur lui-même comme le plus grand entre tous les prophètes et les fils de la femme. C’est aussi pourquoi la sainte liturgie, près du berceau du Précurseur comme dans la prison de Machéronte, entonne à sa louange des chants de triomphe.

Les hymnes magnifiques insérées aujourd’hui dans le Bréviaire sont de Paul Diacre, moine du Mont-Cassin, qui les composa pour la fête titulaire de l’église de ce monastère. Quatre siècles plus tard environ, un autre moine, Gui d’Arezzo, tira des tons ascendants des premiers hémistiches de l’hymne des vêpres de saint Jean, les noms de l’échelle musicale :

Ut queant laxis resonáre fibris
Mira gestórum muli tuórum,
Solve pollúti bii reátum,
Sancte Ioánnes.
Pour que tes serviteurs puissent à pleine voix,
célébrer les merveilles de tes hauts faits,
bannis l’indignité de nos lèvres souillées
ô saint Jean.

L’introït de la messe emprunte son antienne à Isaïe (XLIX, 1-2), suivie du psaume 91 : « Le Seigneur m’appela par mon nom dès le sein de ma mère ; il fit de ma parole comme un glaive tranchant ; il m’abrita de sa main, et se servit de moi comme d’une flèche choisie ». — Ps. 91 : « II est bon de louer le Seigneur, et de chanter un hymne à votre nom, ô Très-Haut ! »

Comme l’observe saint Jean Chrysostome, imposer un nom, c’est faire acte de domination. Or le Seigneur, pour montrer que certains rares personnages lui sont consacrés à un titre spécial, leur impose un nom qui indique la mission future à laquelle il les voue. Le nom de Jean signifie colombe, parce que le témoignage qu’il rendit à la divinité de Jésus devait préparer les Juifs à recevoir celui d’une autre colombe, celle qui, dans le Jourdain, descendit sur le divin Sauveur.

La collecte rappelle que la nativité de saint Jean-Baptiste a consacré à jamais ce jour mémorable. Prenant donc au mot le Seigneur, qui, par l’intermédiaire de l’ange, promit que beaucoup se réjouiraient au jour de la naissance de Jean, elle implore cette joie intérieure qui nous est si nécessaire pour pouvoir parcourir avec ardeur l’âpre chemin du ciel.

La première lecture est tirée d’Isaïe (XLIX, 1-3, 5, 6, 7) et trace la mission prophétique du futur envoyé de Yahweh. Le Seigneur se l’est façonné dans le sein de sa mère, pour qu’il soit lumière du monde et instrument de salut universel. Dieu accomplira toutes ces merveilles, mais à une condition. L’élu de Yahweh devra être docile à la divine motion. Moins il y mettra du sien, plus et mieux il agira par l’Esprit de Dieu. Il prendra donc un titre qui exprime en même temps son rien et sa grandeur : il sera simplement le serviteur de Yahweh !

Le répons est tiré de Jérémie (I, 5, 9), qui, selon quelques docteurs, fut, comme Jean-Baptiste, sanctifié dans le sein maternel. Le texte scripturaire ne comporte toutefois pas nécessairement ce sens, car la sanctification dont il est parlé ici pourrait indiquer simplement la vocation de prophète. Quoi qu’il en soit il est certain que ce passage de Jérémie atteint la plénitude de son sens en Jean-Baptiste. « Avant que je t’aie formé, je te connaissais déjà, et avant que tu fusses sorti du sein maternel, déjà je t’avais choisi. Le Seigneur étendit sa main et, touchant ma bouche, il me dit : Avant que je t’aie formé, etc ».

Comme on le sait, le graduel est un psaume avec répons. Le premier hémistiche s’intercalait entre chaque verset. Le graduel de ce jour exige la répétition du verset, « Avant que je t’eusse formé, etc ». sans quoi les mots : il me dit restent suspendus en l’air. Le verset alléluiatique est emprunté au cantique chanté par Zacharie après la naissance de Jean, quand il eut recouvré la parole. « Alléluia, alléluia (Luc., I, 76). Toi, enfant, tu seras appelé le Prophète du Très-Haut. Tu iras devant Lui, pour lui préparer le chemin ».

La lecture évangélique continue le récit commencé hier (Luc., I, 57-68). Le huitième jour après la naissance du Précurseur, il est circoncis, et on veut lui donner un nom. Quelqu’un propose celui de Zacharie ; mais le père et la mère, sans entente préalable, et avertis intérieurement par le Saint-Esprit, se trouvent d’accord pour l’appeler Jean. Zacharie, son père, a suffisamment réparé, par cet acte de foi, son hésitation première ; aussi, non seulement il retrouve la parole, mais celle-ci devient d’emblée le chant d’un prophète, où Dieu est béni et où est annoncé le sort du Précurseur nouveau-né.

Le verset de l’offertoire est le même que pour la fête de saint François de Sales le 29 janvier.

La collecte sur les oblations fait encore allusion à l’habitude qu’avait autrefois le peuple d’apporter lui-même son offrande à l’autel. « Aujourd’hui nous couvrons vos autels, Seigneur, de nos offrandes, pour honorer convenablement la naissance de celui qui annonça le Rédempteur sur le point d’arriver, et qui, après sa venue, l’indiqua solennellement au monde ».

Voici la belle préface [65] donnée en ce jour par les Sacramentaires, qui l’ont empruntée au Léonien :... æterne Deus. Et in die festivitatis hodiernæ qua beatus lohannes exortus est, tuam magnificentiam collaudare ; qui vocem Matris Domini nondum editus sensit, et adhuc clausus utero, adventum salutis humanæ prophetica exultatione significavit. Qui et genitricis sterilitatem conceptus abstulit, et patris linguam natus absolvit ; solusque omnium Prophetarum, Redemptorem mundi quem prænuntiavit ostendit. Et ut sacræ effectum purificationis aquarum natura conciperet, sanctificandis Iordanis fluentis, ipsum baptismo baptismatis lavit Auctorem. Et ideo etc [66].

Le verset pour la Communion du peuple est semblable au verset alléluiatique.

Voici la collecte d’action de grâces où l’Église revient sur la promesse faite par l’ange pour le jour natal du Précurseur : « Que votre Église tout entière, Seigneur, se réjouisse de la naissance de votre Précurseur puisque, par sa prédication, elle fut guidée à la foi de Celui qui l’a régénérée dans son Sang ».

L’Église ne pourrait condamner plus explicitement ces systèmes exagérés d’ascèse qui veulent bannir de la pratique de la vertu toute douceur et consolation spirituelle. Non : étant donné la faiblesse de notre nature nous pouvons jouir de ces grâces que Dieu nous accorde, et qui constituent l’onction intérieure du Paraclet ; ainsi met-on de l’huile aux roues des chars pour qu’elles tournent plus facilement et sans bruit. Les douceurs spirituelles ne constituent ni la sainteté ni le progrès dans la vertu. Elles aident néanmoins admirablement à y atteindre, c’est pourquoi saint Paul disait : Gaudete in Domino semper, iterum dico gaudete [67].

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

On se reportera au commentaire du jour de la Vigile, le 23 juin, ici.

Jean était un flambeau ardent et brillant.

Cette fête est un morceau d’Avent dans le temps de la Pentecôte et nous montre comment peuvent se compénétrer les mystères du salut dans l’année liturgique. Nous sommes presque au milieu de l’année liturgique et déjà se dessine l’année nouvelle, tel le bouton qui, sous la feuille, annonce en plein été le printemps prochain

1. La fête. — Alors que, pour tous les autres saints, le jour de fête est le jour de mort parce que c’est en ce jour qu’ils sont entrés au ciel (natale = jour de naissance pour le ciel), l’Église célèbre aussi, pour la Sainte Vierge et pour saint Jean-Baptiste, le jour de la naissance terrestre. Tous les autres humains étaient, au moment de leur naissance, souillés du péché originel et par conséquent ennemis de Dieu. La Sainte Vierge avait été conçue sans péché, c’est pourquoi nous célébrons aussi la fête de l’Immaculée-Conception. Quant à saint Jean, il avait été purifié dans le sein de sa mère au moment de la visite de la Sainte Vierge. Telle est la justification dogmatique de notre fête. Saint Augustin, au bréviaire, légitime la fête en ces termes. « En dehors de la très sainte fête de la naissance du Seigneur, on ne fête le jour natal d’aucun homme si ce n’est celui de Jean le Baptiste. Pour les autres saints et élus de Dieu, on fête, comme on sait, le jour où, après avoir terminé leurs fatigues et vaincu glorieusement le monde, ils renaissent à la vie et à la béatitude éternelles. Chez les autres, on glorifie l’achèvement de leurs mérites au dernier jour de leur vie. Chez Jean, on considère aussi comme saint son jour de naissance, qui est le commencement de sa vie mortelle. La raison, c’est assurément ce fait que le Seigneur a voulu faire annoncer auparavant sa venue par le Baptiste afin que, au moment de sa venue soudaine, il ne restât pas inaperçu. Jean était le symbole de l’Ancienne Alliance et représentait la Loi. C’est pourquoi Jean annonça le Rédempteur, de même que la loi précéda la grâce ».

2. La messe (De ventre). — La messe est entièrement dominée par la pensée de la vocation du Précurseur. Dès l’Introït, il se présente lui-même devant nous et parle de sa sanctification dans le sein maternel. La liturgie applique au Précurseur les textes dans lesquels il est question de la vocation des Prophètes Isaïe et Jérémie. La leçon du bréviaire, au premier nocturne, est empruntée à la vision dans laquelle Jérémie reçoit sa vocation. Par contre, la leçon de la messe (comme d’ailleurs l’Introït) est empruntée à Isaïe. Dans les deux cas la même pensée est exprimée : le Baptiste a été, dès avant sa naissance, établi par Dieu prédicateur de pénitence et précurseur.

Le Graduel est l’écho de la leçon et emprunté comme elle à l’Ancien Testament. Quant au verset de l’Alléluia, qui est le prélude de l’Évangile, il est tiré aussi de l’Évangile : Jean est envoyé devant le Seigneur pour lui préparer les voies.

L’Évangile raconte la naissance et la circoncision du Baptiste. Ce fut une fête de famille mémorable. Zacharie, à peine délivré de son mutisme, circoncit l’enfant et entonne le chant prophétique, le Benedictus, dans lequel il voit déjà l’aurore du « Soleil qui se lève ». Il est très probable que la Très Sainte Vierge, l’Épouse bénie du Saint-Esprit, assistait à cette cérémonie. Elle est le symbole d’une autre Épouse du Saint-Esprit, de notre Mère l’Église qui, aujourd’hui, dans les saints mystères, renouvelle le même spectacle.

Au Saint-Sacrifice apparaît le divin « oriens ex alto » avec son Précurseur dans son escorte. A la sainte Communion, chacun de nous est un « propheta Altissimi », un prophète du Très-Haut, appelé, toute la journée, à paraître devant la « face du Seigneur » pour lui préparer ses voies.

3. Pensées sur la messe. — La messe a un aspect tout à fait personnel. Les textes sont des dialogues et des monologues. Qui parle dans ces monologues et ces dialogues ? C’est d’abord saint Jean. La liturgie est dramatique et concrète. Jean est présent parmi nous et nous parle. Il nous parle dans l’Introït et particulièrement dans la leçon (la liturgie aime faire parler dans l’Épître le saint de station). Cependant aujourd’hui nous sommes unis à saint Jean. C’est pourquoi nous parlons nous aussi dans l’Introït et la leçon. Par notre vocation à la foi et à la grâce nous avons part à sa sanctification dans le sein de sa mère (et cette sanctification est le sens de la fête).

Examinons le Graduel. Le second verset se termine ainsi : « Et il me dit ». La liturgie n’achève jamais ainsi. Il en résulte que le Graduel suppose l’antique manière de chanter. C’était alors le beau répons dramatique :
- La Schola (Dieu) : Avant de te tonner dans le sein maternel, je te connaissais.
- Le peuple (répétant en écho) : Avant de te tonner dans le sein maternel, je te connaissais.
- La Schola : (Jean) Le Seigneur a envoyé sa main ; il a touché ma bouche et il m’a dit :
- Le peuple (Dieu) : Avant de te tonner dans le sein maternel, je te connaissais.

Considérons aussi la gradation des sentiments de l’Église dans cette fête : lætitiam, honorabilem, gratiam gaudiorum, cumulamus. L’Église veut éveiller en nous la joie de la fête, la joie du sacrifice. — Encore une remarque : la messe commence par « je » (l’Introït aime ce « je », car chacun de nous, au commencement de la messe, offre son « moi » en sacrifice). Ce « je » devient peu à peu « nous » ; vers la fin, à la communion, le « nous » est remplacé par le « tu ». Maintenant la grâce coule dans chaque cœur particulier.

4. Martyrologe. — « A Rome, la commémoration de nombreux saints martyrs que Néron, pour détourner de sa personne l’odieux d’avoir incendié la Ville, accusa faussement de son forfait. Il les fit cruellement périr par divers genres de mort : les uns, revêtus de peaux de bêtes, furent exposés aux morsures des chiens ; d’autres furent crucifiés ; d’autres furent allumés en guise de torches afin qu’à la chute du jour ils servissent à éclairer durant la nuit. Tous étaient disciples des Apôtres ; ce furent les prémices des martyrs que l’Église romaine, champ fertile en ce genre de fruits, offrit au Seigneur avant la mort des Apôtres ». A Rome, on célèbre, le 27 juin, une fête spéciale en l’honneur de ces premiers martyrs de l’Église romaine. Saint Pie V défendit, par respect pour le sol trempé du sang des martyrs, d’établir des jeux sur le Vatican. Un ambassadeur ayant un jour demandé des reliques au pape, celui-ci lui donna une poignée de terre de la place Saint-Pierre. L’ambassadeur se plaignait de ce qu’il considérait comme une raillerie. Le pape lui montra alors la terre rouge de sang frais.

Dom Flicoteaux, la Noël d’été

ANTIQUITÉ DE LA FÊTE ROMAINE ; SON CARACTÈRE PROPRE.

Ce n’est pas à Rome que nous avons trouvé la plus ancienne mention de la fête du Précurseur. Il faut même reconnaître que nous ne possédons sur l’existence de la solennité romaine aucun renseignement qui soit antérieur au VIe siècle. La Noël d’été ne figure ni sur le férial Philocalien (336), ni sur le calendrier plus tardif de Polemius Silvius (448) [68]. Chose plus surprenante encore, parmi les nombreux discours qui subsistent du pape saint Léon, nous n’en connaissons pas un seul qui se rapporte à la Nativité de saint Jean-Baptiste. Faut-il conclure que l’Église romaine aurait attendu jusqu’au VIe siècle pour adopter une fête admise depuis longtemps déjà dans les autres parties de l’Occident ? Nous ne le pensons pas. Bien au contraire tout nous fait croire, malgré le silence des documents, que l’Église romaine qui, la première, célébra la Noël d’hiver fut aussi la première à connaître l’existence de la Noël d’été. Il était si simple et si naturel de compléter et d’étendre le mystère de la Nativité du Christ en fêtant la naissance de son Précurseur. Sans doute le premier témoignage concernant l’existence de la Noël d’été nous est venu de l’Église d’Afrique, mais celle-ci, selon toute vraisemblance, n’avait adopté la fête du 24 juin que pour suivre sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, l’exemple donné par l’Église romaine.

Quoi qu’il en soit des origines de la fête, Rome n’attendit sûrement pas jusqu’au VIe siècle pour donner à saint Jean-Baptiste la large part qui lui revient comme de droit dans l’estime et la piété du peuple chrétien. C’est à la paix de l’Église, dès le début du IVe siècle, que nous voyons le célèbre baptistère de Latran, bâti par Constantin et placé par lui-même sous la protection du Précurseur, devenir au centre de la ville le foyer de la dévotion catholique envers l’Ami de l’Époux [69]. Telle était déjà, à cette époque lointaine, l’importance acquise par le culte de saint Jean que Constantin faisait construire en son honneur, non loin de Rome, deux basiliques, l’une à Ostie et l’autre sur le territoire d’Albano [70]. Un siècle et demi plus tard le culte de saint Jean-Baptiste reçut une impulsion nouvelle du pape saint Hilaire (461-68), successeur de saint Léon. Saint Hilaire crut devoir témoigner de sa dévotion personnelle au Précurseur en lui dédiant dans le baptistère du Latran un oratoire qui s’est conservé jusqu’à nos jours [71]. Il est probable que ce même pape, qui se fit remarquer par son zèle pour le culte divin, exerça sur le développement liturgique de la Noël d’été une influence décisive. Sans doute la fête du 24 juin existait avant saint Hilaire, mais c’est bien grâce à lui, semble-t-il, qu’elle conquit définitivement sa place parmi les plus grandes solennités de l’année chrétienne [72].

Sur l’existence et la célébration de la fête romaine, les premières indications que nous puissions utiliser nous sont fournies par un document qui remonte jusqu’au début du VIe siècle et qu’on appelle communément le « sacramentaire Léonien ». C’est là que se trouvent réunies les plus anciennes formules de la liturgie latine relatives à saint Jean-Baptiste. Encore que le recueil dont nous parlons ne soit, peut-être, qu’une compilation de caractère privé, nous sommes sûrs qu’il contient un grand nombre de pièces composées par le pape saint Léon lui-même, car la noblesse toute romaine et la majestueuse beauté de la plupart de ces formules ne laissent aucun doute sur l’origine de leur inspiration. Or, le sacramentaire léonien conserve le texte de cinq messes pour la Nativité de saint Jean-Baptiste. Elles se succèdent dans l’ordre suivant : d’abord, une première messe qui est celle de la vigile, puis deux messes de rechange pour la fête elle-même, enfin deux autres messes de rechange également pour la fête, mais précédées de l’indication « ad fontem » parce qu’elles devaient être célébrées dans ce spacieux baptistère du Latran où s’accomplissait avec tant de pompe la grande fonction de la nuit pascale. Chacune de ces messes est enrichie d’une préface propre publiant avec éloquence la gloire du Précurseur et les merveilles de sa nativité. Le lecteur nous saura gré de lui mettre sous les yeux le texte latin d’une de ces préfaces qui serait bien digne de figurer dans le missel romain [73]. Elle appartient à l’une des deux messes qui se chantaient auprès de la fontaine baptismale, et c’est pourquoi elle rappelle très opportunément le baptême du Sauveur dans le Jourdain :

« Vere dignum. In die festivitatis liodierna, qua beatus Joannes exortus est, qui vocem matris Domini nondum editus sensit et adhuc clausus in utero, ad adventum salvitis hmnanæ, prophetica exsultatione gestivit ; qui et genitricis sterilitatem coiiceptus abstersit, et pattis linguam natus absolvit : solusque omnium prophetarum, Redemptorem mundi quem prænuntiavit ostendit ; et ut sacræ purificationis effectum aquarum natura conciperet, sanctificandis Jordanis fluentis ipsum baptismatis lavit auctorem » [74].

Déjà reconnue par le sacramentaire Léonien, l’importance majeure de la Noël d’été ne fit que croître et s’accentuer jusqu’à l’époque carolingienne. Au IXe siècle, la Nativité du Précurseur semble avoir réalisé son complet épanouissement. Ses nombreux privilèges la classent alors parmi les grandes solennités du cycle liturgique, et même la rapprochent plus étroitement de Noël et de Pâques, fêtes insignes entre toutes. Non seulement la Nativité de saint Jean se rattachait à la fête de Noël par son origine et sa signification, mais elle lui ressemblait à plus d’un égard. D’abord on se disposait à l’une et l’autre fête par une période de préparation qui se terminait par une vigile solennelle ; de plus l’usage s’était établi de sanctifier la longue et joyeuse veillée de la saint Jean, comme la nuit de Noël, par une messe qui se disait avant le lever du soleil ; enfin l’office liturgique du 24 juin, par sa contexture et par certains détails de sa composition, répondait d’une manière assez frappante à celui de la Noël d’hiver.

Étroitement apparentée à la Nativité du Sauveur, la fête de saint Jean se rapprochait aussi par un certain côté de la liturgie pascale. En dehors du jour de Pâques, nulle circonstance de l’année chrétienne ne donnait plus de place à la pensée du baptême que la fête de saint Jean-Baptiste qui se célébrait précisément dans le lieu même où Rome voyait s’accomplir avec une incomparable magnificence la grande fonction du Samedi-Saint. Et puis, au soir de la Saint-Jean comme au soir de Pâques, l’Église, afin de rappeler à ses enfants leur naissance à la vie divine, les réunissait autour de la piscine sacrée, sous les auspices du Précurseur.

Dans les pages qui suivent nous nous souviendrons de ce qu’était à Rome la liturgie de la Noël d’été, dans le cours du moyen-âge, c’est-à-dire à l’époque la plus glorieuse de son histoire.

LE JEUNE PRÉPARATOIRE.

On se reportera au commentaire du jour de la Vigile, le 23 juin, ici.

CÉLÉBRATION DE LA NOËL D’ÉTÉ : LES TROIS MESSES.

Toutes les circonstances se réunissaient pour faire de la Saint-Jean un jour de grande magnificence. La Noël d’été a toujours occupé, sur le calendrier, la date la plus favorable à la célébration d’une fête liturgique. Elle se place, en effet, tout au début de l’été, et si, dès cette époque, le soleil inonde de sa joyeuse clarté la ville et la campagne, il ne fait pas encore sentir aux hommes l’ardeur brûlante de ses plus chauds rayons. Rien au contraire de plus doux, de plus paisible, rien de plus souriant que ces premiers jours de l’été romain où la nature se pare de ses plus riches couleurs pour fêter, elle aussi, la naissance du témoin de la lumière.

Déjà favorisée par sa date liturgique, la fête de saint Jean l’était aussi par le lieu de sa célébration qui se déroulait tout entière dans la majestueuse basilique du Latran. Cet édifice, le plus insigne et le plus vénérable de la ville de Rome, l’emportait en dignité, à certains égards, sur la basilique vaticane de Saint-Pierre. Celle-ci, en tous cas, ne pouvait revendiquer, comme le sanctuaire du Latran, le glorieux titre d’« église mère et chef de toutes les églises de la ville et du monde » omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput [75]. En sa qualité d’église cathédrale du pontife romain, la basilique du Latran voyait se dérouler dans sa vaste nef quelques-unes des fonctions les plus importantes de l’année liturgique : « C’était là que débutait le carême et que les pénitents recevaient les cendres, avant que l’anticipation du jeûne eût reporté ce rite au mercredi précédent et lui eût donné pour cadre l’église de Sainte-Anastasie. C’était encore au Latran qu’avaient lieu les distributions des palmes, la consécration des saintes huiles, et, surtout, dans la longue et incomparable vigile pascale, l’administration du baptême, la confirmation, la communion des néophytes, tout le mystère de l’initiation chrétienne. Enfin si le pape était couronné à Saint-Pierre, il n’en est pas moins vrai qu’il venait ensuite, en une pompeuse cavalcade, prendre possession de son église du Latran » [76].

La basilique du Latran était toute désignée pour la célébration de la fête du 24 juin, non seulement à cause de son baptistère dédié depuis toujours à saint Jean-Baptiste, mais aussi parce que de très bonne heure l’église elle-même avait été placée sous le vocable de Amicus Sponsi [77]. Construite par Constantin dans le vieux palais des Laterani, la basilique de Saint-Jean n’avait encore rien perdu dans les premiers siècles du moyen-âge de son antique splendeur. La première chose qui frappait le regard de quiconque pénétrait dans ce vaste édifice, c’était au fond de l’abside une somptueuse mosaïque représentant, en son milieu, une croix richement ornée au pied de laquelle se dressaient, d’un côté, la Vierge Marie, mère de Dieu, et de l’autre, la figure saisissante du Précurseur [78]. Lam-pleur des proportions, la beauté des marbres, la richesse de la décoration, l’éclat des lampes et des vases précieux qui entouraient l’autel, tout contribuait dans cet auguste sanctuaire à rendre plus noble et plus majestueuse la célébration liturgique de la Noël d’été.

Dès le VIe siècle, la Nativité de saint Jean avait acquis le privilège d’être honorée, comme la fête de Noël, par la célébration d’un triple sacrifice, car le sacramentaire grégorien nous donne en plus des oraisons de la vigile celles de deux autres messes dont la première devait se dire dans la nuit de la fête, ou au lever du soleil, et la seconde à la lumière du jour [79]. Une de ces deux messes et très vraisemblablement la première, celle de la nuit, se disait au baptistère du Latran [80]. Du reste l’usage de sanctifier la nuit de la Saint-Jean par l’oblation du sacrifice eucharistique ne fut pas spécial à l’Église de Rome, il se répandit de bonne heure en Italie, en Gaule et en Espagne [81]. Naturellement les liturgistes du moyen-âge crurent indispensable de justifier au moyen d’un symbolisme subtil la raison d’être de chacune de ces trois messes, comme ils le faisaient pour la fête de Noël. D’après Amalaire qui excelle dans les explications de ce genre, les trois messes de la Saint-Jean rappellent, la première, son titre de Précurseur, la seconde, son baptême, et la troisième, son austérité merveilleuse [82]. De ces trois messes nous n’avons conservé que la première et la troisième, celle de la vigile et celle du jour qui était aussi la plus solennelle. Quant à la seconde, la messe de la nuit, elle a cessé d’être en usage, mais les diverses pièces de chant dont elle se composait se retrouvent aujourd’hui disséminées dans le commun d’un confesseur non pontife [83]. La coutume de célébrer plusieurs messes en la fête de Saint-Jean était encore en vigueur au XIVe siècle, comme on le voit d’après le témoignage de Raoul de Tongres [84], et il y a tout lieu de croire qu’elle s’est maintenue, en plus d’un endroit, bien au-delà de cette époque [85].

Il est à peine besoin de dire qu’au point de vue de sa composition liturgique, la fête de Saint-Jean n’a rien à envier aux plus somptueux offices de l’année chrétienne. On y retrouve quelque chose de la fraîcheur et de la grâce qui sont le propre du mystère de Noël, avec en plus, nous semble-t-il, une nuance exquise de touchante simplicité. Les diverses pièces dont se compose l’office du 24 juin sont pour la plupart empruntées à l’Évangile et aux prophètes. Ces textes choisis avec un goût délicat sont agencés avec un sens liturgique des plus affinés, répartis d’une main discrète et légère sous forme de lectures, d’antiennes et de répons, et revêtus de mélodies alertes du style grégorien le plus pur. Les prières sacerdotales, collectes et oraisons, peuvent rivaliser pour la plénitude de la pensée et la noblesse du langage avec les formules les plus expressives, les plus savoureuses du Missel romain.

Mais le plus admirable dans l’office de la Noël d’été c’est la perfection de l’ensemble, l’équilibre, l’harmonie d’une composition qui nous permet de suivre la marche progressive du mystère selon ses diverses phases, depuis ses plus lointaines origines jusqu’à son total épanouissement. La première partie de l’office, qui commence avec la messe de vigile, s’otivre sur la scène de l’annonciation dans le temple de Jérusalem. Cet épisode nous introduit de la manière la plus naturelle dans la célébration du joyeux avènement dont il forme la préparation divine. Lorsque viennent les heures de l’office de nuit, l’Église, avant de nous faire assister à la naissance merveilleuse de Jean, nous entretient de sa gloire future, par la voix des plus grands prophètes. Puis dès que le soleil se lève nous, chantons la grandeur surhumaine de l’enfant qui repose en son berceau. Enfin la messe du jour nous présente dans tout l’éclat de sa gloire celui dont le témoignage ne cesse de résonner à travers les siècles jusqu’aux confins de l’univers.

LA MESSE DE LA VIGILE : ANNONCIATION DU PRÉCURSEUR.

On se reportera au commentaire du jour de la Vigile, le 23 juin, ici.

LES PREMIÈRES VÊPRES : LE SACRIFICE DE L’ENCENS.

Comme les autres fêtes du cycle liturgique, la Noël d’été s’ouvre la veille au soir par l’office des premières vêpres qui, dans l’antiquité, portait le nom de « lucernaire » parce qu’il s’effectuait à la nuit tombante. Mais l’Église s’est fait une habitude de n’avancer que doucement dans la célébration des mystères. Aussi veut-elle attendre l’heure même où Jean-Baptiste apparut en ce monde, c’est-à-dire les derniers moments de la nuit, pour donner libre cours à l’expression de sa très vive allégresse. Jusque-là sa joie n’est encore que la joie discrète de l’espérance, la joie qui lui vient des promesses divines. Afin d’occuper son attente elle redit à son tour, en des antiennes qui ne manquent ni de grâce ni de simplicité, les paroles de l’ange qu’elle a jalousement conservées dans son cœur. Elle nous répète que Jean doit naître du sein de la vieillesse et de la stérilité : Ex utero senectutis et sterili Johannes natus est præcursor Domini [86]. Ce qui est une manière ingénieuse de nous faire entendre que, sans une intervention très spéciale de la miséricorde divine, jamais la Synagogue n’aurait été capable de donner au monde un si beau fruit de justice et de sainteté. Mais du céleste message l’Église a retenu de préférence ce qui concerne l’austérité prodigieuse du nouvel Élie, et l’extrême pureté de ses mœurs : vinum et siceram non bibet, et omne immundum non manducabit ex utero matris suæ [87]. « II ne boira ni vin ni rien qui enivre, et il ne mangera rien d’impur dès le sein de sa mère ». Elle note que la sainteté de Jean-Baptiste sera en rapport avec la sublimité de sa mission, car « lui-même marchera dans l’esprit et la vertu d’Élie afin de préparer au Seigneur un peuple parfait » : Ipse præibit ante illum in spiritu et virtute Eliæ parare Domino plebem perfectam [88].

Ainsi, tout le fait prévoir, celui qui va naître sera grand devant le Seigneur, et la main de Dieu reposera sur lui : Iste puer magnus coram Domino, nom et manus ejus cum ipso est [89]. Et l’Église, dès maintenant, invite l’univers à célébrer avec joie le bienfait d’une telle naissance : Et multi in nativitate ejus gaudebunt [90].

Mais ce qui fait le plus grand intérêt de ce premier office de la Saint-Jean, c’est qu’il se déroule précisément à l’heure même où le prêtre Zacharie offrait dans le temple de Jérusalem le sacrifice du soir, au coucher du soleil [91]. Lors donc que le pontife accomplit en grande pompe l’encensement de l’autel, il reproduit d’une manière frappante le geste de Zacharie déposant sur les charbons du sanctuaire le parfum précieux, symbole des adorations et des prières du peuple [92]. L’Église profite de ce rapprochement pour rappeler dans l’antienne de Magnificat l’apparition mystérieuse du messager céleste surgissant à droite de l’autel dans la fumée de l’encens : Ingresso Zacharia templum Domini, apparuit ei Gabriel angelus, stans a dextris altaris incensi.

Quant au Magnificat on ne saurait oublier qu’il fut divinement inspiré à la Vierge Marie tandis qu’elle se trouvait auprès de sa cousine Élisabeth et de Jean lui-même encore renfermé dans le sein maternel mais déjà sanctifié par l’action secrète du Verbe fait chair. Notre-Dame songeait très certainement à la naissance prochaine du Précurseur lorsqu’elle prononçait son cantique d’action de grâces et surtout lorsqu’elle rendait témoignage à la fidélité des promesses divines : Suscepit Israël puerum suum recordatus misericordiæ suæ, sicut locutus est ad patres nostros A braham et semini ejus in sæcula. Elle savait bien que la naissance de Jean devait annoncer la naissance du Sauveur, et marquer pour Israël le point de départ d’une ère de grâce et de salut.

L’Église romaine, lorsqu’elle eut introduit le chant des hymnes dans l’office divin, ne manqua pas d’emprunter à la liturgie monastique les strophes célèbres de Paul Diacre dont la mélodie ravissante fait si vivement sentir le charme et la douceur de la Noël d’été [93]. Ici encore le prêtre Zacharie paraît en scène, mais pour nous apprendre que c’est à Jean lui-même d’inspirer notre louange et de nous rendre capables de célébrer dignement la gloire de son nom. A peine osons-nous traduire en français cette hymne jadis si populaire et dont nul n’ignore l’importance dans l’histoire du chant sacré :

Pour que vos serviteurs puissent à pleine voix
chanter vos gestes merveilleuses,
purifiez de la souillure du péché
nos lèvres coupables, ô saint Jean.
 
Un messager venu du haut du ciel
annonce à votre père que vous naîtrez déjà grand
Il lui révèle votre nom et lui dévoile peu à peu
le cours entier de votre vie.
 
Lui doutant de la promesse divine
perd soudain l’usage de sa langue.
Mais en naissant vous réparez
le dommage survenu à l’organe de la voix.
 
Reposant encore dans le berceau secret du sein maternel
Vous aviez senti la présence du Roi en sa couche nuptiale.
C’est donc par les mérites de leur fils
Que vos parents nous découvrirent de tels mystères [94].
 
Honneur soit au Père et au Fils par lui engendré
et à vous Esprit qui de l’un et de l’autre
êtes toujours égal en puissance, Dieu unique,
dans tout cours des siècles. Amen.

L’Évangile nous dit qu’après avoir achevé son service dans le Temple, Zacharie, devenu muet à cause de son incrédulité, se retira dans sa maison auprès de son épouse. La promesse de l’ange s’accomplit. Élisabeth, conçut le fils des miséricordes divines, puis elle se confina cinq mois durant dans une parfaite solitude comme pour vénérer en elle le fruit de sa miraculeuse conception et rendre grâces à Dieu de l’insigne faveur qui lui était faite. L’Église, elle aussi, après avoir pris connaissance du message angélique, se recueille comme pour méditer les grandeurs de l’enfant dont elle va, dans la nuit, célébrer le joyeux avènement.

LA NUIT DE LA SAINT-JEAN, « LUCERNA ARDENS ET LUCENS ».

Après les fameuses vigiles de Pâques et de Noël il n’y avait pas dans toute l’Église, à Rome et ailleurs, de nuit qui fût plus populaire que celle de la Saint-Jean. C’était pour le peuple chrétien une heureuse occasion de revivre aux premiers jours de l’été les joies si douces et si intimes de la Noël d’hiver. Les princes eux-mêmes se faisaient un devoir de prendre part à l’office des vigiles. Le biographe de Robert le Pieux ne nous montre-t-il pas le dévot roi de France s’unissant avec ferveur, pendant la nuit de la Saint-Jean, à la prière liturgique des moines de Fleury [95] ? Il y avait à Rome pour la Noël d’été, comme pour les plus grandes fêtes de l’année chrétienne « præclarissimæ festivitates », un double office dont le premier commençait au soir du 23 juin et le second, plus important, se célébrait au milieu de la nuit [96]. Nous ne dirons rien ici du premier de ces offices qui disparut dès avant la fin du moyen-âge sans laisser de trace et nous nous occuperons uniquement du second qui, dans ses lignes principales, est encore aujourd’hui ce qu’il était au IXe siècle [97].

Lorsque la nuit, une de ces belles nuits très douces et très pures de l’été romain, avait enveloppé la ville, celle-ci, au lieu de s’endormir comme d’habitude dans un profond silence, semblait s’éveiller à une vie nouvelle. C’était alors que des bandes joyeuses se mettaient à parcourir les places de la cité pour y allumer, au milieu des clameurs et des chants, ces feux dont la flamme pétillante suscitait de toute part un frémissement d’allégresse. Jeux innocents, joies aimables d’un peuple dévot qui, par ces naïves manifestations dont la foi n’était jamais absente, justifiait à merveille la promesse de l’ange : Et multi in nativitate ejus gaudebunt. Quand, au milieu de ces paisibles réjouissances, la cloche annonçait l’office de la nuit, les fidèles, en grand nombre, se rassemblaient dans la spacieuse basilique du Latran pour s’unir à la louange de l’Église et célébrer les merveilles que le Christ lui-même, par la vertu de sa grâce, avait fait s’accomplir en la personne de son Précurseur. Les vigiles se composaient alors comme aujourd’hui de trois nocturnes et l’office était si habilement disposé, nous allons le voir, que le développement des deux premières veilles de la nuit servait de préparation à la troisième qui avait directement pour objet la naissance du Précurseur.

De même que le Christ avait été préfiguré par les plus grands d’entre les justes de l’Ancien Testament, patriarches, rois et prophètes, de même Jean-Baptiste avait été annoncé lui aussi par de très saints personnages dont il reproduisit en sa personne les traits les plus caractéristiques, non par une coïncidence purement fortuite mais en vertu d’une disposition providentielle. C’est ainsi, par exemple, pour nous en tenir aux ressemblances les plus frappantes que Samuel, Élie et Jérémie trouvaient en saint Jean-Baptiste une première réalisation de leur caractère figuratif. Samuel préfigura le Précurseur non seulement parce qu’il naquit d’une femme stérile, comme le fruit de sa prière, mais aussi parce qu’il fut divinement chargé d’introduire en Israël cette royauté politique qui n’était elle-même qu’une image et une préparation du règne de notre Sauveur. L’ange Gabriel a dit de Jean-Baptiste qu’il devait marcher dans la vertu d’Élie et déjà nous avons parlé du lien qui, dans la pensée divine, rattachait le Précurseur au prophète de l’Ancien Testament. Nous avons remarqué que chez l’un et chez l’autre il y avait même austérité, même amour de la solitude et de la contemplation, même zèle jaloux pour tout ce qui touche à la gloire de Dieu [98].

Mais c’est surtout dans le prophète Jérémie que l’Église retrouve le plus volontiers les traits du saint Précurseur, Aussi juge-t-elle convenable de lui faire une large place dans la liturgie du 24 juin. Toute une partie de l’office est remplie de la pensée du prophète dont la voix mystérieuse se fait entendre d’un bout à l’autre du premier nocturne, dans les antiennes et les lectures. Jérémie, qui était lui aussi d’origine sacerdotale, prophétisa Jean-Baptiste par sa propre naissance, car il sortit du sein maternel déjà sanctifié par la grâce divine. Il le préfigura dans tout le reste de sa vie, et plus particulièrement dans le martyre qu’il eut à endurer pour les droits de la justice et de la vérité. Il le représenta en sa propre personne par la gravité de ses traits, la grandeur de son caractère, la noblesse et la simplicité de sa conduite. Il l’annonça jusque dans l’accomplissement de sa mission qui fut d’arracher, détruire, édifier et planter, comme celle de Jean consistera plus tard à aplanir, redresser, combler et préparer les voies du Seigneur. Enfin si Jean-Baptiste devait surpasser tous les prophètes, nous savons bien qu’avant lui, dans l’estime du peuple juif, il n’y eut pas de prophète plus grand que Jérémie. Voilà pourquoi nous croyons entendre le Précurseur rendre témoignage de lui-même dans tout ce passage dont l’Église nous donne lecture à l’office de nuit :

La parole du Seigneur me fut ainsi adressée.
« Avant de te former dans le sein de ta mère, je t’ai connu ;
et avant que tu sortisses de ses flancs, je t’ai sanctifié
et je t’ai établi prophète des nations. »
 
Et je dis : « Ah, ah, ah, Seigneur mon Dieu, je ne sais pas
parler, car je suis un enfant. »
 
Et le Seigneur répondit : « Ne dis pas : je suis un enfant,
car tu iras vers tous ceux à qui je t’enverrai,
et tu diras tout ce que je t’ordonnerai.
Ne crains pas de paraître devant eux,
car je suis avec toi pour te délivrer, dit le Seigneur. »
 
Alors le Seigneur étendit la main, me toucha les lèvres, et me dit :
Voici que j’ai mis mes paroles en ta bouche,
voici que je t’établis eu ce jour sur les nations et les royaumes,
pour que tu arraches et que tu détruises,
pour que tu ruines et que tu disperses,
pour que tu bâtisses et que tu plantes.
Alors, ceins-toi les reins et lève-toi,
Et dis-leur tout ce que je t’ordonnerai de dire.
Ne tremble pas en leur présence
car je te donnerai de ne pas craindre leur visage.
Voici qu’en ce jour je t’établis comme une ville forte,
comme une colonne de fer et une muraille d’airain
sur toute la terre,
pour commander aux rois de Juda, à ses princes,
aux prêtres et aux habitants de la terre.
Ils lutteront contre toi, mais ne l’emporteront pas,
car, dit le Seigneur, moi je suis avec toi pour te délivrer [99].

La deuxième veille de l’office ne commençait à Rome qu’à une heure avancée de la nuit. Extérieurement la basilique du Latran était enveloppée dans d’épaisses ténèbres, mais à l’intérieur des lampes nombreuses et brillantes dissipaient l’obscurité de l’édifice où se poursuivaient les vigiles. Toujours habile à découvrir dans les choses de la nature l’image des réalités invisibles, l’Église n’a pas manqué de reconnaître et dans l’obscurité matérielle la figure des ténèbres qui précédèrent l’avènement du Rédempteur et dans la vive clarté du luminaire le symbole de celui que le Christ appelait une lampe ardente et brillante : Lucerna ardens et lucens [100]. Il semble même que l’Église se soit inspirée de cet ingénieux rapprochement dans le choix du sermon qui, jusqu’à ces dernières années, se lisait encore au second nocturne de l’office. Nous en détachons ce court passage :

« De Jean-Baptiste le saint évangéliste proclame : Il était une lampe ardente (Ille erat lucerna ardens), c’est-à-dire : il brûlait du feu de l’Esprit-Saint, afin de montrer au monde enfoncé dans la nuit de l’ignorance (ignorantiæ nocte possesso) la lumière du salut et afin de le conduire par la clarté de ses propres rayons, au milieu des ténèbres extrêmement épaisses du péché (quasi inter densissimas delictorum tenebras), jusqu’au soleil de justice dans tout l’éclat de sa splendeur (splendidissimum justitiæ solem). C’est pourquoi parlant de lui-même, Jean disait : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert » [101].

Depuis quelques années ce sermon de saint Maxime a fait place dans le bréviaire romain à un autre passage du même auteur [102]. Mais nous avons conservé au second nocturne ce très antique et très beau répons, le plus beau peut-être de tout l’office du 24 juin, où saint Jean-Baptiste apparaît dans la plénitude de son rôle d’illuminateur :

Hic est Præcursor dilectus, et LUCERNA LUCENS ante Dominum :
Ipse enim est Johannes qui viam Domino præparavit in eremo :
Sed et agnum Dei demonstravit et ILLUMINAVIT MENTES HOMINUM. 
 
« Celui-ci est le Précurseur bien-aimé et la lampe qui luit devant le Seigneur :
car c’est bien Jean lui-même qui a préparé la voie au Seigneur dans le désert,
montré du doigt l’Agneau de Dieu, illuminé l’esprit des hommes » [103].

AVANT QUE LE SOLEIL NE PARAISSE : LA NAISSANCE DU PRÉCURSEUR.

L’attente de l’Église s’est prolongée pendant la plus grande partie de l’office nocturne ; elle touche à sa fin lorsque commence la troisième veille de la nuit qui doit se clore par le récit de la naissance du Précurseur. De cette lecture qui, jadis, constituait l’harmonieux couronnement de tout l’office de matines, il ne reste plus aujourd’hui dans le bréviaire romain que les deux phrases initiales du texte sacré suivies comme toujours de cette même formule : et reliqua [104]. Seule la liturgie monastique qui, sur ce point, comme sur bien d’autres, représente plus fidèlement les dispositions de l’office primitif, a conservé la lecture intégrale de l’évangile du jour et elle l’entoure d’une solennité particulière qui met justement en valeur l’objet du mystère célébré par l’Église [105].

L’Église ayant jugé que la dernière phase de la nuit était le moment le plus convenable pour situer liturgiquement la naissance de saint Jean-Baptiste, il était bien à propos de faire entendre le récit de cet événement au terme de l’office des vigiles. Sans doute l’évangile ne donne aucune précision sur l’heure à laquelle le fils d’Élisabeth fut mis au monde, mais, dans le plan divin, il existe un rapport si étroit entre la naissance du Christ et celle de son Précurseur, qu’il paraît tout naturel de supposer que les deux événements se sont accomplis l’un et l’autre au milieu du silence de la nuit. En tout cas, le Sauveur s’étant donné lui-même comme le soleil qui illumine le monde, la tradition a reconnu dans l’étoile du matin, qui annonce le lever du soleil en lui empruntant de son éclat, le symbole gracieux du vrai Lucifer, c’est-à-dire de Jean-Baptiste. Cette comparaison illustrait à merveille la doctrine des Pères, car, d’après eux, si la sainteté de Jean avait brillé d’une si vive lumière, c’était afin que la sainteté du Christ, rien qu’en la surpassant, se fit reconnaître comme la sainteté d’un Dieu [106]. Pour terminer ce qui concerne l’office de nuit, nous remettons sous les yeux du lecteur la page de l’Évangile autour de laquelle se déroule toute la liturgie de la fête. Nous laissons à saint Luc, l’évangéliste de l’enfance, le soin de nous décrire avec le charme qui lui est propre le joyeux mystère de l’avènement du Précurseur :

« Le temps où Élisabeth devait enfanter arriva et elle mit au monde un fils. Ses voisins et ses proches ayant appris que le Seigneur avait fait éclater sa miséricorde envers elle, l’en félicitaient. Et il arriva qu’au huitième jour on vint pour circoncire l’enfant et on l’appelait Zacharie, du nom de son père. Mais sa mère prenant la parole répondit : Point du tout ; il s’appellera Jean. Ils lui dirent : mais il n’y a personne dans ta famille qui soit appelé de ce nom. Et par signes ils demandaient à son père comment il voulait qu’on le nommât. Lui de réclamer des tablettes et d’écrire : Jean est son nom. Et tout le monde fut dans l’étonnement. Mais au même instant sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia, et il parlait en bénissant Dieu. Alors la crainte s’empara de tous les habitants d’alentour, et le bruit de ces merveilles se répandit sur toutes les hauteurs de la Judée. Ceux qui les apprenaient les gardaient en leur cœur et ils disaient : Que pensez-vous que sera cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. Et Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit, et il prophétisa disant : Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël parce qu’il a visité et racheté son peuple ».

Inutile de rien ajouter à cette page exquise où l’évangéliste nous rapporte non seulement le fait de la nativité, mais les circonstances merveilleuses dont elle fut suivie, et qui en soulignèrent la portée : l’imposition du nom de Jean, la surprise de l’entourage, la guérison du prêtre Zacharie qui ne recouvra l’usage de la voix que pour glorifier le Seigneur dans la manifestation de sa miséricorde.

JOUR D’HONNEUR ET D’ALLÉGRESSE : L’OFFICE MATUTINAL, LE CHANT DU BENEDICTUS.

La nuit du 24 juin est extrêmement courte. C’est à peine si les nombreux fidèles qui ont assisté aux vigiles peuvent jouir d’un peu de repos avant de reprendre le chemin de la basilique pour y prendre part à l’office de Laudes. Car l’Église, qui jamais ne se lasse de chanter son Époux, recommence aux premières heures du jour, incipiente luce, le cours de sa louange que par une discrétion toute maternelle elle a dû suspendre quelques instants afin de ménager les forces des plus zélés de ses enfants. L’office qu’elle célèbre au lever du soleil égale en dignité celui qui se place au moment du crépuscule. Parmi les heures canoniques du jour, laudes et vêpres sont les deux plus anciennes et aussi les plus solennelles. Elles se correspondent par cela même qu’elles sanctifient la journée, l’une à son point de départ, et l’autre à son terme. Pourtant chacun de ces offices revêt une couleur qui lui est particulière. Le caractère propre des laudes provient non seulement de ce qu’elles occupent l’heure la plus favorable à la prière, celle où l’âme se donne à Dieu avec toute sa fraîcheur et un nouvel élan, mais aussi de ce que l’Église a toujours spécialement consacré ce premier office du matin à l’action de grâces et à la louange, comme on le voit par le choix des psaumes dont il se compose et qui justifient son gracieux nom de louange matutinale : laudes matutinæ [107].

Maintenant qu’elle a vu s’accomplir la promesse angélique, l’heure est bien venue pour l’Église de donner libre cours à sa reconnaissance. Avec le chant des laudes ce n’est donc plus seulement la joie contenue et discrète de l’attente telle que nous l’avons vue s’exprimer au début de la solennité, mais la manifestation très libre, très vive, d’une allégresse qui ne demande qu’à s’épanouir et se répandre. Tandis que les antiennes des premières vêpres nous présentaient la naissance de Jean sous la couleur d’un événement futur afin d’exciter dans les âmes un ardent désir de voir apparaître le fruit des miséricordes divines, les antiennes de laudes proclament — et avec quelle émouvante conviction ! — l’extraordinaire grandeur de l’enfant qui vient de naître : Elisabeth Zacharia MAGNUM VIRUM genuit, johannem Baptistam præcursorem Domini, « Élisabeth, épouse de Zacharie, a mis au monde un grand homme, Jean-Baptiste le précurseur du Seigneur » [108].

Magnum virum genuit, que de choses en ces trois petits mots ! Jean, nous dit saint Pierre Chrysologue, était en naissant plus qu’un homme, il égalait les anges : nascitur major homine, par angelis [109]. Comment s’étonner qu’il parût si grand dès le berceau, celui qui, d’après saint Ambroise, ne connut jamais la faiblesse de l’enfance, et qui dans le sein maternel atteignait déjà, par la vertu de la grâce, l’âge parfait de la plénitude du Christ : « Neque enim ullam infantiæ sensit ætatem qui supra naturam, supra ætatem, in utero situs matris a mensura perfectæ coepit ætatis plenitudinis Christi » [110] ? Sans doute au sortir du sein maternel, Jean n’était selon les apparences qu’un tout petit enfant semblable aux autres, mais les prodiges qui avaient entouré sa naissance, le désignaient déjà comme le plus grand parmi les fils de la femme : Inter natos mulierum non surrexit major Johanne-Baptista. C’est le témoignage que plus tard, au cours de sa vie publique, le Christ lui-même rendra à Jean en présence des juifs. Aujourd’hui même, l’Église, épouse du Christ, fait retentir ces paroles jusqu’aux extrémités de l’univers [111]. Quant au nom de Jean qui fut choisi du ciel et divinement imposé au Précurseur, il exhale un tel parfum de douceur et de grâce que l’Église prend plaisir, semble-t-il, à le prononcer dans ses antiennes de laudes avec un accent de vraie tendresse et d’amour : « Elisabeth magnum virum genuit Joannem Baptistam » [112], « Joannes est nomen ejus » [113], « Joannes vocabitur nomen ejus » [114], « non surrexit major, Joanne-Baptiste » [115].

L’usage d’achever les deux plus grandes heures du jour, vêpres et laudes, par un cantique tiré de l’Évangile remonte jusqu’aux origines de l’office romain. Pour compléter le chant des laudes qui exprime en sa majeure partie la louange des créatures au Créateur, l’Église ne pouvait rien faire de mieux, que s’approprier les paroles de Zacharie rendant grâces au Seigneur, sur le ton grave et majestueux des prophètes, d’avoir sauvé son peuple : Benedictus Dominus Deus Israël : quia visitavit et fecit redemptionem plebis suæ. Toutefois en la fête du 24 juin, le cantique de Zacharie se trouve placé dans un cadre liturgique qui en fait singulièrement ressortir et la grandeur et le mystère. La brève antienne qui introduit le texte du Benedictus relève d’un mot le caractère prophétique et l’importance extraordinaire de ce chant sacré : Apertum est os Zacharia et PROPHETAVIT dicens : Benedictus Deus Israël, « La bouche de Zacharie s’ouvrit et il prophétisa en ces termes : Béni soit le Dieu d’Israël ». On croirait entendre la voix de tout l’Ancien Testament, car le père du Précurseur, qui parle sous l’impulsion divine, s’exprime ici comme le dernier des prophètes. Quelles que soient les lumières personnelles de Zacharie, il est infiniment probable que lui-même entrevoit à peine la largeur et la profondeur des paroles qui lui sont suggérées par l’Esprit-Saint.

Sans doute dans sa description de l’œuvre rédemptrice qui est tout à fait conforme au style et au goût des anciens prophètes, le Benedictus garde, selon la juste remarque des exégètes, une saveur juive très prononcée. Il n’en est pas moins vrai que le cantique de Zacharie, au fur et à mesure qu’il se développe et qu’il repasse sur les lèvres de l’Église, exprime une pensée de plus en plus profondément chrétienne. Et quand le prophète en vient à saluer l’heure prochaine où Israël, affranchi de toute crainte, pourra servir le Seigneur in justitia et veritate, en sa présence et pour toujours, comment ne songerait-on pas à cette adoration en esprit et en vérité qui est « la fin suprême des choses révélées par le Seigneur à la Samaritaine » [116] ? Mais là où le chant du Benedictus atteint le plus haut point du sublime et du pathétique, c’est lorsque, se tournant avec tendresse et piété vers le fils qui vient de naître, Zacharie lui adresse cette touchante apostrophe qui répare magnifiquement la courte défaillance de sa foi :

« Et toi, petit enfant, tu t’appelleras Prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies, pour donner à son peuple la connaissance du salut dans la rémission des péchés. »

Ce serait méconnaître la portée de ces paroles, que de les entendre comme si elles concernaient exclusivement l’avenir immédiat du Précurseur, c’est-à-dire sa mission historique auprès du peuple juif. Ce n’est pas ainsi que l’Église interprète le passage du cantique qui vise saint Jean-Baptiste. Elle y voit, quant à elle, l’annonce d’une mission qui se poursuivra jusqu’à la fin des siècles. Car aussi longtemps que le corps mystique du Christ n’aura pas atteint sa plénitude, Jean continuera d’exercer auprès des âmes sa fonction de Précurseur. Toujours il marchera devant le Verbe pour lui préparer les voies et donner à son peuple la science du salut [117]. Telle est la pensée sur laquelle repose la dévotion catholique envers saint Jean-Baptiste. Elle inspirait au poète cette prière confiante que nous détachons de l’hymne de laudes :

Maintenant par la vertu de vos féconds mérites,
brisez les durs rochers de nos cœurs,
aplanissez le chemin raboteux,
redressez les sentiers qui s’infléchissent.
 
Afin que le doux Créateur et Rédempteur du monde,
voyant nos âmes purifiées de toute souillure du péché,
daigne, comme il convient, à sa venue,
y poser ses pieds bienheureux.

LA MESSE DU JOUR : JEAN TÉMOIN DE LA LUMIÈRE.

Lorsqu’à l’heure habituelle de tierce on se réunissait pour la célébration de la messe du jour dans la basilique du Latran, celle-ci se présentait à la vue des fidèles dans tout l’éclat de sa gloire. Sa décoration somptueuse, sa mosaïque triomphale, ses marbres précieux et les merveilles de toute sorte, dont se parait le sanctuaire, baignaient dans cette chaude lumière qui rehausse de sa splendeur le faste des solennités romaines. A deux reprises déjà l’Église avait offert le sacrifice en l’honneur du bienheureux Jean-Baptiste : une première fois, la veille au soir, et une deuxième fois sur la fin de la nuit, à l’issue des vigiles. Mais elle se réservait d’environner la troisième messe, celle du jour, de toute la solennité qui convient à la plus auguste fonction d’une grande fête liturgique. L’Église voulait que la messe du jour fût comme le témoignage suprême de sa reconnaissance envers Dieu, auteur de toutes les merveilles réalisées dans le plus grand des saints, et comme l’expression la plus parfaite de son culte envers le Précurseur. Quant au peuple chrétien, il s’acquittait avec joie de l’obligation qui s’imposait à lui de s’unir au sacrifice par sa présence, et même il y participait directement par des dons en nature plus généreux que de coutume. Rien ne fait mieux ressortir le caractère propre de la messe du jour et la place qu’elle occupe dans l’économie de la fête que cette belle secrète où nous admirons la plénitude et la sobriété des plus pures formules romaines :

Seigneur, sur vos autels nous accumulons les offrandes afin de célébrer par de justes honneurs la naissance de celui qui prophétisa l’avènement du Sauveur du monde, et le montra présent eu la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ votre Fils qui vit et règne avec vous en l’unité du Saint-Esprit.

L’Église souligne ici la surabondance des dons accumulés sur l’autel : tua muneribus altaria CUMULAMUS, parce que cette profusion d’offrandes témoigne non seulement du grand nombre de fidèles qui assistent au sacrifice du jour mais aussi de leur généreux empressement à glorifier le Précurseur et à lui rendre dans sa naissance ces justes hommages : honore DEBITO celebrantes, auxquels il a droit en sa double qualité de prophète et de témoin : qui Salvatorem mundi et CECINIT ADFUTURUM, et ADESSE MONSTRAVIT.

Si dans la première partie de la solennité, la messe de vigile et l’office de nuit, l’Église s’est arrêtée plus longtemps, peut-être, à la première fonction de Jean, celle de précurseur, elle se montre plus attentive dans la messe du jour à le glorifier en tant que témoin universel du Verbe fait chair. Nous pensons pour notre part, que parmi les textes liturgiques de la Noël d’été il n’y en a pas de plus intéressant que celui qui sert d’épître à la troisième messe de la fête. C’est bien avec le dessein d’attirer l’attention des fidèles sur ce texte prophétique que déjà dans l’introït l’Église nous en fait goûter la mystérieuse saveur. La lecture en question est tirée d’Isaïe, mais, chose surprenante, ce que dit ici le prophète concerne directement le Christ lui-même et non pas le Précurseur : « L’application qu’en fait l’Église à saint Jean-Baptiste nous montre, une fois de plus, l’étroite union du Christ et de son Précurseur dans l’œuvre de la Rédemption » [118]. Il faut ajouter que cette application se fonde très justement sur la similitude frappante qui existe à plus d’un égard entre la carrière du maître et celle du serviteur.

L’Église fait usage du texte prophétique avec sa liberté habituelle. Au lieu de le reproduire en son intégrité, elle a choisi les versets qui mettent le mieux en lumière la pensée qui l’anime [119]. Ainsi allégé et disposé en vue de la lecture liturgique, le passage d’Isaïe se divise d’une manière assez nette en deux parties à peu près égales mais solidement reliées l’une à l’autre. Dans la première qui s’achève sur ces mots : quia in te gloriabor, le prophète rappelle en termes délicats avec quel soin jaloux Dieu lui-même a préparé le Messie à sa mission rédemptrice. La seconde partie, depuis : Et nunc dicit Dominus, décrit l’œuvre réalisée par le Christ portant le salut jusqu’aux extrémités de la terre. Voici d’abord ce qui concerne les préparations divines :

« Écoutez, îles ; et vous peuples lointains, soyez attentifs : le Seigneur m’a appelé dès le sein maternel, dès le ventre de ma mère il s’est souvenu de mon nom. Il a rendu ma langue semblable à un glaive acéré ; il m’a protégé sous l’ombre de sa main, il a fait de moi comme une flèche choisie, et il m’a caché dans son carquois. Puis il m’a dit : Tu es mon serviteur, Israël, et je me glorifierai en toi ».

Ce texte admirable que le prophète met directement sur les lèvres de l’Emmanuel, l’Église le place ici dans la bouche de son Précurseur. C’est donc bien Jean lui-même qui en ce présent jour s’adresse à toutes les nations de la terre pour leur raconter les soins jaloux dont il a été l’objet de la part du Seigneur : Audite insulæ et attendite populi de longe. Bien avant d’être conçu dans le sein de sa mère Jean a été choisi par Dieu afin de remplir la mission la plus haute qui ait jamais été confiée à un mortel : Dominus ab utero vocavit me, de ventre matris meæ recordatus est nominis mei. Sanctifié avant que de naître, Jean reposait encore dans le ventre maternel, tandis que l’action douce et prolongée du Verbe fait chair le fortifiait et le préparait aux luttes futures, comme le dit si gracieusement saint Ambroise en expliquant le mystère de la Visitation : « Ungebatur itaque, et quasi bonus athleta exercebatur in utero matris propheta : amplissimo enim virtus ejus certamini parabatur » [120]. Pendant son enfance, Dieu continua de le protéger à l’ombre de sa main puissante : in umbra MANUS SUÆ protexit me, car l’évangéliste nous dit que « la main du Seigneur était sur lui : Etenim MANUS DOMINI erat cum illo [121]. Dans la retraite du désert, où il séjourna de longues années « s’enrichissant de la plénitude du Verbe » selon la magnifique expression de Bossuet, Jean ne cessa de croître sous le regard de Dieu : confortabatur spiritu [122]. Il y devint cette flèche choisie que le Seigneur conserva jalousement dans le secret, jusqu’au jour où il lui plut de l’employer pour la manifestation de sa gloire : Et posuit me sicut sagittam electam : in pharetra sua abscondit me. Enfin l’heure arriva où Jean fut investi de sa divine mission. C’est alors qu’il entendit ces paroles : Servus meus es tu, Israël, quia in te gloriabor, « Tu es mon serviteur, ô Israël, c’est en toi que je me glorifierai ».

La dernière partie de l’épître nous montre le Christ réalisant le salut du monde :

« Et maintenant le Seigneur qui m’a formé dans le sein de ma mère, me dit : Voici que je t’ai établi pour être la lumière des nations et afin que tu sois mon salut jusqu’aux extrémités de la terre [123]. Les rois le considéreront et les princes se lèveront devant toi, à cause du Seigneur et Saint d’Israël qui t’a choisi. »

C’est ici surtout que l’application du texte prophétique à la personne de Jean-Baptiste pourrait sembler d’une hardiesse presque déconcertante. Pourtant rien n’est plus conforme à tout ce que l’Écriture nous révèle sur le lien qui, dans la pensée divine, unit si étroitement le Christ et son Précurseur. Sans doute Jean n’est pas la lumière : Non erat ille lux, mais il fut envoyé par Dieu pour servir de témoin à celui qui est la vraie lumière : Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine. Il faut donc que partout et toujours Jean se trouve là où doit pénétrer le Verbe de Dieu, afin de lui rendre ce témoignage nécessaire sur lequel repose la foi de tous. C’est encore l’évangéliste qui le déclare expressément : Jean est venu rendre témoignage à la lumière afin que tous crussent par lui : Ut OMNES crederent per illum. Comme le disait Bourdaloue : « Notre foi en Jésus-Christ est donc originairement fondée sur le témoignage de ce grand saint, puisqu’en effet, c’est par lui que nous avons cru, par lui que la voie du salut nous a été premièrement révélée, en un mot par lui que nous sommes chrétiens » [124].

Dieu n’aurait pas si étroitement rapproché le Christ et son précurseur dans l’œuvre du salut, s’il n’avait eu pour dessein de les unir de très près, dans la gloire du ciel. Il convenait donc que Jean reçût lui aussi l’hommage des princes et des rois : Reges videbunt et consurgent principes. Et, comme de juste, cet hommage remontera jusqu’à celui qui est l’auteur de toute sainteté au ciel et sur la terre : Et adorabunt propter Dominum et Sanctum Israël qui elegit te. La prophétie, sur ce point, comme sur les autres, s’est parfaitement réalisée. Jean fut de la part des princes et des peuples, surtout dans les siècles de foi, l’objet d’une extraordinaire vénération. L’Église, qui n’a jamais rien épargné pour rehausser la gloire du Précurseur, a voulu que le jour de sa naissance comptât parmi les plus grands anniversaires du cycle liturgique. Jusqu’à la fin des temps, la Noël d’été méritera ce titre de dies honorabilis « jour d’honneur » qui lui est décerné par l’Église elle-même dans la collecte de la fête.

Au séjour des élus, où il jouit de la plénitude de sa puissance, Jean-Baptiste continue d’exercer sa mission de Précurseur, non plus comme autrefois vis-à-vis d’un peuple isolé et dans les limites de son activité terrestre, mais vis-à-vis de tout l’univers et par la vertu d’une intercession particulièrement agissante sur le cœur du Christ.

L’Église compte précisément sur l’influence décisive du Précurseur pour obtenir de Dieu les grâces qu’elle sollicite dans la collecte du jour :

O Dieu qui nous avez tendu ce présent jour honorable par la naissance du bienheureux Jean, donnez à vos peuples la grâce des joies spirituelles, et conduisez les âmes de tous les fidèles dans la voie du salut éternel.

Des deux demandes que contient cette oraison, la première, plus immédiate et plus actuelle, se rattache directement au mystère du jour, la nativité de Jean : da populis tuis spiritualium gratiam gaudiorum ; la seconde, se rapporte d’une manière plus générale à la mission du Précurseur : omnium fidelium mentes dirige in viam salutis æternæ. Mais chacune de ces demandes nous permet de mesurer toute l’influence conquise par saint Jean depuis qu’il est au ciel. Autrefois, sur la terre, Jean amenait jusqu’au Sauveur un petit nombre de juifs privilégiés ; maintenant c’est lui qui, par son enseignement, ses mérites et sa prière, dirige sur la voie du salut les âmes de tous les fidèles : OMNIUM fidelium mentes. Lorsqu’il parut en ce monde, Jean fit tressaillir d’allégresse un petit cercle de parents et de voisins ; maintenant qu’il est au ciel, chaque fois que la liturgie célèbre le mystère de sa naissance, il répand à profusion sur toute la terre, populis tuis, les joies les plus élevées de l’Esprit : spiritualium gratiam gaudiorum, afin que soit pleinement réalisée la promesse divine : Et multi in nativitate ejus gaudebunt, « Et le grand nombre se réjouira de sa naissance ».

La joie spirituelle étant le fruit le plus précieux de la Nativité du Précurseur, l’Église, une fois de plus, en sollicite l’effusion abondante dans la prière sur laquelle s’achève le sacrifice. La postcommunion résume sous une forme concise et élégante une pensée riche de lumière :

O Dieu, que votre Église s’abreuve de joie en la naissance (generatione) du bienheureux Jean-Baptiste, par qui elle a connu l’auteur de sa renaissance (regenerationis auctorem), Notre-Seigneur Jésus-Christ votre Fils.

Cette prière contient une délicate allusion au premier témoignage que Jean rendit au Sauveur, lorsqu’il le sanctifia dans le sein de sa mère. A l’instant même où il fut justifié par la vertu du Verbe, Jean reconnut en lui l’auteur de la vie et il le manifesta par un tressaillement de joie : Exsultavit in GAUDIO infans in utero meo [125]. Comme le dit une antique préface romaine : « Jean était encore caché dans les entrailles de sa mère qu’il annonçait le Fils unique de Dieu par son tressaillement prophétique » : Maternis visceribus latens et Unigenitum Dei præscia exsultatione prænuntians [126]. Cette joie divine dont il fut rempli dans le sein maternel Jean l’apporta avec lui en ce monde et la répandit autour de lui par sa naissance. Et puisque le Christ vient à nous sous le voile des espèces eucharistiques, l’Église désire qu’il se produise dans nos cœurs quelque chose de semblable à ce qui s’est passé dans l’âme du Précurseur au moment de sa justification. De là cette prière finale où elle demande à Dieu d’éprouver par la vertu du précieux sang, cette joyeuse ivresse de l’esprit, qui est pour elle le signe certain de la présence invisible du Christ Jésus son royal Époux : Sumat Ecclesia tua, Deus, beati Johannis Baptistæ generatione lætitiam [127].

LES DERNIERS REFLETS DE LA NOËL D’ÉTÉ : LES SECONDES VÊPRES ET LA STATION AUX FONTS BAPTISMAUX.

La Synagogue, dont la coutume était de compter les jours du soir jusqu’au soir : a vespere ad vesperam, a transmis cet usage, consacré par Dieu lui-même, à l’Église, son héritière légitime. C’est pourquoi le jour liturgique commence la veille au soir et se termine régulièrement vingt-quatre heures plus tard avec le coucher du soleil. A l’origine, comme l’office de vêpres se chantait toujours à la tombée de la nuit, aucune fête, sauf celle de Pâques, ne comportait dans son développement liturgique la célébration de ce qu’on appelle aujourd’hui les secondes vêpres. Bientôt cependant quelques rares fêtes furent assimilées sur ce point au jour de Pâques, et parmi elles la Nativité du Précurseur dont les secondes vêpres existaient déjà, semble-t-il, à l’époque de saint Grégoire le Grand [128]. Sans doute ces secondes vêpres n’avaient pas autant d’importance que les premières, mais elles ne manquaient pas non plus d’intérêt, car elles se terminaient elles-mêmes par une station solennelle au baptistère du Latran, qui rappelait de bien près celle du soir de Pâques.

A défaut de toute donnée précise sur l’organisation primitive de ces secondes vêpres, nous sommes en droit de supposer qu’on les célébrait au IXe siècle, comme de nos jours, et qu’on y faisait usage des antiennes de Laudes. Dé cette dernière partie de l’office du 24 juin le texte le plus intéressant est bien sans contredit la belle antienne de Magnificat. L’Église ne pouvait rien choisir de mieux pour clore la solennité du Précurseur que la parole célèbre du Christ Jésus rendant lui-même témoignage à Jean-Baptiste, et proclamant à la face du peuple juif la grandeur incomparable de son propre témoin. Un jour, peu de temps avant le martyre du Précurseur, Jésus dit aux foules qui l’entouraient : « Pourquoi donc êtes-vous allés au désert ? Pour y voir un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète, car c’est celui dont il est écrit : Voici que j’envoie devant toi mon messager qui te préparera ta voie. Je vous le dis en vérité, parmi les enfants des femmes il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean-Baptiste » [129]. L’Église s’empare ici de la parole de son divin Époux, et pour donner à ce témoignage suprême tout le relief qui lui convient elle le présente comme il suit :

Puer qui natus est nobis plus quam propheta est : hic est enim de quo Salvator ait : INTER NATOS MULIERUM NON SURREXIT MAJOR JOANNE BAPTISTA.

« L’enfant qui nous est né est plus qu’un prophète ; cal c’est de lui que le Sauveur a dit : Parmi les enfants des femmes, il n’en a pas paru de plus grand que Jean-Baptiste ».

Il est clair que cette antienne nous invite à ne voir dans la naissance de Jean que le prélude de la Nativité du Sauveur. On le remarque de suite à la phrase initiale de l’antienne dont la mélodie elle-même nous rappelle très délicatement le ravissant introït de la messe du jour de Noël : Puer qui natus est nobis. Notons ce tout petit mot : nobis qui fait si bien entendre que l’action du Précurseur devait un jour rayonner jusqu’aux extrémités de l’univers : Hic venit... ut OMNES crederent per illum. Admirons ensuite comment l’Église s’autorise de la parole du Sauveur pour redire après lui, et avec quelle douce conviction : Inter natos mulierum non surrexit major Joanne Baptista. A ce divin témoignage l’Église n’apporte aucune restriction. Elle l’entend ici comme l’ont entendu les saints Pères et notamment saint Augustin qui disait à propos de la parole du Sauveur « Si nous comparons Jean aux autres hommes il les surpasse tous, n’étant surpassé lui-même que par l’Homme-Dieu » : Si comparetur hominibus Joannes, omnes superat ille homo, non eum vincit nisi Deus homo [130] ; et encore « Jean était si grand parmi les hommes que Dieu seul était plus grand que lui » : Tam magnus autem erat homo ut quidquid plus illo esset, Deus esset [131]. C’est précisément parce que Jean-Baptiste naquit le plus grand des hommes, que sa naissance merveilleuse annonça et prépara la naissance virginale de l’Homme-Dieu.

Les vêpres du 24 juin s’achevaient comme celles de Pâques par une station solennelle au baptistère du Latran. Le jour de Pâques il y avait même une triple station. La première se faisait devant les fonts baptismaux, la seconde à l’oratoire de saint Jean, et la troisième à l’oratoire de la croix [132]. En chacune de ces stations on chantait un psaume, un répons et le Magnificat suivi d’une collecte. Il est fort probable que les choses se passaient ainsi en la fête de saint Jean [133]. Ce qui nous le fait croire c’est que les anciens sacramentaires donnent pour les vêpres du 24 juin une série d’oraisons qui devaient se réciter « ad fontes », c’est-à-dire auprès de la piscine baptismale. Ces oraisons faisaient très heureusement ressortir la part qui revient au Précurseur dans l’œuvre de notre régénération. En voici une qui mérite d’être citée, comme mettant bien en valeur le rôle de saint Jean :

Omnipotens et misericors Deus, qui beatum Baptistam Joannem tua providentia destinasti, ut perfectam plebem Christo Domino præpararet : da, quæsumus, ut familia tua hujus intercessione præconis, et a peccatis omnibus exuatur, et ad eum quem prophetavit, pervenire mereatur.

« O Dieu tout-puissant et miséricordieux, vous qui avez providentiellement réservé au bienheureux Jean-Baptiste le soin de préparer au Christ Notre-Seigneur un peuple parfait, faites, nous vous en prions, que par l’intercession de ce héraut, votre famille se dépouille de tous ses péchés et mérite de rejoindre celui qu’il a prophétisé » [134].

[1] Isai. XL, 3, 9.

[2] Psalm. XVII, 10.

[3] Matth. XIII, 55.

[4] Psalm. CXXI, 17.

[5] Luc. III, 15.

[6] Isai. XL.

[7] Malach. III, 1.

[8] Ibid. IV, 5, 6.

[9] Johan. III, 29.

[10] Luc. I.

[11] Psalm. LXXXIV, 13.

[12] Luc. I, 39.

[13] Cant. II, 8.

[14] Luc. I, 55.

[15] Luc. I, 68.

[16] Bataille de Fontenay (samedi 25 juin 841) : Nithardi histor. L. II.

[17] Collecta diei.

[18] Matth. XI, 11.

[19] Luc. I, 15, 32.

[20] Ibid.

[21] Ibid. 13, 31.

[22] Johan. III, 27-31.

[23] Ibid. 1, 7.

[24] Cant. VIII, 5.

[25] Johannes totius medius Trinitatis. Petr. Dam. Sermo 23 (edit. Cajet.).

[26] Johan. III, 29-30.

[27] Ibid. I, 31.

[28] Ibid. 4-10.

[29] Johan. 1, 7.

[30] Eph. II, 20.

[31] Le Temps de Noël, t. I, p. 291. Martyrol. Rom. ad diem 23 Dec. : Octavo Calendas Januarii.

[32] Martyrol. Rom. ad diem 24 Junii : Octavo Calendas Julii.

[33] Luc. I, 14.

[34] Ibid. 17.

[35] Johan. I, 6-7.

[36] Ambr. in Luc. I, 38.

[37] Annus Joannis, auctore Joanne N. (Pragæ, 1664).

[38] Illa enim mater et magistra omnium Ecclesiarum Ecclesia Romana, cui dictum est : « Ego pro te rogavi, ut non deliciat fides tua », in honore Johannis Baptistae, post Salvatoris nomen consecrata est et signata. Dignum namque erat ut sententiam Sponsi Sponsae sequeretur auctoritas... Petr. Dam. Sermo XXIII. On voit aussi ce discours attribué à saint Bernard ou à Nicolas de Clairvaux.

[39] Conciles, capitulaires, canons pénitentiels.

[40] Sacrament. Gregor., Amal., pseudo-Alcuin., Ord. rom.

[41] Dur. Ration, VII, 14 : Hon. Gemma anim. IV, 48.

[42] Luc. XVI, 16.

[43] Ibid.

[44] Johan. V, 35.

[45] Ibid. I, 20.

[46] Ibid. 29.

[47] Johan. III, 3o.

[48] Levit., XXVI, 10.

[49] Petr. Chrys. Sermo 91.

[50] Isai. XLIX, 4-6.

[51] Ibid. 8.

[52] Ibid. XL, 5.

[53] Luc. III, 7-9.

[54] Ibid : 12-14.

[55] Johan. 1, 15-17.

[56] Ibid. 29.

[57] Ibid. 16.

[58] Ibid. 19.

[59] Matth. XXI, 31-2 2.

[60] Luc. I, 24-26.

[61] Jusqu’au Code des Rubriques de Jean XXIII en 1960 où le Credo fut rétabli pour le 24 juin.

[62] Johan. III, 29.

[63] S. Ephrem Syri Hymni et Sermones. Th. J. Lamy, t. I.

[64] Johan I, 12 ; Matth. V, 9.

[65] C’est, sauf l’introduction, la préface propre acteulle de St Jean-Baptiste, concédée à beaucoup de diocèses de France.

[66] Dieu éternel… En en cette fête d’aujourd’hui, jour de la naissance du bienheureux Jean, de louer votre magnificence. Avant même de naître, il reconnut la voix de la Mère du Seigneur ; en tressaillant avant de naître, il annonça d’une exultation prophétique l’avènement du Salut des hommes. Sa mère, en le concevant, fut délivrée de la stérilité, et, quand il naquit, la langue de son père se délia. Après avoir prédit le Rédempteur du monde, il fut parmi tous les prophètes le seul qui le montra. Et pour que l’eau devienne capable de sanctifier, c’est dans les flots du Jourdain, désormais consacrés, qu’il baptisa l’auteur du baptême. C’est pourquoi…

[67] Philip. 4, 4 : Soyez toujours joyeux dans le Seigneur, je le répète, soyez joyeux.

[68] La Nativité de saint Jean figure pour la première fois sur le calendrier de l’Église de Cartilage qui date des premières années du VIe siècle. Cf. KELLNEE, L’Année Ecclésiastique, trad. fr., 2e édit. p. 295.

[69] D’après le Liber Pontificalis, on voyait se dresser au bord de la piscine baptismale deux grandes statues en argent du Christ et de saint Jean-Baptiste, séparées l’une de l’autre par un agneau. Saint Jean tenait une inscription avec ce texte : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. (Lib. Pont. éd. DUCHESNE, t. I, p. 174).

[70] Ibid.

[71] Le Pape Hilaire fît construire trois oratoires communiquant avec le baptistère lui-même, l’oratoire de saint Jean l’évangéliste, celui de saint Jean-Baptiste et celui de la Croix. Il les fit richement orner (cf. Lib. Pont. t. I, p. 242-43). L’oratoire de saint Jean-Baptiste a conservé ses vantaux de bronze portant l’inscription suivante incrustée d’argent : In honorem beati Johannis Baptistæ Hilarus episcopus Dni famulus offert.

[72] Selon toute vraisemblance c’est à cause de la proximité de la fête des saints apôtres Pierre et Paul (29 juin) très en honneur auprès des Romains que la célébration de la Noël d’été (24Juin) ne prit toute son importance à Rome qu’à la fin du Ve siècle.

[73] Il s’agit du texte d’origine de la préface concédée à certains diocèses, voir plus haut le Bhx Schuster.

[74] « Il est vraiment juste, ô Dieu tout-puissant, de vous louer en ce jour solennel où s’est levé le bienheureux Jean. Lui qui, dès avant sa naissance, perçut la voix de la Mère du Seigneur et qui, toujours enclos dans le sein maternel, salua l’avènement du Sauveur du monde par un tressaillement prophétique. Lui qui par sa conception mit un terme à la stérilité de sa mère et, par sa naissance, délia la langue de son père. Seul entre tous les prophètes il a manifesté celui qu’il avait annoncé comme le Rédempteur du monde. Et pour que l’eau naturelle fût dotée de la vertu qui consacre et qui purifie, il a sanctifié les ondes du Jourdain en y lavant l’auteur du baptême. » (Pat. lat., t. LV, col. 47).

[75] Sur la façade de la basilique Clément XII fit graver cette inscription, « Sacro sancta lateranensis ecclesia omnium urbis et orbîs ecclesîarum mater et caput. »

[76] D. TISSOT, Autour d’un centenaire : saint Jean de Latran (dans la revue La vie et les arts liturgiques, dëc. 1924).

[77] « Ami de l’Époux ». Dès le VIIe siècle la basilique du Tyatran, dédiée d’abord au Sauveur, portait aussi très certainement le nom de saint Jean. D’après Rohault de Fleury, l’attribution de ce vocable remonterait jusqu’au pontificat d’Hîlaire, à cause de la fondation de l’oratoire de saint Jean-Baptiste. (Cf. DICTIONNAIRE D’ARCHÉOLOGIE ET DE LITURGIE, art. Latran, col. 1575).

[78] Cette mosaïque existe encore, mais elle a été restaurée au temps de Léon XIII, lors de la reconstruction de l’abside.

[79] Le sacramentaire grégorien intitule simplement la première messe : prima missa. Les sacramentaires gélasiens du VIIIe siècle l’appellent missa de nocte ou de media nocte. Dans certains missels elle porte le nom de missa maneprima, ou « messe de l’aurore ». D’après Amalaire, cette première messe se célébrait « diluculo » ou « in exordio lucis ». (De ecclesiasticis officiis, l. III, c. 38. P. L. t. CV, col. 1157). D’ailleurs il convient de se rappeler qu’à la Saint-Jean, les nuits sont très courtes. On comptait la messe de la vigile qui se célébrait la veille au soir, comme la première des trois messes.

[80] Nous avons vu plus haut que le sacramentaire léonien donne le formulaire de deux messes de rechange qui devaient se célébrer « ad fontem », ce qui ne peut s’entendre que du baptistère du Latran. D’après KELLNER, c’est la messe du jour qui aurait été célébrée dans le baptistère (Op. cit., p. 299). Dorn CABROL est du même avis (Semaine liturgique de Maredsous, 1912, p. 89). Il nous paraît beaucoup plus probable que la messe du jour plus solennelle se célébrait dans la basilique elle-même.

[81] Nous le savons par le témoignage de nombreux sacramentaires et missels (Cf. A. EBNER, Quellen und Forschungen zur Geschichte des Missale romanum im Mittel-alter, 1896, passim).

[82] Loc. cit.

[83] Introït Justus ut palma, Graduel Justus ut palma, Offertoire In virtúte, Communion Posuísti Domine. I,e choix des lectures variait selon les églises. Comme épître on lisait soit Jérémie (I, 17), soit Isaïe (LXI, 27 et ss). L’évangile continuait la lecture de la messe de vigile : Dixit Zacharias ad Angelum (Luc. I, 18 et ss.). Cf. D. MARTÈNE, De antiquis Ecclesiæ ritibus, l. IV, c, 32.

[84] Raoul de Tongres rappelle qu’aux fêtes de saint Jean-Baptiste, saint Jean l’évangéliste, saint Laurent et quelques autres, on ne doit pas omettre la célébration d’une première messe à l’aurore. (Cf. De canonum observantia liber, éd. MOHLBERG, p. 156).

[85] D. MARTÈNE, Op. cit., l. IV, c. XXXII, n. 3.

[86] 3e antienne. Saint Augustin disait de Jean-Baptiste : « Propter personam vetustatis de senibus nascitur ». (Serm. CCXCIII, n. 2.).

[87] 5e Ant. (cf. 2e Ant.).

[88] 1e Ant.

[89] 4e Ant.

[90] 2e Ant.

[91] C’est du moins très probable, comme nous l’avons dit plus haut.

[92] L’oblation de l’encens à l’office du soir est déjà mentionnée par AMALAIRE (Pat. lat. t. CV, col. 1181). Elle se faisait au chant du verset : « Dirigatur Domine oratio mea sicut incensum. »

[93] Les hymnes ne furent pas introduites dans l’office romain avant la fin du IXe siècle. Elles étaient en usage dans l’office monastique depuis saint Benoît.

[94] C’est grâce à saint Jean que Zacharie recouvra l’usage de la parole et put prononcer le Benedictus. C’est aussi parce qu’elle sentit saint Jean tressaillir en son sein qu’Élisabeth put reconnaître en la Vierge Marie la mère du Seigneur et la saluer comme telle.

[95] HELGAUD, vita Roberti (Pat. lat., CXLI, col. 923).

[96] AMALAIRE, De ordine antiphonarii, c. 59 (Pat. lat. C. V., col. 1304). — Au IXe siècle les fêtes de saint Jean-Baptiste, des saints Pierre et Paul, de saint André, de saint Laurent, de l’Assomption, étaient les seules qui eussent un double office. Le premier de ces offices n’avait pas d’invitatoire, il se composait parfois uniquement des psaumes de la férie et de 3 leçons. (Cf. BATJMER, Histoire du bréviaire, t. I, p. 431).

[97] Au XIIIe siècle, l’usage du double office avait disparu et il n’en reste plus aujourd’hui pour tout vestige que l’expression liturgique « office double ».

[98] Cf. notre opuscule Le culte du saint Précurseur (Louvain, librairie Saint-Alphonse p. 18 et sq.

[99] Jérémie, I, 1-10, 17-19. — Ce même passage du prophète sert d’épître, en grande partie du moins, pour la messe de vigile.

[100] Johan. V, 35 : la lampe qui brûle et luit.

[101] Ce passage qui figurait au bréviaire sous le nom de saint Augustin se retrouve parmi les sermons de saint Maxime de Turin (Pat. lat., t. LVII, col. 663). Aujourd’hui il est remplacé par le passage de saint Maxime qui se lisait jadis au jour octave de la fête (1er juillet). N.d.W. : L’homélie de St Augustin que Dom Flicoteaux attribue à St Maxime est en fait de Fauste de Riez.

[102] N.d.W. : nous ne savons pas d’où Dom Flicoteaux, qui écrit en 1932, tire cette information : après vérification des bréviaires de St Pie V, Léon XIII, St Pie X, Pie XII et Jean XXIII, l’homélie du 2nd nocturne est inchangée, alors que elle du jour Octave, 1er juillet, supprimé par la réforme de St Pie X, a disparue du bréviaire.

[103] Brév. romain, 5e rép. de matines.

[104] L’usage de lire intégralement l’évangile du jour à l’office de matines se serait maintenu, semble-t-il, jusqu’à saint Grégoire VII. Aux Xe et XIe siècles, cette lecture devait se faire avant la septième leçon (Cf. BAUMER, op.. cit., t. I, p. 397, n. I).

[105] Il est dit dans la Règle de saint Benoît : « Ipso dicto (s. e. Te Deum laudamus), legat abbas lectionem de Evangelio cum honore et tremore stantibus omnibus » (c. XI).

[106] BOSSUET fait très justement écho à la pensée des Pères lorsqu’il dit : « Jésus est grand par naissance, et Jean sera grand par un éclat et un rejaillissement de la grandeur de Jésus » (Élévations, XIe sem., 4e élév.).

[107] Cf. Mgr CALLEWÆRT, De breviarii romani liturgia, (Bruges 1931), p. 161.

[108] 1re Ant. de laudes.

[109] Serm. XCI.

[110] Commentaire sur saint Luc (II, 30). Cf. 7e leçon de matines.

[111] 4e Ant. de laudes.

[112] 1re Ant.

[113] 2e Ant.

[114] 3e Ant.

[115] 4e Ant.

[116] D. DELATTE, op. cit., p. 43.

[117] Cf. notre opuscule, Le culte du saint Précurseur, p. 8.

[118] ANNÉE LITURGIQUE, La Nativité de saint Jean-Baptiste.

[119] Isaïe, XLIX, 1-3, 5, 6 et 7.

[120] Op. cit., 1. III, 29.

[121] Luc. I, 66.

[122] Luc. I, 80.

[123] Saint Paul applique directement ce texte au Christ (Act. XIII, 47).

[124] Sermon pour la fête de saint Jean-Baptiste. — Il serait donc bien à propos que l’on chantât le Credo à la messe du 24 juin. En 1368, le pape Urbain V avait ordonné qu’on le chantât au jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste et durant l’octave, afin que le Précurseur ne parût pas inférieur en dignité aux apôtres. L’usage contraire a malheureusement prévalu. On ne peut justifier cette omission du Credo par aucune raison sérieuse.

[125] Luc. I, 44.

[126] Sacramentaire Léonien.

[127] On sait que la joie spirituelle est comme appropriée plus spécialement au précieux sang : « Dedit et tristibus sanguinis poculum ». Que le lecteur nous permette de citer à ce propos, ces fines réflexions du Père Clérissac : « Le vin eucharistique réchauffe l’âme. Si l’âme est froide, si elle manque d’élan, d’initiative ;... si elle manque de confiance en elle-même... si elle est flasque, lymphatique, sans vigueur, le précieux sang la réchauffera. Il la stimulera, lui donnera des élans, lui donnera de grands désirs, une grande souplesse, une allure vive, légère, gracieuse, vivante ! Si elle éprouve des lenteurs d’assimilation dans les choses de la foi, il stimulera ses fonctions surnaturelles. Il la réjouira, il lui donnera une joie inconnue... l’allégresse des martyrs... il lui donnera les joies de la virginité, les joies supérieures de l’union divine.

[128] A la suite de la messe du jour le Sacramentaire grégorien donne, en effet, le texte d’une oraison « ad vesperas »

[129] Luc. VII, 24-27.

[130] Serm. CCLXXXIX, 3.

[131] Serm. CCLXXXVII, I.

[132] Cf. D. MORIN. Les vêpres pascales dans l’ancienne liturgie romaine. (Le messager des fidèles, 1889, p. 150).

[133] AMALAIRE, De ordine antiphonarti, c. 52. (Patr. lat. CV, col.1295).

[134] Sacramentaire grégorien.