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Commentaires liturgiques du Jour de Pâques

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Sommaire

  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

On trouvera les textes liturgiques de la messe et de l’Office ici.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

AU MATIN.

La nuit du Samedi au Dimanche voit enfin s’épuiser ses longues heures ; et le lever du jour est proche. Marie, le cœur oppressé, attend avec une courageuse patience le moment fortuné qui doit lui rendre son fils. Madeleine et ses compagnes ont veillé toute la nuit, et ne tarderont pas à se mettre en marche vers le saint tombeau. Au fond des limbes, l’âme du divin Rédempteur s’apprête à donner le signal du départ à ces myriades d’âmes justes si longtemps captives, qui l’entourent de leur respect et de leur amour. La mort plane en silence sur le sépulcre où elle retient sa victime. Depuis le jour où elle dévora Abel, elle a englouti d’innombrables générations ; mais jamais elle n’a tenu dans ses liens une si noble proie. Jamais la sentence terrible du jardin n’a reçu un si effrayant accomplissement ; mais aussi jamais la tombe n’aura vu ses espérances déjouées par un si cruel démenti. Plus d’une fois, la puissance divine lui a dérobé ses victimes : le fils de la veuve de Naïm, la fille du chef de la synagogue, le frère de Marthe et de Madeleine lui ont été ravis ; mais elle les attend à la seconde mort. Il en est un autre ce pendant, au sujet duquel il est écrit : « O mort, je sciai ta mort ; tombeau, je serai ta ruine. » [1]. Encore quelques instants : les deux adversaires vont se livrer combat.

De même que l’honneur de la divine Majesté ne pouvait permettre que le corps uni à un Dieu attendît dans la poussière, comme celui des pécheurs, le moment où la trompette de l’Ange nous doit tous appeler au jugement suprême ; de même il convenait que les heures durant lesquelles la mort devait prévaloir fussent abrégées. « Cette génération perverse demande un prodige, avait dit le Rédempteur ; il ne lui en sera accordé qu’un seul : celui du prophète Jonas. » [2] Trois jours de sépulture : la fin de la journée du Vendredi, la nuit suivante, le Samedi tout entier avec sa nuit, et les premières heures du Dimanche ; c’est assez : assez pour la justice divine désormais satisfaite : assez pour certifier la mort de l’auguste victime et pour assurer le plus éclatant des triomphes : assez pour le cœur désolé de la plus aimante des mères.

« Personne ne m’ôte la vie ; c’est moi-même qui la dépose ; j’ai le pouvoir de la quitter, et j’ai aussi celui de la reprendre » [3]. Ainsi parlait aux Juifs le Rédempteur avant sa Passion : la mort sentira tout à l’heure la force de cette parole de maître. Le Dimanche, jour de la Lumière, commence à poindre ; les premières lueurs de l’aurore combattent déjà les ténèbres. Aussitôt l’âme divine du Rédempteur s’élance de la prison des limbes, suivie de toute la foule des âmes saintes qui l’environnaient. Elle traverse en un clin d’œil l’espace, et pénétrant dans le sépulcre, elle rentre dans ce corps qu’elle avait quitté trois jours auparavant au milieu des angoisses de l’agonie. Le corps sacré se ranime, se relève, et se dégage des linceuls, des aromates et des bandelettes dont il était entouré. Les meurtrissures ont disparu, le sang est revenu dans les veines ; et de ces membres lacérés par les fouets, de cette tête déchirée par les épines, de ces pieds et de ces mains perces par les clous, s’échappe une lumière éclatante qui remplit la caverne. Les saints Anges, qui adorèrent avec attendrissement l’enfant de Bethléhem, adorent avec tremblement le vainqueur du tombeau. Ils plient avec respect et déposent sur la pierre où le corps immobile reposait tout à l’heure, les linceuls dont la piété des deux disciples et des saintes femmes l’avait enveloppé.

Mais le Roi des siècles ne doit pas s’arrêter davantage sous cette voûte funèbre ; plus prompt que la lumière qui pénètre le cristal, il franchit l’obstacle que lui opposait la pierre qui fermait l’entrée de la caverne, et que la puissance publique avait scellée et entourée de soldats armés qui faisaient la garde. Tout est resté intact ; et il est libre, le triomphateur du trépas ; ainsi, nous disent unanimement les saints Docteurs, parut-il aux yeux de Marie dans l’étable, sans avoir fait ressentir aucune violence au sein maternel. Ces deux mystères de notre foi s’unissent, et proclament le premier et le dernier terme de la mission du Fils de Dieu : au début, une Vierge-Mère ; au dénouement, un tombeau scellé rendant son captif.

Le silence le plus profond règne encore, à ce moment où l’Homme-Dieu vient de briser le sceptre de la mort. Son affranchissement et le nôtre ne lui ont coûté aucun effort. O Mort ! Que reste-t-il maintenant de ton empire ? Le péché nous avait livrés à toi ; tu te reposais sur ta conquête ; et voici que ta défaite est au comble. Jésus, que tu étais si fière de tenir sous ta cruelle loi, t’a échappé ; et nous tous, après que tu nous auras possédés, nous t’échapperons aussi. Le tombeau que tu nous creuses deviendra notre berceau pour une vie nouvelle ; carton vainqueur est le premier-né entre les morts [4] ; et c’est aujourd’hui la Pâque, le Passage, la délivrance, pour Jésus et pour tous ses frères. La route qu’il a frayée, nous la suivrons tous ; et le jour viendra où toi qui détruis tout, toi l’ennemie, tu seras anéantie à ton tour par le règne de l’immortalité [5]. Mais dès ce moment nous contemplons ta défaite, et nous répétons, pour ta honte, ce cri du grand Apôtre : « O Mort, qu’est devenue ta victoire ? Qu’as-tu fait de ton glaive ? Un moment tu as triomphé, et te voilà engloutie dans ton triomphe. » [6]

Mais le sépulcre ne doit pas rester toujours scellé ; il faut qu’il s’ouvre, et qu’il témoigne au grand jour que celui dont le corps inanimé l’habita quelques heures l’a quitté pour jamais. Soudain la terre tremble, comme au moment où Jésus expirait sur la croix, mais ce tressaillement du globe n’indique plus l’horreur ; il exprime l’allégresse. L’Ange du Seigneur descend du ciel ; il arrache la pierre d’entrée, et s’assied dessus avec majesté ; une robe éblouissante de blancheur est son vêtement, et ses regards lancent des éclairs. A son aspect, les gardes tombent par terre épouvantés ; ils sont là comme morts, jusqu’à ce que la bonté divine apaisant leur terreur, ils se relèvent, et, quittant ce lieu redoutable, se dirigent vers la ville, pour rendre compte de ce qu’ils ont vu.

Cependant Jésus ressuscité, et dont nulle créature mortelle n’a encore contemplé la gloire, a franchi l’espace, et en un moment il s’est réuni à sa très sainte Mère. Il est le Fils de Dieu, il est le vainqueur de la mort ; mais il est aussi le fils de Marie. Marie a assisté près de lui jusqu’à la fin de son agonie ; elle a uni le sacrifice de son cœur de mère à celui qu’il offrait lui-même sur la croix ; il est donc juste que les premières joies de la résurrection soient pour elle. Le saint Évangile ne raconte pas l’apparition du Sauveur à sa Mère, tandis qu’il s’étend sur toutes les autres ; la raison en est aisée à saisir. Les autres apparitions avaient pour but de promulguer le fait de la résurrection ; celle-ci était réclamée par le cœur d’un fils, et d’un fils tel que Jésus. La nature et la grâce exigeaient à la fois cette entrevue première, dont le touchant mystère fait les délices des âmes chrétiennes. Elle n’avait pas besoin d’être consignée dans le livre sacré ; la tradition des Pères, à commencer par saint Ambroise, suffisait à nous la transmettre, quand bien même nos cœurs ne l’auraient pas pressentie ; et lorsque nous en venons à nous demander pour quelle raison le Sauveur, qui devait sortir du tombeau le jour du Dimanche, voulut le faire dès les premières heures de ce jour, avant même que le soleil eût éclairé l’univers, nous adhérons sans peine au sentiment des pieux et savants auteurs qui ont attribué cette hâte du Fils de Dieu à l’empressement qu’éprouvait son cœur, de mettre un terme à la douloureuse attente de la plus tendre et de la plus affligée des mères.

Quelle langue humaine oserait essayer de traduire les épanchements du Fils et de la Mère, à cette heure tant désirée ? Les yeux de Marie, épuisés de pleurs et d’insomnie, s’ouvrant tout à coup à la douce et vive lumière qui lui annonce l’approche de son bien-aimé ; la voix de Jésus retentissant à ses oreilles, non plus avec l’accent douloureux qui naguère descendait de la croix et transperçait comme d’un glaive son cœur maternel, mais joyeuse et tendre, comme il convient à un fils qui vient raconter ses triomphes à celle qui lui a donné le jour ; l’aspect de ce corps qu’elle recevait dans ses bras, il y a trois jours, sanglant et inanimé. maintenant radieux et plein de vie, lançant comme les reflets de la divinité à laquelle il est uni ; les caresses d’un tel fils, ses paroles de tendresse, ses embrassements qui sont ceux d’un Dieu ; pour rendre cette scène sublime, nous n’avons que le mot du pieux abbé Rupert, qui nous dépeint l’effusion de joie dont le cœur de Marie se trouve alors rempli, comme un torrent de bonheur qui l’enivre et lui enlève le sentiment des douleurs si poignantes qu’elle a ressenties [7].

Toutefois cette invasion des délices que le Fils divin avait préparées à sa mère ne fut pas aussi subite que les paroles de ce dévot auteur du XIIe siècle nous donneraient à l’entendre. Notre Seigneur a bien voulu décrire lui-même cette ineffable scène dans une révélation qu’il fit à la séraphique vierge sainte Thérèse. Il daigna lui confier que l’accablement de la divine Mère était si profond, qu’elle n’eût pas tardé à succomber à son martyre, et que lorsqu’il se montra à elle au moment où il venait de sortir du tombeau, elle eut besoin de quelques moments pour revenir à elle-même avant d’être en état de goûter une telle joie ; et le Seigneur ajoute qu’il resta longtemps auprès d’elle, parce que cette présence prolongée lui était nécessaire [8].

Nous, chrétiens, qui aimons notre Mère, qui l’avons vue sacrifier pour nous son propre fils sur le Calvaire, partageons d’un cœur filial la félicité dont Jésus se plaît à la combler en ce moment, et apprenons en même temps à compatir aux douleurs de son cœur maternel. C’est ici la première manifestation de Jésus ressuscité : récompense de la foi qui veilla toujours au cœur de Marie, pendant même la sombre éclipse qui avait duré trois jours. Mais il est temps que le Christ se montre à d’autres, et que la gloire de sa résurrection commence à briller sur le monde. Il s’est fait voir d’abord à celle de toutes les créatures qui lui était la plus chère, et qui seule était digne d’un tel bonheur ; maintenant, dans sa bonté, il va récompenser, par sa vue pleine de consolation, les âmes dévouées qui sont demeurées fidèles à son amour, dans un deuil trop humain peut-être, mais inspiré par une reconnaissance que ni la mort, ni le tombeau n’avaient découragée.

Hier, Madeleine et ses compagnes, lorsque le coucher du soleil vint annoncer que, selon l’usage des Juifs, le grand Samedi faisait place au Dimanche, sont allées par la ville acheter des parfums, pour embaumer de nouveau le corps de leur cher maître, aussitôt que la lumière du jour leur permettra d’aller lui rendre ce pieux devoir. La nuit s’est passée sans sommeil ; et les ombres ne sont pas encore totalement dissipées, que Madeleine, avec Marie, mère de Jacques, et Salomé, est déjà sur le chemin qui conduit au Calvaire, près duquel est le sépulcre où repose Jésus. Dans leur préoccupation, elles ne s’étaient pas même demandé quels bras elles emploieraient pour déranger la pierre qui ferme l’entrée de la grotte ; moins encore ont-elles songé au sceau de la puissance publique qu’il faudrait auparavant briser, et aux gardes qu’elles vont rencontrer près du tombeau. Aux premiers rayons du jour, elles arrivent au terme de leur pieux voyage ; et la première chose qui frappe leurs regards, c’est la pierre qui fermait l’entrée, ôtée de sa place, et laissant pénétrer le regard dans les profondeurs de la chambre sépulcrale. L’Ange du Seigneur, qui avait eu mission de déranger cette pierre et qui s’était assis dessus comme sur un trône, ne les laisse pas longtemps dans la stupeur qui les a saisies : « Ne craignez pas, leur dit-il ; je sais que vous cherchez Jésus ; il n’est plus ici ; il est ressuscité, comme il l’avait dit ; pénétrez vous-mêmes dans le tombeau, et reconnaissez la place où il a reposé. »

C’était trop pour ces âmes que l’amour de leur maître transportait, mais qui ne le connaissaient pas encore par l’esprit. Elles demeurent « consternées », nous dit le saint Évangile. C’est un mort qu’elles cherchent, un mort chéri ; on leur dit qu’il est ressuscité ; et cette parole ne réveille chez elles aucun souvenir. Deux autres Anges se présentent à elles dans la grotte tout illuminée de l’éclat qu’ils répandent. Éblouies de cette lumière inattendue, Madeleine et ses compagnes, nous dit saint Luc, abaissent vers la terre leurs regards mornes et étonnés. « Pourquoi cherchez-vous chez les morts, leur disent les Anges, celui qui est vivant ? Rappelez-vous donc ce qu’il vous disait en Galilée : qu’il serait crucifié, et que, le troisième jour, il ressusciterait. » Ces paroles font quelque impression sur les saintes femmes ; et au milieu de leur émotion, un léger souvenir du passé semble renaître dans leur mémoire. « Allez donc, continuent les Anges ; dites aux disciples et à Pierre qu’il est ressuscité, et qu’il les devancera en Galilée. »

Elles sortent en hâte du tombeau et se dirigent vers la ville, partagées entre la terreur et un sentiment de joie intérieure qui les pénètre comme malgré elles. Cependant elles n’ont vu que les Anges, et un sépulcre ouvert et vide. A leur récit, les Apôtres, loin de se laisser aller à la confiance, attribuent, nous dit encore saint Luc, à l’exaltation d’un sexe faible tout ce merveilleux qu’elles s’accordent à raconter. La résurrection prédite si clairement, et à plusieurs reprises, par leur maître, ne leur revient pas non plus en mémoire. Madeleine s’adresse en particulier à Pierre et à Jean ; mais que sa foi à elle est faible encore ! Elle est partie pour embaumer le corps de son cher maître, et elle ne l’a pas trouvé ; sa déception douloureuse s’épanche encore devant les deux Apôtres : « Ils ont enlevé, dit-elle, le Seigneur du tombeau ; et nous ne savons pas où ils l’ont mis. »

Pierre et Jean se déterminent à se rendre sur le lieu. Ils pénètrent dans la grotte ; ils voient les linceuls disposés en ordre sur la table de pierre qui a reçu le corps de leur maître ; mais les Esprits célestes qui font la garde ne se montrent point à eux. Jean cependant, et c’est lui-même qui nous en rend témoignage, reçoit en ce moment la foi : désormais il croit à la résurrection de Jésus. Nous ne faisons que passer rapidement sur des récits que nous aurons occasion de méditer plus tard, lorsque la sainte Liturgie les ramènera sous nos yeux. En ce moment, il s’agit seulement de suivre dans leur ensemble les événements de ce jour, le plus grand des jours.

Jusqu’à cette heure, Jésus n’a encore apparu qu’à sa Mère : les femmes n’ont vu que des Anges qui leur ont parlé. Ces bienheureux Esprits leur ont commandé d’aller annoncer la résurrection de leur maître aux disciples et à Pierre. Elles ne reçoivent pas cette commission pour Marie ; il est aisé d’en saisir la raison : le fils s’est déjà réuni a sa mère ; et la mystérieuse et touchante entrevue se poursuit encore durant ces préludes. Mais déjà le soleil brille de tous ses feux, et les heures de la matinée avancent : c’est l’Homme-Dieu qui va proclamer lui-même le triomphe que le genre humain vient de remporter en lui sur la mort. Suivons avec un saint respect l’ordre de ces manifestations, et efforçons-nous respectueusement d’en découvrir les mystères. Madeleine, après le retour des deux Apôtres, n’a pu résister au désir de visiter de nouveau la tombe de son maître. La pensée de ce corps qui a disparu, et qui, peut-être, devenu le jouet des ennemis de Jésus, git sans honneurs et sans sépulture, tourmente son âme ardente et bouleversée. Elle est repartie, et bientôt elle arrive à la porte du sépulcre. Là, dans son inconsolable douleur, elle se livre a ses sanglots ; puis bientôt, se penchant vers l’intérieur de la grotte, elle aperçoit les deux Anges assis chacun à une des extrémités de la table de pierre sur laquelle le corps de Jésus fut étendu sous ses veux. Elle ne les interroge pas ; ce sont eux qui lui parlent : « Femme, disent-ils, pourquoi pleures-tu ? » — « Ils ont enlevé mon maître, et je ne sais où ils l’ont mis. » Et après ces paroles, elle sort brusquement du sépulcre, sans attendre la réponse des Anges. Tout à coup, à l’entrée de la grotte, elle se voit en face d’un homme, et cet homme est Jésus. Madeleine ne le reconnaît pas ; elle est à la recherche du corps mort de son maître ; elle veut l’ensevelir de nouveau. L’amour la transporte, mais la foi n’éclaire pas cet amour ; elle ne sent pas que celui dont elle cherche la dépouille inanimée est là, vivant, près d’elle.

Jésus, dans son ineffable condescendance, daigne lui faire entendre sa voix : « Femme, lui dit-il, pourquoi pleures-tu ? Que cherches-tu ? » Madeleine n’a pas reconnu cette voix ; son cœur est comme engourdi par une excessive et aveugle sensibilité ; elle ne connaît pas encore Jésus par l’esprit. Ses veux se sont pourtant arrêtés sur lui ; mais son imagination qui l’entraîne lui fait voir dans cet homme le jardinier chargé de cultiver le jardin qui entoure le sépulcre. Peut-être, se dit-elle, est-ce lui qui a dérobé le trésor que je cherche ; et sans réfléchir plus longtemps, elle s’adresse à lui-même sous cette impression : « Seigneur, dit-elle humblement à l’inconnu, si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis, et je vais l’emporter. » C’était trop pour le cœur du Rédempteur des hommes, pour celui qui daigna louer hautement chez le Pharisien l’amour de la pauvre pécheresse ; il ne peut plus tarder à récompenser cette naïve tendresse ; il va l’éclairer. Alors, avec cet accent qui rappelle à Madeleine tant de souvenirs de divine familiarité, il parle ; mais il ne dit que ce seul mot : « Marie ! » — « Cher maître ! » répond avec effusion l’heureuse et humble femme, illuminée tout à coup des splendeurs du mystère. Elle s’élance, et voudrait coller ses lèvres à ces pieds sacrés, dans l’embrassement desquels elle reçut autrefois son pardon. Jésus l’arrête ; le moment n’est pas venu de se livrer à de tels épanchements. Il faut que Madeleine, premier témoin de la résurrection de l’Homme-Dieu, soit élevée, pour prix de son amour, au plus haut degré de l’honneur. Il ne convient pas que Marie révèle à d’autres les secrets sublimes de son cœur maternel ; c’est à Madeleine de témoigner de ce qu’elle a vu, de ce qu’elle a entendu dans le jardin. C’est elle qui sera, comme disent les saints Docteurs, l’Apôtre des Apôtres eux-mêmes. Jésus lui dit : « Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et le leur, vers mon Dieu et le leur. »

Telle est la seconde apparition de Jésus ressuscité, l’apparition à Marie-Madeleine, la première dans l’ordre du témoignage. Nous la méditerons de nouveau, le jour où la sainte Église nous donnera à lire le passage de saint Jean où elle est rapportée. Mais adorons dès ce moment l’infinie bonté du Seigneur, qui, avant de songer à établir la foi de sa résurrection dans ceux qui devaient la prêcher jusqu’aux extrémités du monde, daigne d’abord récompenser l’amour de cette femme qui l’a suivi jusqu’à la croix, jusqu’au-delà du tombeau, et qui, étant plus redevable que les autres, a su aussi aimer plus que les autres. En se montrant d’abord à Madeleine, Jésus a voulu satisfaire avant tout l’amour de son cœur divin pour la créature, et nous apprendre que le soin de sa gloire ne vient qu’après.

Madeleine, empressée de remplir l’ordre de son maître, se dirige vers la ville et ne tarde pas à se trouver en présence des disciples. « J’ai vu le Seigneur, leur dit-elle, et il m’a dit ceci. » Mais la foi n’est pas encore entrée dans leurs âmes ; le seul Jean a reçu ce don au sépulcre, bien que ses yeux n’aient vu que le tombeau désert. Souvenons-nous qu’après avoir fui comme les autres, il s’est retrouvé au Calvaire pour recevoir le dernier soupir de Jésus, et que là il est devenu le fils adoptif de Marie.

Cependant les compagnes de Madeleine, Marie mère de Jacques, et Salomé, qui l’ont suivie de loin sur la route du saint tombeau, reviennent seules à Jérusalem. Soudain Jésus se présente à leurs regards, et arrête leur marche lente et silencieuse. « Je vous salue », leur dit-il. A cette parole leur cœur se fond de tendresse et d’admiration elles se précipitent avec ardeur à ses pieds sacrés, elles les embrassent, et lui prodiguent leurs adorations. C’est la troisième apparition du Sauveur ressuscité, moins intime mais plus familière que celle dont Madeleine fut favorisée. Jésus n’achèvera pas la journée sans se manifester à ceux qui son appelés à devenir les hérauts de sa gloire : mais il veut, avant tout, honorer aux yeux de tous les siècles à venir ces généreuses femmes qui, bravant le péril et triomphant de la faiblesse de leur sexe, l’ont consolé sur la croix par une fidélité qu’il ne rencontra pas dans ceux qu’il avait choisis et comblés de ses faveurs. Autour de la crèche où il se montrait pour la première fois aux hommes, il convoqua de pauvres bergers par la voix des Anges, avant d’appeler les rois par le ministère d’un astre matériel ; aujourd’hui qu’il est arrivé au comble de sa gloire, qu’il a mis par sa résurrection le sceau à toutes ses œuvres et rendu certaine sa divine origine, en assurant notre foi par le plus irréfragable de tous les prodiges, il attend, avant d’instruire et d’éclairer ses Apôtre que d’humbles femmes aient été par lui instruites, consolées, comblées enfin des marques de son amour. Quelle grandeur dans cette conduite si suave et si forte du Seigneur notre Dieu, et qu’il a raison de nous dire par le Prophète : « Mes pensée ne sont pas vos pensées ! » [9]

S’il eût été à notre disposition d’ordonner les circonstances de sa venue en ce monde, quel bruit n’eussions-nous pas fait pour appeler le genre humain tout entier, rois et peuples, autour de son berceau ? Avec quel fracas eussions-nous promulgué devant toutes les nations le miracle des miracles, la Résurrection du crucifie, la mort vaincue et l’immortalité reconquise ? Le Fils de Dieu, qui est « la Force et la Sagesse du Père » [10], s’y est pris autrement. Au moment de sa naissance, il n’a voulu pour premiers adorateurs que des hommes simples et rustiques, dont les récits ne devaient pas retentir au-delà des confins de Bethléhem ; et voilà qu’aujourd’hui la date de cette naissance est l’ère de tous les peuples civilisée. Pour premiers témoins de sa Résurrection, il n’a voulu que de faibles femmes ; et voilà qu’en ce jour même, à l’heure où nous sommes, la terre entière célèbre l’anniversaire de cette Résurrection ; tout est remué, un élan inconnu le reste de l’année se fait sentir aux plus indifférents ; l’incrédule qui coudoie le croyant sait du moins que c’est aujourd’hui Pâques ; et du sein même des nations infidèles, d’innombrables voix chrétiennes s’unissent aux nôtres, afin que s’élève de tous les points du globe vers notre divin ressuscite l’acclamation joyeuse qui nous réunit tous en un seul peuple, le divin Alléluia. « O Seigneur », devons-nous nous écrier avec Moïse, quand le peuple élu célébra la première Pâque et traversa à pied sec la mer Rouge, « ô Seigneur, qui d’entre les forts est semblable à vous ? » [11]

Suspendons le récit des événements de cette solennelle journée, et n’anticipons pas sur les heures. Il est temps de s’unir à la sainte Église qui, après avoir consacré la plus grande partie de la nuit à l’enfantement du nouveau peuple qui lui est né, s’apprête à rendre au Seigneur le tribut accoutumé de sa louange.

L’OFFICE DES MATINES.

Chaque Dimanche de l’année, le divin Service de la nuit se compose de trois partitions désignées sous le nom de Nocturnes. Chacune de ces sections est formée de trois Psaumes accompagnés d’Antiennes, et suivis de Lectures entrecoupées de Répons. Cet ensemble majestueux de chants sacrés que précède, en forme de prélude, le Psaume appelé Invitatoire, et que termine l’Hymne Ambrosien, commence après le milieu de la nuit, et doit être achevé aux premiers rayons de l’aurore, où il fait place à l’Office plus solennel encore des Laudes.

Mais cette nuit a été occupée presque tout entière par la sublime fonction du Baptême ; et quand le sacrifice s’achevait, le lever du soleil était déjà proche. Il est donc nécessaire d’abréger aujourd’hui le service ordinaire de la nuit, afin que les cantiques par lesquels l’Église salue le retour de la lumière, œuvre et figure de son céleste Époux, se rapprochent, autant qu’il est possible, de l’instant où l’astre radieux qui la verse sur la terre aura commencé sa course.

C’est pour cette raison que l’Office de la nuit, appelé improprement Matines dans les temps modernes, parce qu’on ne le célèbre plus guère que le matin, est réduit aujourd’hui à un seul Nocturne.

La sainte Église débute par la supplication qui ouvre le cours de ses solennelles prières.

Vient ensuite, avec son glorieux refrain qui annonce la Résurrection du Christ, le cantique Invitatoire par lequel, chaque nuit, l’Église convie ses enfants à venir adorer le Seigneur. En ce moment, ce sont les Anges eux-mêmes qui, s’adressant à nous en la personne de Marie-Madeleine et de ses compagnes, proclament la victoire de notre Rédempteur sur la mort.

Invitatorium Invitatoire
Surréxit Dóminus vere, * Allelúia.Le Seigneur est vraiment ressuscité, * Alléluia.
Psaume 94 (Invitatoire)

L’Invitatoire est toujours suivi d’une Hymne ; mais dans la fête de Pâques et les jours qui la suivent, l’Église désirant, par respect pour une si grande solennité, y garder la forme la plus antique de ses Offices, n’admet pas ce genre de composition, qui ne fut reçu dans la Liturgie qu’à une époque postérieure. On passe de suite au chant des trois Psaumes.

Le premier ( Psaume 1 ) célèbre les vertus et le bonheur de l’homme juste, et se rapporte au Christ, selon l’interprétation des saints Pères. Le Christ est l’homme nouveau descendu du ciel ; il a suivi fidèlement la loi du Seigneur que le premier homme avait transgressée ; et le Seigneur l’a comblé de gloire en ce jour de la Résurrection.

Le deuxième Psaume ( Psaume 2 ) nous montre le complot de la Synagogue contre Jésus. Les Juifs ont pu immoler le Messie qui venait les sauver ; mais ils n’ont pu l’enchaîner dans le sépulcre. Fils de l’homme, il est aussi le Fils de Dieu ; aujourd’hui même, il inaugure son empire sur la race humaine tout entière ; et malheur à Israël qui n’a pas connu le temps de sa visite !

Le troisième Psaume ( Psaume 3 ) est une prophétie de la résurrection du Christ. Ses ennemis l’ont cru abandonné de Dieu. Il s’est endormi dans le tombeau ; mais le Seigneur l’a réveillé ; et maintenant il est vainqueur de ceux qui s’élevèrent contre lui

Le lecteur, du haut de l’Ambon, lit le commencement de l’Évangile de la Messe de Pâques ; après quoi ouvrant le livre des Homélies du pape saint Grégoire le Grand, il extrait de la vingt et unième quelques passages qui sont le commentaire du texte sacré.

Dans la plupart des Églises de l’Occident, au moyen âge, après la lecture de la troisième Leçon, avant d’entonner l’Hymne Ambrosien, le clergé se rendait en procession solennelle à la chapelle où l’on conservait la sainte Eucharistie depuis le Jeudi saint, et qui était appelée la Chapelle du Sépulcre. Dans le cortège, qui s’avançait en chantant un Répons, on remarquait trois clercs vêtus d’aubes qui représentaient Madeleine et les deux autres saintes femmes. Lorsque le cortège était entré dans la chapelle, deux diacres vêtus de dalmatiques blanches, et qui se tenaient à la tête et au pied du tombeau, apercevant les trois clercs en aubes, leur disaient :

Quem quæritis in sepulcro, o christicolæ ?Qui cherchez-vous dans le sépulcre, amis du Christ ?

Les clercs répondaient au nom des saintes femmes :

Jesum Nazarenum, o christicolæ !Jésus de Nazareth, habitants des cieux !

Alors les Diacres :

Non est hic ; surrexit sicut prædixerat : ite, nuntiate quia surrexit.Il n’est plus ici ; il est ressuscité, comme il l’avait prédit ; allez annoncer qu’il est vivant.

Les trois clercs montaient alors à l’autel, et soulevant les nappes, ils baisaient respectueusement la pierre ; puis se tournant vers l’Évêque entouré de son clergé, ils chantaient :

Alleluia ! Resurrexit Dominus hodie : resurrexit Leo fortis, Christus Filius Dei.Alléluia ! Aujourd’hui, le Seigneur est ressuscité ; le Lion fort est ressuscité, le Christ, le Fils de Dieu.

Alors deux chantres se détachaient ; et s’approchant de l’autel, sur les degrés duquel se tenaient les trois clercs, ils leur adressaient cette strophe de la Séquence de la Messe de Pâques :

Dic nobis, Maria,
Quid vidisti in via ?
Qu’avez-vous vu en allant au tombeau ?
Marie, dites-le-nous.

Le premier des clercs, représentant Madeleine, répondait :

Sepulcrum Christi viventis,
Et gloriam vidi resurgentis.
J’ai vu le tombeau du Christ qui était vivant ;
j’ai vu la gloire du Christ ressuscité.

Le second clerc, représentant Marie, mère de Jacques, ajoutait :

Angelicos testes,
Sudarium et vestes.
Les Anges étaient témoins,
avec le suaire et les linceuls.

Le troisième clerc, figurant Salomé, achevait en disant :

Surrexit Christus spes mea,
Præcedet vos in Galilæam.
Il est ressuscité, le Christ mon espérance ;
il vous précédera en Galilée.

Les deux chantres reprenaient par cette protestation de toi :

Crededum est magis soli
Mariæ veraci,
Quam Judæorum
Pravæ cohorti.
Croyons plutôt à
Marie seule et véridique,
qu’à la tourbe perverse
des Juifs.

Alors le clergé tout entier, s’unissant dans une acclamation commune, chantait :

Scimus Chistus surrexisse
a mortuis vere :
Tu nobis, victor Rex,
Miserere.
Nous aussi, nous savons que le Christ
est vraiment ressuscité des morts ;
mais vous, ô Roi vainqueur,
avez pitié de nous.

Après ce dialogue si dramatique, les deux diacres, ouvrant le tabernacle secret où l’on gardait la divine Eucharistie, prenaient le vase qui la renfermait, le plaçaient sur un brancard ; et la procession triomphale se dirigeait, au milieu d’un nuage d’encens, vers l’autel majeur. Pendant la marche, on chantait avec enthousiasme ce beau Répons, dont le chant est aussi mélodieux que les paroles en sont belles. Le corps du Répons est emprunté à saint Paul, et le Verset se trouve tout entier dans la Liturgie de l’Église grecque.

R/. Christus resurgens ex mortuis, jam non moritur ; mors illi ultra non dominabitur ; quod enim mortuus est peccato mortuus est semel : * Quod autem vivit, vivit Deo, alleluia, alleluia.R/. Le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus ; la mort n’aura plus sur lui d’empire ; car ce qui est mort au péché ne meurt qu’une fois : * Ce qui vit, vit à Dieu, Alléluia, Alléluia.
V/. Que les Juifs nous disent donc comment les soldats, qui gardaient le sépulcre, ont perdu le Roi, en plaçant la pierre ; pourquoi ils ne gardaient pas mieux celui qui est la Pierre de justice. Qu’ils nous rendent le corps qui fut enseveli, ou qu’avec nous ils l’adorent ressuscité, en disant aussi :V/. Dicant nunc Judæi, quomodo milites custodientes sepulcrum perdiderunt Regem, ad lapidis positionem ; quare non servabant Petram justitiæ ? Aut sepultum reddant, aut resurgentem adorent nobiscum dicentes :
R/. Quod autem vivit, vivit Deo, alleluia, alleluia.R/. Ce qui vit, vit à Dieu, Alléluia, Alléluia.

Le cortège sacré étant arrivé au sanctuaire, les diacres déposaient la sainte Eucharistie sur l’autel ; et l’Évêque, après l’avoir solennellement encensée, entonnait l’Hymne Ambrosien, en action de grâces de la résurrection du Rédempteur des hommes.

Ce drame touchant, qui a peut-être donné origine aux Mystères que l’on représenta longtemps dans nos Églises, n’appartenait point aux traditions de la Liturgie romaine ; mais il rendait avec bonheur la foi vive et simple du moyen-âge. Au XVIe et au XVIIe siècle, on le vit successivement tomber en désuétude ; l’antique simplicité allait s’effaçant ; et les hommes devenaient avides de notions tout autres que celles que l’on avait puisées si longtemps dans les affections tranquilles et pieuses dont les mystères de la foi sont la source. Quant aux formes de la scène admirable que nous venons de décrire, elles variaient plus ou moins, selon les lieux ; nous nous sommes borné à en recueillir les traits principaux, tels qu’on les trouve dans les anciens Ordinaires de nos cathédrales.

Les Églises de la Bohème, de la Hongrie et de la Pologne, ont retenu jusqu’à nos jours l’usage, emprunté aux Orientaux, de passer la nuit de Pâques en prières, et d’attendre ainsi le moment de la Résurrection. Au point du jour, on lève du tombeau le très saint Sacrement, un Salut solennel est chanté, et le Christ vainqueur de la mort répand ses bénédictions sur son peuple.

Naguère encore, dans certaines villes d’Espagne, deux processions sortaient de l’église principale, avant le lever du soleil : l’une faisait cortège à la statue de la sainte Vierge portée sur un brancard et couverte d’un crêpe ; l’autre s’avançait majestueusement, avec le dais, sous lequel le célébrant tenait dans ses mains la divine hostie. Les deux processions parcouraient en silence les rues de la cité, jusqu’au moment où, le soleil venant à paraître, elles se rencontraient à un endroit déterminé. Aussitôt on enlevait le sombre voile qui couvrait l’image de la Mère de Dieu ; et pour célébrer les joies ineffables de Marie dans la visite que daigna lui faire, a cette même heure, le même Jésus que l’on avait là présent réellement dans l’adorable mystère, mille voix entonnaient et poursuivaient avec transport l’Antienne Regina cœli, lœtare. Alors les deux processions s’unissaient en une seule, et la pompe sacrée rentrait triomphante dans l’église.

Une autre démonstration de la joie pascale était le baiser fraternel que les fidèles se donnaient dans l’église au moment où l’on annonçait l’heure de la Résurrection. Cet usage venu de l’Orient s’est conservé dans nos églises occidentales jusqu’au XVIe siècle. En certains lieux, c’était au commencement des Matines qu’avait lieu cette démonstration de joyeuse charité, que l’on accompagnait de ces paroles : Surrexit Christus ! le Christ est ressuscité ! En d’autres, l’accolade avait lieu à la suite de la scène religieuse que nous venons de décrire. Dans la Liturgie grecque, à l’office du matin, les strophes suivantes donnent le signal aux fidèles :

La Pâque joyeuse, la Pâque du Seigneur, la Pâque, la Pâque sacrée, a lui sur nous. Pâques ! Donnons-nous avec joie le saint baiser, O Pâque, qui viens récompenser les saintes tristesses ! Aujourd’hui le Christ sort radieux du tombeau, comme l’époux de la chambre nuptiale. Il a comblé les saintes femmes d’une douce allégresse, en leur disant : « Allez porter la nouvelle aux Apôtres. »

C’est le jour de la Résurrection ; soyons radieux et faisons fête ; donnons-nous le baiser. Appelons frères ceux mêmes qui nous haïssent ; pardonnons tout à cause de la Résurrection ; crions tous : Le Christ est ressuscité d’entre les morts : par la mort il a brisé la mort ; à ceux qui gisaient dans les tombeaux, il a rendu les droits à la vie.

Sublime et nouvelle fraternité que nous avons avec Jésus-Christ, premier-né entre les morts, comme parle l’Apôtre ! En lui, prenant notre nature dans son incarnation, nous étions frères ; en lui, nous frayant à travers le tombeau le chemin de l’immortalité, nous le devenons une seconde fois. Il est notre aîné dans la vie nouvelle qui ne connaîtra plus la mort ; en célébrant sa victoire, unissons-nous dans la charité mutuelle ; c’est son vœu, c’est la Pâque, c’est le jour du banquet fraternel.

LES LAUDES.

Chaque jour de l’année, la sainte Église offre à Dieu un service spécial, dont l’heure régulière correspond au lever de l’aurore. Cet Office s’appelle les Laudes, parce qu’il est, en grande partie, composé de cantiques de louange. Le mystère que l’Église honore à cette heure matinale est la Résurrection du Christ ; il est aisé de comprendre, d’après cette donnée, combien l’Office des Laudes est rempli de mystères, lorsqu’on le célèbre au jour même de Pâques. Unissons-nous à la joie de notre Mère, qui tressaille de bonheur en celui qui est son divin Soleil, dont la lumière lui est d’autant que depuis trois jours elle avait cessé de briller.

Le premier Psaume des Laudes ( Psaume 92 ) nous montre le Seigneur qui se lève du tombeau comme un roi éclatant de gloire, et comme un guerrier revêtu de force. Par sa Résurrection, il rétablit la nature humaine dans ses droits à l’immortalité. La voix des grandes eaux est imposante ; mais la puissance du Dieu ressuscité est plus irrésistible encore. Marchons en sa présence, dans une sainteté digne de sa Maison qu’il est venu nous ouvrir.

Le Psaume suivant ( Psaume 99 ) convoque tous les habitants de la terre à entrer dans la maison du Seigneur, pour célébrer la Solennité des solennités, la Fête des fêtes. Il est le souverain Pasteur, et nous sommes ses brebis Bien qu’il soit le Dieu fort et triomphant, il est doux et miséricordieux : célébrons sa victoire dans l’allégresse et la reconnaissance.

Le Psaume suivant ( Psaume 62 ) est le cri de l’âme fidèle vers le Seigneur, au moment où l’aurore paraît au ciel. Dès son réveil, le chrétien a soif du grand Dieu qui l’a créé et qui l’a délivré de ses ennemis. En ce jour, il le contemple dans la gloire qui l’environne, et dont les rayons éclairent le monde entier. Tous les peuples sont unis dans un sentiment commun ; tous fêtent la Pâque ; il n’est pas de nation où elle soit inconnue. Demandons que tous les hommes l’aiment, la comprennent et participent à nos joies.

Le Cantique ( Cantique des trois Enfants ) dans lequel les trois enfants de la fournaise de Babylone appelaient toutes les créatures de Dieu à bénir son nom, est chanté par l’Église à l’Office des Laudes dans toutes les solennités. Il prête une voix à toute la nature, et convie l’œuvre de Dieu tout entière à louer son auteur. Aujourd’hui il est bien juste que les cieux et la terre s’unissent pour rendre hommage au grand Dieu qui a daigné, par sa mort et par sa résurrection, relever son œuvre tombée par le péché.

L’Église réunissait ici autrefois en un seul les trois derniers Psaumes du Psautier, qui renferment plus spécialement la louange du Seigneur, et convoquent toutes les créatures à le célébrer. Celui qui demeure ( Psaume 148 ) est semblable au Cantique des trois enfants ; comme faisaient avec lui les deux autres, il appelle les Saints à chanter le Seigneur, qui les a glorifiés et associés à sa résurrection ; il invite tout ce qui respire à former, en l’honneur de cet Homme-Dieu, le plus brillant et le plus harmonieux concert.

Après le chant des Psaumes, on entonne immédiatement l’Antienne pascale : « C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports d’une sainte joie. » Vient ensuite le Cantique de Zacharie ( Benedictus ), par lequel l’Église salue, chaque matin, le lever du soleil. Il célèbre la visite du Seigneur, l’accomplissement des promesses de Dieu, l’apparition du divin Orient au milieu de nos ténèbres.

Le chant des Laudes étant terminé, la foule des fidèles s’écoule, pour revenir plus nombreuse encore, à l’heure où le Sacrifice solennel du divin Agneau pascal la convoquera de nouveau. En nous reportant aux premiers siècles de notre foi, comme nous l’avons fait tous ces derniers jours, afin de mieux saisir le sens et la portée des rites de la sainte Liturgie, nous continuerons à nous représenter une de ces célèbres Églises des IVe et Ve siècles où les pompes sacrées se développaient dans tout leur éclat.

La cité a reçu, en ces jours, un accroissement nouveau et subit de population. Les prêtres des campagnes sont venus s’unir à leur Évêque pour les solennités du Chrême, du Baptême et de la Pâque, et ils ont amené avec eux de nombreux fidèles. Les habitants de la ville ont suspendu tout voyage, pour ne pas manquer à la célébration des mystères ; les canons des Conciles interdisent même aux grands la liberté de sortir des murs, tant que la solennité pascale n’a pas achevé son cours [12]. Ces prescriptions ne doivent pas étonner, si l’on se rappelle ce que nous avons rapporté, à propos du Dimanche des Palmes, que les illustres solitaires de l’Orient, qui, sortis du monastère avec la permission de leur abbé, s’étaient enfoncés dans le désert, au commencement du Carême, pour vaquer sous l’œil de Dieu seul à la pénitence et à la contemplation, venaient se réunir à la communauté pour célébrer la Pâque. Saint Pacôme qui, le premier, organisa, dans les déserts de l’Orient, une sorte de confédération monastique formée de toutes les maisons qui étaient issues de son célèbre monastère de Tabenne, exigeait que tous ses disciples se réunissent, chaque année, au monastère central pour fêter la Résurrection du Sauveur ; et plus d’une fois l’on vit camper autour de Tabenne jusqu’à cinquante mille moines, réunis de toutes ces cités spirituelles dont le désert était parsemé.

De nos jours encore, au sein de nos villes dont un si grand nombre ont perdu le cachet du christianisme, les églises sont remplies en cette fête de Pâques. Les plus vastes ne suffisent pas à contenir la foule qui les assiège. Beaucoup d’hommes qui, dans tout le cours de l’année, passent indifférents devant le seuil de la maison de Dieu, le franchissent en ce jour. Dernière trace du christianisme universel qui a survécu à tant de faux systèmes, à tant de calculs matériels ; disons aussi, dernière attraction de cet aimant vainqueur qui réside en notre divin ressuscité. Beaucoup, au moment de quitter cette vie, éviteront le naufrage, en criant vers Jésus, que la Pâque annuelle, si incomplètement fêtée par eux, les avait du moins empêchés d’oublier ; mais beaucoup aussi, hélas ! feront naufrage, parce que n’ayant pas, en ce jour, accompli la justice envers leur libérateur, ils ont contraint de se montrer juste celui qui, tant de fois, en cette fête de Pâques, les convia à sa miséricorde. Prions Dieu qu’elle ne s’éteigne pas, « cette mèche qui fume encore » ; qu’il n’achève pas de se rompre, « ce roseau déjà éclaté » [13] ; et reposons nos regards sur les beaux spectacles que nous offre la foi antique, cette foi précieuse qui vit en nous, par la divine miséricorde, et qui trouvera des fidèles, et des fidèles nombreux, jusqu’à la fin des temps.

Mais avant de nous réunir à l’assemblée sainte, donnons un souvenir aux Martyrs de la Pâque. Un jour, la grande solennité fut consacrée par le sang des fidèles ; et la sainte Église en garde la mémoire dans les fastes du Martyrologe. En 459, on célébrait la Pâque le cinq d’Avril ; c’était l’époque où les Églises d’Afrique étaient ravagées par les Vandales, hérétiques ariens conduits par leurs rois Genséric et Hunnéric. Les fidèles de la ville de Régia s’étaient rassemblés dans l’église pour célébrer la Résurrection du Christ ; et afin d’éviter le contact des hérétiques, ils en avaient fermé les portes. Les ariens, conduits par un de leurs prêtres, forcent l’entrée du saint temple et se précipitent en armes sur la multitude des fidèles. A ce moment, un Lecteur, du haut de l’Ambon, exécutait la mélodie de l’Alléluia ; une flèche meurtrière, lancée sur lui par l’un de ces barbares, l’atteint à la gorge ; il tombe, et va achever au ciel le chant joyeux qu’il avait commencé sur la terre. Les Vandales font main basse sur les catholiques ; l’église est inondée de leur sang ; un grand nombre sont entraînés par les hérétiques hors du temple ; mais c’est pour être immolés ensuite par ordre du conquérant ; il n’y eut que les enfants d’épargnés. Unissons-nous à la sainte Église qui, chaque année, le cinq Avril, glorifie ces nobles victimes de la Pâque.

LA MESSE.

L’heure de Tierce a rassemblé dans la Basilique tout le peuple de la cité. Le soleil, qui s’est levé joyeux, semble verser une lumière plus vive ; le pavé de l’église est jonché, de fleurs. Au-dessous des mosaïques de l’abside, dont les émaux scintillent d’un éclat nouveau, les murs sont tapissés de draperies précieuses ; des guirlandes de feuillage pendant en festons de l’arc triomphal, courent le long des colonnes de la grande nef, et de là se répandent sous les nefs latérales. De nombreuses lampes, alimentées de l’huile la plus pure, brûlent autour de l’autel, suspendues au ciborium. Porté sur son élégante colonne, le Cierge pascal, qui n’a pas été éteint depuis les premières heures de la soirée d’hier, lance sa flamme toujours vive, et embaume le lieu saint des parfums dont sa mèche est imprégnée. Symbole mystérieux du Christ-Lumière, il réjouit les regards des fidèles, et semble dire à tous : « Alléluia ! Le Christ est ressuscité. »

Mais ce qui, plus que tout le reste, intéresse l’assemblée sainte, c’est le groupe nombreux des néophytes couverts de leurs robes blanches, comme les Anges qui ont apparu au sépulcre ; c’est en ces jeunes et nobles recrues que se réfléchit le plus vivement le mystère du Christ sortant du tombeau. Hier encore ils étaient morts par le péché ; maintenant ils sont pleins de vie, d’une vie nouvelle qui est le fruit de la victoire du Rédempteur sur la mort. Heureuse pensée de la sainte Église, d’avoir choisi pour le jour de leur régénération celui-là même où l’Homme-Dieu a conquis pour nous l’immortalité.

A Rome, la Station était autrefois dans la Basilique de Sainte-Marie-Majeure. Cette reine des nombreuses églises dédiées à la Mère de Dieu dans la ville sainte, était désignée pour la fonction de ce jour par une admirable délicatesse. Rome faisait hommage de la solennité pascale à celle qui, plus que toute créature, eut droit d’en ressentir les joies, et pour les angoisses que son cœur maternel avait endurées, et pour sa fidélité à conserver la foi de la résurrection durant les longues et cruelles heures que son divin Fils dut passer dans l’humiliation du tombeau. Depuis, la solennité de la Messe papale a été transférée dans la Basilique de Saint-Pierre, plus vaste et plus en rapport avec l’immense concours de fidèles que le monde chrétien tout entier députe aux solennités pascales de Rome. Néanmoins le Missel romain continue d’indiquer Sainte-Marie-Majeure comme l’église de la Station d’aujourd’hui ; et les indulgences sont demeurées les mêmes en faveur de ceux qui prennent part aux fonctions qui s’y célèbrent.

Il est l’heure de Tierce (neuf heures du matin) ; on commence aussitôt l’Office qui correspond à cet instant de la journée, et qui précède toujours la Messe solennelle. Mais en ce jour, et pendant toute la semaine, la sainte Église, jalouse de conserver la forme antique à l’Office de Pâques, omet l’Hymne qui précède ordinairement les Psaumes, et n’admet ni le Capitule, ni le Répons bref. La psalmodie étant terminée, on ajoute sur un mode grave et mélodieux la triomphante Antienne que l’Église répète sans cesse durant toute cette solennelle Octave : « C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. »

L’Office de Tierce se termine par la Collecte de la Messe, ci-après.

A la différence des autres dimanches de l’année, on ne bénit pas l’eau aujourd’hui pour l’Aspersion. Il y a quelques heures à peine, le Pontife a sanctifié cet élément avec les rites les plus sublimes, avant de l’employer à la régénération de nos néophytes. L’eau qui va servir à purifier l’assemblée sainte a été puisée dans la fontaine même dont ils sont sortis tout éclatants de blancheur. Pendant qu’on la répand sur les fidèles, le chœur chante l’Antienne Vidi aquam.

Dans les Églises des Gaules et des autres contrées occidentales, on chanta longtemps, à la Procession qui précédait la Messe, d’admirables strophes de saint Venance Fortunat, évêque de Poitiers. Nous les donnerons ici, persuadé qu’elles seront agréables au pieux lecteur, et qu’elles l’aideront à entrer dans l’esprit de la grande solennité à laquelle elles servaient à préparer nos pères. On y retrouve l’enthousiasme qui a dicté le Vexilla regis et l’Hymne du saint Chrême ; c’est la même diction, ferme, énergique, un peu rude ; mais c’est aussi la même piété, le même enthousiasme et la même richesse d’images et de sentiment. Le chant qui accompagnait ces paroles est venu jusqu’à nous sur les manuscrits, et respire la majesté et l’onction.

Salve Festa Dies CHANT PASCAL DES ÉGLISES DES GAULES.
Salve, festa dies, toto venarábilis ævo
Qua Deus inférnum vincit, et astra tenet.
Salut, jour solennel, vénérable dans tous les âges !
Jour où un Dieu triomphe du tombeau, et prend possession des cieux.
Ecce renascéntis testátur grátia múndi
Omnia cum Dómino dona redísse suo.
La terre, qui reprend son éclat et sa beauté, _ annonce que toute créature renaît aujourd’hui avec son auteur.
On répète : Salve, festa dies.On répète : Salut, jour solennel.
Namque triumphánti post trístia tártara Chrísto
Undique frónde nemus, grámina flore favent.
Pour applaudir au triomphe du Christ sortant du tombeau, les forêts se couvrent de feuillage, les plantes étalent leur floraison.
Legibus inferni oppressis, super astra meantem,
Laudant rite Deum lux, polus, arva, fretum.
La lumière, les cieux, les campagnes, les mers, célèbrent de concert
le Dieu qui s’élève au-dessus des astres, vainqueur de la loi du trépas.
Qui crucifixus erat Deus, ecce per omnia regnat ;
Dantque creatori cuncta creata precem.
Le Dieu crucifié naguère règne maintenant sur l’univers ;
la création entière adresse d’humbles vœux à son auteur.
Christe salus rerum, bone conditor, atque redemptor ;
Unica progenies ex deitate Patris.
O Christ, Sauveur de l’univers, créateur plein de bonté,
rédempteur de ton œuvre, Fils unique d’un Père qui est Dieu.
Qui genus humanum cernens mersum esse profundo,
Ut hominem eriperes, es quoque factus homo.
Toi qui, voyant le triste naufrage du genre humain,
daignas te faire homme pour délivrer l’homme.
Nec voluisti etenim tantum te corpore nasci,
Sed caro quae nasci pertulit, atque mori.
Toi qui, non content de naître dans un corps, voulus dévouer
à la mort cette chair en laquelle tu pris une humble naissance.
Funeris exequias pateris, vitæ auctor et orbis,
Intrans mortis iter,dando salutis opem.
Auteur de la vie artisan du monde, tu t’es abaissé jusqu’au sépulcre ;
pour nous assurer le salut, tu t’es engagé dans la voie du tombeau.
Trístia cessérunt inférnæ víncula legis, Expavítque cháos lúminis ore premi.Mais voici que les chaînes lugubres des régions souterraines se sont rompues ;
l’abîme épouvanté a senti dans son sein pénétrer une lumière puissante.
Depereunt tenebræ Christi fulgore fugatæ,
Æternæ noctis pallia crassa cadunt.
A la présence du Christ rayonnant, les ténèbres s’effacent ;
les ombres épaisses de l’éternelle nuit ont disparu.
Pollícitam sed redde fidem, precor, alma potestas :
Tertia lux rediit, surge sepúlte meus.
Ce n’est pas tout encore, ô puissant Roi ! Il est temps de dégager ta promesse ;
le troisième jour est venu ; lève-toi, mon Dieu enseveli !
Non decet ut vili tumulo tua membra tegantur,
Nec pretium mundi vilia saxa premant.
Tes membres sacrés ne doivent pas plus longtemps reposer sous une vile pierre ;
la roche grossière ne doit plus retenir la rançon du monde.
Lintea tolle, precor, sudaria linque sepulchro ;
Tu satis es nobis, et sine te nihil est.
Écoute ma prière, secoue ces linceuls, laisse ce suaire au fond du sépulcre ;
n’es-tu pas notre bien unique, celui sans lequel tout est néant ?
Sólve catenátas inférni cárceris umbras,
Et révoca sursum quidquid ad ima ruit.
Délie ces générations captives dans leurs prisons souterraines ;
ramène dans les hauteurs tout ce qui avait croulé dans les abîmes.
Redde tuam faciem, vídeant ut sǽcula lúmen ;
Redde diem qui nos, te moriénte, fugit.
Rends-nous ton visage béni, afin que le monde revoie la lumière ;
rends-nous le jour qui s’est éclipsé, au moment où tu expirais.
Sed plane implesti remeans, pie victor, ad orbem ;
Tartara pressa jacent , nec sua jura tenent.
Mais tu as été fidèle, ô vainqueur plein de bonté ! le monde t’a vu reparaître ;
la mort est écrasée sous tes pieds ; ils sont abrogés, les droits dont elle osait se prévaloir.
Inferus insaturabiliter cava guttura pandens,
Qui rapuit semper, fit tua præda, Deus.
Monstre au gosier béant et insatiable, elle engloutissait notre race ;
la voilà maintenant devenue ta proie, ô Dieu !
Evomit absorptam trepide fera bellua plebem,
Et de fauce lupi subtrahit Agnus oves.
Elle revomit avec terreur ces générations qu’elle avait englouties dans sa férocité ;
et c’est l’Agneau qui arrache les brebis de la gueule loup.
Rex sacer, ecce tui radiat pars magna triumphi,
Cum puras animas sacra lavacra beant.
En ce jour, ô divin Roi, le triomphe que tu remportas alors renouvelle une partie de sa splendeur ;
aujourd’hui que le lavoir sacré comble la félicité des âmes qu’il a rendues pures.
Candidus egreditur nitidis exercitus undis,
Atque vetus vitium purgat in amne novo.
Une blanche armée s’élance du sein des eaux limpides,
et les âmes ont lavé la tache du péché dans les flots renouvelés par la bénédiction.
Fulgentes animas vestis quoque candida signat,
Et grege de niveo gaudia pastor habet.
Un vêtement sans souillure exprime l’éclat dont elles brillent ;
et le pasteur se réjouit à la vue de son troupeau plus blanc que la neige.
Salve, festa dies, toto venarábilis ævo
Qua Deus inférnum vincit, et astra tenet.
Salut, jour solennel, vénérable dans tous les âges !
Jour où un Dieu triomphe du tombeau, et prend possession des cieux.

Tous les préludes au Sacrifice étant terminés, la voix des chantres se fait entendre avec éclat et mélodie. Ils exécutent le solennel Introït, durant lequel le Pontife, entouré des Prêtres, des Diacres et des ministres inférieurs, se dirige vers l’autel. Ce chant d’entrée est le cri de l’Homme-Dieu sortant du tombeau, et adressant à son Père céleste l’hommage de sa reconnaissance.

Dans la Collecte, la sainte Église célèbre le bienfait de l’immortalité rendue à l’homme par la victoire que le Rédempteur a remportée sur la mort ; et elle demande que les vœux de ses enfants s’élèvent toujours plus haut vers cette sublime destinée.

ÉPÎTRE.

Dieu avait ordonné aux Israélites de manger l’Agneau pascal avec du pain azyme, c’est-à-dire sans levain ; leur enseignant, sous ce symbole, qu’ils devaient, avant de prendre ce repas mystérieux, renoncer à la vie passée, dont les imperfections étaient figurées par le levain. Nous chrétiens, qui sommes entraînés par le Christ vers cette vie nouvelle dont il nous a ouvert la voie en ressuscitant le premier, il nous faut désormais ne plus tendre qu’à des œuvres pures, à des actions saintes, azyme destiné à accompagner notre divin Agneau pascal, qui devient notre nourriture aujourd’hui.

Le Graduel est formé de ces joyeuses paroles que l’Église a extraites du Psaume CXVII, et qu’elle répète à toutes les heures du jour en cette solennité de la Pâque. Aujourd’hui, l’allégresse est un devoir pour tout chrétien ; tout nous y engage, et le triomphe de notre bien-aimé Rédempteur, et les grands biens qu’il a conquis pour nous. La tristesse aujourd’hui serait une protestation coupable contre les bienfaits dont Dieu a daigné nous combler en son Fils, qui non seulement a daigné mourir pour nous, mais encore a voulu pour nous ressusciter.

Le verset Alléluiatique nous donne un des motifs de la joie qui doit nous faire tressaillir aujourd’hui. Un festin est dressé pour nous ; l’Agneau est prêt ; cet Agneau est Jésus immolé, et désormais vivant : immolé, afin que nous soyons rachetés dans son sang ; vivant, pour nous communiquer l’immortalité qu’il a conquise.

Pour accroître la joie des fidèles, la sainte Église ajoute à ses chants ordinaires une œuvre lyrique dans laquelle respire le plus vif enthousiasme envers le Rédempteur sortant du tombeau. Cette composition a reçu le nom de Séquence, parce qu’elle est comme une suite et un prolongement du chant de l’ Alléluia.

ÉVANGILE.

La sainte Église emprunte aujourd’hui à saint Marc, de préférence à tout autre Évangéliste, le récit de la Résurrection. Saint Marc fut disciple de saint Pierre ; il écrivit son Évangile à Rome, sous les yeux du Prince des Apôtres. Il est convenable que, dans une telle solennité, on entende, en quelque sorte, la voix de celui que le divin ressuscité a proclamé la Pierre fondamentale de son Église, et le Pasteur suprême des brebis et des agneaux.

« Il est ressuscité ; il n’est plus ici » : un mort que des mains pieuses avaient étendu là, sur cette table de pierre, dans cette grotte ; il s’est levé, et tout à coup, sans même déranger la pierre qui fermait l’entrée, il s’est élancé dans une vie qui ne doit plus finir. Personne ne lui a porté secours ; nul prophète, nul envoyé de Dieu ne s’est penché sur le cadavre pour le rappeler à la vie. C’est lui-même qui, par sa propre vertu, s’est ressuscité. Pour lui la mort n’a pas été une nécessité ; il l’a subie, parce qu’il l’a voulu ; il l’a brisée, quand il l’a voulu. O Jésus qui vous jouez de la mort, vous êtes le Seigneur notre Dieu ! Nous fléchissons le genou devant ce sépulcre vide, que votre séjour de quelques heures a rendu sacré pour jamais. « Voici le lieu où ils vous avaient mis. » Voici les linceuls, les bandelettes, qui n’ont pu vous retenir, et qui attestent votre passage volontaire sous le joug de la mort.

L’Ange dit encore aux femmes : « Vous cherchez Jésus de Nazareth qui a été crucifié. » Souvenir plein de larmes ! Avant-hier, on apporta ici sa dépouille meurtrie, déchirée, sanglante. Cette grotte dont la pierre a été arrachée violemment par la main de l’Ange, et que cet Esprit céleste illumine d’une éblouissante clarté, couvrit de son ombre sépulcrale la plus éplorée des mères ; elle retentissait des sanglots de Jean et des deux disciples, des lamentations de Madeleine et de ses compagnes. Le soleil disparaissait à l’horizon, et le premier jour de la sépulture de Jésus allait commencer. Mais le Prophète avait prédit : « Au soir régneront les pleurs ; mais au matin éclatera l’allégresse. » [14] Nous sommes à cet heureux matin ; et notre joie est grande, ô Rédempteur, de voir que ce même tombeau où nous vous accompagnâmes avec une douleur sincère n’est plus que le trophée de votre victoire. Elles sont donc guéries, ces plaies sacrées que nous baisions avec amour, en nous reprochant de les avoir causées. Vous vivez plus glorieux que jamais, immortel ; et parce que nous avons voulu mourir à nos péchés, pendant que vous mouriez pour les expier, vous voulez que nous vivions avec vous éternellement, que votre victoire soit la nôtre, que la mort, pour nous comme pour vous, ne soit qu’un passage, cl qu’elle nous rende un jour intact et radieux ce corps que la tombe ne recevra plus désormais que comme un dépôt. Gloire soit donc à vous, honneur et amour, ô Fils éternel de Dieu, qui avez daigné non seulement mourir, mais encore ressusciter pour nous ! L’Offertoire reproduit les paroles dans lesquelles David annonce le tremblement de terre qui signala l’instant de la résurrection de l’Homme-Dieu. Ce globe a été témoin des plus sublimes manifestations de la puissance et de la bonté de Dieu ; et le souverain maître a voulu plus d’une fois qu’il s’associât, par des mouvements en dehors des lois communes, aux scènes divines dont il était le théâtre.

Le peuple saint tout entier va s’asseoir au banquet pascal ; l’Agneau divin convie tous les fidèles à se nourrir de sa chair ; l’autel est tout chargé des hosties qu’ils ont présentées ; la sainte Église, dans la Secrète, implore pour ces heureux convives les grâces qui leur assureront l’immortalité bienheureuse dont ils vont recevoir le gage.

A la Messe papale, au moyen âge, pendant que le Pontife récitait cette oraison secrète, les deux plus jeunes Cardinaux-diacres se détachaient de leurs collègues, et, couverts de leurs dalmatiques blanches, venaient se placer chacun à l’une des extrémités de l’autel, la face tournée vers le peuple. Ils représentaient les deux Anges qui gardaient le tombeau du Sauveur, et qui apparurent aux saintes femmes et leur annoncèrent la résurrection de leur maître. Ces deux diacres demeuraient à cette place en silence, jusqu’au moment où le Pontife quittait l’autel à l’Agnus Dei, pour remonter à son trône, sur lequel il devait accomplir la sainte communion.

On observait encore un autre usage non moins touchant, à Sainte-Marie-Majeure. Lorsque le Pape, après la fraction de l’hostie, adressait à l’assistance le souhait de la paix par les paroles accoutumées : Pax Domini sit semper vobiscum, le chœur ne répondait pas, comme aux jours ordinaires : Et cum spiritu tuo. La tradition racontait que, dans cette même solennité et dans cette même Basilique, saint Grégoire le Grand célébrant un jour le divin sacrifice, et ayant prononcé ces mêmes paroles qui font descendre l’Esprit de paix sur l’assemblée sainte, un chœur d’Anges lui répondit avec une si suave mélodie, que les voix de la terre se turent, n’osant s’unir au concert céleste. L’année suivante, on attendit, sans oser répondre au Pontife, que les voix angéliques se fissent entendre de nouveau ; cette attente dura plusieurs siècles ; mais le prodige que Dieu avait fait une fois pour son serviteur Grégoire ne se renouvela pas. Enfin le moment où la foule des fidèles va participer au divin banquet est arrivé. L’antique Église des Gaules faisait retentir alors un appel sublime, qu’elle adressait à toute cette multitude désireuse du pain de vie. Cette Antienne lyrique se conserva dans nos cathédrales, après même l’introduction de la Liturgie romaine par Pépin et Charlemagne ; et elle n’a succombé totalement que par suite des innovations du siècle dernier. Le chant qui l’accompagnait respire la majesté des mystères : nous plaçons ici les paroles, comme pouvant aider les fidèles à s’approcher avec plus de respect de cette table sacrée où le divin Agneau pascal est au moment de se donner à eux.

APPEL DU PEUPLE A LA COMMUNION.
Venite, populi, ad sacrum et immortale mysterium, et libamen agendum.Peuples, venez ; approchez-vous de l’immortel mystère : venez goûter la libation sacrée.
Cum timore et fide accedamus manibus mundis, pœnitentias munus communicemus, quoniam propter nos Agnus Dei Patris sacrificium propositum est.Avançons avec crainte, avec foi, les mains pures ; venons nous unir à celui qui est le prix de notre pénitence : l’Agneau offert en sacrifice à Dieu son Père.
Ipsum solum adoremus, ipsum glorificemus : cum Angelis clamantes Alleluia.Adorons-le, glorifions-le, et avec les Anges, chantons Alléluia.

Pendant que les ministres du festin pascal distribuent la nourriture sacrée, l’Église célèbre, dans l’Antienne de la communion, le véritable Agneau pascal, dont l’immolation mystique a eu lieu sur l’autel et qui demande à ceux qui se nourrissent de lui la pureté du cœur, figurée sous l’apparence de l’azyme qui le dérobe à nos regards.

La dernière prière de l’Église en faveur de son peuple qui vient de se nourrir de Dieu, implore pour tous les convives du festin sacré l’esprit de charité fraternelle, qui est l’esprit de la Pâque. En prenant notre nature par l’incarnation, le Fils de Dieu nous a rendus ses frères ; en versant son sang pour nous tous sur la croix, il nous a unis tous ensemble par le lien de la Rédemption ; en ressuscitant aujourd’hui, il nous unit encore dans l’immortalité.

Après la bénédiction du Pontife, la foule s’écoule bénissant Dieu, dans l’attente de la solennité des Vêpres qui, par sa pompe inaccoutumée, va mettre le comble à toutes les magnificences de cette solennelle journée.

A Rome, le Pape descend les degrés de son trône ; le front ceint de la triple couronne, il s’assied sur la sedia gestatoria, et, majestueusement porté sur les épaules des serviteurs du palais, il s’avance vers la grande nef. A un endroit marqué, il descend et s’agenouille humblement. Alors, du haut des tribunes de la coupole, des prêtres revêtus de l’étole montrent au Pontife et au peuple le bois sacré de la Croix, et le voile appelé la Véronique, sur lequel sont empreints les traits défigurés du Sauveur marchant au Calvaire. Ce souvenir des douleurs et des humiliations de l’Homme-Dieu, évoque au moment même où son triomphe sur la mort vient d’être proclamé avec tant d’éclat, relève encore la gloire et la puissance du divin ressuscité, et rappelle à tous avec quel amour et quelle fidélité il a daigne remplir la mission qu’il avait acceptée pour notre salut. Ne dit-il pas lui-même, aujourd’hui, aux disciples d’Emmaüs : « Il fallait que le Christ souffrît, et qu’il entrât dans sa gloire par le chemin de la souffrance ? » [15] La Chrétienté, en la personne de son auguste chef, rend hommage en ce moment à ces souffrances et à cette gloire. Après une humble adoration, le Pontife reçoit de nouveau la triple couronne, remonte sur la sedia, et est porté vers la galerie du haut de laquelle il va répandre sur le peuple immense qui couvre la place de Saint-Pierre la bénédiction apostolique, avec le rite imposant que nous avons décrit au Jeudi saint.

Au temps où le Pontife romain avait sa résidence au palais de Latran, et célébrait la fonction pascale à Sainte-Marie-Majeure, il se rendait à la Basilique monté sur une haquenée caparaçonnée de blanc, couvert du pluvial et la tiare en tête. Au retour de la Messe, il se rendait dans la salle des festins, appelée le Triclinium leonianum, vaste pièce construite et décorée par saint Léon III, et dont les mosaïques retraçaient les images du Christ et de saint Pierre, de Constantin et de Charlemagne. Là une table était dressée, à laquelle étaient conviés, pour s’asseoir près du Pontife, cinq Cardinaux, cinq Diacres et le Primicier de la Basilique de Latran. Non loin de la table particulière du Pape, il y avait une douzième escabelle qui devait être occupée par le prieur appelé Basilicaire. Les serviteurs apportaient alors l’Agneau pascal étendu sur un plat somptueux. Le Pape bénissait ce mets, dont la présence annonçait que la loi sévère de l’abstinence avait cessé. C’était le Pontife lui-même qui servait et envoyait à ses convives les portions de l’animal rôti ; mais il en détachait d’abord un morceau qu’il mettait dans la bouche du prieur Basilicaire, dont la place à part n’était pas la plus honorable, en lui disant avec une allusion qui eût semblé dure, si elle n’eût été promptement corrigée : « Ce que vous avez à faire, faites-le vite ; toutefois cette parole qui fut dite pour la condamnation, c’est pour la rémission que je vous l’adresse. » Une gaieté grave et douce présidait à ce repas solennel qui commençait sans lecture ; mais vers le milieu du festin, l’archidiacre avant fait un signe, un diacre s’avançait, et lisait pendant quelque temps. On introduisait ensuite les chantres de la cour, et ils exécutaient, avec toutes les traditions de la musique romaine, quelqu’une des belles Séquences dont on se délectait alors ; le Pape désignait lui-même celle qu’il voulait entendre. Le concert terminé, les musiciens baisaient les pieds du Pontife, qui daignait verser à chacun une rasade du vin de sa table ; et tous recevaient en gratification un besant par les mains du sacellaire.

Telles étaient les mœurs naïves du moyen âge ; mais l’usage de faire bénir et de manger la chair d’un agneau, le jour de Pâques, s’est conservé jusqu’à nos jours dans les contrées où la loi de l’abstinence a survécu au relâchement que nous voyons s’étendre d’année en année d’une manière si déplorable. On aurait mauvaise grâce, en effet, de ramener en triomphe sur nos tables un mets qui en a été banni à peine durant quelques jours. Néanmoins nous donnerons ici, comme complément des rites de la Pâque chrétienne, la prière que l’Église emploie pour la bénédiction de l’Agneau pascal. Le pieux fidèle verra avec plaisir cette formule antique qui nous reporte à d’autres mœurs, et il demandera à Dieu le retour de cette simplicité et de cette foi pratique qui donnaient un sens si profond et une si solide grandeur aux moindres circonstances de la vie de nos aïeux.

BÉNÉDICTION DE L’AGNEAU PASCAL.
Deus, qui per famulum tuum Moysen in liberatione populi tui de Egypto agnum occidi jussisti in similitudinem Domini nostri Jesu Christi, et utrosque postes domorum de sanguine ejusdem agni perungi præcepisti : ita benedicere, et sanctificare digneris hanc creaturam carnis, quam nos famuli tui ad laudem tuam sumere desideramus, per resurrectionem ejusdem Domini nostri Jesu Christi. Qui tecum vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen.O Dieu, qui, au jour de la délivrance de votre peuple du joug de l’Égyptien, avez ordonné par votre serviteur Moïse que l’on immolât un agneau en figure de notre Seigneur Jésus-Christ, et qui avez commandé que l’on marquât du sang de cet agneau les portes des maisons ; daignez bénir et sanctifier cette créature de chair, dont nous, vos serviteurs, désirons faire usage à votre gloire, pour fêter la résurrection du même Jésus-Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

La chair des animaux n’est pas le seul mets qu’interdit aux chrétiens la loi quadragésimale ; cette loi prohibe également les œufs, en leur qualité de nourriture animale. Cette prescription est toujours en vigueur ; et il est nécessaire que, chaque année, une dispense plus ou moins étendue vienne légitimer l’usage d’un aliment qui, de tout temps, a été proscrit pendant la sainte quarantaine. Les Églises de l’Orient ont mieux conservé leur discipline, et ne connaissent pas ces dispenses. Dans leur joie simple de recouvrer un aliment dont la suspension leur avait été pénible, les fidèles ont demandé à l’Église de bénir les premiers œufs qui paraîtront sur la table pascale : et voici la prière que l’Église emploie pour répondre à leur désir :

BÉNÉDICTION DES ŒUFS DE PÂQUES.
Subveniat, quæsumus O Domine, tuæ benedictionis gratia huic ovorum creaturæ : ut cibus salutaris fiat fidelibus tuis in tuarum gratiarum actione sumentibus, ob resurrectionem Domini nostri Jesu Christi. Qui tecum vivit et regnat in sæcula sæculorum. Amen.Daignez, Seigneur, répandre la grâce de votre bénédiction sur ces œufs, qui sont vos créatures ; afin qu’ils soient une nourriture salubre aux fidèles qui vont s’en nourrir en action de grâces de vos bienfaits, en ce jour de la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

Qu’il soit donc joyeux le festin pascal, béni par l’Église notre Mère, et qu’il accroisse, par sa sainte liberté, l’allégresse de ce grand jour ! Les fêles de la religion doivent être des fêtes de famille chez les chrétiens ; mais, dans tout le Cycle, il n’en est aucune qui soit comparable à celle-ci, que nous avons attendue si longtemps, à travers tant de tristesses, et qui nous a apporté dans un même moment les miséricordes du Seigneur qui pardonne et les espérances de l’immortalité.

L’APRÈS-MIDI.

La journée s’avance dans son cours, et Jésus ne s’est pas montré encore à ses disciples. Les saintes femmes sont tout entières à la joie et à la reconnaissance que leur inspire la faveur dont elles ont été l’objet. Elles ont rendu leur témoignage aux Apôtres : ce ns sont plus seulement des Anges qui leur ont apparu ; Jésus lui-même s’est montré ; il a daigné leur parler ; elles ont embrassé ses pieds sacrés ; elles sont fermes dans leurs affirmations, néanmoins elles ne parviennent pas à vaincre le découragement de ces hommes que les scènes de la Passion de leur maître ont profondément abattus. Quelque récit qu’ils entendent, ils sont tristes comme des gens qui ont éprouvé une cruelle déception. Ce sont eux cependant que l’on verra bientôt affronter les supplices et la mort, en témoignage de la résurrection de ce maître dont le souvenir est en ce moment pour eux comme une humiliation.

Nous pouvons nous faire l’idée des impressions auxquelles ils sont en proie, en écoutant la conversation de deux hommes qui ont passé avec eux une partie du jour, et qui eux-mêmes avaient des relations avec Jésus. Ce soir même, sur le chemin d’Emmaüs, ils exprimeront ainsi l’état de leur âme déçue : « Nous avions espéré en lui comme en celui qui devait racheter Israël ; et voilà déjà trois jours que la catastrophe a eu lieu. Il y a bien eu quelques femmes qui sont des nôtres, et qui, étant allées au tombeau avant le jour, nous ont causé par leurs récits une certaine émotion. N’ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues disant avoir vu des Anges qui leur auraient raconte qu’il vit maintenant. Quelques-uns d’entre nous sont allés au tombeau, et ils ont constaté ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas trouvé. »

Chose étonnante ! L’annonce de sa résurrection que, tant de fois, Jésus avait faite devant eux, même en présence des Juifs, ne leur revenait pas en mémoire : tant le spectacle et le souvenir de la mort étouffent, chez les hommes charnels, le sentiment de cette nouvelle naissance que notre corps doit puiser au sein du tombeau !

Il faut cependant que Jésus ressuscité se manifeste à ceux qui doivent porter jusqu’aux extrémités du monde le témoignage de sa divinité. Jusqu’à cette heure, il n’a apparu encore que pour satisfaire sa tendresse filiale pour sa mère, et son infinie bonté envers les âmes qui avaient répondu, selon leur pouvoir, à ses bienfaits. Le moment semble venu pour lui de songer à sa gloire ; du moins serions-nous portés à le penser. Attendons encore cependant. Jésus a voulu d’abord récompenser l’amour ; niais, avant de proclamer son triomphe, il éprouve le besoin de signaler sa générosité. Le collège apostolique, dont tous les membres ont fui au moment du péril, a vu son chef s’oublier jusqu’à renier, à la parole d’une servante, le maître qui l’avait comblé d’honneurs ; mais depuis le regard de reproche et de pardon que lui a lancé Jésus chez le Grand-Prêtre. Pierre n’a cessé de déplorer sa lâcheté avec les larmes les plus amères. Jésus veut, avant tout, consoler l’humble pénitent, l’assurer de vive voix qu’il lui pardonne, et confirmer de nouveau, par cette marque de prédilection divine, les sublimes prérogatives qu’il lui a conférées naguère devant tous les autres. Pierre doute encore de la résurrection ; il ne s’est pas rendu au témoignage de Madeleine ; mais il ne tardera pas à reconnaître le divin ressuscité dans la personne de ce maître offensé, qui s’apprête à se montrer à lui sous les traits d’un ami qui pardonne.

Déjà, dès ce matin, par le commandement d’un maître si généreux, l’Ange a dit aux femmes : « Allez, et dites à ses disciples et à Pierre qu’il vous précédera en Galilée. » Pourquoi Pierre est-il nommé ici par son nom, si ce n’est afin qu’il sache que, s’il a eu le malheur de renier Jésus, Jésus ne l’a pas renié ? Pourquoi n’est il pas nommé, cette fois, à la tête des autres, si ce n’est afin de lui épargner l’humiliation qu’offrirait le contraste de sa haute dignité avec la faiblesse indigne qu’il a commise ? Mais cette mention spéciale indique aussi qu’il n’a cesse d’être présent au cœur de son maître, et que bientôt il sera à portée d’expier par ses regrets, par son amende honorable aux pieds de ce maître si glorieux et si rempli de bonté, le malheur qu’il a eu de lui être infidèle. Pierre est lent à croire ; mais son repentir est sincère et mérite récompense.

Tour à coup, à l’une des heures de cette après-midi, l’Apôtre voit paraître devant lui ce même Jésus qu’il vit, il y a trois jours, garrotté et traîné par les valets de Caïphe, et dont il craignit d’avoir à partager le sort. Mais ce Jésus, alors si humilié, brille maintenant de toutes les splendeurs de sa résurrection : c’est un vainqueur, un Messie glorieux ; mais ce qui rayonne le plus vivement aux yeux de l’Apôtre, c’est l’ineffable bonté de ce divin Roi, qui rassure le pécheur plus encore que son éclat ne l’éblouit. Qui oserait essayer de rendre ce colloque entre le coupable et le divin offensé : les regrets de l’Apôtre, qu’une telle générosité couvre de la plus profonde confusion ; l’assurance du pardon descendant de cette bouche sacrée et remplissant de la joie pascale ce cœur si abattu ? Soyez béni, ô Jésus, qui avez relevé de son abaissement celui que vous nous laisserez pour Chef et pour Père, lorsque vous remonterez au ciel pour n’en plus redescendre qu’à la fin des temps.

Après avoir rendu hommage à cette infinie miséricorde qui réside dans le Cœur de notre Sauveur ressuscité, avec non moins de puissance et d’expansion qu’il la daigna manifester dans les jours de sa vie mortelle, admirons la sublime sagesse avec laquelle il continue d’accomplir en saint Pierre le mystère de l’unité de l’Église, mystère qui doit résider en cet Apôtre et dans ses successeurs. Jésus lui a dit en présence des autres, à la dernière Cène : « J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas : lorsque tu seras converti, tu confirmeras tes frères. » Le moment est venu d’établir en Pierre cette foi qui ne doit jamais manquer : Jésus la lui donne à l’heure même. C’est lui qu’il instruit d’abord par lui-même, afin de poser le fondement. Bientôt il va se montrer aux autres Apôtres ; mais Pierre y sera présent avec ses frères ; en sorte que si cet Apôtre obtient des faveurs auxquelles les autres ne participent pas, ceux-ci n’en reçoivent jamais qu’il n’y ait sa part. C’est à eux de croire sur la parole de Pierre, comme ils le firent ; par le témoignage de Pierre, ils reçoivent la foi de la résurrection et ils la proclament, ainsi que nous le verrons bientôt. Jésus ensuite leur apparaîtra à eux-mêmes ; car il les aime, il les appelle ses frères, il les destine à prêcher sa gloire par toute la terre ; mais il trouvera déjà établie en eux la foi de sa résurrection, parce qu’ils ont cru au témoignage de Pierre ; et le témoignage de Pierre a opéré en eux le mystère de l’unité, qu’il opérera dans l’Église jusqu’au dernier jour du monde.

L’apparition de Jésus au Prince des Apôtres est appuyée sur l’Évangile de saint Luc et sur la première Épître de saint Paul aux Corinthiens, et elle est la quatrième de celles qui eurent lieu le jour de la résurrection.

LES VÊPRES PASCALES.

L’Office du soir, qui, pour cette raison, est appelé les Vêpres, a réuni à l’église l’immense concours des fidèles. Nous continuons à exposer les fonctions sacrées de ce grand jour, dans la forme qu’elles avaient autrefois, afin que le lecteur chrétien soit plus à même de saisir l’esprit de la fête. L’administration solennelle du baptême ayant cessé de faire partie essentielle des pompes pascales, les rites antiques qui s’y rapportaient, surtout à l’Office des Vêpres, sont tombés successivement en désuétude presque partout. Nous essaierons d’en donner une idée, en mariant les formes antiques avec celles qui sont en usage aujourd’hui, et qui, dans la plupart des lieux, rendent les Vêpres pascales fort peu différentes de celles des autres solennités de l’année. Il n’en était pas ainsi il y a huit siècles.

L’Évêque, en habits pontificaux, et entouré de tout le clergé, se rendait d’abord en face du Crucifix qui s’élevait sur une poutre richement ornée, au-dessous de l’arc triomphal de la Basilique ; et tout aussitôt les chantres entonnaient le Kyrie eleison, qui se répétait neuf fois. La psalmodie des Vêpres commençait ensuite. Les Antiennes des Psaumes étaient différentes de celles que nous chantons actuellement, et qui sont celles des Laudes ; mais il est juste de nous conformer à l’usage actuel.

Ces trois premiers Psaumes ( Psaume 109 , Psaume 110 , Psaume 111 ) étant achevés, l’Office des Vêpres était suspendu ; et l’assemblée des fidèles tressaillait dans l’attente du sublime spectacle qui allait s’offrir à ses regards. Chacun se rappelait les émotions qu’il avait éprouvées, lorsque, néophyte encore, il avait pris part au triomphe qui se préparait pour les nouveaux chrétiens. En attendant, les chantres exécutaient la mélodie de l’Alléluia, qui avait tant réjoui l’oreille des fidèles, ce matin même, entre l’Épître et l’Évangile.

On chantait ensuite le Cantique Magnificat , qui était suivi de la Collecte solennelle que récitait le Pontife. Immédiatement après, une imposante procession se formait ; elle devait conduire les néophytes au bord de la fontaine sacrée où cette nuit même ils étaient descendus chargés de leurs péchés, et d’où ils étaient remontés, comme le Christ du tombeau, tout éclatants de lumière et d’immortalité. L Église voulait, par cette religieuse visite au théâtre de leur délivrance, imprimer en eux plus profondément encore le sentiment qu’ils devaient conserver toujours, du bienfait qu’ils avaient reçu dans cette eau purifiante, et de la ressemblance qu’ils avaient contractée alors avec le Christ ressuscité qui ne meurt plus.

Le Cierge pascal, descendu de la colonne de l’Ambon, était porté à la tète du cortège sacré. Comme hier, dans la marche nocturne vers le Baptistère, il figurait cette colonne de lumière qui frayait la route aux Israélites à travers les ténèbres de l’Égypte. Près du Cierge mystérieux, un diacre couvert de la dalmatique blanche portait respectueusement l’ampoule d’argent qui contenait le saint Chrême, dans l’onction duquel, cette nuit même, les néophytes avaient reçu l’Esprit divin et ses dons merveilleux. Venait ensuite la croix accompagnée des sept acolytes portant les sept chandeliers d’or que saint Jean a vus dans le ciel. La longue suite des ministres sacrés, et des prêtres se déployait sous le divin étendard, et était terminée par l’Évêque, qui exprimait dans ses traits la joie céleste que lui avaient apportée le triomphe du Christ et la fécondité de la sainte Église. A la suite du Pontife, les néophytes s’avançaient deux à deux, attirant tous les regards par leur modestie et par l’éclatante blancheur de leur vêtement. Le peuple fidèle se pressait respectueusement sur leurs pas ; et la voix des chantres exécutait en chœur cette Antienne :

In die resurrectionis meae dicit Dominus, Alléluia : congregabo gentes, et colligam regna, et effundam super vos aquam mundam. Alléluia, Alléluia.Au jour de ma résurrection, dit le Seigneur, Alléluia : je réunirai les nations et je rassemblerai les royaumes ; et je répandrai sur vous une eau pure. Alléluia, Alléluia.

L’Antienne étant achevée, on entonnait le quatrième Psaume des Vêpres ( Psaume 112 ), qui célèbre avec tant de magnificence la grandeur du Nom du Seigneur, et qui exprime les joies de la mère dont il a daigné remplir les vœux, en lui donnant des fils.

La procession, ayant traversé la grande nef, descendait les marches du portique de la Basilique, et se développant sur la place, se dirigeait vers le Baptistère. Elle pénétrait sous sa vaste coupole, où le Pontife prenait place avec le clergé. Au centre, le bassin qu’environnait une balustrade réfléchissait, dans ses eaux limpides, les derniers rayons du jour qui pénétraient par les nombreuses fenêtres, et à travers les colonnes de l’élégante rotonde.

L’heureux essaim des néophytes formait un large cercle autour de la fontaine ; et leurs yeux attendris se reposaient sur cette eau sainte dans laquelle ils avaient laissé tous leurs péchés. Le Psaume étant achevé, le Pontife descendait de l’estrade où il était assis, et prenant dans ses mains l’encensoir, faisait le tour du bassin, répandant les nuages mystérieux de l’encens sur cette eau qu’il avait sanctifiée la nuit dernière par des rites si augustes, et à laquelle il était redevable d’être devenu père de tant de nouveau-nés à la grâce. Lorsqu’il était remonté à son trône, deux voix faisaient entendre ce Verset :

V/. Apud te, Domine, est fons vitæ, alleluia. V/. En vous, Seigneur, est la fontaine de vie, alléluia.
R/. Et in lumine tuo videbimus lumen. Alleluia.R/. Et dans votre lumière, nous verrons la lumière. Alléluia.
Alors le Pontife :
Oremus Prions
Præsta , quæsumus omnipotens Deus, ut qui resurrectionis Dominicæ solemnia colimus, ereptionis nostrae suscipere lætitiam mereamur. Per eumdem Christum Dominum nostrum. Amen.Daignez, Dieu tout-puissant, nous accorder, à nous qui célébrons la solennité de la résurrection du Seigneur, de mériter la joie de notre délivrance. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen.
Après cette Oraison, on entonnait l’Antienne suivante qui célèbre le salut donné à l’homme par les eaux :
ANT. Vidi aquam egredientem de templo a latere dextro, alleluia : et omnes, ad quos pervenit aqua ista, salvi facti sunt et dicent : Alleluia, alleluia.ANT. J’ai vu une eau qui sortait du temple au côté droit, alléluia ; et tous ceux que cette eau a touchés ont été sauvés, et ils diront : Alléluia, alléluia.
L’Antienne était suivie du cinquième Psaume des Vêpres du dimanche ( Psaume 113 ), qui célèbre Israël sortant de l’Égypte à travers les flots suspendus de la mer Rouge, et se dirigeant vers la Terre promise. La procession repartait alors pour rentrer dans la Basilique.

En répétant les strophes de ce Psaume qui présente tant d’allusions, aux faveurs divines dont les néophytes avaient été l’objet, la procession était arrivée au portique du temple ; elle en franchissait le seuil et s’avançait par la grande nef vers la croix qui s’élevait sur l’arc triomphal. Là, les néophytes se tenaient en station, rendant hommage au divin libérateur qui les avait sauvés par sa croix et par son sépulcre, et deux chantres faisaient entendre ce Verset :

V/. Dicite in nationibus, alleluia. V/. Allez dire parmi les nations, alléluia.
R/. Quia Dominus regnavit a ligno. Alleluia.R/. Que le Seigneur est roi par le bois. Alléluia.
Alors le Pontife adressait à Dieu cette oraison :
Oremus Prions
Præsta , quæsumus omnipotens Deus, ut qui gratiam Dominicæ resurrectionis agnovimus, ipsi per amorem Sancti Spiritus a morte animæ resurgamus. Per eumdem Christum Dominum nostrum. Amen.Faites, s’il vous plaît, Dieu tout-puissant, que nous qui avons reconnu la grâce de la résurrection du Seigneur, nous soyons ressuscités de la mort de l’âme par l’amour dont le Saint-Esprit est la source. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Amen
Ainsi se terminait, durant les huit premiers siècles du christianisme, la fonction des Vêpres pascales. Il y avait quelques variétés, selon les lieux.

Dans certaines Églises, on chantait deux fois le Magnificat ; en d’autres, trois fois, et même jusqu’à quatre. Le rite essentiel de ces Vêpres était la procession au Baptistère, accompagnée des Antiennes que nous avons reproduites et du chant du Laudate, pueri, et de l’in exitu. Dans la plupart des diocèses de France, cette procession aux Fonts s’est conservée jusqu’à nos jours ; mais il est à regretter que les anciennes formules aient été remplacées, depuis environ deux siècles, par d’autres qui varient selon les diocèses, et qui n’ont plus le même parfum d’antiquité. Nous allons maintenant reprendre l’Office des Vêpres à l’endroit où nous l’avons laissé.

Les cinq Psaumes ordinaires étant achevés, on commence la solennelle Antienne que l’Église emploie à chaque Heure de l’Office dans tout le cours de cette Octave. « C’est le jour que le Seigneur a fait : passons-le dans les transports de l’allégresse. » Vient ensuite le Cantique de Marie, qui fait partie essentielle de l’Office du soir, et pendant le chant duquel le célébrant encense l’autel avec pompe.

LE SOIR.

Le jour marqué par le plus grand des prodiges s’avance rapidement vers son terme ; et bientôt la nuit va descendre avec ses ombres. Quatre fois, dans le cours de cette journée, la plus solennelle qui se soit levée sur le monde depuis la création de la lumière, Jésus a daigné manifester sa résurrection. Il lui reste maintenant à se faire voir aux Apôtres rassemblés, et à les mettre en mesure de joindre leur expérience personnelle au témoignage qu’ils ont accepté de la bouche de Pierre. Mais telle est la condescendance de notre divin ressuscité envers ceux qui s’attachèrent à lui dans les jours de sa vie mortelle, que, laissant pour quelques moments encore ceux qu’il nomme ses frères et qui maintenant ne doutent plus de son triomphe, il songe d’abord à consoler deux cœurs qui sont affligés à son sujet, mais dont l’affliction n’a cependant d’autre cause que leur peu de foi.

Sur la route de Jérusalem à Emmaüs cheminent lentement et tristement deux voyageurs. A leur extérieur abattu, on juge aisément qu’une cruelle déception les a atteints ; qui sait même s’ils ne s’éloignent pas de la ville par un sentiment d’inquiétude ? Ils étaient disciples de Jésus, lorsqu’il vivait ; mais la mort honteuse et violente de ce maître en qui ils avaient cru leur a causé une désolation aussi amère que profonde. Humiliés d’avoir compromis leur honneur en suivant un homme qui n’était pas ce qu’ils avaient pensé, ils s’étaient tenus cachés durant les premières heures qui suivirent son supplice ; mais tout à coup on a parlé de sépulcre ouvert et forcé, de la disparition d’un corps enseveli. Les ennemis de Jésus sont puissants, et sans doute en ce moment ils informent contre les violateurs d’un tombeau dont la pierre était scellée du sceau de l’autorité publique. Il est à croire que l’enquête amènera devant leur tribunal ceux qui s’étaient attachés à la suite d’un Messie que la Synagogue a crucifié entre deux voleurs. Tel était sans doute le sujet du dialogue de nos deux voyageurs.

Mais voici qu’ils sont joints par un troisième, et ce troisième voyageur est Jésus lui-même. La concentration de leurs pensées sur l’objet lugubre qui les occupe leur a enlevé la liberté de reconnaître ses traits ; ainsi, lorsque nous nous laissons aller à une douleur trop humaine, nous arrive-t-il de perdre de vue le divin compagnon qui vient se placer près de nous, pour cheminer avec nous et raffermir nos espérances. Jésus interroge ces deux hommes sur le sujet de leur tristesse ; ils le lui avouent avec simplicité ; et ce Roi de gloire, ce vainqueur de la mort en ce jour même, daigne balbutier avec eux, et leur expliquer, chemin faisant, toute la série des divins oracles qui annonçaient les humiliations, la mort et le triomphe final du Rédempteur d’Israël. Les deux voyageurs sont émus ; ils sentent, comme ils l’avouèrent plus tard, leur cœur brûler d’un feu inconnu, à mesure que cette voix, qu’ils ne savent pas reconnaître encore, fait retentir à leurs oreilles ces touchantes vérités qu’ils avaient jusqu’alors méconnues. Jésus feint de vouloir les quitter ; ils le retiennent. « Oh ! restez avec nous, lui disent-ils ; le jour baisse, et vous accepterez notre hospitalité. » Ils introduisent leur maître inconnu dans la maison d’Emmaüs ; ils le font asseoir à table avec eux ; et, chose merveilleuse ! ils n’ont pas deviné encore quel est ce céleste docteur qui vient de résoudre leurs doutes avec tant de sagesse et d’éloquence. Tels sommes-nous nous-mêmes, lorsque nous laissons les pensées humaines dominer en nous ; Jésus est près de nous, il nous parle, il nous instruit, il nous console ; et il nous faut souvent beaucoup de temps pour reconnaître que c’est Jésus.

Enfin le moment est venu où le maître de la lumière va se révéler à ces deux disciples si lents à croire. Ils l’ont invité à présider à leur table ; c’est à lui de rompre le pain. Il le prend entre ses mains sacrées, comme il fit à la Cène ; et à l’instant où il en opère la fraction pour le leur partager, soudain leurs yeux s’ouvrent, et ils ont reconnu Jésus lui-même, Jésus ressuscité. Ils vont tomber à ses pieds ; mais à peine s’est-il dévoilé à leurs regards qu’il disparaît, les laissant en proie à la stupeur, mais en même temps inondés d’une joie qui dépasse tout ce qu’ils ont jamais goûté de bonheur dans toute leur vie. C’est ici la cinquième apparition du Sauveur dans la journée de Pâques. Saint Luc nous en donne le récit ; et elle sera le sujet de la lecture du saint Évangile à la messe de demain.

Les deux disciples ne peuvent plus demeurer davantage à Emmaüs ; malgré l’heure avancée, ils ne songent désormais qu’à rentrer au plus tôt dans Jérusalem. Il leur tarde d’annoncer aux Apôtres, dont ils ont partagé ce matin l’abattement, que leur maître est vivant, qu’ils lui ont parlé, qu’ils l’ont vu. Ils franchissent rapidement l’espace qui sépare le village où ils comptaient passer la nuit, de la grande cité dont, il y a peu d’instants, ils fuyaient les périls. Bientôt ils sont au milieu des Apôtres, auxquels ils s’apprêtent à raconter leur bonheur ; mais ils ont été prévenus ; la foi de la Résurrection est vivante dans le collège apostolique. Avant qu’ils aient ouvert la bouche, on leur dit tout d’une voix : « Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il a apparu à Pierre. » Les deux disciples racontent alors aux Apôtres qu’eux aussi ont été favorisés de l’entretien et de la vue de leur maître commun.

La conversation continuait entre ces hommes simples et droits, ces hommes si obscurs alors, et dont le monde entier devait plus tard connaître les noms immortels. Les portes de la maison étaient fermées cependant ; car la petite troupe craignait une surprise. Les gardes du tombeau avaient fait leur rapport aux princes des prêtres dans la matinée ; ceux-ci avaient cherché à les suborner, et leur avaient même donné de l’argent pour les engager à dire que, pendant leur sommeil, les disciples de Jésus étaient venus dérober te corps. Ce système déloyal des autorités juives pouvait amener quelque réaction populaire contre les Apôtres, et ceux-ci avaient jugé devoir prendre des précautions. A ce moment, ils se trouvaient dix rassemblés ; car Thomas, qui avait été présent au moment de l’entrée des disciples d’Emmaüs, était sorti plus tard dans la ville, à la faveur des ténèbres.

Au moment où les Apôtres repassaient entre eux les émotions de cette mémorable journée, voici Jésus qui paraît devant eux, et les portes ne se sont pas ouvertes pour lui donner passage. C’est bien lui, ce sont bien ses traits ; c’est sa voix pleine de bonté. « La paix soit avec vous ! » leur dit-il avec tendresse. Toutefois ils demeurent interdits ; cette entrée mystérieuse et inattendue les a bouleversés. Ils ignorent encore les prérogatives d’un corps glorieux ; et sans douter de la résurrection de leur maître, ils ne savent s’ils ne sont point en présence d’un fantôme. Jésus, qui, dans toute cette journée, semble avoir plus souci de témoigner son amour aux siens que de proclamer sa gloire, daigne leur donner à toucher ses membres divins ; il fait plus, et pour leur prouver la réalité de son corps, il leur demande à manger et mange devant eux. Qui pourrait dire la joie dont leurs cœurs sont remplis à la vue de cette ineffable familiarité, les larmes d’attendrissement qui coulent de leurs veux ? Avec quelle allégresse naïve ils disent à Thomas, lorsque cet Apôtre est de retour auprès d’eux : « Nous avons vu le Seigneur ! » Ainsi se passa la sixième apparition de Jésus ressuscité, en ce jour de Pâques. Elle nous est rapportée par saint Luc, dont la sainte Église nous donnera à lire le récit à la Messe de l’un des jours de l’Octave.

Soyez donc béni et glorifié, vainqueur de la mort, qui en ce seul jour avez daigné vous montrer aux hommes jusqu’à six fois, pour satisfaire votre amour et pour appuyer notre foi en votre divine Résurrection. Soyez béni et glorifié d’avoir consolé, par votre chère présence et vos douces caresses, le cœur si oppressé de votre Mère et la nôtre. Soyez béni et glorifié d’avoir calmé la désolation de la pauvre Madeleine par une seule parole de votre amour. Soyez béni et glorifié d’avoir essuyé en un moment les larmes des saintes femmes par votre vue soudaine, et de leur avoir donné à baiser vos pieds sacrés. Soyez béni et glorifié d’avoir donné à Pierre de votre propre bouche l’assurance de son pardon, et d’avoir confirmé en lui les dons de la Primauté, en lui révélant, à lui avant tous, le dogme fondamental de notre foi. Soyez béni et glorifié d’avoir rassuré avec tant de douceur le cœur chancelant des deux disciples, sur la route d’Emmaüs, et d’avoir mis le comble à cette faveur, en vous dévoilant à eux. Soyez béni et glorifié de n’avoir pas achevé cette journée sans visiter vos Apôtres, et sans leur avoir donné de si touchantes preuves de votre adorable condescendance à leur faiblesse. Soyez enfin béni et glorifié, ô Jésus, de ce que vous daignez aujourd’hui, par l’organe de votre sainte Église, nous faire entrer en participation, après tant de siècles, des joies si pures et si enivrantes que goûtèrent à pareil jour et Marie, votre mère, et Madeleine avec ses compagnes, et Pierre, et les disciples d’Emmaüs, et les Apôtres rassemblés. Rien ici n’est effacé ; tout est vivant, tout est renouvelé ; vous êtes le même, et notre Pâque aujourd’hui est aussi la même que celle qui vous vit sortir du tombeau. Tous les temps sont à vous ; et le monde des âmes vit par vos mystères, comme le monde matériel se soutient par votre pouvoir, depuis le moment où, à pareil jour, il vous plut de commencer votre œuvre, en créant la lumière visible qui doit éclairer ce monde, jusqu’à ce qu’elle pâlisse et s’efface devant l’éternelle clarté que vous nous avez conquise aujourd’hui.

Célébrons en ce jour le premier des six jours de la création, celui qui vit la lumière sortir des ténèbres à l’appel souverain du Verbe de Dieu. Il est la lumière incréée du Père, et il a débuté dans son œuvre en produisant du néant cette image matérielle de sa propre splendeur ; et il a voulu que les justes fussent appelés enfants de la lumière, et les pécheurs enfants des ténèbres. Lorsqu’il s’est montré aux hommes dans la chair, il leur a dit : « Je suis la Lumière du monde : celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres ; mais il aura la lumière de vie. » [16] Enfin, pour montrer la parfaite harmonie et le lien sacré de l’ordre de nature et de l’ordre de grâce, il s’est élancé des ombres du tombeau le jour même où il fit sortir du chaos la lumière visible qui nous éclaire, et qui est pour nous le premier des biens dans l’ordre matériel.

L’Église Gothique d’Espagne exprimait la reconnaissance de l’humanité régénérée pour le double bienfait qui se rattache à ce grand jour, dans cette belle prière que nous empruntons à son Bréviaire.

CAPITULA.
DEUS, cujus unum hunc ex omnibus diximus diem, in quo creatis rebus omnibus voluisti esse et præsentis lucis indicem, et æterni luminis testem, ut in eo exsurgeret illuminatio temporum, atque resurgeret illuminatio animarum : quique Dominicæ et operationis primus, et resurrectionis idoneus revolutus in circulo, et redactus in calculo, Paschalis solemnitatis inciperet mysterium, et concluderet sacramentum ; respice in hoc tempore acceptabili, et in hac die salutis super servos tuos, Domine, quos redemisti de captivitate nequitiæ spirituali trophæo Dominicæ passionis : quos Agni tui sanguine tinctos, ne vastator læderet, liberasti ; esto nobis prævius in solitudine vitæ hujus, quo et in die calorem tentationis nostræ quasi nubes protegens obumbres, et in nocte a tenebris peccatorum nos quasi columna ignis inlumines : ut, dum ades ad salutem, perducas ad requiem.O Dieu, à qui nous devons ce jour, le premier de tous, dans lequel vous avez voulu manifester à tous les êtres créés la lumière visible et celui qui est la forme de l’invisible lumière, faisant jaillir dans un même jour le flambeau qui éclaire le monde, et la splendeur divine qui illumine les âmes ; vous qui par un calcul céleste avez joint ensemble le dimanche, premier jour de votre labeur, et le moment de la résurrection, afin que le même mystère ouvrit et terminât la solennité pascale ; jetez un regard, dans ce temps favorable et dans ces jours de salut, sur vos serviteurs que vous avez rachètes. Seigneur, de la captivité des esprits de malice par le trophée de la passion de votre Fils ; que vous avez délivrés en les couvrant du sang de votre Agneau, afin qu’ils ne fussent pas atteints du glaive exterminateur. Dans le désert de cette vie, daignez marcher devant nous, comme un nuage qui nous couvre de son ombre durant le jour, et tempère l’ardeur de nos tentations ; comme une colonne de feu qui, durant la nuit, nous préserve par sa lumière dès ténèbres du péché ainsi vous serez notre Sauveur par votre présence, et vous nous conduirez au lieu de notre repos.

Il serait beau d’entendre retentir, à la fin de cette journée, le concert des voix de toutes les Églises dans leurs Liturgies, à la louange du divin Époux ressuscité ; mais déjà nous avons dépassé, dans ce commentaire des saints Offices de Pâques, les limites auxquelles nous avons coutume de nous arrêter dans les autres solennités. Nous réserverons donc pour les jours de l’Octave ces richesses liturgiques ; et nous nous bornerons à insérer ici quelques-unes des strophes que l’Église grecque emploie à célébrer la Résurrection, dans son Office du matin au jour de Pâques.

IN DOMINICA RESURRECTIONIS.

C’est le jour de la Résurrection ! Peuples, rayonnons de joie. C’est la Pâque du Seigneur, le Passage : le Christ-Dieu nous a fait passer de la mort à la vie, de la terre au ciel : chantons un cantique de triomphe.

Purifions nos sens, et nous verrons le Christ tout brillant de l’ineffable lumière de sa résurrection ; nous l’entendrons aussi nous dire : « Je vous salue ! » Chantons un cantique de triomphe.

Cieux, soyez dans la joie ; terre, glorifie-toi ; monde visible et invisible, célèbre la fête solennelle ; le Christ est ressuscité, joie éternelle.

Venez boire le breuvage nouveau qui nous fortifie : il n’a point jailli par un prodige de la roche aride du désert : il coule du sépulcre du Christ, comme la fontaine de l’immortalité.

L’univers tout entier est inondé de lumière, le ciel, la terre et le monde inférieur ; que toute créature célèbre avec empressement la résurrection du Christ ; car c’est elle qui donne la consistance à tous les êtres.

Hier, ô Christ, j’étais enseveli avec toi ; aujourd’hui avec toi je ressuscite : hier, j’étais avec toi attaché à la croix ; fais-moi part de ta gloire, ô Sauveur, dans ton royaume.

David, l’ancêtre de Dieu, dansait avec transport devant l’arche figurative ; nous, peuple sanctifié de Dieu, qui voyons l’accomplissement des figures, réjouissons-nous, animés d’un souffle divin ; car le Christ est ressuscité, et il a montré qu’il est le Tout-Puissant.

Allons dès le point du jour ; pour myrrhe offrons une hymne au Seigneur, et nous verrons le Christ, soleil de justice, qui répand à son lever la vie sur tous les êtres.

Ils contemplèrent ton infinie miséricorde, ceux que leurs liens retenaient dans la région des Limbes ; d’un pied joyeux ils s’élancèrent à la lumière ; ils applaudissaient à la Pâque éternelle, ô Christ !

Allons avec nos lampes au-devant du Christ qui sort du tombeau comme un époux ; et que nos groupes joyeux célèbrent la Pâque par laquelle un Dieu nous sauve.

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Station à Sainte-Marie-Majeure.

Durant cette semaine pascale, la liturgie romaine est toute occupée de deux grandes pensées : celle de la résurrection de Jésus, et celle du baptême administré aux néophytes. Ce sont deux mystères qui se complètent et s’éclairent réciproquement ; l’un symbolise l’autre ; l’un est le prototype, l’autre est l’image, et on ne les comprend pas si on les sépare, car la régénération des âmes à la grâce par le baptême, en un sens spirituel mais pourtant plein de réalité, est une nouvelle résurrection du Christ dans ses membres mystiques.

Les fêtes stationnales elles-mêmes de cette semaine ont un caractère quelque peu différent des solennités quadragésimales. On n’y parle plus de jeûnes ni de pénitences corporelles, et l’on visite en revanche les grandes basiliques romaines, y conduisant comme en triomphe la blanche théorie des néophytes.

Après la vigile pascale célébrée au Latran, la première visite est pour la basilique de l’Esquilin dédiée à la Mère de Dieu, parce qu’à celle-ci avant tout autre, doivent être annoncées les joies de la résurrection ; à Marie qui, plus intimement qu’aucune créature ; eut part à la passion de Jésus. En outre, les fatigues de la nuit précédente et le long office vespéral qui devait se célébrer de nouveau près des fonts baptismaux du Latran, auraient difficilement permis au Pape de s’éloigner par trop du patriarchium en se rendant en procession à Saint-Pierre, où aurait dû, régulièrement, être célébrée la messe stationnale en ce jour solennel.

L’introït est tiré du psaume 138 qui célèbre en général la science et la présence de Dieu pénétrant jusqu’au plus intime de notre être. Toutefois l’antienne a été adaptée à la solennité pascale. En effet, Jésus s’est endormi sur la croix, confiant au Père son esprit. Maintenant il se réveille entre les bras aimants de Dieu, lequel a accepté l’innocente Victime qui s’est offerte spontanément à lui. Il l’a serrée sur son cœur et l’a réchauffée de sa propre chaleur. Jésus est ressuscité. « Je me lève et me retrouve toujours avec toi ; Alléluia ; tu tiens sur moi ta main ; Alléluia ; trop élevée est devenue pour moi ta science ; Alléluia, Alléluia. » Ps. « Seigneur, tu me scrutes, tu me connais bien ; tu connais mon repos et mon lever. ».

Suit la splendide collecte. La résurrection du Christ est une anticipation de la résurrection de l’humanité. Voyant en ce jour leur Chef mystique ressuscité des morts, les membres sont confirmés dans l’espérance qu’un jour eux aussi obtiendront le même sort.

La lecture est tirée de la Ire Épître aux Corinthiens (V, 7-8). Il faut rejeter l’aigreur de l’antique ferment, pour célébrer la Pâque avec les azymes de l’innocence et de la sincérité. Le Christ est notre Pâque, parce que, par son immolation, Il a mis fin à l’Ancien Testament et a donné naissance au Nouveau. Nous devons donc, comme Lui-même, marcher devant Dieu dans la candeur et la simplicité des enfants, n’ayant plus rien de commun avec la vieille nature corrompue. Comme le Fils de Dieu reflète purement la beauté du Père, ainsi encore chaque chrétien est appelé à refléter la bonté et la beauté divine. C’est justement ce que disait l’Apôtre en une autre circonstance : Estote imitatores Dei, sicut filii charissimi [17].

Suit le répons-graduel, tiré du psaume pascal 117 : « C’est le jour qu’a fait le Seigneur, en lui exultons et réjouissons-nous. » Si, en effet, nous avons chanté avec tant de joie, le jour de Noël, que Jésus s’était incarné de Spiritu Sancto ex Maria Virgine et était né pour souffrir et pour mourir, combien plus la joie sied-elle à ce jour où, sans aucune coopération humaine, Dieu seul rend la vie à Jésus, et, pour ainsi dire, l’engendre à nouveau à sa propre gloire. Une si grande faveur fait éclater Jésus en vives actions de grâces : « Alléluia, parce qu’il est bon ; éternelle est sa miséricorde. » Il est particulièrement bon avec chacun de nous, à ce point qu’il n’a pas épargné son Fils, pour ne nous réserver, à nous, que les trésors magnifiques de sa bonté. Vis-à-vis de Jésus, il a fait triompher son inexorable justice ; vis-à-vis des hommes, sa miséricorde.

Le verset alléluiatique s’inspire des paroles de l’Apôtre : « Notre Pâque a déjà été immolée : le Christ. » Jésus est dit : Pascha nostrum, parce qu’il s’est donné entièrement à nous. Il ne veut pas célébrer seul la Pâque, mais il veut la faire avec nous, afin que nous aussi nous associions à sa passion, et, par suite, à sa triomphale résurrection. Il ne s’appelle pas simplement Pascha, mais Pascha nostrum, parce que, si sa mort et sa résurrection ne deviennent pas intimement nôtres ; si nous ne revivons pas, si nous ne nous approprions pas ses mystères dans notre vie spirituelle, ses peines et ses gloires ne nous seront pas profitables, tout comme il ne sert de rien au malade d’avoir le remède s’il ne le prend pas.

L’origine de la séquence (acolutia) doit probablement être recherchée à Byzance, d’où, par l’intermédiaire de moines grecs, elle parvint à l’abbaye de Saint-Gall en Suisse. Les très longs neumes orientaux sur l’Alléluia, d’exécution difficile, ennuyaient les chantres latins, aussi le moine Notker pensa-t-il à remplacer toutes ces vocalises à la suite de l’Alléluia par des textes rythmés auxquels s’adapteraient les neumes du iubilus alléluiatique. Telle est l’origine de la séquence.

Celle de Pâques est attribuée à Wipon (+ 1050), chapelain à la cour de Conrad II et de Henri III. Le texte donné par le Missel est mutilé, car on y a supprimé toute la cinquième strophe, laissant ainsi en l’air celle qui lui correspond.

Ve strophe.
Credendum est magis soli
Mariæ veraci
Quam iudeorum
Turbæ fallaci.
Il vaut mieux croire à la seule
Marie sincère,
Qu’à la foule
Menteuse d’Israël.
Les mots : præcedet suos, du texte primitif, furent changés à l’époque de la révision du missel sous saint Pie V, en præcedet vos, probablement par suite d’une erreur de transcription. L’Amen et l’Alléluia sont des additions postérieures.

La séquence, tout comme l’hymnodie de l’office, introduit dans la liturgie un élément poétique extra-scripturaire et d’inspiration privée, raison pour laquelle Rome ne l’admit que tardivement dans ses livres officiels. Dans le cérémonial de la cour papale au XIIe siècle, la place accordée à la séquence était extra-liturgique ; on l’exécutait durant le repas du clergé dans le triclinium léonien.

La séquence pascale, en particulier, introduite au cours de la messe, en guise d’hymne avant l’Évangile, a perdu beaucoup de son ancien caractère dramatique qui, en France, la rendait si chère au peuple, quand, au matin de ce jour, elle était chantée alternativement par le groupe des Apôtres, par Marie de Magdala et enfin par le chœur.

La lecture de l’Évangile, avec le récit du message de l’ange aux saintes Femmes, est prise en saint Marc (XVI, 1-7). La résurrection de Jésus-Christ est un fait dogmatique solidement prouvé. Il s’est produit dans un milieu en grande partie hostile, — les juifs, — en partie se refusant à y croire, et c’était non seulement les hommes, les Apôtres, mais les femmes elles-mêmes. On ne peut donc parler de l’autosuggestion de la première génération chrétienne, qui aurait attribué au Christ historique ce qui aurait été, au contraire, une déception de leurs espérances. Non, la résurrection de Jésus fut crue par eux, malgré eux ; ils n’étaient pas disposés à l’admettre, et ils durent s’incliner devant l’évidence. Ils crurent, mais parce qu’ils virent, parce qu’ils touchèrent sensiblement, parce qu’ils mangèrent et burent avec lui, qui était mort et ressuscita.

Le verset de l’offertoire est tiré du psaume 75. « La terre frémit et fut consternée, quand le Seigneur ressuscita pour venir juger le monde. » Comme la nature a été associée à la malédiction de Dieu contre le péché d’Adam, ainsi, au dire de saint Paul, est-elle en attente impatiente du jour qui verra sa revanche et son affranchissement de l’état de dégradant esclavage où la tient le pécheur. A la première annonce de la parousie du Christ ressuscité, la terre s’agite et frémit parce que le jugement de Dieu sur le monde infidèle commence déjà ; puis lorsque, au dernier jour, Jésus viendra juger définitivement les vivants et les morts, la création tout entière sentira la présence du Créateur, et s’unira à lui pour combattre les impies, comme le dit la Sagesse : et pugnabit cum illo orbis terrarum contra insensatos [18].

La collecte sur les offrandes et celle pour l’action de grâces sont les mêmes que lors de la précédente vigile, sans doute parce que cette seconde messe n’existait pas primitivement, et que le sacrifice pascal mettait fin à la solennité du baptême.

L’initiation au mystère pascal, comme le dit l’oraison sur les oblations, ne doit pas se terminer avec le cycle liturgique de Pâques. La Pâque du Christ est éternelle, parce que, une fois entré dans sa gloire, Il ne peut plus descendre de ce sommet.

Le chrétien est appelé lui aussi à participer à ce caractère de perpétuité de la résurrection, puisqu’il doit exprimer à son tour, dans sa vie spirituelle, une Pâque stable et continuelle.

Dans le prélude à l’anaphore consécratoire, et au commencement des diptyques, on fait mémoire de la résurrection du Seigneur, comme durant la nuit précédente.

L’antienne pour la Communion provient du texte de saint Paul, déjà lu dans l’Épître : le Christ est notre Pâque. Il a été immolé. Faisons donc festin, mais avec les azymes de la vérité et de la sincérité ; nourrissons-nous de Lui. Toute autre nourriture, tout autre assaisonnement profanerait notre Pâque. Le Christ immolé, aliment des fidèles, indique que nous devons imprimer la passion de Jésus dans notre esprit ; le pain azyme non fermenté ni gonflé par le levain signifie l’esprit de mortification qui doit assaisonner la vie chrétienne.

Dans la collecte après la Communion, on rappelle que l’Eucharistie est le gage de la Communion des Saints, qui réunit en un même esprit les cœurs de tous les fidèles. C’est pourquoi dans l’antiquité, les fidèles, recevant de leur évêque la sainte Communion, lui donnaient le baiser de paix, dont le dernier souvenir est conservé dans ce baiser qu’ils impriment maintenant sur son anneau épiscopal. Pour la même raison, les prêtres s’envoyaient réciproquement en cadeau la sainte Eucharistie parce que Jésus dans son Sacrement nous communique son propre Esprit, en sorte que la multitude de ceux qui le reçoivent forme vraiment, grâce à Jésus dont ils vivent, cor unum et anima una.

Non seulement la divine Eucharistie est le mémorial de la mort du Seigneur, mais elle nous le présente également glorieux. Elle dépose donc en nous les germes de mort, pour que nous ayons part à la mort du Christ, et en même temps elle nous met en contact avec la résurrection du Seigneur et nous y fait participer.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

C’est le jour qu’a créé le Seigneur, réjouissons-nous et tressaillons en lui ».

La montagne est gravie, la victoire est remportée. Ce que nous avons attendu avec d’ardents désirs pendant les quarante jours de Carême, ce qui depuis l’Avent nous apparaissait comme notre but, est enfin réalisé : la Lumière a triomphé des ténèbres. Maintenant, le divin soleil brille au-dessus de nous avec toute sa chaleur et tout son éclat. Pendant l’Avent, c’était la nuit et nous soupirions vers la lumière. A Noël, la Lumière est soudain « venue dans ce monde » et a fondé son royaume de lumière. La gloire de la Lumière s’est « levée au-dessus de la ville sainte » (l’Église). Tel était le message du cycle de Noël.

Cependant, à travers les chants qui célébraient joyeusement la Lumière ; se faisait entendre un accent de tristesse : « Et la Lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas reconnue », c’était le thème de la Passion. Cet accent est devenu sans cesse plus fort ; nous l’avons déjà entendu dans la semaine de Noël et, depuis, il n’a pas cessé.

A la Septuagésime, c’est le chant dominant qui surpasse tous les autres ; le premier dimanche du Carême, nous voyons le divin David partir au combat contre le géant Goliath. Tout le temps de Carême pourrait s’intituler un combat : combat de la Lumière contre les ténèbres, combat historique du Christ contre le judaïsme (thème de la Passion), combat du Christ dans l’âme de ceux qui doivent venir à la lumière (thème du baptême et de la Pénitence). Il fallait, sans doute, que la Lumière disparût un moment : le Christ meurt sur la Croix. Mais soudain, comme à Noël, la Lumière brille dans les ténèbres. Après les tristesses de la Semaine Sainte, le soleil de la Résurrection se lève victorieux pour briller éternellement.

C’est Pâques, c’est la fête des fêtes, le point culminant de l’année liturgique. Il n’y a plus qu’une pensée : la joie, l’allégresse. Autrefois, la fête était célébrée par les fidèles pendant trois jours. Les néophytes, revêtus de leurs vêtements blancs, la célébraient pendant toute une semaine (c’est pourquoi il y a chaque jour une messe propre).

LA SEMAINE DE PÂQUES.

Quand on se pénètre avec amour de l’esprit de la liturgie, on se rend mieux compte, chaque année, que les messes de la semaine de Pâques sont parmi les plus belles et les plus dramatiques du missel. Elles sont dominées par deux thèmes : les événements de la Résurrection et l’église de station. Je serais tenté d’appeler ces messes pascales un mystère liturgique pascal, dans lequel nous avons notre rôle à jouer. Plus nous entrerons dans ce drame sacré et mieux nous comprendrons la liturgie. Tantôt l’Église s’en tient à la succession historique des événements, tantôt elle suit sa propre voie, mais, toujours, les images et les scènes sont choisies en vertu d’un motif intérieur.

Le drame commence aux premières heures du jour de Pâques (messe du Samedi Saint). Nous représentons Marie-Madeleine et les saintes femmes et nous nous rendons, au lever du jour (quæ lucescit), au tombeau. Nous entendons le tremblement de terre, nous voyons l’ange rouler la pierre du tombeau, nous voyons les gardes s’enfuir. L’ange nous apporte le message pascal et nous renvoie chez nous annoncer le joyeux message aux disciple du Christ (aux autres fidèles). Le mystère se continue au matin de Pâques, « quand le soleil est déjà levé » (orto jam sole). Nous représentons encore les saintes femmes ; de nouveau, l’ange nous apporte le message pascal et nous donne cette assurance : « Vous le verrez, comme il vous l’a dit ». Nous nous en retournons avec cette promesse.

Nous assistons ensuite à six apparitions du Ressuscité. Le lundi, nous tenons la place des disciples d’Emmaüs qui reconnurent le Seigneur à la fraction du pain ; le mardi, nous sommes les Apôtres et les disciples qui, le soir du premier jour de Pâques, « touchent » le Seigneur et mangent avec lui jusqu’ici les scènes étaient disposées dans l’ordre chronologique). Le mercredi, nous sommes les sept Apôtres auxquels le Seigneur apparut sur les bords du lac de Génésareth et qu’il invita à un repas (poisson et pain). L’Évangile dit expressément : « Pour la troisième fois, Jésus se montra à ses disciples ». Remarquons que ces trois apparitions (lundi, mardi et mercredi) étaient toujours accompagnées d’un repas (symboles eucharistiques). Le jeudi, nous sommes Marie-Madeleine qui, dans l’amour et le désir, cherche le Seigneur et le trouve. Nous aussi, à la messe, nous pouvons dire : « J’ai vu le Seigneur ». Le vendredi, avec les nombreux disciples, nous voyons le Seigneur sur la montagne (c’est-à-dire l’autel). C’est l’apparition d’adieu pour les néophytes vêtus de blanc. La dernière parole de Jésus est une consolation : « Je suis avec vous tous les jours... » Le samedi achève le mystère pascal pour les néophytes ; il n’y a plus d’apparition, c’est le mystère de la robe baptismale. La liturgie nous montre la course des deux Apôtres, Pierre, et Jean, au tombeau. Cet événement appartient sans doute au début de la semaine pascale, mais on le place à la fin à cause du symbole de la robe baptismale (les linges au tombeau) et à cause de l’église de station (Saint-Jean). Le dimanche, nous assistons à une sixième apparition : « Après huit jours, les Apôtres étaient encore dans salle et Thomas était avec eux... » Chacun de nous est, en ce moment, Thomas à qui il est permis de lever la main et de toucher le Seigneur. Ainsi s’achève le mystère de la semaine pascale.

Nous venons de voir le thème des apparitions ; l’église de station a exercé, elle aussi, son influence sur les textes. Nous devons, de quelque façon, nous mettre à la place du titulaire de cette église. Nous vivons, dans les saints, la Résurrection du Seigneur. Dans la nuit de Pâques, nous sommes dans 1’Église du « Très Saint Rédempteur » ; là, « nous ressuscitons avec le Christ », et les catéchumènes ont, dans saint Jean-Baptiste, leur patron. Au matin de Pâques, nous sommes à Sainte-Marie Majeure. Le texte n’a aucune relation avec la Sainte Vierge (tout au plus le fait que l’Évangile parle de son homonyme Marie-Madeleine). Néanmoins, la liturgie veut que nous célébrions Pâques en nous associant aux sentiments et à la joie de Marie. C’est à cette église qu’il faut rattacher l’origine du Regina cæli. (D’après une légende relativement récente, les anges auraient chanté le Regina cæli au moment de la consécration de Sainte-Marie-Majeure). Le lundi, nous célébrons Pâques avec saint Pierre. Le texte parle quelquefois de lui ou fait allusion à lui. Dans la leçon, « Pierre se tient au milieu du peuple » et nous parle ; l’Évangile nous raconte que le Seigneur « est apparu à Simon ». A la Communion, l’Église chante que le Seigneur « est apparu à Pierre » (nous participons à son privilège). Le mardi, nous nous rendons auprès de saint Paul. Quelle impression n’a pas faite sur lui la Résurrection ! Le texte contient quelques allusions à lui. « Paul se leva et parla » (leçon). C’est donc de sa bouche que nous entendons la leçon. L’Évangile ne peut, naturellement, raconter aucune apparition à Paul ; c’est pourquoi on a choisi l’apparition aux Apôtres, dont Paul fera bientôt partie. D’ailleurs, les dernières paroles le concernent plus que personne : « annoncer la rémission des péchés à tous les païens ». Le mercredi, les néophytes se rendent auprès de leur parrain, saint Laurent. Sa fête de Pâques, à lui, fut la mort sur le gril ; d’où l’évangile du poisson rôti sur le feu. Le jeudi, nous allons visiter les douze Apôtres, les pères de notre foi. Le vendredi doit être un tendre souvenir du Vendredi Saint ; c’est pourquoi l’église de station est celle de la Reine des martyrs. Le samedi, nous revenons au lieu de notre baptême pour déposer notre blanche robe baptismale. Les églises de station de la semaine de Pâques sont les sanctuaires les plus vénérés de Rome et de la chrétienté. — Je n’hésite pas à dire que la liturgie des messes pascales est la plus parfaite, la plus suggestive, la plus riche et la plus profonde de toute l’année.

DIMANCHE DE PÂQUES.

STATION A SAINTE-MARIE MAJEURE

L’Agneau et le Lion.

1. Les matines de Pâques. — « Le Seigneur est vraiment ressuscité, Alléluia ». C’est ainsi que l’Invitatoire proclame le joyeux message à toute la chrétienté rachetée. Les matines de Pâques sont courtes, ce sont les plus courtes de l’année. Au reste, la liturgie de Pâques, dans sa beauté classique, est d’une concision presque sévère. Dans les très grandes émotions, l’homme ne trouve pas d’expression, c’est pourquoi la liturgie renonce à tout moyen artistique. Dans la prière des Heures, elle écarte les hymnes et ne choisit pas de psaumes spéciaux. Nous sommes presque déçus de cette simplicité. Les matines n’ont qu’un nocturne, car la plus grande partie de la nuit a été occupée par l’office de la nuit de Pâques. La liturgie nous fait réciter les trois premiers psaumes. On est un peu étonné, car il nous semble qu’il y a des psaumes adaptés à la fête de Pâques. Les raisons de ce choix sont vraisemblablement les suivantes :
- 1. L’Église veut nous dire : A Pâques, nous recommençons au commencement : nous sommes, pour ainsi dire, des hommes nouveaux qui commençons une nouvelle œuvre.
- 2. La seconde raison est celle qui nous fait laisser de côté les hymnes ; en ces jours de la plus grande joie festivale, l’Église renonce à toute expression extérieure de son émotion ; elle prend les trois premiers psaumes à la suite.
- 3. Enfin, les trois premiers psaumes représentent tout le psautier ; l’Église veut nous dire : tous les psaumes louent le Ressuscité.

Saint Grégoire nous fait entendre à matines un sermon qu’il prononça, le dimanche de Pâques, « dans la basilique de la Sainte Vierge Marie » : « Vous avez entendu, très chers frères, que les saintes femmes qui avaient suivi le Seigneur vinrent au tombeau avec des aromates, afin d’entourer de soins pieux, même après sa mort, celui qu’elles avaient aimé pendant sa vie. Cette action nous indique qu’il doit se faire quelque chose dans la sainte Église. Nous devons, en effet, entendre l’histoire sainte en nous demandant ce que nous devons en imiter. Nous aussi qui croyons au Mort, nous pouvons, en vérité, venir à son tombeau avec des aromates, si, remplis du parfum des vertus, nous cherchons le Seigneur avec la foi des bonnes œuvres. Or, les femmes qui vinrent avec des aromates virent des anges. En effet, les cœurs qui, dans le parfum des vertus, se hâtent par de saints désirs vers le Seigneur, arrivent à voir les habitants du ciel. Nous devons maintenant examiner ce que signifie le fait que l’ange est aperçu assis à droite. Que signifie la gauche sinon la vie présente, et que signifie la droite sinon la vie éternelle ? C’est pourquoi il est dit dans le Cantique des cantiques : « Sa gauche soutient ma tête et sa droite m’embrasse » [19]. Or, comme notre Rédempteur avait déjà triomphé de la corruptibilité de la vie présente, il convenait que l’ange qui était venu pour annoncer sa vie éternelle fût assis à droite. Il apparut en vêtement blanc, car il annonçait la joie de notre fête. La blancheur éclatante du vêtement désigne, en effet, l’éclat brillant de notre solennité. Devons-nous dire : la nôtre ou la sienne ? Pour être tout à fait exacts, nous devons dire : la sienne et la nôtre, à la fois. La Résurrection de notre Rédempteur est notre fête, parce qu’il nous a rappelés à l’immortalité ; mais c’est aussi la fête des anges parce que, par le rappel des hommes au ciel, le nombre des anges a été complété. Ainsi donc l’ange est paru en vêtement blanc au jour de sa fête et de notre fête parce que, par la Résurrection de Notre Seigneur, nous avons été rappelés au ciel et parce que, par cette Résurrection, les pertes de la patrie céleste ont été réparées ».

2. Les Laudes de Pâques. — L’Église a, dans son livre de prières : le bréviaire, deux prières du matin, chaque jour : les laudes et prime. Les laudes sont la joyeuse prière du matin de la Création ; à prime, l’homme pécheur se prépare sérieusement au jour qui commence.

Les laudes sont, à proprement parler le cantique de l’Église en l’honneur de la Résurrection ; dans cette prière, l’Église célèbre chaque jour Pâques et la Résurrection. C’est peut-être la plus belle Heure de toute la journée ; son symbolisme est saisissant. Le jour commence à poindre, l’aurore rougit l’horizon, la nuit est vaincue. C’est l’heure où la nature célèbre sa résurrection, les fleurs s’ouvrent, les oiseaux font entendre leur chant matinal ; c’est l’heure aussi où le Seigneur triompha de la mort et ressuscita. L’homme se lève de sa couche ; le Seigneur ressuscité et la nature qui se réveille lui prêchent la résurrection spirituelle. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut ». Tel est donc le symbolisme des laudes : résurrection du Christ, réveil de la nature, résurrection spirituelle de l’homme. Nous comprendrons mieux désormais les laudes ; nous comprendrons pourquoi on y trouve tant de textes qui chantent la nature et pourquoi, à laudes, on chante si volontiers l’Alléluia. C’est la fête quotidienne de la Résurrection. Chaque dimanche étant un écho de la fête de Pâques, la pensée de la Résurrection est encore plus accusée aux laudes du dimanche ; de là, les nombreux Alléluia.

Que dirons-nous, alors, des laudes de Pâques ? La pensée de la Résurrection est à son plus haut degré. Aux matines des grandes fêtes, les psaumes sont spécialement choisis. Par contre, les psaumes de laudes sont les mêmes pour toutes les fêtes et tous les dimanches. C’est que si les matines sont la méditation, le drame de prière de la fête, les laudes sont la prière du matin. Les psaumes sont des cantiques de louange qui n’ont aucun rapport particulier avec la fête ; ils ne servent qu’à la pensée de l’heure. Le rôle des antiennes est de rappeler sans cesse, à celui qui prie, les pensées de la fête. Au reste, aux laudes, les antiennes ont une tout autre importance qu’aux matines. Aux matines, elles sont la clef du psaume ; ce que le psaume doit signifier pour nous dans cette fête nous est indiqué par l’antienne. Aux laudes, par contre, les antiennes, en règle générale, n’ont aucun rapport avec le psaume qu’elles encadrent. Aux matines, les antiennes sont des bouquets de fleurs qui couronnent les psaumes ; aux laudes, elles ont pour tâche d’unir la pensée de la fête à la pensée de l’heure. Il en résulte une merveilleuse mosaïque ; nous célébrons joyeusement notre résurrection spirituelle ; la nature célèbre avec nous sa résurrection. A cette joie de la résurrection, nous joignons, après chaque psaume, la joie de la fête du jour. Aux laudes de Pâques, cette union des pensées de la fête et des pensées de l’heure sera d’autant plus facile que c’est toujours la même pensée de résurrection.

Les antiennes de laudes sont, aujourd’hui, le récit dramatique des premiers événements de la Résurrection, qui eurent lieu à l’heure des laudes. Elles constituent donc l’action. Les psaumes sont comme le chœur de l’Église et de la Création qui chantent leurs impressions. C’est un peu comme les répons entre les leçons. Les laudes de Pâques sont donc le chant de louange de toute la Création en l’honneur de la Résurrection et, en même temps, sa prière du matin.

3. La messe de Pâques (Resurrexi). — La grand-messe de Pâques est le point culminant de l’allégresse pascale. Tous les événements que nous avons vus se dérouler, toutes les paroles que nous avons entendues pendant le saint triduum doivent être maintenant une réalité mystérieuse et présente : Le Christ, notre Agneau pascal, est immolé. La messe présente une grande unité de pensées et le même thème revient sans cesse. Le leitmotiv est cette parole de saint Paul que nous venons de citer : Le Christ, notre Agneau pascal, est immolé (Ép., Grad., Seq., Comm.).

L’église de station est Sainte-Marie Majeure. Dans notre joie pascale, nous nous rendons, tout d’abord, auprès de la Mère de Dieu.

A l’Introït, le Ressuscité se tient déjà devant nous et nous adresse lui-même la parole : « Resurrexi — je suis ressuscité ». C’est le chant du Christ à son entrée dans le monde, sa prière du matin au jour de la Résurrection. Quelles sont ses premières pensées ? L’abandon complet à son Père, l’union la plus étroite avec lui. Mais, aujourd’hui, il n’est plus seul ; en tant que chef de l’humanité rachetée, il offre à son Père tous les membres de son corps mystique.

Le Gloria est aujourd’hui le cantique pascal au sens propre. Nous célébrons l’ « Agneau qui enlève les péchés du monde ».

L’oraison exprime les pensées de la fête en deux images opposées : le vainqueur du Golgotha a triomphé de la mort et a ouvert les portes du paradis ; c’est pourquoi nous demandons la victoire sur le péché et la mort en nous, et l’accès au paradis (grâce et gloire).

Dans l’Épître, saint Paul nous présente la fête de la Pâque de l’Ancien Testament comme la figure de notre fête pascale. Le Christ, notre Agneau pascal, est immolé et prêt à être mangé. C’est pourquoi les chrétiens doivent rejeter pour toujours le levain du péché. Au Graduel, nous chantons : « C’est le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse en lui ». Ce chant est répété à toutes les Heures, pendant la semaine de Pâques. Ce chant veut dire : le langage humain est trop pauvre pour célébrer la grande fête de Pâques ; c’est pourquoi nous nous contentons de dire, en ces quelques mots, notre gratitude et nos louanges.

L’Alléluia est très impressionnant. On y entend le leitmotiv de la messe qui est développé par la séquence qui suit. La séquence n’a été introduite dans la messe que depuis le Moyen Age. Elle est ce qu’elle doit être, une paraphrase du verset de l’Alléluia. C’est un dialogue entre l’Église et Madeleine. Elle a donné naissance aux « mystères » de Pâques, si aimés jadis.

A l’Évangile, le disciple de Pierre a l’honneur de nous annoncer le message pascal. Dans le drame sacré, nous tenons la place des saintes femmes qui viennent au tombeau « quand le soleil est déjà levé », nous entendons de la bouche de l’ange (représenté par le diacre) la joyeuse nouvelle, et dans le sacrifice eucharistique, que nous célébrons en union avec la Mère de Dieu, nous verrons le Ressuscité lui-même.

A l’Offrande, nous nous rendons avec les saintes femmes, des aromates dans les mains, au tombeau du Christ ; le tremblement de terre (Off.) nous annonce la Résurrection. La liturgie nous peint ce tremblement de terre d’une manière concise et énergique : « Terra tremuit. — La terre trembla et se tut ». Dans le saint sacrifice, l’Agneau est immolé et prêt à être mangé (Comm.).

4. L’Évangile de Pâques. — Cette semaine, l’Église ne nous offre pas de lecture d’Écriture proprement dite [20]. L’ami de la liturgie s’efforcera, pendant cette semaine, d’approfondir l’« Évangile des 40 jours », c’est-à-dire les événements qui concernent la Résurrection du Seigneur. Il n est pas facile de ramener les récits des quatre évangélistes, surtout ceux qui ont trait aux apparitions, à une concordance chronologique parfaite. Nous allons, dans l’exposé chronologique suivant, nous en tenir à l’opinion de la majorité des commentateurs.

La Résurrection elle-même n’eut aucun témoin mortel. Elle eut, sans doute, lieu de très bonne heure. Pour attester extérieurement le fait de la Résurrection, un ange roula la pierre qui fermait le tombeau ; les gardes s’enfuirent. — Puis, les saintes femmes, avec Madeleine, viennent au tombeau et le trouvent vide. Madeleine, la plus décidée de toutes, retourne en hâte avertir Pierre et Jean. Pendant ce temps, les autres saintes femmes voient l’ange qui les envoie vers les disciples ; mais elles se cachent. Puis, Jean, Pierre et Madeleine viennent au tombeau en courant (Jean, XX, 1 sq.). Ils trouvent le tombeau vide, mais découvrent des signes de la Résurrection (les linges pliés). Les disciples s’en vont, mais Madeleine demeure et est favorisée de la première apparition du Ressuscité. Pendant que les autres saintes femmes s’en retournent, Jésus se montre à elles (Math., XXIII, 8 ; seconde apparition) ; dans le cours de la journée, Jésus apparaît à Pierre qui, plus que les autres, avait besoin de consolation (troisième apparition). Dans l’après-midi, a lieu l’apparition aux disciples d’Emmaüs qui est racontée tout au long (quatrième apparition ; Luc., XXIV. 13 sq.). Ce récit est un des plus touchants de l’Écriture. Le soir, le Ressuscité apparaît à dix Apôtres et à beaucoup d’autres disciples dans la salle du Cénacle (Luc, XXIV, 36 sq ; Jean, XXI, 19 ; cinquième apparition). Huit jours après, a lieu une nouvelle apparition aux disciples, en présence de Thomas (sixième apparition). Les disciples s’en vont alors en Galilée où le Seigneur apparaît à sept d’entre eux, sur les bords du lac de Génésareth, pendant une pêche ; Pierre est institué pasteur suprême (Jean, XXI, 1 sq. ; septième apparition). Enfin, le Seigneur donne rendez-vous à tous ses disciples (saint Paul parle de 500) sur une montagne en Galilée ; il leur apparaît et leur donne l’ordre de mission (huitième apparition). La dernière apparition eut lieu au moment de l’Ascension. Nous ne savons pas si le Seigneur apparut d’autres fois à tous ses disciples ou à quelques-uns d’entre eux. Saint Paul signale encore une apparition à Jacques le Mineur. La plupart des commentateurs admettent que le Seigneur apparut tout d’abord à sa sainte Mère. L’Écriture n’en dit rien, mais le sentiment naturel semble l’exiger.

[1] Osée. XIII, 14.

[2] Matth. XII, 39.

[3] Johan. X, 18.

[4] Apoc. I, 5.

[5] I Cor. XV, 26.

[6] Ibid. 55.

[7] De divinis Officiis, lib. VII, cap. XXV.

[8] Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, dans les Additions.

[9] Isaie, LV, 8.

[10] I Cor. 1, 24.

[11] Exode, XV, 11.

[12] Conciles d’Agde, d’Orléans I et IV, d’Epaone, etc.

[13] Isai. XLII, 3.

[14] Ps. XXIX, 6.

[15] Luc. XXIV, 46.

[16] Johan. VIII, 12.)

[17] Eph., V, 1 : « Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés », épître du 3ème dimanche de Carême.

[18] Sap., V, 21 : « tout l’univers combattra avec Lui contre les insensés ».

[19] Cant., II, 6.

[20] Aux Matines, on ne lit pas d’Écriture occurrente, mais chaque jour un commentaire patristique de l’Évangile.