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Commentaires liturgiques de la Fête du Sacré-Cœur

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Sommaire

  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

On trouvera les textes liturgiques de la Messe et de l’Office ici.

Deux formulaires liturgiques se sont succédé pour la fête du Sacré Cœur.

Le premier date de Pie IX (1856), qui prit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur dans le cycle du Sanctoral et en ordonnait la célébration dans l’Église universelle sous le grade de double de IIère classe, élevé par la suite au rang de double de Ière classe secondaire par Léon XIII (1889).

Le second fut publié sous Pie XI en 1929 : le Pape ayant donné à la Fête une Octave [1] et équiparé la fête aux plus grandes fêtes du cycle du Temporal (elle quitte le cycle du Sanctoral) créa une commission de théologiens dont il assura la présidence afin de recomposer presque totalement la Messe et l’Office.

Avant 1929, l’Office hésitait à mi-chemin entre un Office de continuation de la Fête-Dieu (des éléments comme les répons de Matines en sont issus) et un Office de la Passion. Dom Guéranger [2], témoigne des raisons de cette composition hésitante : « Il est peu fait mention du Cœur de chair du Sauveur dans les formules liturgiques de ce jour. Lorsqu’au dernier siècle (XVIIIe) il fut question d’approuver une Messe et un Office en l’honneur du Sacré-Cœur, les Jansénistes, qui avaient jusque dans Rome leurs dévoués partisans, suscitèrent de telles oppositions, que le Siège apostolique ne crut pas le moment venu encore de se prononcer ouvertement sur les points débattus. Dans la Messe et l’Office qui de Rome devaient plus tard (1856) s’étendre au monde entier, il s’en tint par prudence à la glorification de l’amour du Sauveur, dont on ne pouvait nier raisonnablement que son Cœur de chair ne fût au moins le vrai et direct symbole » [3]. Le 3ème nocturne des Matines, avec ses trois homélies patristiques, était d’ailleurs plutôt bizarre.

Pie XI voulut un office organique, qui ne soit ni une répétition de la Fête-Dieu, ni un doublon des Offices de la Passion. Comme le dit le Bhx Schuster, il s’agit maintenant d’une fête de réparation envers l’Amour qui n’est pas aimé ; réparation qui fait d’ailleurs amende honorable en glorifiant les pacifiques triomphes de cet Éternel Amour [4]

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Église, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l’Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d’abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénètre par la foi dans le sanctuaire de l’essence infinie. Puis, d’un seul bond, l’Esprit impétueux de la Pentecôte [5], entraînant nos âmes à d’autres aspects de la vérité qu’il a pour mission de rappeler au monde [6], les a laissées un long temps prosternées au pied de l’Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur [7]. Aujourd’hui c’est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu’il propose à nos adorations.

Partie noble entre toutes du corps de l’Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l’hommage réclamé par l’union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Église, il convient ici que nous la demandions de préférence à l’histoire de ce culte lui-même et à la place qu’occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.

Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l’Esprit n’est pas autre, en chacune d’elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste par la seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d’une fête à l’autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s’est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l’a portée l’inépuisable activité d’un amour sans bornes ? Le Cœur de l’Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l’explication du plan divin tout entier.

Nous savions que cette félicité souveraine du premier Être, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l’Esprit dans la lumière et l’amour, les trois divines personnes avaient résolu d’en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l’homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l’âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l’homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l’Esprit sanctificateur, s’unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; « bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l’Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu’il se montrera, nous lui serons semblables » [8], étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles [9].

Mais l’amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n’a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l’intermédiaire obligé d’un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d’une âme humaine, manifesté dans les battements d’un cœur de chair pareil au nôtre. L’Ange du grand conseil, chargé d’annoncer au monde les desseins miséricordieux de l’Ancien des jours, a revêtu, dans l’accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu’à nous [10]. Docile instrument de l’amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s’unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l’abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l’influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l’âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu’aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde [11], et pénétrant par la claire vision dans l’essence divine, saisit d’un seul regard la beauté absolue du premier Être, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l’être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s’émut pour l’homme et pour Dieu d’un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l’Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.

A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l’organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu’à ce que les émotions, s’éveillant avec l’intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l’Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l’origine à la loi d’un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu’il l’est maintenant dans les cieux. Car l’amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l’exquise sensibilité de son divin Cœur.

Quand il parut ici-bas, l’homme avait désappris l’amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n’était plus qu’un chemin par où l’âme s’enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors [12]. A ce monde matériel que l’âme de l’homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l’Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l’ineffable expression d’un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l’Esprit d’amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l’unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C’est l’unique organum, ainsi l’appelait Gertrude la Grande [13] ; c’est l’instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l’humble hommage de l’inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l’homme à Dieu, l’échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.

L’Esprit divin, dont il est le chef-d’œuvre, en a fait sa vivante image. L’Esprit-Saint, en effet, bien qu’il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l’amour, en est le terme ou l’expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c’est par lui que s’épanche à flots sur les créatures avec l’être et la vie cet amour éternel. Ainsi l’amour de l’Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible ; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l’eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.

« Un des soldats, dit l’Évangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l’eau » [14]. Arrêtons-nous sur ce fait de l’histoire évangélique qui donne à la fête d’aujourd’hui sa vraie base ; et comprenons l’importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l’insistance du disciple de l’amour non moins qu’il la solennité des expressions qu’il emploie. « Celui qui l’a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu’il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l’Écriture fût accomplie » [15]. L’Évangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l’effusion de l’Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem [16]. Et ils verront dans celui qu’ils ont percé » [17], ajoutait le prophète.

Mais qu’y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l’Écriture et de l’histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » [18] ?

Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l’attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain [19], quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l’Élu du Père et l’objet des divines complaisances [20]. Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu’à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. « Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n’en font qu’un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l’Esprit, l’eau et le sang ; et ces trois concourent au même but... Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu’elle est dans son Fils » [21]. Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l’Homme-Dieu le dénouement de l’œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l’accomplissement des desseins éternels.

Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l’Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu’apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l’eau et le sang, Jésus-Christ ; et l’Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité [22], quand il dit de lui-même que la vie est en lui [23]. Car c’est l’Esprit, nous dit l’Évangile [24], qui sort avec l’eau du Cœur sacré, des sources du Sauveur [25], et nous rend dignes du sang divin qui l’accompagne. L’humanité, renaissant de l’eau et de l’Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu [26] ; et, préparée pour l’Époux dans les flots du baptême, l’Église s’unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l’os de ses os et la chair de sa chair [27], associés pour l’éternité à sa vie divine dans le sein du Père.

Va donc, ô Juif ! Ignorant les noces de l’Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l’Époux au lit nuptial ; qu’il s’étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l’alliance ; et que de son Cœur sorte l’Épouse, avec l’eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Épouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s’est élancé comme un géant dans la voie de l’amour ; la soif du désir a consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l’Épouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s’est endormi dans sa soif brûlante. Mais l’Épouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l’effort, s’est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s’est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l’humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?

Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l’Église naissante s’écrier à Dieu, dans l’ivresse de son cœur débordant : « Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, ô ma gloire ! O réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion » [28]. Et le Seigneur s’est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Église. Car le Cœur de l’Époux appartient à l’Épouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair [29].

Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur [30], le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d’où elle est sortie. Là sera pour l’Église le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l’origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l’Église [31], l’homme est le chef [32], et il n’appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu’elle s’adresse au cœur, et que rien ne résiste à l’amour. Si Adam a péché, c’est qu’Ève a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l’Église a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s’appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l’Église, puisqu’elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l’Époux et l’Église l’Épouse.

Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n’exposaient point autrement que nous ne l’avons fait le mystère de la formation de l’Église du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent. « Les initiés connaissent l’ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l’Église a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t’approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ » [33]. — « L’Évangéliste, explique saint Augustin, a usé d’une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu’elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C’était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l’ordre d’ouvrir au côté de l’arche, pour l’entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l’Église » [34].

« Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée [35], dans le côté du Christ », interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le Bienheureux Guerric, abbé d’Igny [36]. Et l’Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille [37] : « Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l’oiseau de proie volant à l’entour !... Que verrons-nous par l’ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu’à son Cœur, voici qu’est révélé l’arcane, l’arcane du Cœur, le mystère de l’amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu’y a-t-il en vous, ô Seigneur, que des trésors d’amour, des richesses de bonté ? J’irai, j’irai à ces celliers d’abondance ; docile à la voix du prophète [38], j’abandonnerai les villes, j’habiterai dans la pierre, j’aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse [39] à l’entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur » [40]. Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Ève du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille [41], comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n’était que la figure, dans la pierre qui est le Christ [42], la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes [43].

Mais nous ne pouvons qu’effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l’ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l’amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l’intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Église.

Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d’Helfta, près Eisleben, en Saxe, l’Époux divin se révélait à l’épouse qu’il avait choisie pour l’introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre. Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l’Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l’éditeur du Legatus divinæ pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu, entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d’absinthe, et ce qu’elle a pris à longs traits, elle l’a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s’en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l’action du Cœur divin dans l’économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d’elle sainte Mechtilde, sa compagne.

« L’une et l’autre, à l’égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l’Église. Nous n’en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur a voulu qu’un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l’Église ; mais ils n’en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l’insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.

Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l’avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu’elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu’il avait senti lorsqu’il reposait sur ce Cœur sacré : « Ma mission, dit-il, fut d’écrire pour l’Église encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu’à la fin du monde, Sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l’amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères » [44].

Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu’elle en a dit dépasse tout ce que l’imagination de l’homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c’est une lyre touchée par l’Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c’est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s’enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C’est un encensoir d’or, d’où s’élèvent autant de divers parfums d’encens qu’il y a de races diverses d’hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c’est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s’immole lui-même. C’est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c’est une coupe où s’abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d’hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c’est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s’ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d’ineffables délices pour l’éternité » [45].

En découvrant à Gertrude l’ensemble merveilleux que présente la traduction de l’amour infini dans le Cœur de l’Homme-Dieu, l’Esprit divin prévenait l’enfer au lieu même d’où devait surgir, deux siècles plus tard, l’apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l’odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu’avaient connu ses pères l’auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute-puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel [46]. Se transformant hypocritement au XVIIe siècle, changeant les mots, mais non les choses, l’ennemi tenta de pénétrer au sein même de l’Église et d’y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d’affirmer les droits du domaine souverain du premier Être, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s’éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.

Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l’avait aimée d’amour, qu’il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d’Adam le premier père [47], tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d’accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur ?

Laissant de côté tant d’illustrations d’éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l’Église de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts [48] avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d’un obscur monastère. Comme au XIIIe siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l’institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l’humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd’hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie [49].

Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l’adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s’emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l’âge, l’appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l’amour méconnu du Christ Sauveur.

« Étant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour, il me dit : « Tu ne m’en peux rendre un plus grand qu’en faisant ce que je t’ai déjà tant de fois demandé ». Alors me découvrant son divin Cœur : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné, jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. Mais ce qui m’est encore le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C’est pour cela que je te demande que le premier vendredi d’après l’Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera a pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu’il lui soit rendu » [50].

En appelant sa servante à être l’instrument de la glorification de son divin Cœur, l’Homme-Dieu faisait d’elle un signe de contradiction, comme il l’avait été lui-même [51]. Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d’humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre.

Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l’Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d’une couronne d’épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d’une chapelle en l’honneur du Sacré-Cœur ; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l’an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à rétablissement d’une fête proprement dite, et à sa célébration dans l’Église entière.

Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes [52] avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l’amour du Cœur de l’Homme-Dieu qu’il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l’église du Très-Sainct Cœur de Jésus et de Marie » [53] et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s’être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu’il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l’honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L’Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l’évêque de Rennes et les évêques de Normandie. Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l’abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu’il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l’Homme-Dieu, telle qu’elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C’était à la Bienheureuse Marguerite-Marie qu’il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d’amener sa célébration dans l’Église universelle.

Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l’humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l’un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière [54]. Il reconnut la sainteté des voies par où l’Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l’apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d’abord, et jusqu’en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l’Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s’organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l’honneur de ce Cœur sacré. Mais l’enfer s’indigna de cette grande prédication d’amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l’humanité du Dieu Sauveur [55], qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l’idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l’humanité du Christ ; et pendant que s’entassaient à grands frais d’érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues, des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu’on appelait les Cordicoles.

Cependant l’année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l’on ne savait où s’arrêterait le progrès toujours croissant de l’affreuse contagion, quand l’évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l’héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua ; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s’engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu’à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.

Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite-Marie, avec la Messe et l’Office du P. Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu’il fût nécessaire de recourir à l’autorité du Souverain Pontife pour l’établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l’Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.

Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d’innombrables confréries, lorsqu’en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l’archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur de la fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d’autres Églises particulières, jusqu’à ce qu’enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l’Épiscopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l’Église universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.

La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu’elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.

Depuis lors, la connaissance et l’amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu’ils n’avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l’envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l’Église en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s’élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu’a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Église.

O Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Église et la France ; et qu’unies aujourd’hui dans l’épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !

A LA MESSE.

Nota bene : Il s’agit ici du commentaire de la Messe promulguée par Pie IX en 1856, et non de la Messe actuelle de 1929.

Il est peu fait mention du Cœur de chair du Sauveur dans les formules liturgiques de ce jour. Lorsqu’au dernier siècle il fut question d’approuver une Messe et un Office en l’honneur du Sacré-Cœur, les Jansénistes, qui avaient jusque dans Rome leurs dévoués partisans, suscitèrent de telles oppositions, que le Siège apostolique ne crut pas le moment venu encore de se prononcer ouvertement sur les points débattus. Il ne fit pas toutefois difficulté d’accorder au Portugal et à la République de Venise un Office où le Cœur de Jésus victime d’amour et percé par la lance était proposé aux adorations des fidèles. Mais, dans la Messe et l’Office qui de Rome devaient plus tard s’étendre au monde entier, il s’en tint par prudence à la glorification de l’amour du Sauveur, dont on ne pouvait nier raisonnablement que son Cœur de chair ne fût au moins le vrai et direct symbole.

C’est ainsi que l’Introït, tiré de Jérémie, exalte les miséricordes ineffables de Celui dont le Cœur n’a point rejeté les enfants des hommes.

L’Église, émue des grands biens qui lui sont venus par le Cœur sacré, demande pour ses enfants, dans la Collecte, la grâce de comprendre les bienfaits divins et de recueillir dans une sainte joie les fruits qu’ils sont destinés à produire.

ÉPÎTRE.

« Mon peuple a commis deux maux », s’écriait Jéhovah sous l’ancienne alliance : « ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes crevassées qui ne gardent point l’eau » [56]. Plainte sublime d’un amour infini qui voit rejeter ses bienfaits ! Mais, prodige plus merveilleux encore : le Dieu méconnu des fils ingrats qui cherchent en dehors de lui leur bonheur, oublie son offense pour songer à leurs maux. Il est ému de la misère affreuse qui pousse ces êtres dévoyés à demander aux créatures l’étanchement de la soif ardente que lui seul pourrait apaiser. Le bien des corps, le beau palpable ont séduit leurs sens ; l’âme, créée pour le bien absolu, a cru trouver son repos dans ces pâles et fugitifs reflets de la beauté souveraine, qui devaient la rappeler au contraire à leur source infinie. Comment ramener désormais à la source vive l’être affolé que trompe le mirage du désert, et qui s’enfonce toujours plus dans ses sables brûlants ? O Israël, chante au Seigneur ; Sion, bénis ton Dieu pour ses miséricordes infinies !

L’eau est sortie de la pierre du désert où te retenait le délire de ta fièvre insensée. Dans cette voie dont la pente rapide t’entraînait vers la chair, devant toi s’est dressé soudain ton Sauveur, compagnon inattendu des sentiers de ta vie terrestre, Dieu fait chair pour t’attirer au profit de ton âme dans ces filets d’amour humain que réclamait ton cœur. Prisonnier dans les liens mêmes d’Adam de l’amour infini [57], tu as retrouvé à ta portée la fontaine d’eau vive, oublié la boue fétide de tes citernes aux sources du Sauveur ; et tes lèvres, altérées toujours, mais rassasiées sans cesse, puisent à longs traits, au réservoir sacré découvert par la lance mystérieuse, l’onde divine qui, de cette terre, jaillit à flots jusqu’à la vie éternelle [58].

L’immense amour qui remplit le Cœur de l’Homme-Dieu et l’a porté à embrasser des douleurs sans pareilles pour nous sauver, la douceur et l’humilité de ce Cœur divin dans lesquelles se résument le caractère et toute la vie du Sauveur, sont proposés à notre reconnaissance et à notre imitation dans le Graduel et le Verset alléluiatique.

ÉVANGILE.

Nous avons expliqué plus haut cet endroit de l’Évangile de saint Jean, en le rapprochant des passages de la première Épître du même Apôtre qui jettent une si vive lumière sur le fait de l’ouverture du côté du Sauveur. Écoutons ce texte mystérieux avec le recueillement ému de notre Mère la sainte Église. Voyons la voie par où elle est sortie. C’est bien du Cœur de l’Homme-Dieu qu’elle est née. Elle ne pouvait avoir d’autre origine ; car elle est l’œuvre par excellence de son amour, et c’est pour cette Épouse qu’il a fait toutes les autres œuvres. Ève fut tirée du côté d’Adam d’une manière figurative ; mais la trace ne devait pas en demeurer, de peur que la femme ne parût tirée de l’homme autrement que pour un grand mystère, et qu’on n’y vît pour elle infériorité de nature. Mais, dans le Seigneur, il convenait que la glorieuse trace de cette sortie demeurât, parce qu’il apporte la réalité. Il faut que son Épouse, se fondant sur cette origine, puisse sans cesse avoir recours à son amour, et que le chemin soit toujours ouvert devant elle, afin qu’elle atteigne sûrement et promptement son Cœur en toutes choses.

L’Offertoire est tiré du Psaume CII, magnifique chant d’amour et de reconnaissance, exaltant les bontés sans nombre, les miséricordes infinies du Seigneur.

Implorons avec l’Église, dans la Secrète, les flammes de la divine charité, pour que nos cœurs devenus brûlants soient à l’unisson de celui du Pontife éternel qui vient offrir son Sacrifice et le nôtre.

La Préface qui suit est celle de la Croix. Le Seigneur tenait encore à ce bois sacré, quand son Cœur fut ouvert ; et l’Église devait aujourd’hui cet hommage au lit nuptial qui la vit sortir du côté de l’Époux endormi.

Afin d’exciter ses enfants aux pensées de réparation et d’amende honorable qui sont dans l’esprit de cette fête, l’Église rappelle, au moment de la Communion, le délaissement de l’Homme-Dieu dans les maux immenses qu’il a pris sur lui pour notre amour.

L’Église, qui vient de s’unir à l’Époux dans les Mystères, a compris mieux encore aujourd’hui les leçons du Cœur sacré dans ce rapprochement ineffable. Elle demande pour ses fils l’humilité profonde qui doit montrer en eux toujours plus, à la face d’un siècle superbe, les vrais disciples de Celui qui fut doux et humble de cœur.

A VÊPRES.

Les Antiennes sont tirées de divers livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les Psaumes sont les mêmes que ceux de la fête du Très Saint Sacrement. Le Capitule est d’Isaïe, comme tous ceux de ce jour, et se retrouve avec eux dans L’Épître de la Messe.

L’année Liturgique donne ici les trois hymnes de l’Office qu’on trouvera en leur place avec les autres textes liturgiques.

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Les origines de cette fête [59] sont toutes semblables à celles de la fête du Très Saint Sacrement. Le symbolisme du côté de Jésus, ouvert par la lance de Longin et d’où jaillirent le sang et l’eau, est déjà connu par les anciens Pères de l’Église ; saint Augustin et saint Jean Chrysostome ont des pages splendides sur les divins Sacrements, nés du Cœur aimant du Rédempteur, et sur l’Église qui, rayonnante de jeunesse, sort du côté du nouvel Adam endormi sur la Croix.

La tradition patristique fut conservée et développée par les soins de l’école ascétique bénédictine ; aussi, quand, au XIIe siècle, le saint abbé de Clairvaux orienta enfin la piété mystique de ses moines vers un culte tout à fait spécial rendu à l’humanité du Sauveur, on peut dire que la dévotion au Sacré-Cœur, au sens que maintenant lui attribue la sainte liturgie, était déjà née. De la simple méditation sur les plaies de Jésus, l’école bénédictine était passée à la dévotion particulière pour celle du côté, et à travers le flanc transpercé par la lance de Longin, elle avait pénétré dans l’intime du Cœur, blessé lui aussi par la lance de l’amour.

Le Cœur de Jésus représente, pour saint Bernard, ce creux du rocher où l’Époux divin invite sa colombe à chercher un refuge. Le fer du soldat est arrivé jusqu’au Cœur du Crucifié pour nous en dévoiler tous les secrets d’amour. Il nous a, en effet, révélé le grand mystère de sa miséricorde, ces entrailles de compassion qui l’ont induit à descendre du ciel pour nous visiter [60].

Les disciples de saint Bernard développaient merveilleusement la doctrine mystique du Maître, quand intervinrent les grandes révélations du Sacré-Cœur de Jésus à sainte Lutgarde (+ 1246), à sainte Gertrude et à sainte Mechtilde.

Un jour, le Seigneur échangea son Cœur avec celui de sainte Lutgarde ; et une nuit que la sainte, malgré la maladie, s’était levée pour l’office vigilial, Jésus, pour la récompenser, l’invita à approcher ses lèvres de la blessure de son Cœur, où Lutgarde puisa une telle suavité spirituelle que, par la suite, elle éprouva toujours force et douceur au service de Dieu.

Vers 1230 survint la célèbre révélation du Sacré-Cœur à cette illustre Mechtilde de Magdebourg qui, plus tard, fit partie de la communauté d’Helfta où vivaient sainte Gertrude et sainte Mechtilde.

« Dans mes grandes souffrances, écrit-elle, Jésus me montra la plaie de son Cœur et me dit : Vois quel mal ils m’ont fait ! »

Cette apparition l’impressionna vivement, d’autant plus que dès lors la pieuse religieuse ne cessa de contempler ce Cœur affligé et outragé, mais qui, en même temps, lui apparaissait semblable à une masse d’or embrasé, placé à l’intérieur d’une immense fournaise. Jésus approcha le cœur de Mechtilde du sien, pour qu’elle vécût d’une même vie que Lui.

Quand la Providence conduisit à Helfta la pieuse extatique de Magdebourg, ce fat pour la rapprocher de deux autres filles de saint Benoît, Gertrude et Mechtilde, qui avaient été favorisées de dons semblables. Le caractère particulier de la dévotion de sainte Gertrude pour le Verbe Incarné brille spécialement dans sa tendre dévotion au Sacré-Cœur, qui, pour elle, est le symbole de l’amour du Crucifié, et une sorte de sacrement mystique par lequel la Sainte participe aux sentiments de Jésus en même temps qu’à ses mérites.

Un jour que Gertrude est invitée par saint Jean à reposer avec lui sur le Cœur sacré du Seigneur, elle demande à l’Évangéliste pourquoi il n’a pas révélé à l’Église les délices et les mystères d’amour goûtés par lui à la dernière Cène, quand il appuya sa tête sur la poitrine du Divin Maître. Jean répond que sa mission avait été de révéler aux hommes la nature divine du Verbe, tandis que le langage d’amour exprimé par les battements du Sacré-Cœur entendus par lui devait représenter la révélation des derniers temps, alors que le monde, vieilli et refroidi, aurait besoin de se réchauffer au moyen de ce mystère d’ardente charité.

Gertrude comprit que l’apostolat du Sacré-Cœur de Jésus lui était confié à elle-même, et c’est pourquoi, par ses paroles et dans ses livres, elle écrivit toute la théologie, pour ainsi dire, de cette blessure divine et sacrée, en propageant avec ardeur la dévotion. Dans cette mission évangélisatrice, elle eut pour compagne la pieuse cantrix Mechtildis, qui avait été semblablement invitée par le Seigneur à établir sa demeure dans la plaie de son Cœur. Comme sa compagne, sainte Mechtilde mit elle aussi par écrit ses révélations, où elle compare le Sacré-Cœur tantôt à une coupe d’or où se désaltèrent les saints, tantôt à une lampe lumineuse, tantôt à une lyre qui répand dans le ciel ses douces harmonies. Un jour Jésus et Mechtilde échangèrent leurs cœurs, et dès lors il sembla à la Sainte que c’était les battements du Cœur de son divin Époux qu’elle sentait en elle.

Les révélations des deux extatiques de Helfta furent très favorablement accueillies, surtout en Allemagne, c’est-à-dire dans un milieu déjà résolument orienté vers le Cœur de Jésus, grâce à la précédente influence de l’école bénédictine. Les écrivains de la famille dominicaine et franciscaine suivirent eux aussi avec ardeur ce mouvement, et retendirent, surtout grâce à saint Bonaventure, au bienheureux Henri Suso, à sainte Catherine et à saint Bernardin de Sienne. On arrive ainsi jusqu’au temps de sainte Françoise Romaine, qui, dans ses révélations sur le Sacré-Cœur, où elle se plonge elle aussi comme dans un océan embrasé d’amour, ne fait qu’accentuer l’orientation ascétique de l’ancienne école mystique des fils de saint Benoît. L’action de la fondatrice du monastère Turris Speculorum à Rome demeura, il est vrai, circonscrite au milieu romain ; mais elle représente un des plus précieux anneaux de toute une chaîne de saints et d’écrivains ascétiques qui, en Allemagne, en Belgique et en Italie, préparèrent les âmes aux grandes révélations de Paray-le-Monial. Quand enfin celles-ci furent communiquées aux fidèles, grâce surtout au bienheureux Claude de La Colombière et au P. Croiset, le triomphe du Cœur de Jésus et du règne de son amour fut désormais assuré à la dévotion catholique. Les fils de saint Ignace se consacrèrent avec un zèle particulier à cette forme nouvelle d’apostolat du Sacré-Cœur. En 1765, le pape Clément XIII approuva un office en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus, mais il fut concédé seulement à quelques diocèses. En 1856, Pie IX sur l’esprit duquel avait grandement influé l’illustre restaurateur de l’Ordre bénédictin en France, Dom Guéranger, rendit cette fête obligatoire pour l’Église universelle. En 1889, Léon XIII l’éleva au rite double de première classe.

Quand, en 1765, Clément XIII autorisa le culte liturgique du Sacré-Cœur de Jésus, s’accomplit une prédiction faite trente ans auparavant par la pieuse abbesse de Saint-Pierre de Montefiascone, Maria Cecilia Bai. Le Seigneur, montrant son Cœur à cette servante de Dieu, lui avait dit : « Un jour viendra, où le culte de mon Cœur s’étendra triomphalement dans l’Église militante, et cela grâce à la fête solennelle qu’on en célébrera, avec l’office du Sacré-Cœur » [61]. « Toutefois, ajoutait la pieuse Bénédictine, je ne sais si cela arrivera de nos temps ».

Elle fut d’ailleurs assez heureuse pour voir enfin ce jour désiré, et elle se souvint certainement alors de ces autres paroles qu’elle avait entendues de son divin Époux plusieurs années auparavant : « Un temps viendra où tu seras très agréable à mon Cœur en le faisant adorer et connaître d’un grand nombre de personnes au moyen du culte et des actes de dévotion qui lui sont dus ».

En 1899, Léon XIII publia une Encyclique où il prescrivait à tout l’univers catholique de se consacrer au Cœur sacré de Jésus. Le Pontife s’était décidé à cet acte après un ordre formel qu’une pieuse supérieure du Bon-Pasteur d’Oporto, sœur Marie Droste zu Vischering, disait avoir reçu du divin Rédempteur lui-même pour qu’il fût communiqué au Pape. La révélation privée présentait d’ailleurs tous les caractères de l’authenticité, et l’esprit de la religieuse avait déjà été éprouvé par le sage abbé de Seckau, Dom Ildephonse Schober. C’est ainsi que Dom Hildebrand de Hemptinne, abbé de Saint-Anselme sur l’Aventin, prit l’affaire en mains et présenta la supplique de la religieuse à Léon XIII. Le 9 juin 1899, alors que les cloches de toutes les églises du monde chrétien annonçaient la fête du Sacré-Cœur et le nouvel acte de consécration prescrit par le Pape, la voyante d’Oporto rendait son âme très pure à Dieu, en témoignage de l’accomplissement de sa mission terrestre.

Dernièrement, la fête du Sacré-Cœur recevait de Pie XI un surcroît d’importance et d’honneur puisqu’on lui accordait le privilège de l’octave, réservé aux plus grandes solennités du Seigneur. Fut-ce simple coïncidence ou mystérieuse disposition de Dieu ? La nouvelle liturgie romaine pour l’octave de la fête du Sacré-Cœur fut approuvée par le Pape en même temps que le fameux Concordat qui met fin à la si funeste Question romaine. A la même époque, le « parfait ami du divin Cœur », le P. de la Colombière, est inscrit solennellement au catalogue des bienheureux, et Pie XI, quelques semaines plus tard, sort enfin du Vatican, portant en triomphe Jésus-Eucharistie, au milieu d’un glorieux cortège de ministres sacrés au nombre de sept mille.

L’hérésie qui caractérise l’esprit de la société actuelle pourrait être à bon droit appelée laïcisme, en tant qu’elle veut abaisser le divin et le surnaturel au niveau des institutions humaines, et qu’elle tente de faire entrer l’Église dans l’orbite des forces de l’État. En face du judaïsme et de la maçonnerie qui s’obstinent toujours dans leur haine furieuse contre Jésus : Toile, toile, crucifige, les catholiques contaminés par ce laïcisme et ce libéralisme cherchent, comme Pilate, un juste milieu et ils sont prêts à renvoyer le Christ absous, pourvu qu’auparavant Il se soit laissé arracher le diadème royal qui ceint son front, et qu’il se contente de vivre en sujet de la divinité de César.

Contre cette double insulte sacrilège, le Pontife suprême proteste à la face du ciel et de la terre qu’il n’y a pas d’autre Dieu que le Seigneur, et il institue la double fête du Christ-Roi et de l’Octave du Sacré-Cœur. L’une est la solennité de la puissance, l’autre celle de l’amour.

Le Bréviaire romain devant s’enrichir d’un office pour l’Octave du Sacré-Cœur, le Souverain Pontife voulut que la liturgie de cette solennité fût entièrement refondue. On sait que l’office du Sacré-Cœur avait autrefois un certain caractère fragmentaire et sporadique, qui reflétait bien l’incertitude des théologiens chargés de sa rédaction. C’était un peu un office de l’Eucharistie, un peu celui de la Passion, sans parler des lectures du troisième nocturne, glanées de-ci de-là dans la Patrologie. Or, Pie XI — qui, sur sa table de travail a toujours devant les yeux une belle statue du Sacré-Cœur, auprès duquel il a coutume de chercher son inspiration quand il traite les affaires de l’Église — a voulu un office parfaitement organique, c’est-à-dire où resplendît l’unité, et qui mît aussi en pleine lumière le caractère spécial de la solennité de la fête du Sacré-Cœur, laquelle ne veut être une répétition ni de celle du Saint-Sacrement ni des offices quadragésimaux de la Passion.

Il nomma donc une commission de théologiens chargés de rédiger le nouvel office ; mais à leurs travaux il présida lui-même ; en sorte qu’après un semestre d’études, à l’aurore de son jubilé sacerdotal, Pie XI a pu offrir au monde catholique la nouvelle messe et l’office pour l’Octave du Sacré-Cœur.

La pensée qui domine toute la composition est celle qu’exprima Jésus Lui-même quand, par l’intermédiaire de sainte Marguerite-Marie, Il demanda à la famille catholique l’institution de cette fête : « Voici le Cœur qui a tant aimé les hommes, et qui en est si peu aimé ! »

Il s’agit donc d’une fête de réparation envers l’Amour qui n’est pas aimé ; réparation qui fait d’ailleurs amende honorable en glorifiant les pacifiques triomphes de cet Éternel Amour.

L’introït emprunte son antienne aux versets 11 et 19 du psaume 32. « Les desseins de son Cœur passent d’âge en âge pour arracher les âmes à la mort et soutenir leur vie durant la famine ».

Suit le premier verset du même psaume : « O justes, chantez au Seigneur, car c’est à ceux qui sont bons que convient sa louange ».

La magnifique préparation du plan de la rédemption à travers les longs siècles qui l’ont précédée, puis les dix-neuf qui maintenant la réalisent, l’étendant à tous les âges et à tous les peuples, chantent comme un hymne de gloire au Cœur de Dieu qui fut le grand artisan de cette généreuse et gratuite réparation du genre humain.

Parmi les multiples aspects de cette rédemption, le Psalmiste en met ici deux surtout en évidence, dans lesquels resplendit d’une façon spéciale l’excès du divin amour. Ce sont : la délivrance de l’homme de la mort éternelle grâce à la mort de Jésus, et l’institution de la divine Eucharistie.

La collecte apparaît, au point de vue littéraire, un peu surchargée, mais elle contient de belles pensées : « Seigneur qui avez miséricordieusement daigné nous accorder d’infinis trésors d’amour dans le Cœur de votre Fils, transpercé par nos péchés ; faites, tandis que nous lui offrons l’hommage dévot de notre piété, qu’en même temps nous présentions une digne réparation pour nos fautes ».

Le but de la solennité de ce jour est donc double : tandis que nous offrons notre tribut d’amour à ce Cœur qui, en raison de son excellence et de l’union hypostatique, est le centre et le roi de tout autre cœur humain, nous expions en même temps le crime d’avoir transpercé par nos péchés ce Cœur adorable, et de l’avoir couronné des épines de l’ingratitude et du mépris.

Cependant, il faut que les prévaricateurs reviennent à ce Cœur du Verbe incarné ; car c’est dans ce temple et ce trophée de la divine miséricorde, que Dieu a déposé pour les hommes des trésors infinis de sagesse, de science et surtout d’amour.

La première lecture est tirée de la lettre aux Éphésiens (III, 8-15). L’Apôtre a reçu la mission spéciale de révéler à l’Église les prérogatives du Christ, considéré surtout comme Chef de la famille humaine et Pontife de la béatitude future. C’est pourquoi saint Paul plie le genou et il supplie le Seigneur pour ses chers fidèles d’Éphèse, afin qu’eux aussi soient initiés avec lui à la science intérieure du Christ, et que, par la grâce du Saint-Esprit, eux aussi la comprennent et en vivent à l’égal de tous les autres saints. Cette science et cette vie se résument en un seul mot : l’amour — cet amour qui remplit l’âme de la plénitude de Dieu.

Le répons-graduel est emprunté au psaume 24, 8-9. « Le Seigneur est bon et droit, c’est pourquoi il indique la voie à ceux qui sont errants. Il guide les doux dans la justice, et il enseigne ses voies à ceux qui sont dociles ». — Tel est le motif de l’œuvre de la rédemption des hommes : le Seigneur est amour, et en descendant jusqu’à nous il a moins considéré notre indignité que son amour qui mérite bien tout le nôtre.

Pour que nous puissions convenablement aimer Dieu, il fallait que d’abord Il nous rachetât, afin que l’Amour célébrât ses pacifiques triomphes sur nous et érigeât parmi les hommes le siège de son magistère. Un magistère donc d’humilité, de douceur et de condescendance, pour montrer par ces qualités la vérité de sa nature humaine, semblable à la nôtre, tandis que, par sa charité toute-puissante, Il exalte sa nature divine, consubstantielle au Père.

Le verset alléluiatique est emprunté à saint Matthieu, XI, 29, et il est, en quelque sorte, appelé par le second verset du graduel, où le Psalmiste décrit les caractères des futurs disciples du divin Maître. Maintenant c’est Jésus lui-même qui nous dit dans l’Évangile : « Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de Cœur et vous trouverez la paix pour vos âmes ».

Paix, félicité et sainteté sont donc synonymes, car seuls les saints tarissent en eux-mêmes la source des inquiétudes de la vie, pour se désaltérer abondamment aux eaux de la joie, aux sources du Sauveur. Ce qui rend la vie pénible ne vient pas tant de la vie elle-même que de la fièvre de l’amour-propre qui nous fait trouver amer tout ce qui n’est pas conforme à notre goût.

Or, le remède qui guérit cette fièvre, c’est l’humble et entière sujétion au bon plaisir divin, selon le sublime modèle que nous offre le Cœur sacré de Jésus.

Aux messes votives après la Septuagésime, au lieu du graduel et du verset alléluiatique, on dit le trait (Ps. 102, 8-10) : « Le Seigneur est compatissant et indulgent ; patient et plein de bonté. Il n’est pas sans cesse à disputer, et il ne garde pas de continuelle rancune. Il ne nous a pas traités selon nos péchés, et il ne nous a pas payés comme le méritaient nos iniquités ».

La raison intime de cet excès de miséricorde envers nous, alors que c’est sur Lui seul que la justice s’est exercée par la satisfaction rigoureuse qu’il a donnée à la divine Majesté au moyen de sa terrible passion, c’est l’amour infini de Jésus.

Durant le temps pascal, au verset alléluiatique ci-dessus on ajoute : « Alléluia ». (Matth., XI, 28) : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et êtes las, et je vous réconforterai ».

Jésus invite donc l’humanité tout entière à chercher un asile de doux repos dans son Cœur. Mais pourquoi sommes-nous tous tourmentés et las ? Saint Augustin nous le dit : à cause de notre vie mortelle elle-même, vie fugitive et sujette à de nombreuses tentations, où nous portons le trésor de la foi dans le vase fragile de notre humanité. Une telle condition nous afflige, mais la douce invitation de Jésus nous console. Il est même vain, en ce monde, d’espérer un autre réconfort, car, comme le dit fort bien un antique logion évangélique, rapporté par Origène et par Didyme l’aveugle : « Celui qui s’approche de moi s’approche du feu, tandis que celui qui s’éloigne de moi s’éloigne du royaume ». Cette parole d’or, prononcée par le divin Sauveur, et qui nous a été transmise par la tradition des Pères, garantit par sa beauté même son authenticité, et paraît bien digne d’être jointe à l’autre logion qui nous a été conservé par saint Paul : « Jésus a dit : Il est meilleur de donner que de recevoir ».

La lecture évangélique est empruntée à saint Jean (XIX, 31-37) et décrit, avec le brisement des jambes des deux larrons, l’ouverture du côté de Jésus mort. De cette blessure jaillirent le sang et l’eau, pour symboliser les sacrements dans lesquels l’Église naît et est nourrie. C’est le Nouveau Testament dans le sang. Jean, qui exerce à la fois les fonctions d’écrivain et de témoin, veut montrer aux fidèles la continuité du plan divin dans l’ancienne et dans la nouvelle alliance, et cite dans ce but les prophéties qui reçurent leur accomplissement sur le Golgotha après la mort de Jésus.

On ne devait briser aucun des os de l’Agneau pascal, parce que l’immolation de la Victime divine ne fut pas suivie de la décomposition de son corps dans le tombeau, mais au contraire de la gloire de la résurrection. De plus, bien que Jésus dans la sainte Communion soit pris en nourriture par les fidèles, il n’est pas consommé pour cela. Nec sumptus consumitur [62], et l’Agneau, même après que les fidèles s’en sont nourris, demeure vivant, glorieux et entier.

Il existe aussi une autre prophétie (Zach., XII, 10) à laquelle se réfère plusieurs fois saint Jean : Les peuples contempleront Celui qu’ils ont transpercé.

Le caractère de cette vision du Cœur transpercé de Jésus varie suivant les dispositions de celui qui le regarde. Pour les impies, au jugement dernier, la vision de ce Cœur aimant et qu’ils n’ont pas aimé, bienfaisant, et pour cela méprisé, sera le sujet d’une affreuse terreur ; tandis qu’au contraire les bons, en voyant ce Cœur rayonnant des flammes de la charité, gage et monument perpétuel d’une miséricorde infinie, sacrement et signe sensible de l’amour divin éternel et invisible, se sentent brûler d’amour, mettent en lui toute leur espérance, et établissent en lui leur mystique demeure.

Le passage de l’Évangile lu en ce jour a été commenté avec élégance par Paulin d’Aquilée [63] (+ 802) :

Quando se pro nobis sanctum
Fecit sacrificium,
Tunc de lateris fixura
Fons vivus elicuit ;
De quo mystice fluxerunt
Duo simul flumina :
Sanguis nam redemptionis
Et unda baptismatis. [64]

L’antienne pour l’offertoire est la même qu’au dimanche des Rameaux (Ps. 68, 21). « L’opprobre et la douleur me brisent le Cœur. J’attendais la compassion, et il n’y en eut point ; quelque consolateur, et je ne l’ai pas trouvé ».

Beaucoup plus atroces que les souffrances physiques furent les peines morales endurées par le Sauveur durant sa passion alors que, s’étant chargé du poids des fautes des hommes, et ayant été condamné à mort par le Sanhédrin, il demeura comme écrasé sous l’angoisse de la malédiction lancée par Dieu le Père contre le péché.

Quel déchirement dans ce Cœur ! Même alors, il est vrai, son âme jouissait de la claire vision de Dieu qu’il contemplait, mais en même temps, il voyait ce Dieu si bon et si aimable offensé de mille manières par les hommes, ses frères cadets. Il sentait que le péché avait dressé comme une muraille entre le Créateur et la créature, c’est pourquoi, en vertu d’un juste jugement de Dieu, son humanité, abandonnée aux outrages, aux tourments et à la mort ignominieuse de la Croix, entonna le mystérieux cantique : Heli, Heli, lamma sabacthani [65].

En souffrant pour nous, Jésus a voulu que nous nous assimilions à notre tour sa Passion bénie, la revivant par la foi et par les œuvres de la mortification chrétienne. C’est là le soulagement et la consolation qu’il demande dans le psaume 68. Il lui faut des âmes. Aujourd’hui encore, il veut des âmes victimes, qui, avec Lui, portent le poids de l’expiation des péchés du monde. Mais hélas ! Qu’elles sont rares ces âmes entièrement vouées à l’immolation et à l’expiation !

Aux messes votives durant le temps pascal, cette antienne si mélancolique de l’offertoire est remplacée par la suivante qui exalte au contraire l’excellence du sacrifice du Christ sur toutes les oblations de l’Ancienne Loi : (Ps. 39, 7-9) : « Tu ne demandes ni holocauste ni oblation ; alors je dis : Voici que je viens. Dans un livre il m’est prescrit de faire ce qui te plaît, ô mon Dieu, mon bien-aimé, et ta loi est gravée dans mon Cœur. Alléluia ».

Les sacrifices de l’Ancienne Loi cessèrent de plaire à Dieu quand arriva enfin la plénitude des temps, où devait être accompli ce que ces anciens rites ne faisaient qu’annoncer. Alors vint le Verbe incarné, pour offrir un holocauste qui seul était digne de Dieu. Et comme toute offrande doit toujours s’accomplir selon un cérémonial et un rite agréable à la Divinité, Jésus vécut et s’immola durant trente-trois années conformément à ce que le Père éternel avait prescrit pour Lui dans les Livres saints de l’Ancienne Alliance.

La prière précédant l’anaphore est la suivante : « Ayez égard, Seigneur, à l’ineffable charité du Cœur de votre fils bien-aimé, afin que notre oblation Vous soit agréable et expie convenablement nos fautes. Par notre Seigneur ».

Il est de nouveau fait allusion ici à la double signification de la solennité de ce jour. Avant tout, c’est une fête d’expiation envers l’Amour non aimé et méprisé ; et c’est pourquoi nous unissons notre amende honorable à ce même Amour qui, dans le Sacrifice eucharistique, expie pour nous.

En outre, c’est une célébration d’action de grâces et de triomphe du Cœur très saint de Jésus. Pour ce motif, nous offrons ce même Cœur eucharistique, afin que, perpétuant sur nos autels l’hymne d’action de grâces entonné jadis avec les Apôtres dans le Cénacle, — Tibi gratias agens [66], — l’Amour incarné et immolé soit Lui-même le remerciement de l’humanité à l’Éternel Amour.

Il faut noter avec une véritable satisfaction la tendance récente du Saint-Siège, à pourvoir les messes les plus insignes d’une préface propre. Après celle des défunts, de saint Joseph, du Christ-Roi, voici aujourd’hui celle du Sacré-Cœur de Jésus. On revient de la sorte à l’antique tradition latine, représentée surtout par les Sacramentaires romains, où chaque solennité avait sa préface. Actuellement la liturgie milanaise est seule demeurée fidèle à son antique tradition ; mais il faut espérer que, tôt ou tard, comme il advint sous Pie X pour le chant grégorien, Rome admettra de nouveau dans son missel ces anciennes et si belles préfaces des Sacramentaires dits de Léon le Grand, de Gélase Ier et de Grégoire le Grand, lesquelles, sans que l’autorité soit intervenue, se sont comme perdues dans les manuscrits durant les longs siècles du bas moyen âge. « ... Vous qui avez voulu que votre Fils unique, encore suspendu à la Croix, fût transpercé par la lance du soldat, afin que son Cœur, sanctuaire des richesses divines, étant ouvert, il répandît sur nous des torrents de miséricorde et de grâce. Il avait vraiment toujours brûlé d’amour pour nous, mais c’est surtout alors qu’il prépara un tranquille refuge pour les bons, et que les pénitents virent s’ouvrir devant eux l’asile du salut. C’est pourquoi.. ».

L’antienne pour la Communion, conformément à la règle, est tirée de la lecture de l’Évangile (Ioan., XIX, 34) : « Un des soldats lui ouvrit le côté avec sa lance, et aussitôt il en jaillit du sang et de l’eau ».

La signification spéciale de ce sang et de cette eau nous est expliquée dans l’antienne suivante pour la Communion durant le cycle pascal (Ioan., VII, 37) : « Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive. Alléluia ».

Comme le breuvage que nous prenons s’incorpore à nous et se change en notre sang, ainsi les trésors de la rédemption qui nous sont conférés dans les sacrements deviennent notre bien, notre patrimoine spirituel, en tant qu’ils nous unissent et nous incorporent mystiquement au Christ, qui est le Chef du Corps de l’Église.

Toutefois ces eaux d’éternelle rédemption sont promises seulement à celui qui en est avide, parce que la grâce de Dieu est offerte avec amour comme un don, mais n’est pas imposée violemment comme un enrôlement obligatoire. C’est pourquoi le saint cardinal André Ferrari disait fort justement aux petits enfants de Milan : Se sauve qui veut.

Après la Communion : « Que vos mystères sacrés, Seigneur, nous confèrent cette divine ferveur si nécessaire pour goûter la suavité de votre Cœur très doux ; afin que nous apprenions à mépriser les choses de la terre et à aimer celles du ciel ».

Quand on a une fois goûté Dieu, tous les biens créés deviennent insipides et fastidieux. Mais, pour goûter Dieu, nous avons besoin de ce don spécial de piété, qui, lui-même, est une grâce du Saint-Esprit. Il ne mérite pas, en effet, de goûter Dieu, celui qui cherche ses délices en dehors de Lui ; aussi la sainte liturgie demande aujourd’hui, fort à propos, ce don, après que la participation aux mystères de la mort du Seigneur a imprimé dans notre cœur les stigmates de la Passion de Jésus, nous consacrant ainsi à une vie de mortification et d’immolation.

Aux louanges du Sacré-Cœur, exprimées par les Pères de l’Église latine, nous ajouterons aujourd’hui celles de l’Église byzantine :

Ton côté qui apporte la vie,
Pareil à la source qui jaillissait de l’Éden,
Arrose Ton Église, ô Christ,
Comme un jardin spirituel.
Ensuite elle se divise
Comme d’un tronc unique, en quatre Évangiles.
Elle arrose le monde.
Réjouit la création ;
Elle enseigne aux peuples
A adorer ton règne avec foi.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

Un soldat ouvrit son côté et il sortit du sang et de l’eau.

La fête du Sacré-Cœur de Jésus a été élevée d’un degré ; elle a été pourvue d’une Octave ; elle est passée au rang des fêtes primaires. En outre, on lui a donné un nouveau formulaire de messe et un nouvel office. La proximité de la fête du Saint-Sacrement nous indique qu’on la considère comme une continuation de cette fête. L’objet de la fête du Sacré-Cœur, c’est l’amour sans borne que l’Homme-Dieu porte dans son cœur pour nous et qu’il manifeste, d’une manière particulière, dans sa Passion ainsi que dans la merveille de l’Eucharistie.

L’amour, la Passion et le corps de Jésus, telles sont au reste les principales pensées de la fête, à la messe et au bréviaire. Le mystère de la fête a été approfondi par les nouveaux textes. On pourrait l’exprimer liturgiquement à peu près en ces termes : « C’est le mystère de la plénitude que nous avons dans le Christ ». Cette plénitude s’écoula dans sa mort rédemptrice. C’est pourquoi le transpercement du divin cœur sur la Croix est considéré comme le symbole de l’ouverture des « sources du Sauveur ». C’est l’image dominante de la fête. Nous la trouvons non seulement à l’Évangile, mais encore à la Communion, ainsi que dans les antiennes du jour, le matin et le soir.

1. La messe (Cogitationes). — A l’Introït, l’Église nous met devant les yeux l’Image du Rédempteur. Elle ne le nomme pas, elle en parle comme de quelqu’un qui est bien connu. « Les pensées de son cœur... » Toutes ses pensées ont pour objet la Rédemption de l’humanité. Il veut ressusciter ceux qui sont morts de la mort spirituelle ; il veut rassasier les affamés. A ces paroles de l’Église la communauté répond par un chant d’allégresse et de louange (Ps. 32). Si nous tenons compte de tout le psaume, le Seigneur se présente devant nous comme le Bon Pasteur dans la nature et la surnature [67]. C’est lui qui conduit le troupeau des étoiles dans les prairies du ciel ; c’est lui aussi qui anéantit les plans des ennemis de Dieu. Ainsi donc l’Introït nous présente une image du Sacré-Cœur qui est conforme à la conception chrétienne antique.

L’oraison comprend deux demandes de l’Église ; pour les bons, le dévouement et la fidélité au Christ dont le cœur renferme « des trésors infinis d’amour » ; pour les pécheurs, « une digne satisfaction » (Or.).

L’Épître, d’une si grande profondeur, nous permet, sous la conduite de l’Apôtre des nations, de jeter un regard sur ces trésors infinis de l’amour. Saint Paul, ou plutôt l’Église, est appelée à ouvrir aux hommes ces trésors du cœur divin. Elle le fait de deux manières, par l’enseignement (avant-messe), et par la grâce (au Saint-Sacrifice). La fête du cœur de Jésus, mais aussi toute la liturgie, est consacrée à cette tâche. Toutes les fêtes de l’année liturgique « annoncent la richesse insondable du Christ ». Plus encore dans l’Eucharistie jaillit le sang divin qui coule du cœur transpercé. C’est donc une prière efficace que notre Mère l’Église adresse, à genoux, au « Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Cette prière contient trois demandes : a) que nous affermissions notre vie intérieure ; b) que le Christ habite par la foi dans notre Cœur ; c) que nous nous enracinions et soyons fondés dans l’amour.

Après nous avoir montré, dans l’Introït, l’image du Rédempteur, l’Église veut, dans l’Épître, nous montrer l’effet de la Rédemption. Le Graduel exprime les sentiments de la communauté en face de ces vérités ; à l’Alléluia, elle a encore devant les yeux l’image du Rédempteur si humain et si proche. Il nous semble voir s’avancer le Seigneur chargé de sa Croix. Il se tourne vers nous et nous dit : « Prenez mon joug sur vous ».

L’Évangile nous transporte sur le Calvaire et nous sommes témoins du transpercement du cœur divin. Nous connaissons déjà le symbolisme de ce transpercement. Nous pouvons encore le méditer plus profondément. L’ouverture du côté du Christ signifie, d’après saint Augustin, la fondation de l’Église. L’Église, comme une seconde Ève, a été prise du côté du second Adam. En tant qu’ « aide » et Épouse, elle connaît les secrets de son Cœur. Elle a été arrosée de l’eau (baptême) et du sang (Eucharistie) qui coulent du côté de son Époux.

A l’Offertoire, l’Église veut entrer dans le sacrifice du Christ ; c’est pourquoi elle fait siennes ses lamentations. Le cœur de l’Église se fond intimement avec le cœur du Seigneur. La participation à la Passion du Christ est la glorification de son corps mystique.

Le sacrifice d’amour jette ses flammes dans la Préface qui est entièrement nouvelle : « Tu as voulu que ton Fils unique suspendu à la Croix fût transpercé par la lance du soldat, afin que le sanctuaire de la divine munificence nous versât les flots de miséricorde et de grâce, afin que ce cœur, qui ne cesse jamais de brûler d’amour pour nous, soit pour les personnes pieuses un lieu de repos et ouvre aux pénitents un refuge salutaire ».

Maintenant encore, dans le Saint-Sacrifice, l’Époux ensanglanté communique à son Épouse les trésors de son cœur, afin qu’elle soit une « plénitude ».

A la Communion, nous voyons encore l’image de la Croix. L’Église veut nous dire par-là que l’Eucharistie a son origine dans le côté ouvert du Seigneur... Pour conclure, nous adressons nos prières au Christ lui-même ; nous lui demandons que la sainte communion achève en nous la Rédemption : « Que nous apprenions à mépriser les choses terrestres et à aimer les choses célestes ».

2. L’office des Heures. — Le grand mystique, saint Bonaventure, nous parle du Sacré-Cœur : « Puisque nous sommes venus au très doux cœur de Jésus et qu’il est bon pour nous d’y demeurer, ne nous écartons pas de lui, parce qu’il est écrit : « Ceux qui s’écartent de toi seront inscrits dans la poussière » [68]. Mais qu’adviendra-t-il de ceux qui se donnent à lui ? Toi-même, Seigneur, tu nous instruis à ce sujet, car tu as dit à ceux qui s’approchaient de toi : « Réjouissez-vous, car vos noms sont inscrits dans le ciel » [69]. Nous voulons donc nous approcher de toi et tressaillir d’allégresse et, au souvenir de ton cœur, nous réjouir en toi. Oh ! Qu’il est bon et agréable d’habiter dans ce Cœur ! C’est un bon trésor, une précieuse perle que ton cœur, ô bon Jésus. Qui rejetterait cette perle ? Bien plutôt j’abandonnerai toutes les perles, j’échangerai mes pensées et mes affections et je me la procurerai ; je jetterai toute mon intelligence dans le cœur de Jésus et n’aurai aucune déception ; il me nourrira ».

[1] Pour rappel :
- Octaves de Ier ordre : Pâques et Pentecôte, ne le cèdent à aucune fête ;
- Octaves de IInd ordre : Épiphanie, Fête-Dieu, ne cèdent que devant les fêtes de Ière classe ;
- Octaves de IIIème ordre : Noël, Ascension, Sacré-Cœur, cèdent devant les fêtes doubles ;
- Octaves Communes : Immaculée Conception, Assomption, St Jean-Baptiste, Patronage de St Joseph, Sts Pierre et Paul, Toussaint, Dédicace et Titulaire d’une église, Dédicace et Titulaire de l’église Cathédrale, Patrons principaux du lieu, Fêtes de Ière classe avec Octave…
- Octaves Simples : Nativité de la Ste Vierge, St Jean Apôtre, St Etienne, Sts Innocents, Fêtes de IIème classe avec Octave.

[2] Ou du moins l’un de ses continuateurs.

[3] Année Liturgique, Temps après la Pentecôte, I, p. 504.

[4] Liber Sacramentorum, VII, p. 246.

[5] Act. II, 2.

[6] Johan. XIV, 26.

[7] Psalm. CX, 4.

[8] I Johan. III, 2.

[9] Ibid. 1, 3.

[10] Ibid. 1-2.

[11] Johan, I, 9.

[12] Luc. XV, 13.

[13] Legatus divinae pietatis. Lib. II, c. 23 ; Lib. III, c. 25.

[14] Johan. XIX, 34.

[15] Ibid. 35-36.

[16] Zach. XII, 10.

[17] Ibid. ; Johan. XIX, 37.

[18] Johan. III, 16.

[19] Luc. III, 21-22.

[20] Isai. XLII, I.

[21] I Johan. V, 7, 8, 11.

[22] I Johan. V, 6.

[23] Johan. V, 26, etc.

[24] Ibid. VII, 37-39.

[25] Isai. XII, 3.

[26] Johan. III, 5.

[27] Gen. II, 23 ; Eph. V, 30.

[28] Psalm. CVII, 1-4, ce psaume fut ajouté à l’Office des Matines du Sacré-Cœur en 1929.

[29] Gen. II, 24 ; Eph. V, 31.

[30] Cant. IV, 9.

[31] Eph. V, 32.

[32] I Cor. XI, 3.

[33] In Johan. Hom. 84, cf. Matines avant 1929, leçon 8.

[34] In Johan. Tract, CXX, cf. Matines avant 1929, leçon 7.

[35] Isai. II, 10.

[36] In Domin. Palm. Serm. IV.

[37] Cant. II, 14.

[38] Jerem. XLVIII, 28.

[39] Exod. XXXIII, 22.

[40] In Cant. Serm. LXI.

[41] I Reg. XVIII, 10-11.

[42] I Cor. X, 4.

[43] Lignum vitæ.

[44] LE HÉRAUT DE L’AMOUR DIVIN, Livre IV, c. 4.

[45] Préface des Révélations de sainte Gertrude traduites sur la nouvelle édition latine des Bénédictins de Solesmes.

[46] Apoc. XII, 4.

[47] Ose. XI, 4.

[48] I Cor. I, 27.

[49] Canonisée en 1920.

[50] Vie de la Bienheureuse écrite par elle-même.

[51] Luc. II, 34.

[52] Béatifié en 1909, canonisé en 1925.

[53] Le Cœur admirable de la T. Sacrée Mère de Dieu, Epître dédicatoire. Le séminaire des Eudistes à Caen, pour lequel fut bâtie cette église ou chapelle, est aujourd’hui l’Hôtel-de-Ville.

[54] Béatifié en 1929 et canonisé en 1992.

[55] Tit. III, 4.

[56] Jerem. II, 13.

[57] Ose. XI, 4.

[58] Johan. IV, 14.

[59] Dans le Liber Sacramentorum, la fête du Sacré Cœur se trouve encore au cycle sanctoral, le traducteur en donne la raison : « Conformément aux dernières rubriques, cette fête devrait se trouver au Propre du Temps, entre le IIe et le IIIe dimanche après la Pentecôte. Le tome III du Liber Sacramentorum avait déjà paru quand cette décision de la S. C. des Rites a été promulguée. Nous conservons donc à la fête du Sacré-Cœur la place qu’elle occupait dans les anciennes éditions du Missel, tout en substituant au précédent le nouveau texte de la messe (N. du T.) ».

[60] In Cantic. Serm. 61, n. 3-4. P. L., CLXXXIII, col. 1071-72.

[61] Cf. U. Berlière, La dévotion au Sacré-Cœur dans l’Ordre de Saint-Benoît. Paris, 1923.

[62] St Thomas d’Aquin, séquence de la Messe de la Fête-Dieu, « on s’en nourrit sans le consumer ».

[63] Cf. A. Willart, L’Hymne de Paulin sur Lazare dans un manuscrit d’Autun, Rev, Bénéd., XXXIV, 1922, p. 42.

[64] « Quand il se fit pour nous Sacrifice, alors de la blessure de son côté une source vive sortit ; d’elle coulèrent en même temps et mystiquement deux fleuves : le sang de la rédemption et l’eau du baptême ».

[65] « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné », Ps. 21.

[66] « Et Vous rendant grâce », cf. Luc. 17, 16 & I Cor. 11, 24.

[67] Le Ps. 32 a été introduit au nouvel Office au 1er Nocturne des Matines

[68] Jér., XVII, 13.

[69] Luc, X, 20.