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Dom Guéranger : les dons du Saint-Esprit

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Sommaire

  LES DONS DU SAINT-ESPRIT.  
  LE DON DE CRAINTE.  
  LE DON DE PIÉTÉ.  
  LE DON DE SCIENCE.  
  LE DON DE FORCE.  
  LE DON DE CONSEIL.  
  LE DON D'INTELLIGENCE.  
  LE DON DE SAGESSE.  

Dans son Année Liturgique, Dom Guéranger profite de chacun des jours de l’Octave de la Pentecôte pour donner un cours traité sur les dons du Saint-Esprit. Réparties parmi les commentaires liturgiques des jours de la sainte semaine, ses explications ne sont pas en lien direct avec les textes liturgiques de l’Octave : c’est pourquoi nous les donnons à part, d’une part pour les rassembler, d’autre part pour ne pas surcharger les commentaires liturgiques de chacun des jours de la Pentecôte.

LES DONS DU SAINT-ESPRIT.

Nous devons exposer durant toute cette semaine les divines opérations du Saint-Esprit dans l’Église et dans l’âme du fidèle ; mais il est nécessaire d’anticiper dès aujourd’hui sur l’enseignement que nous aurons à présenter. Sept journées nous sont données pour étudier et connaître le Don suprême que le Père et le Fils ont daigné nous envoyer, et l’Esprit qui procède des deux se manifeste en sept manières dans les âmes. Il est donc juste que chacun des jours de cette heureuse semaine soit consacré à honorer et à recueillir ce septénaire de bienfaits par lequel doivent s’opérer notre salut et notre sanctification.

Les sept Dons du Saint-Esprit sont sept énergies qu’il daigne déposer dans nos âmes, lorsqu’il y pénètre par la grâce sanctifiante. Les grâces actuelles mettent en mouvement simultanément ou séparément ces puissances divinement infuses en nous, et le bien surnaturel et méritoire de la vie éternelle est produit avec l’acquiescement de notre volonté.

Le prophète Isaïe, conduit par l’inspiration divine, nous a fait connaître ces sept Dons dans le passage où décrivant l’opération de l’Esprit-Saint sur l’âme du Fils de Dieu fait homme, qu’il nous représente comme la fleur sortie de la branche virginale issue du tronc de Jessé, il nous dit : « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur, l’Esprit de Sagesse et d’Intelligence, l’Esprit de Conseil et de Force, l’Esprit de Science et de Piété ; et l’Esprit de Crainte du Seigneur le remplira » [1].

Rien de plus mystérieux que ces paroles ; mais on sent que ce qu’elles expriment n’est pas une simple énumération des caractères du divin Esprit, mais bien la description des effets qu’il opère dans l’âme humaine. Ainsi l’a compris la tradition chrétienne énoncée dans les écrits des anciens Pères, et formulée par la théologie.

L’humanité sainte du Fils de Dieu incarné est le type surnaturel de la nôtre, et ce que l’Esprit-Saint a opère en elle pour la sanctifier doit en proportion avoir lieu en nous. Il a déposé dans le fils de Marie les sept énergies que décrit le Prophète ; les mêmes Dons en même nombre sont préparés à l’homme régénéré. On doit remarquer la progression qui se manifeste dans leur série. Isaïe énonce d’abord l’Esprit de Sagesse, et s’arrête en descendant à l’Esprit de Crainte de Dieu. La Sagesse est en effet, ainsi que nous le verrons, la plus haute des prérogatives à laquelle puisse être élevée l’âme humaine, tandis que la Crainte de Dieu, selon la profonde expression du Psalmiste, n’est que le commencement et l’ébauche de cette divine qualité. On comprend aisément que l’âme de Jésus appelée à contracter l’union personnelle avec le Verbe divin ait été traitée avec une dignité particulière, en sorte que le Don de la Sagesse ait dû être infus en elle d’une manière primordiale, et que le Don de la Crainte de Dieu, qualité nécessaire à une nature créée, n’ait été mis en elle que comme un complément.

Pour nous au contraire, fragiles et inconstants que nous sommes, la Crainte de Dieu est la base de tout l’édifice, et c’est par elle que nous nous élevons de degré en degré jusqu’à cette Sagesse qui unit à Dieu. C’est donc dans l’ordre inverse à celui qu’a posé Isaïe pour le Fils de Dieu incarné, que l’homme monte à la perfection au moyen des Dons de l’Esprit-Saint qui lui ont été conférés dans le Baptême, et qui lui sont rendus dans le sacrement de la réconciliation, s’il a eu le malheur de perdre la grâce sanctifiante parle péché mortel.

Admirons avec un profond respect l’auguste septénaire qui se trouve empreint dans toute l’œuvre de notre salut et de notre sanctification. Sept vertus rendent l’âme agréable à Dieu ; par ses sept Dons, l’Esprit-Saint la conduit à sa fin ; sept Sacrements lui communiquent les fruits de l’incarnation et de la rédemption de Jésus-Christ ; enfin, c’est après sept semaines écoulées depuis la Pâque, que le divin Esprit est envoyé sur la terre pour y établir et y consolider le règne de Dieu. Nous ne nous étonnerons pas après cela que Satan ait cherché à parodier sacrilègement l’œuvre divine, en lui opposant l’affreux septénaire des péchés capitaux, par lesquels il s’efforce de perdre l’homme que Dieu veut sauver.

LE DON DE CRAINTE.

L’obstacle au bien en nous est l’orgueil. C’est l’orgueil qui nous porte à résister à Dieu, à mettre notre fin en nous-mêmes, en un mot à nous perdre. L’humilité seule peut nous sauver d’un si grand péril. Qui nous donnera l’humilité ? l’Esprit-Saint, en répandant en nous le Don de la Crainte de Dieu.

Ce sentiment repose sur l’idée que la foi nous donne de la majesté de Dieu, en présence duquel nous ne sommes que néant, de sa sainteté infinie, devant laquelle nous ne sommes qu’indignité et souillure, du jugement souverainement équitable qu’il doit exercer sur nous au sortir de cette vie, et du danger d’une chute toujours possible, si nous manquons à la grâce qui ne nous manque jamais, mais à laquelle nous pouvons résister.

Le salut de l’homme s’opère donc « dans la crainte et le tremblement », comme l’enseigne l’Apôtre [2] ; mais cette crainte, qui est un don de l’Esprit-Saint, n’est pas un sentiment grossier qui se bornerait à nous jeter dans l’épouvante à la pensée des châtiments éternels. Elle nous maintient dans la componction du cœur, quand bien même nos péchés seraient depuis longtemps pardonnes ; elle nous empêche d’oublier que nous sommes pécheurs, que nous devons tout à la miséricorde divine, et que nous ne sommes encore sauvés qu’en espérance [3].

Cette crainte de Dieu n’est donc pas une crainte servile ; elle devient au contraire la source des sentiments les plus délicats. Elle peut s’allier avec l’amour, n’étant plus qu’un sentiment filial qui redoute le péché à cause de l’outrage qu’il fait à Dieu. Inspirée par le respect de la majesté divine, parle sentiment de la sainteté infinie, elle met la créature à sa vraie place, et saint Paul nous enseigne qu’ainsi épurée, elle contribue à « l’achèvement de la sanctification » [4]. Aussi entendons-nous ce grand Apôtre, qui avait été ravi jusqu’au troisième ciel, confesser qu’il est rigoureux envers lui-même « afin de n’être pas réprouvé » [5].

L’esprit d’indépendance et de fausse liberté qui règne aujourd’hui contribue à rendre plus rare la crainte de Dieu, et c’est là une des plaies de notre temps. La familiarité avec Dieu tient trop souvent la place de cette disposition fondamentale de la vie chrétienne, et dès lors tout progrès s’arrête, l’illusion s’introduit dans l’âme, et les divins Sacrements, qui au moment d’un retour à Dieu avaient opéré avec tant de puissance, deviennent à peu près stériles. C’est que le Don de Crainte a été étouffé sous la vaine complaisance de l’âme en elle-même. L’humilité s’est éteinte ; un orgueil secret et universel est venu paralyser les mouvements de cette âme. Elle arrive, sans s’en douter, à ne plus connaître Dieu, par cela même qu’elle ne tremble plus devant lui.

Conservez donc en nous, ô divin Esprit, le Don de la Crainte de Dieu que vous avez répandu en nous dans notre baptême. Cette crainte salutaire assurera notre persévérance dans le bien, en arrêtant les progrès de l’esprit d’orgueil. Qu’elle soit donc comme un trait qui traverse notre âme de part en part, et qu’elle y reste toujours fixée comme notre sauvegarde. Qu’elle abaisse nos hauteurs, qu’elle nous arrache à la mollesse, en nous révélant sans cesse la grandeur et la sainteté de celui qui nous a créés et qui doit nous juger.

Nous savons, ô divin Esprit, que cette heureuse crainte n’étouffe pas l’amour ; loin de là, elle enlève les obstacles qui l’arrêteraient dans son développement. Les Puissances célestes voient et aiment avec ardeur le souverain Bien, elles en sont enivrées pour l’éternité ; cependant elles tremblent devant sa majesté redoutable, tremunt Potestates. Et nous, couverts des cicatrices du péché, remplis d’imperfections, exposés à mille pièges, obliges de limer contre tant d’ennemis, nous ne sentirions pas qu’il nous faut stimuler par une crainte forte, et en même temps filiale, notre volonté qui s’endort si aisément, notre esprit que tant de ténèbres assiègent ! Veillez sur votre œuvre, ô divin Esprit ! Préservez en nous le précieux don que vous avez daigné nous faire ; apprenez-nous à concilier la paix et la joie du cœur avec la crainte de Dieu, selon cet avertissement du Psalmiste : « Servez le Seigneur « avec crainte, et tressaillez de bonheur en tremblant devant lui » [6].

LE DON DE PIÉTÉ.

Le don de Crainte de Dieu est destiné à guérir en nous la plaie de l’orgueil ; le don de Piété est répandu dans nos âmes par le Saint-Esprit pour combattre l’égoïsme, qui est l’une des mauvaises passions de l’homme déchu, et le second obstacle à son union avec Dieu. Le cœur du chrétien ne doit être ni froid ni indifférent ; il faut qu’il soit tendre et dévoué ; autrement il ne pourrait s’élever dans la voie à laquelle Dieu, qui est amour, a daigné l’appeler.

L’Esprit-Saint produit donc en l’homme le Don de Piété, en lui inspirant un retour filial vers son Créateur. « Vous avez reçu l’Esprit d’adoption, nous dit l’Apôtre, et c’est par cet Esprit que nous crions à Dieu : Père ! Père [7] ! » Cette disposition rend l’âme sensible à tout ce qui touche l’honneur de Dieu. Elle fait que l’homme nourrit en lui-même la componction de ses péchés, à la vue de l’infinie bonté qui a daigné le supporter et lui pardonner, à la pensée des souffrances et de la mort du Rédempteur.

L’âme initiée par le don de Piété désire constamment la gloire de Dieu ; elle voudrait amener tous les hommes à ses pieds, et les outrages qu’il reçoit lui sont particulièrement sensibles. Sa joie est de voir le progrès des âmes dans l’amour, et les dévouements que cet amour leur inspire pour celui qui est le souverain bien. Remplie d’une soumission filiale envers ce Père universel qui est aux cieux, elle est prête à toutes ses volontés. Elle se résigne de cœur à toutes les dispositions de sa Providence.

Sa foi est simple et vive. Elle se tient amoureusement soumise à l’Église, toujours prête à renoncer à ses idées les plus chères, si elles s’écartent en quelque chose de son enseignement ou de sa pratique, ayant une horreur instinctive de la nouveauté et de l’indépendance.

Ce dévouement à Dieu qu’inspire le don de Piété en unissant l’âme à son Créateur par l’affection filiale, l’unit d’une affection fraternelle à toutes les créatures, puisqu’elles sont l’œuvre de la puissance de Dieu et qu’elles sont à lui.

Au premier rang dans les affections du chrétien animé du don de Piété se placent les créatures glorifiées dont Dieu jouit éternellement, et qui jouissent de lui pour jamais. Il aime tendrement Marie, et il est jaloux de son honneur ; il vénère avec amour les saints ; il admire avec effusion le courage des martyrs, et les actes héroïques de vertu accomplis par les amis de Dieu ; il se délecte de leurs miracles, il honore religieusement leurs reliques sacrées.

Mais son affection n’est pas seulement pour les créatures couronnées au ciel ; celles qui sont encore ici-bas tiennent une large place dans son cœur. Le don de Piété lui fait trouver en elles Jésus lui-même. Sa bienveillance pour ses frères est universelle. Son cœur est disposé au pardon des injures, au support des imperfections d’autrui, à l’excuse pour les torts du prochain. Il est compatissant pour le pauvre, empressé auprès de l’infirme. Une douceur affectueuse révèle le fond de son cœur ; et dans ses rapports avec ses frères de la terre, on le voit toujours disposé à pleurer avec ceux qui pleurent, à se réjouir avec ceux qui sont dans la joie.

Telle est, ô divin Esprit, la disposition de ceux qui cultivent le don de Piété que vous avez versé dans leurs âmes. Par cet ineffable bienfait, vous neutralisez le triste égoïsme qui flétrirait leur cœur, vous les délivrez de cette sécheresse odieuse qui rend l’homme indifférent à ses frères, et vous fermez son âme à l’envie et à la haine. Pour cela il ne lui a fallu que cette piété filiale envers son Créateur ; elle a attendri son cœur, et ce cœur s’est fondu dans une vive affection pour tout ce qui est sorti des mains de Dieu. Faites fructifier en nous un si précieux don, ô divin Esprit ! Ne permettez pas qu’il soit étouffé par l’amour de nous-mêmes. Jésus nous a encouragés en nous disant que son Père céleste « fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants » [8] ; ne soutirez pas, divin Paraclet, qu’une si paternelle indulgence soit un exemple perdu pour nous, et daignez développer dans nos âmes ce germe de dévouement, de bienveillance et de compassion que vous y avez daigné placer au moment où vous en preniez possession par le saint Baptême.

LE DON DE SCIENCE.

L’âme ayant été détachée du mal par la Crainte de Dieu et ouverte aux nobles affections par le don de Piété, éprouve le besoin de savoir par quel moyen elle évitera ce qui fait l’objet de sa crainte et pourra trouver ce qu’elle doit aimer. L’Esprit-Saint vient à son secours, et lui apporte ce qu’elle désire, en répandant en elle le Don de Science. Par ce don précieux la vérité lui apparaît, elle connaît ce que Dieu demande et ce qu’il reprouve, ce qu’elle doit rechercher et ce qu’elle doit fuir. Sans la science divine notre vue court risque de s’égarer, à cause des ténèbres qui trop souvent obscurcissent en tout ou en partie l’intelligence de l’homme. Ces ténèbres proviennent d’abord de notre propre fonds qui porte des traces trop réelles de la déchéance. Elles ont encore pour cause les préjugés et les maximes du monde qui faussent tous les jours les esprits que l’on croirait les plus droits. Enfin l’action de Satan, qui est le Prince des ténèbres, s’exerce en grande partie dans le but d’environner notre âme d’obscurités, ou de l’égarer à l’aide de fausses lueurs.

La foi qui nous a été infuse dans le baptême est la lumière de notre âme. Par le don de Science, l’Esprit-Saint fait produire à cette vertu des rayons assez vifs pour dissiper toutes nos ténèbres. Les doutes alors s’éclaircissent, l’erreur s’évanouit, et la vérité apparaît dans tout son éclat. On voit chaque chose dans son véritable jour, qui est le jour de la foi. On découvre les déplorables erreurs qui ont cours dans le monde, qui séduisent un si grand nombre d’âmes, et dont peut-être on a été soi-même longtemps la victime.

Le don de Science nous révèle la fin que Dieu s’est proposée dans la création, cette fin hors laquelle les êtres ne sauraient trouver ni le bien ni le repos. Il nous apprend l’usage que nous devons faire des créatures, qui nous ont été données non pour nous être un écueil, mais pour nous aider dans notre marche vers Dieu. Le secret de la vie nous étant ainsi manifesté, notre route devient sûre, nous n’hésitons plus, et nous nous sentons disposés à nous retirer de toute voie qui ne nous conduirait pas au but.

C’est cette Science, don de l’Esprit-Saint, que l’Apôtre a en vue lorsque, parlant aux chrétiens, il leur dit : « Autrefois vous étiez ténèbres ; maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur : marchez désormais comme les fils de la lumière » [9]. De là vient cette fermeté, cette assurance de la conduite chrétienne. L’expérience peut manquer quelquefois, et le monde s’émeut à la pensée des faux pas qui sont à redouter ; mais le monde a compté sans le don de Science. « Le Seigneur conduit le juste par les voies droites, et pour assurer ses pas il lui a donné la Science des saints » [10]. Chaque jour cette leçon est donnée. Le chrétien, au moyen de la lumière surnaturelle, échappe à tous les dangers, et s’il n’a pas l’expérience propre, il a l’expérience de Dieu.

Soyez béni, divin Esprit, pour cette lumière que vous répandez en nous, que vous y maintenez avec une si aimable persévérance. Ne permettez pas que nous en cherchions jamais une autre. Elle seule nous suffit ; hors d’elle il n’y a que ténèbres. Gardez-nous des tristes inconséquences auxquelles plusieurs se laissent aller imprudemment, acceptant un jour votre conduite, et le lendemain se livrant aux préjugés du monde ; menant une double vie qui ne satisfait ni le monde ni vous. Il nous faut donc l’amour de cette Science que vous nous avez donnée pour que nous fussions sauvés ; l’ennemi de nos âmes la jalouse en nous, cette science salutaire ; il voudrait y substituer ses ombres. Ne permettez pas, divin Esprit, qu’il réussisse dans son perfide dessein, et aidez-nous toujours à discerner ce qui est vrai de ce qui est faux, ce qui est juste de ce qui est injuste. Que, selon la parole de Jésus, notre œil soit simple, afin que tout notre corps, c’est-à-dire l’ensemble de nos actes, de nos désirs et de nos pensées, soit dans la lumière [11] ; et sauvez-nous, divin Esprit, de cet œil que Jésus appelle mauvais, et qui rend ténébreux le corps tout entier.

LE DON DE FORCE.

Le don de Science nous a appris ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter pour être conformes au dessein de Jésus-Christ notre divin chef. Il faut maintenant que l’Esprit-Saint établisse en nous un principe duquel nous puissions emprunter l’énergie qui devra nous soutenir dans la voie qu’il vient de nous montrer. Nous devons en effet compter sur des obstacles, et le grand nombre de ceux qui succombent suffit à nous convaincre du besoin que nous avons d’être aidés. Le secours que le divin Esprit nous communique est le Don de Force, par lequel, si nous sommes fidèles à l’employer, il nous sera possible et même aisé de triompher de tout ce qui pourrait arrêter notre marche.

Dans les difficultés et les épreuves de la vie, l’homme est tantôt porté à la faiblesse et à l’abattement, tantôt poussé par une ardeur naturelle qui a sa source dans le tempérament ou dans la vanité. Cette double disposition avancerait peu la victoire dans les combats que l’âme doit livrer pour son salut. L’Esprit-Saint apporte donc un élément nouveau, cette force surnaturelle qui lui est tellement propre que le Sauveur, instituant ses Sacrements, en a établi un qui a pour objet spécial de nous donner ce divin Esprit comme principe d’énergie. Il est hors de doute qu’ayant à lutter pendant cette vie contre le démon, le monde et nous-mêmes, il nous faut autre chose pour résister que la pusillanimité ou l’audace. Nous avons besoin d’un don qui modère en nous la peur, en même temps qu’il tempère la confiance que nous serions portés à mettre en nous-mêmes. L’homme ainsi modifié par le Saint-Esprit vaincra sûrement ; car la grâce suppléera en lui à la faiblesse de la nature, en même temps qu’elle en corrigera la fougue.

Deux nécessités se rencontrent dans la vie du chrétien : il lui faut savoir résister et savoir supporter. Que pourrait-il opposer aux tentations de Satan, si la Force du divin Esprit ne venait le couvrir d’une armure céleste et aguerrir son bras ? Le monde n’est-il pas aussi un adversaire terrible, si l’on considère le nombre des victimes qu’il fait chaque jour par la tyrannie de ses maximes et de ses prétentions ? Quelle ne doit pas être l’assistance du divin Esprit, lorsqu’il s’agit de rendre le chrétien invulnérable aux traits meurtriers qui font tant de ravages autour de lui ?

Les passions du cœur de l’homme ne sont pas un moindre obstacle à son salut et à sa sanctification : obstacle d’autant plus redoutable qu’il est plus intime. Il faut que l’Esprit-Saint transforme le cœur, qu’il l’entraîne même à se renoncer, lorsque la lumière céleste indique une autre voie que celle vers laquelle nous pousse l’amour et la recherche de nous-mêmes. Quelle Force divine ne faut-il pas pour « haïr jusqu’à sa propre vie », quand Jésus-Christ l’exige [12], quand il s’agit de faire le choix entre deux maîtres dont le service est incompatible [13] ? L’Esprit-Saint fait tous les jours de ces prodiges au moyen du don qu’il a répandu en nous, si nous ne méprisons pas ce don, si nous ne l’étouffons pas dans notre lâcheté ou dans notre imprudence. Il apprend au chrétien à dominer ses passions, à ne pas se laisser conduire par ces guides aveugles, à ne céder à ses instincts que lorsqu’ils sont conformes à l’ordre que Dieu a établi.

Quelquefois ce divin Esprit ne demande pas seulement que le chrétien résiste intérieurement aux ennemis de son âme ; il exige qu’il proteste ouvertement contre l’erreur et le mal, si le devoir d’état ou la position le réclament. C’est alors qu’il faut braver cette sorte d’impopularité qui s’attache parfois au chrétien, et qui ne doit pas le surprendre quand il se rappelle les paroles de l’Apôtre : « Si j’étais agréable aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ » [14]. Mais l’Esprit-Saint ne fait jamais défaut, et lorsqu’il rencontre une âme résolue à user de la Force divine dont il est la source, non seulement il lui assure le triomphe, mais il l’établit pour l’ordinaire dans cette paix pleine de douceur et de courage qu’apporte la victoire sur les passions.

Telle est la manière dont l’Esprit-Saint applique le don de Force au chrétien, lorsque celui-ci doit s’exercer à la résistance. Nous avons dit que ce précieux don apportait en même temps l’énergie nécessaire pour supporter les épreuves au prix desquelles est le salut. Il est des frayeurs qui glacent le courage et peuvent entraîner l’homme à sa perte. Le don de Force les dissipe ; il les remplace par un calme et une assurance qui déconcertent la nature. Voyez les martyrs, et non pas seulement un saint Maurice, chef de la légion Thébaine, accoutumé aux luttes du champ de bataille, mais ces Félicité, mère de sept enfants, ces Perpétue, noble dame de Carthage pour laquelle le monde n’avait que des faveurs ; ces Agnès, enfant de treize ans, et tant de milliers d’autres, et dites si le don de Force est stérile en sacrifices. Qu’est devenue la peur de la mort, de cette mort dont la seule pensée nous accable parfois ? Et ces généreuses offrandes de toute une vie immolée dans le renoncement et les privations, afin de trouver Jésus sans partage et de suivre ses traces de plus près ! Et tant d’existences voilées aux regards distraits et superficiels des hommes, existences dont l’élément est le sacrifice, où la sérénité n’est jamais vaincue par l’épreuve, où la croix toujours renaissante est toujours acceptée !

Quels trophées pour l’Esprit de Force ! Que de dévouements au devoir il sait produire ! Et si l’homme à lui seul est peu de chose, combien il grandit sous l’action de l’Esprit-Saint ! C’est lui encore qui aide le chrétien à braver la triste tentation du respect humain, l’élevant au-dessus des considérations mondaines qui dicteraient une autre conduite. C’est lui qui pousse l’homme à préférer au vain honneur du monde la joie de n’avoir pas violé le commandement de son Dieu. C’est cet Esprit de Force qui fait accepter les disgrâces de la fortune comme autant de desseins miséricordieux du ciel, qui soutient le courage du chrétien dans la perte si douloureuse d’êtres chéris, dans les souffrances physiques qui lui rendraient la vie à charge, s’il ne savait qu’elles sont des visites du Seigneur. C’est lui enfin, comme nous le lisons dans la Vie des saints, qui se sert des répugnances mêmes de la nature, pour provoquer ces actes héroïques où la créature humaine semble avoir franchi les limites de son être pour s’élever au rang des esprits impassibles et glorifiés.

Esprit de Force, soyez toujours plus en nous, et sauvez-nous de la mollesse de ce siècle. A aucune époque l’énergie des âmes n’a été plus affaiblie, l’esprit mondain plus triomphant, le sensualisme plus insolent, l’orgueil et l’indépendance plus prononcés. Savoir être fort contre soi-même, est une rareté qui excite l’étonnement dans ceux qui en sont témoins : tant les maximes de l’Évangile ont perdu de terrain ! Retenez-nous sur cette pente qui nous entraînerait comme tant d’autres, ô divin Esprit ! Souffrez que nous vous adressions en forme de demande les vœux que formait Paul pour les chrétiens d’Éphèse, et que nous osions réclamer de votre largesse « cette armure divine qui nous mettra en état de résister au jour mauvais et de demeurer parfaits en toutes choses. Ceignez nos reins de la vérité, couvrez-nous de la cuirasse de la justice, donnez à nos pieds l’Évangile de paix pour chaussure indestructible ; munissez-nous du bouclier de la foi, contre lequel viennent s’éteindre les traits enflammés de notre cruel ennemi. Placez sur notre tête le casque qui est l’espérance du salut, et dans notre main le glaive spirituel qui est la parole même de Dieu » [15], et à l’aide duquel, comme le Seigneur dans le désert, nous pouvons venir à bout de tous nos adversaires. Esprit de Force, faites qu’il en soit ainsi.

LE DON DE CONSEIL.

Le don de Force dont nous avons reconnu la nécessité dans l’œuvre de la sanctification du chrétien, ne suffirait pas pour assurer ce grand résultat, si le divin Esprit n’avait pris soin de l’unir à un autre don qui vient à la suite et prévient tout danger. Ce nouveau bienfait consiste dans le Don de Conseil. La Force ne saurait être laissée à elle seule : il lui faut un élément qui la dirige. Le don de Science ne pourrait être cet élément, parce que s’il éclaire l’âme sur sa fin, et sur les règles générales de la conduite qu’elle doit tenir, il n’apporte pas une lumière suffisante sur les applications spéciales de la loi de Dieu et sur le gouvernement de la vie.

Dans les diverses situations où nous pouvons être placés, dans les résolutions que nous pouvons avoir à prendre, il est nécessaire que nous entendions la voix de l’Esprit-Saint, et c’est par le don de Conseil que cette voix divine arrive jusqu’à nous. C’est elle qui nous dit, si nous voulons l’écouter, ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter, ce que nous devons dire et ce que nous devons taire, ce que nous pouvons conserver et ce à quoi nous devons renoncer. Par le don de Conseil, l’Esprit-Saint agit sur notre intelligence, de même qu’il agit sur notre volonté par le don de Force.

Ce don précieux s’applique à la vie entière ; car il nous faut sans cesse nous déterminer pour un parti ou pour l’autre, et ce nous est un grand sujet de reconnaissance envers l’Esprit divin, de penser qu’il ne nous laisse jamais à nous-mêmes, tant que nous sommes disposés à suivre la direction qu’il nous imprime. Que de pièges il peut nous faire éviter ! Que d’illusions il peut détruire en nous ! Que de réalités il nous découvre ! Mais pour ne pas perdre ses inspirations, il nous faut nous garder de l’entraînement naturel qui nous détermine trop souvent peut-être, de la témérité qui nous emporte au gré de la passion, de la précipitation qui nous sollicite de juger et d’agir, lors même que nous n’avons vu encore qu’un côté des choses, de l’insouciance enfin qui fait que nous nous décidons au hasard, dans la crainte de nous fatiguer par la recherche de ce qui serait le meilleur.

Le Saint-Esprit, par le don de Conseil, arrache l’homme à tous ces inconvénients. Il réforme la nature si souvent excessive, quand elle n’est pas apathique. Il tient l’âme attentive à ce qui est vrai, à ce qui est bon, à ce qui lui est vraiment avantageux. Il lui insinue cette vertu qui est le complément et comme l’assaisonnement de toutes les autres, nous voulons dire la discrétion dont il a le secret, et par laquelle les vertus se conservent, s’harmonisent et ne dégénèrent pas en défauts. Sous la direction du don de Conseil, le chrétien n’a rien à craindre ; l’Esprit-Saint prend sur lui la responsabilité de tout. Qu’importe donc que le monde blâme ou critique, qu’il s’étonne ou se scandalise ! Le monde se croit sage ; mais il n’a pas le don de Conseil. De là vient que souvent les résolutions prises sous son inspiration aboutissent à un but tout autre que celui qu’il s’était proposé. Et il en devait être ainsi ; car c’est à lui que le Seigneur a dit : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies » [16].

Appelons donc de toute l’ardeur de nos désirs le don divin qui nous préservera du danger de nous gouverner nous-mêmes ; mais comprenons que ce don n’habite que dans ceux qui l’estiment assez pour se renoncer en sa présence. Si l’Esprit-Saint nous trouve détachés des idées humaines, convaincus de notre fragilité, il daignera être notre Conseil ; de même que si nous étions sages à nos propres yeux, il retirerait sa lumière et nous laisserait à nous-mêmes.

Nous ne voulons pas qu’il en arrive ainsi pour nous, ô divin Esprit ! Nous savons trop par notre expérience qu’il ne nous est pas avantageux de courir les hasards de la prudence humaine, et nous abdiquons sincèrement devant vous les prétentions de notre esprit si prompt à s’éblouir et à se faire illusion. Conservez en nous et daignez y développer en toute liberté ce don ineffable que vous nous avez octroyé dans le Baptême : soyez pour toujours notre Conseil. « Faites-nous connaître vos voies, et enseignez-nous vos sentiers. Dirigez-nous dans la vérité et instruisez-nous ; car c’est de vous que nous viendra le salut, et c’est pour cela que nous nous attachons à votre conduite » [17]. Nous savons que nous serons jugés sur toutes nos œuvres et sur tous nos desseins ; mais nous savons aussi que nous n’avons rien à craindre tant que nous sommes fidèles à votre conduite. Nous serons donc attentifs « à écouter ce que dit en nous le Seigneur notre Dieu » [18], l’Esprit de Conseil, soit qu’il nous parle directement, soit qu’il nous renvoie à l’organe qu’il a voulu choisir pour nous. Soit donc béni Jésus qui nous a envoyé son Esprit pour être notre conducteur, et soit béni ce divin Esprit qui daigne nous assister toujours, et que nos résistances passées n’ont pas éloigné de nous !

LE DON D'INTELLIGENCE.

Ce sixième Don de l’Esprit-Saint fait entrer l’âme dans une voie supérieure à celle où elle s’est exercée jusqu’ici. Les cinq premiers Dons tendent tous à l’action. La Crainte de Dieu remet l’homme à sa place en l’humiliant, la Piété ouvre son cœur aux affections divines, la Science lui fait discerner la voie du salut de la voie de perdition, la Force l’arme pour le combat, le Conseil le dirige dans ses pensées et dans ses œuvres ; il peut donc agir maintenant, et poursuivre sa route avec l’espoir d’arriver au terme. Mais la bonté du divin Esprit lui réserve encore d’autres faveurs. Il a résolu de le faire jouir dès ce monde d’un avant-goût de la félicité qu’il lui réserve dans l’autre vie. Ce sera le moyen d’affermir sa marche, d’animer son courage et de récompenser ses efforts. La voie de la contemplation lui sera donc désormais ouverte, et le divin Esprit l’y introduira au moyen de l’Intelligence.

A ce mot de contemplation, plusieurs personnes s’inquiéteront peut-être, persuadées à tort que l’élément qu’il signifie ne saurait se rencontrer que dans les conditions rares d’une vie passée dans la retraite et loin du commerce des hommes. C’est une grave et dangereuse erreur, et qui arrête trop souvent l’essor des âmes. La contemplation est l’état auquel est appelée, dans une certaine mesure, toute âme qui cherche Dieu. Elle ne consiste pas dans les phénomènes qu’il plaît à l’Esprit-Saint de manifester en certaines personnes privilégiées, et qu’il destine à prouver la réalité de la vie surnaturelle. Elle est simplement cette relation plus intime qui s’établit entre Dieu et l’âme qui lui est fidèle dans l’action ; à cette âme, si elle n’y met obstacle, sont réservées deux faveurs, dont la première est le don d’Intelligence qui consiste dans l’illumination de l’esprit éclairé désormais d’une lumière supérieure.

Cette lumière n’enlève pas la foi, mais elle éclaircit l’œil de l’âme en la fortifiant, et lui donne une vue plus étendue sur les choses divines. Beaucoup de nuages s’effacent, qui provenaient de la faiblesse et de la grossièreté de l’âme non initiée encore. La beauté pleine de charme des mystères que 1’on ne sentait que vaguement se révèle, d’ineffables harmonies que l’on ne soupçonnait pas apparaissent. Ce n’est pas la vue face à face réservée pour le jour éternel ; mais ce n’est déjà plus cette faible lueur qui dirigeait les pas. Un ensemble d’analogies, de convenances, qui se montrent successivement à l’œil de l’esprit, apportent une certitude pleine de douceur. L’âme se dilate à ces clartés qui enrichissent la foi, accroissent l’espérance et développent l’amour. Tout lui semble nouveau ; et quand elle regarde derrière elle, elle compare et voit clairement que la vérité, toujours la même, est maintenant saisie par elle d’une manière incomparablement plus complète.

Le récit des Évangiles l’impressionne davantage ; elle trouve une saveur inconnue pour elle jusqu’alors dans les paroles du Sauveur. Elle comprend mieux le but qu’il s’est proposé dans l’institution de ses Sacrements. La sainte Liturgie l’émeut par ses formules si augustes et ses rites si profonds. La lecture de la Vie des Saints l’attire, rien ne l’étonne dans leurs sentiments et leurs actes ; elle goûte leurs écrits plus que tous les autres, et elle ressent un accroissement de bien-être spirituel en traitant avec ces amis de Dieu. Entourée de devoirs de toute nature, le flambeau divin la guide pour satisfaire à chacun. Les vertus si diverses qu’elle doit pratiquer se concilient dans sa conduite ; l’une n’est jamais sacrifiée à l’autre, parce qu’elle voit l’harmonie qui doit régner entre elles. Elle est loin du scrupule comme du relâchement, et toujours attentive a réparer aussitôt les pertes qu’elle a pu faire.

Quelquefois même le divin Esprit l’instruit par une parole intérieure que son âme entend, et qui éclaire sa situation d’un nouveau jour.

Désormais le monde et ses vaines erreurs sont appréciés par elle pour ce qu’ils sont, et l’âme se purifie du reste d’attache et de complaisance qu’elle pouvait encore conserver pour eux. Ce qui n’a de grandeur et de beautés que selon la nature, paraît chétif et misérable à cet œil que l’Esprit-Saint a ouvert aux grandeurs et aux beautés divines et éternelles. Un seul côté rachète à ses yeux ce monde extérieur qui fait illusion à l’homme charnel : c’est que la créature visible, qui porte la trace de la beauté de Dieu, est susceptible de servir à la gloire de son auteur. L’âme apprend à user d’elle avec action de grâces, la rendant surnaturelle, glorifiant avec le Roi-Prophète celui qui a empreint les traits de sa beauté dans cette multitude d’êtres qui servent si souvent à la perte de l’homme, tandis qu’ils sont appelés à devenir les degrés qui le conduiraient à Dieu.

Le don d’Intelligence répand aussi dans l’âme la connaissance de sa propre voie. Il lui fait comprendre combien ont été sages et miséricordieux les desseins d’en haut qui l’ont parfois brisée et transportée là où elle ne comptait pas aller. Elle voit que si elle eût été maîtresse de disposer elle-même son existence, elle eût manqué son but, et que Dieu l’a fait arriver, en lui cachant d’abord les desseins de sa paternelle Sagesse. Maintenant elle est heureuse, car elle jouit de la paix, et son cœur n’a pas assez d’actions de grâces pour remercier Dieu qui l’a conduite au terme sans la consulter. S’il arrive qu’elle soit appelée à donner des conseils, à exercer une direction par devoir ou par le motif de la charité, on peut se confier en elle ; le don d’Intelligence l’éclairé pour les autres comme pour elle-même. Elle ne s’ingère pas cependant à poursuivre de ses leçons ceux qui ne les lui demandent pas ; mais si elle est interrogée, elle répond, et ses réponses sont lumineuses comme le flambeau qui l’éclairé.

Tel est le don d’Intelligence, véritable illumination de l’âme chrétienne, et qui se fait sentir à elle en proportion de sa fidélité à user des autres dons. Celui-ci se conserve par l’humilité, la modération des désirs et le recueillement intérieur. Une conduite dissipée en arrêterait le développement et pourrait même l’étouffer. Dans une vie occupée et remplie par des devoirs, au sein même de distractions obligées auxquelles l’âme se prête sans s’y livrer, cette âme fidèle peut se conserver recueillie. Qu’elle soit donc simple, qu’elle soit petite à ses propres yeux, et ce que Dieu cache aux superbes et révèle aux petits [19] lui sera manifesté et demeurera en elle.

Nul doute qu’un tel don ne soit d’un secours immense pour le salut et la sanctification de l’âme. Nous devons donc l’implorer du divin Esprit avec toute l’ardeur de nos désirs, en demeurant convaincus que nous l’atteindrons plus sûrement par l’élan de notre cœur que par l’effort de notre esprit. C’est dans l’intelligence, il est vrai, que se répand la lumière divine qui est l’objet de ce don ; mais son effusion provient surtout de la volonté échauffée du feu de la charité, selon la parole d’Isaïe : « Croyez, et vous aurez l’intelligence » [20]. Adressons-nous à l’Esprit-Saint, et nous servant des paroles de David, disons-lui : « Ouvrez nos yeux, et nous contemplerons les merveilles de vos préceptes ; donnez-nous l’intelligence, et nous aurons la vie » [21]. Instruits par l’Apôtre, nous exposerons notre demande d’une manière plus pressante encore, en nous appropriant la prière qu’il adresse au Père céleste en faveur des fidèles d’Éphèse, lorsqu’il implore pour eux « l’Esprit de Sagesse et de révélation par lequel on connaît Dieu, les yeux illuminés du cœur qui découvrent l’objet de notre espérance et les richesses du glorieux héritage que Dieu s’est préparé dans ses saints » [22].

LE DON DE SAGESSE.

La seconde faveur qu’a destinée le divin Esprit à l’âme qui lui est fidèle dans l’action, est le don de Sagesse, supérieur encore à celui de l’Intelligence. Il est lié cependant à ce dernier, en ce sens que l’objet montré dans l’Intelligence est goûté, et possédé dans le don de Sagesse. Le Psalmiste, invitant l’homme à s’approcher de Dieu, lui recommande la saveur du souverain bien. « Goûtez, dit-il, et expérimentez que le Seigneur est rempli de douceur » [23]. La sainte Église, au jour même de la Pentecôte, demande à Dieu pour nous la faveur de goûter le bien, recta sapere, parce que l’union de l’âme avec Dieu est plutôt l’expérimentation par le goût qu’une vue qui serait incompatible avec notre état présent. La lumière donnée par le don d’Intelligence n’est pas immédiate, elle réjouit vivement l’âme, et dirige son sens vers la vérité ; mais elle tend à se compléter par le don de Sagesse qui est comme sa fin.

L’Intelligence est donc illumination, et la Sagesse est union. Or, l’union avec le souverain bien s’accomplit par la volonté, c’est-à-dire par l’amour qui réside dans la volonté. Nous remarquons cette progression dans les hiérarchies angéliques. Le Chérubin étincelle d’intelligence, mais au-dessus de lui encore est le Séraphin embrasé. L’amour est ardent chez le Chérubin, de même que l’intelligence éclaire de sa vive lumière le Séraphin ; mais l’un est différencié de l’autre par la qualité prédominante, et le plus élevé est celui qui atteint le plus intimement la divinité par l’amour, celui qui goûte le souverain bien.

Le septième don est décoré du beau nom de Sagesse, et ce nom lui vient de l’éternelle Sagesse à laquelle il tend à s’assimiler par l’ardeur de l’affection. Cette Sagesse incréée, qui daigne se laisser goûter par l’homme dans cette vallée de larmes, est le Verbe divin, celui-là même que l’Apôtre appelle a la splendeur de la gloire du « Père et la forme de sa substance » [24]. C’est lui qui nous a envoyé l’Esprit pour nous sanctifier et nous ramener à lui, en sorte que l’opération la plus élevée de ce divin Esprit est de procurer notre union avec celui qui, étant Dieu, s’est fait chair et s’est rendu pour nous obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix [25]. Par les mystères accomplis dans son humanité, Jésus nous a fait pénétrer jusqu’à sa divinité ; par la foi éclairée de l’Intelligence surnaturelle, « nous voyons sa gloire qui est celle du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité » [26] ; et de même qu’il s’est fait participant de notre humble nature humaine, il se donne dès ce monde à goûter, lui Sagesse incréée, à cette Sagesse créée que l’Esprit-Saint forme en nous comme le plus sublime de ses dons.

Heureux donc celui en qui règne cette précieuse Sagesse qui révèle à l’âme la saveur de Dieu et de ce qui est de Dieu ! « L’homme animal, nous dit l’Apôtre, est privé de ce goût qui perçoit ce qui vient de l’Esprit de Dieu » [27] pour jouir de ce don, il lui faudrait devenir spirituel, se prêter docilement au désir de l’Esprit, et il arriverait comme d’autres qui après avoir été ainsi que lui esclaves de la vie charnelle, en ont été affranchis par la docilité à l’égard de l’Esprit divin qui les a cherchés et qui les a retrouvés. L’homme moins grossier, mais livré à l’esprit du monde, est également impuissant à comprendre ce qui fait l’objet du don de Sagesse et ce que révèle le don d’Intelligence. Il juge ceux qui ont reçu ces dons, et il les blâme ; heureux s’il ne les traverse pas, s’il ne les poursuit pas ! Jésus nous le dit expressément : « Le monde ne peut recevoir « l’Esprit de Vérité, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas » [28] Que ceux-là donc qui ont le bonheur de désirer le bien suprême, sachent qu’il leur faut être entièrement dégagés de l’esprit profane qui est l’ennemi personnel de l’Esprit de Dieu. Affranchis de sa chaîne, ils pourront s’élever jusqu’à la Sagesse.

Le propre de ce don est de procurer une grande vigueur à l’âme et de fortifier ses puissances. Toute la vie en est comme assainie, ainsi qu’il arrive à ceux qui font usage d’aliments qui leur conviennent. Il n’y a plus de contradiction entre Dieu et l’âme, et c’est pour cette raison que l’union est rendue facile. « Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, » dit l’Apôtre [29]. Tout devient aisé pour l’âme, sous l’action de l’Esprit de Sagesse. Les choses dures à la nature, loin d’étonner, semblent douces, et le cœur ne s’effraye plus autant de la souffrance. Non seulement on peut dire que Dieu n’est pas loin d’une âme que l’Esprit-Saint a mise dans cette disposition ; il est visible qu’elle lui est unie. Qu’elle veille cependant sur l’humilité ; car l’orgueil peut encore monter jusqu’à elle, et sa chute serait d’autant plus profonde que son élévation est plus grande.

Insistons auprès du divin Esprit, et prions-le de ne pas nous refuser cette précieuse Sagesse qui nous conduira à Jésus, la Sagesse infinie. Un sage de l’ancienne loi aspirait déjà à cette faveur, quand il écrivait ces paroles dont le chrétien seul a l’intelligence parfaite : « J’ai désiré, disait-il, et l’Intelligence m’a été donnée ; j’ai prié, et l’Esprit de Sagesse est venu en moi » [30]. Il faut donc demander ce don avec instance. Dans la nouvelle Alliance, l’Apôtre saint Jacques nous y invite par ses exhortations les plus pressantes. « Si quelqu’un de vous, dit-il, veut avoir la Sagesse, qu’il la demande à Dieu qui donne à tous avec tant de largesse et qui ne reproche pas ses dons ; qu’il demande avec foi, et qu’il n’hésite pas » [31]. Nous osons prendre pour nous cette invitation de l’Apôtre, ô divin Esprit, et nous vous disons : O vous qui procédez de la Puissance et de la Sagesse, donnez-nous la Sagesse. Celui qui est la Sagesse vous a envoyé vers nous pour nous réunir à lui. Enlevez-nous à nous-mêmes, et unissez-nous à celui qui s’est uni à notre faible nature. Moyen sacré de l’unité, soyez le lien qui nous unira pour jamais à Jésus, et celui qui est la Puissance et le Père nous adoptera « pour ses héritiers et pour les cohéritiers de son Fils » [32].

[1] Isai. XI, 2, 3.

[2] Philip, II, 12.

[3] Rom. VIII, 24.

[4] II Cor. VII, 1.

[5] I Cor. IX, 27.

[6] Psalm. II, 11.

[7] Rom. VIII, 15.

[8] Matth. V, 45.

[9] Eph. V, 8.

[10] Sap. X, 10.

[11] Matth. VI, 23.

[12] Johan. XII, 25.

[13] Matth. VI, 24.

[14] Gal. I, 10.

[15] Eph. VI, II-17.

[16] Isai. LV, 8.

[17] Psalm. CXVIII.

[18] Psalm. LXXXIV, 9.

[19] Luc. X, 21.

[20] Isai. VI, 9, cité ainsi par les Pères grecs et latins d’après les Septante.

[21] Psalm. CXVIII.

[22] Eph. I, 17-18.

[23] Psalm. XXXIII, 9.

[24] Heb. I, 3.

[25] Philip, II, 8.

[26] Johan. I, 14.

[27] I Cor. II, 14.

[28] Johan. XIV, 17.

[29] II Cor. III, 17.

[30] Sap. VII, 7.

[31] Jac. I, 5.

[32] Rom. VIII, 17.