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Commentaires liturgiques de la Fête de la Transfiguration

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Sommaire

  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique  

On trouvera les textes de la messe et de l’Office ici

Même si la Fête remonte à l’antiquité et se diffusa en Occident à partir du IX e siècle, il faudra attendre 1457 pour que Callixte III l’inscrive au Calendrier, à l’occasion de la victoire sur les turcs près de Belgrade le 6 août 1456. Double à son institution, elle devint double-majeur sous Clément VIII en 1602, puis fut élevée à la 2ème classe par St Pie X en 1912.

« La Transfiguration du Seigneur est célébrée par toutes les Églises d’Orient comme l’une des fêtes majeures de l’année. Elle remonte au Ve siècle, car elle était reçue dès les environs de l’année 500 par l’Église nestorienne et au VIIe siècle par l’Église syrienne d’Antioche, mais le lectionnaire de Jérusalem ne la connaît pas encore [1]. Certains la mettent en relation avec la dédicace des basiliques du Thabor. Il semble que sa date a été choisie en fonction de l’Exaltation de la sainte Croix : le 6 août précède de quarante jours le 14 septembre. Or, selon certains apocryphes, la Transfiguration aurait eu lieu 40 jours avant la Crucifixion [2]. En tout cas, il est indéniable que la liturgie byzantine rattache la Transfiguration à l’Exaltation de la Croix en commençant à dire à partir du 6 août les catavasia de la Croix [3]

La Transfiguration apparait en Occident au milieu du IXe siècle. Non seulement elle est inscrite au calendrier de Naples, mais le martyrologe métrique de Wandelbert de Prùm en fait foi pour les Pays germaniques (848) et un évêque espagnol du nom d’Eldefonse estime, en 845, que tous les fidèles doivent communier ce jour-là comme pour Noël et l’Ascension. Au Xe siècle, on trouve la Transfiguration aussi bien à Tours et à Bari qu’en Espagne [4]. Le XIe et le XIIe siècles voient sa diffusion s’accentuer. En Espagne, les sacramentaires de Vich et de Ripoll contiennent la messe du 6 août et celui de Vich y ajoute la messe de la vigile. Pour la France, V. Leroquais a répertorié onze témoins de la fête au XIe siècle et quinze au XIIe. Au début du XIIe siècle, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, se fait le propagandiste fervent de la fête. Non content de l’inscrire au calendrier clunisien en 1132, il compose un office de la Transfiguration. Sa lettre aux moines latins du Mont-Thabor et le sermon qu’il a laissé sur ce mystère révèlent quelle place le Christ rayonnant de gloire tenait dans sa contemplation [5]. Cluny devait être, durant tout le XIIe siècle, un artisan efficace de la propagation de la fête du 6 août. Si celle-ci touche peu les Pays alémaniques (Fulda, Reichenau, Saint-Gall l’ignorent), elle connaît une solide implantation en Italie dès le XIe siècle, de Bologne au Mont-Cassin. Il convient de relever que la fête est surtout célébrée dans les milieux monastiques. Les moines d’Occident rejoignent ceux d’Orient pour faire du Christ en gloire l’Icône de leur propre vie, qui doit consister à se laisser transfigurer par la lumière du Ressuscité.

Transfiguratio domini nostri Iesu Christi. Le martyrologe de Saint-Pierre annonce la fête du 6 août en première position, avant celle de saint Xyste II et de ses compagnons. Mais les deux autres témoins du XIe siècle, l’épistolier de Saint-Saba et le sacramentaire de Saint-Laurent in Damaso, portent des traces d’influences monastiques et orientales. C’est pourquoi il semble que la fête a pu venir des monastères du sud, du Mont-Cassin et de Bari. Au XIIe siècle, le sacramentaire de l’Archivio de Sainte-Marie Majeure, qui révèle peut-être ici son appartenance au Vatican, connaît à la fois la fête et sa vigile, comme le sacramentaire de Vich et certains sacramentaires français et italiens du siècle précédent. Le calendrier de Saint-Pierre ne fait donc pas figure de novateur à Rome en mentionnant la Transfiguration. Ceux qui l’y ont inscrite n’ont pas seulement ratifié une tradition séculaire, ils sont surtout entrés dans un courant spirituel qui était intense en leur temps » [6].

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

« O Dieu qui, dans la glorieuse Transfiguration de votre Fils unique, avez confirmé par le témoignage des pères les mystères de la foi, et par la voix sortie de la nuée lumineuse avez admirablement signifié d’avance l’adoption parfaite des enfants ; rendez-nous dans votre miséricordieuse bonté les cohéritiers effectifs de ce Roi de gloire, en nous faisant participants de la même gloire qui resplendit en lui » [7]. Noble formule, qui résume la prière de l’Église et nous donne sa pensée en cette fête de témoignage et d’espérance.

Or, il convient d’observer tout d’abord que la mémoire de la glorieuse Transfiguration s’est vue déjà représentée au Cycle sacré ; par deux fois, au deuxième dimanche de Carême et au samedi précédent, le récit en a passé sous nos yeux. Qu’est-ce à dire, sinon que la solennité présente a pour objet moins le fait historique déjà connu que le mystère permanent qui s’y rattache, moins la faveur personnelle qui honora Simon Pierre et les fils de Zébédée que l’accomplissement du message auguste dont ils furent alors chargés pour l’Église ? Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts [8]. L’Église, née du côté ouvert de l’Homme-Dieu sur la croix, ne devait point se rencontrer avec lui face à face ici-bas ; lorsque, ressuscité des morts, il aurait scellé son alliance avec elle dans l’Esprit-Saint envoyé pour cela des cieux, c’est de la foi seule que devait s’alimenter son amour. Mais, par le témoignage suppléant la vue, rien ne devait manquer à ses légitimes aspirations de connaître.

A cause de cela, c’est pour elle qu’un jour de sa vie mortelle encore, faisant trêve à la commune loi de souffrance et d’obscurité qu’il s’était imposée pour sauver le monde, il laissa son naturel écoulement à la gloire qui remplissait en lui l’âme bienheureuse. Le Roi des Juifs et des Gentils [9] se révélait sur la montagne où sa calme splendeur éclipsait pour jamais les foudres du Sinaï ; le Testament de l’alliance éternelle se déclarait, non plus dans la promulgation d’une loi de servitude gravée sur la pierre, mais dans la manifestation du Législateur lui-même, venant sous les traits de l’Époux [10] régner par la grâce et la beauté sur les cœurs [11]. La prophétie et la loi, qui préparèrent ses voies dans les siècles d’attente, Elie et Moïse, partis de points différents, se rencontraient près de lui comme des courriers fidèles au point d’arrivée ; faisant hommage au Maître commun de leur mission conduite à son terme, ils s’effaçaient devant lui à la voix du Père disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimés [12] ! Trois témoins, autorisés plus que tous autres, assistaient à cette scène solennelle : le disciple de la foi, celui de l’amour, et l’autre fils du tonnerre qui devait le premier sceller dans le sang la foi et l’amour apostoliques. Conformément à l’ordre donné et à toute convenance, ils gardèrent religieusement le secret du Roi [13], jusqu’au jour où celle qu’il concernait pût la première en recevoir communication de leurs bouches prédestinées.

Le six août fut-il ce jour à jamais précieux pour l’Église ? Plus d’un docteur des rites sacrés l’affirme [14]. Du moins convenait-il que le fortuné souvenir en fût de préférence célébré au mois de l’éternelle Sagesse, éclat de la lumière incréée, miroir sans tache de l’infinie bonté [15], c’est elle qui, répandant la grâce sur les lèvres du Fils de l’homme, en fait aujourd’hui le plus beau de ses frères [16], et dicte plus mélodieux que jamais au chantre inspiré les accents de l’épithalame : Mon cœur a proféré une parole excellente, c’est au Roi que je dédie mes chants [17].

Aujourd’hui, sept mois écoulés depuis l’Épiphanie manifestent pleinement le mystère dont la première annonce illumina de si doux rayons le Cycle à ses débuts ; par la vertu du septénaire ici à nouveau révélée, les commencements de la bienheureuse espérance [18] que nous célébrions alors, enfants nous-mêmes avec Jésus enfant, ont grandi comme l’Homme-Dieu et l’Église ; et celle-ci, établie dans l’inénarrable paix de la pleine croissance qui la donne à l’Époux [19], appelle tous ses fils à croître comme elle par la contemplation du Fils de Dieu jusqu’à la mesure de l’âge parfait du Christ [20]. Comprenons donc la reprise en ce jour, dans la Liturgie sainte, des formules et des chants de la glorieuse Théophanie. Lève-toi, Jérusalem ! sois illuminée ; car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi [21]. C’est qu’en effet, sur la montagne, avec le Seigneur est glorifiée aussi l’Épouse, resplendissante elle-même de la clarté de Dieu [22].

Car tandis que « sa face resplendissait comme le soleil, dit de Jésus l’Évangile, ses vêtements devinrent blancs comme la neige » [23]. Or ces vêtements, d’un tel éclat de neige, observe saint Marc, qu’il n’y a point de foulon qui puisse en faire d’aussi blancs sur la terre [24], que sont-ils sinon les justes, inséparables de l’Homme-Dieu et son royal ornement, sinon la robe sans couture qui est l’Église, et que la douce souveraine célébrée hier continue de tisser à son Fils de la plus pure laine, du plus beau lin qu’ait trouvés la femme forte [25] ? Aussi, bien que le Seigneur, ayant traversé le torrent de la souffrance [26], soit personnellement entré déjà sans retour dans sa gloire [27], le mystère de la radieuse Transfiguration ne sera complet qu’à l’heure où le dernier des élus, ayant lui-même passé par la préparation laborieuse du foulon divin [28] et goûté la mort, aura rejoint dans sa résurrection le chef adoré. Face du Sauveur, ravissement des cieux, c’est alors qu’en vous brilleront toute gloire, toute beauté, tout amour. Exprimant Dieu dans la directe ressemblance du Fils par nature, vous étendrez les complaisances du Père au reflet de son Verbe constituant les fils d’adoption, et se jouant dans l’Esprit-Saint jusqu’aux dernières franges du manteau qui remplit au-dessous de lui le temple [29].

D’après la doctrine de l’Ange de l’école, en effet [30], l’adoption des enfants de Dieu, qui consiste en une conformité d’image avec le Fils de Dieu par nature [31], s’opère en une double manière : d’abord par la grâce de cette vie, et c’est la conformité imparfaite ; ensuite par la gloire de la patrie, et c’est la conformité parfaite, selon cette parole de saint Jean : « Nous sommes dès maintenant les enfants de Dieu, et cependant ce que nous serons ne paraît pas encore ; nous savons que lorsque Jésus apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons comme il est » [32].

La parole éternelle : Vous êtes mon Fils Je vous ai engendré aujourd’hui [33], a eu deux échos dans le temps, au Jourdain et sur le Thabor ; et Dieu, qui ne se répète jamais [34], n’a point en cela fait exception à la règle de ne dire qu’une fois ce qu’il dit. Car, bien que les termes employés dans les deux circonstances soient identiques, ils ne tendent pas au même but, dit toujours saint Thomas, mais à montrer cette manière différente dont l’homme participe à la ressemblance de la filiation éternelle. Au baptême du Seigneur, où fut déclaré le mystère de la première régénération, comme dans sa Transfiguration qui nous manifeste la seconde, la Trinité apparut tout entière : le Père dans la voix entendue, le Fils dans son humanité, le Saint-Esprit, d’abord en forme de colombe, ensuite dans la nuée éclatante ; car si, au baptême, il confère l’innocence qui est désignée par la simplicité de la colombe, dans la résurrection il donnera aux élus la clarté de la gloire et le rafraîchissement de tout mal, qui sont signifiés par la nuée lumineuse [35].

Mais, sans attendre le jour où notre désiré Sauveur renouvellera nos corps eux-mêmes conformément à la clarté glorieuse de son divin corps [36], ici-bas même déjà, le mystère de la radieuse Transfiguration s’opère en nos âmes. C’est de la vie présente qu’il a été écrit, et qu’aujourd’hui l’Église chante : Le Dieu qui fait briller la lumière au sein des ténèbres a resplendi dans nos cœurs, pour les éclairer de la science de la clarté de Dieu par la face du Christ Jésus [37]. Thabor, saint et divin mont qui rivalises avec les cieux [38], comment ne pas redire avec Pierre : il nous est bon d’habiter ton sommet ! Car ton sommet c’est l’amour [39], la charité, qui domine au milieu des vertus comme tu l’emportes en grâce, en hauteur, en parfums, sur les autres montagnes de Galilée qui virent aussi Jésus passer, parler, prier, accomplir des prodiges, mais ne le connurent pas dans l’intimité des parfaits. C’est après six jours, observe l’Évangile, et dès lors dans le repos du septième, qui déjà confine au huitième de la résurrection [40], que Jésus s’y révèle aux privilégiés répondant à son amour. Le royaume de Dieu est en nous [41] ; lorsque, laissant endormi tout souvenir des sens, nous nous élevons par l’oraison au-dessus des œuvres et soucis de la terre, il nous est donné d’entrer avec l’Homme-Dieu dans la nuée : là, contemplant directement sa gloire, autant que le comporte l’exil, nous sommes transformés de clarté en clarté par la puissance de son Esprit dans sa propre image [42].

« Donc, s’écrie saint Ambroise, gravissons la montagne ; supplions le Verbe de Dieu de se montrer à nous dans sa splendeur, dans sa beauté ; qu’il se fortifie, qu’il progresse heureusement, qu’il règne en nos âmes [43]. Car, mystère profond ! sur ta mesure, le Verbe décroît ou grandit en toi. Si tu ne gagnes ce sommet plus élevé que l’humaine pensée, la Sagesse ne t’apparaît pas ; le Verbe se montre à toi comme dans un corps sans éclat et sans gloire » [44].

Si la vocation qui se révèle pour toi en ce jour est à ce point grande et sainte [45], « révère l’appel de Dieu, reprend à son tour André de Crète [46] : ne t’ignore pas toi-même, ne dédaigne pas un don si grand, ne te montre pas indigne de la grâce, ne sois pas si lâche en ta vie que de perdre ce trésor des cieux. Laisse la terre à la terre, et les morts ensevelir leurs morts [47] ; méprisant tout ce qui passe, tout ce qui s’éteint avec le siècle et la chair, suis jusqu’au ciel inséparablement le Christ qui fait route en ce monde pour toi. Aide-toi de la crainte et du désir, pour écarter la défaillance et garder l’amour. Donne toi tout entier ; sois souple au Verbe dans l’Esprit-Saint, pour la poursuite de cette fin bienheureuse et pure : ta déification, avec la jouissance d’inénarrables biens. Par le zèle des vertus, par la contemplation de la vérité, par la sagesse, arrive à la Sagesse, principe de tout et en laquelle subsistent toutes choses » [48].

La fête de la Transfiguration remonte aux temps les plus reculés chez les Orientaux. Elle est, chez les Grecs, précédée d’une Vigile et suivie d’une Octave ; et l’on s’y abstient des œuvres serviles, du commerce et des plaidoiries. Sous le gracieux nom de rose-flamme, ROSAE CORUSCATIO, on la voit dès le commencement du IVe siècle, en Arménie, supplanter Diane et sa fête des fleurs par le souvenir du jour où la rose divine entrouvrit un moment sur terre sa corolle brillante. Précédée d’une semaine entière de jeûnes, elle compte parmi les cinq principales du Cycle arménien, où elle donne son nom à l’une des huit sections de l’année. Bien que le Ménologe de cette Église l’indique au six août comme celui des Grecs et le Martyrologe romain, elle y est cependant célébrée toujours au septième dimanche après la Pentecôte, et par un rapprochement plein de profondeur, on y fête au samedi qui précède l’Arche de l’alliance du Seigneur, figure de l’Église.

En Occident, les origines de la fête de ce jour sont moins faciles à déterminer. Mais les auteurs qui reculent son introduction dans nos contrées jusqu’à l’année 1457, où en effet Calliste III promulgua de précepte un Office nouveau de cette solennité enrichi d’indulgences, n’ont pas vu que le Pontife en parle comme d’une fête déjà répandue et, dit-il, « vulgairement appelée du Sauveur » [49]. On ne peut nier toutefois qu’à Rome principalement, la célébrité de la fête plus ancienne de Sixte II, et sa double Station aux deux cimetières qui avaient recueilli séparément les reliques du Pontife martyr et de ses compagnons, n’ait nui longtemps à l’acceptation au même jour d’une autre solennité. Quelques églises même, tournant la difficulté, choisirent une autre date de l’année que le six août pour honorer le mystère. Par une marche semblable à celle que nous constations hier pour Notre-Dame-des-Neiges, la fête de la Transfiguration devait s’étendre plus ou moins privément, avec Offices et Messes de composition variée [50], jusqu’au jour où l’autorité suprême interviendrait pour sanctionner et ramener à l’unité cette expression de la piété des diverses églises. Calliste III crut l’heure venue de consacrer sur ce point le travail des siècles ; il fit de l’insertion solennelle et définitive de cette fête de triomphe au calendrier universel le monument de la victoire qui arrêta sous les murs de Belgrade, en 1456, la marche en avant de Mahomet II, vainqueur de Byzance, contre la chrétienté.

Mais au IXe siècle déjà, sinon plus tôt, les documents liturgiques, martyrologes et autres [51], fournissent la preuve qu’elle était en possession d’une solennité plus ou moins grande ou d’une mémoire quelconque en divers lieux. Au XIIe, Pierre le Vénérable, sous le gouvernement duquel Cluny prit possession du Thabor [52], statue que « dans tous les monastères ou églises appartenant à son Ordre, la Transfiguration sera fêtée avec le même degré de solennité que la Purification de Notre-Dame » [53] ; et la raison qu’il en donne, outre la dignité du mystère, est « l’usage ancien ou récent de beaucoup d’églises par le monde, qui célèbrent la mémoire de la dite Transfiguration avec non moins d’honneur que l’Épiphanie et l’Ascension du Seigneur » [54].

Par ailleurs, à Bologne, en 1233, dans l’instruction juridique préliminaire à la canonisation de saint Dominique, la mort du Saint est déclarée avoir eu lieu en la fête de saint Sixte, sans nulle mention d’aucune autre [55]. Il est vrai, et nous croyons ce détail non dénué de valeur interprétative en l’occurrence, quelques années plus tôt Sicard de Crémone s’exprimait ainsi dans son Mitrale : « Nous célébrons la Transfiguration du Seigneur au jour de saint Sixte » [56]. N’était-ce pas indiquer assez que si la fête de ce dernier continuait toujours de donner son nom traditionnel au VIII des ides d’août, elle n’empêchait pas que déjà une solennité nouvelle, et plus grande même, ne prît place à côté de la première, en attendant qu’elle l’absorbât dans ses puissants rayons ? Car il ajoute : « C’est pourquoi en ce même jour, la Transfiguration se rapportant à l’état qui doit être celui des fidèles après la résurrection, on consacre le sang du Seigneur avec du vin nouveau, s’il est possible d’en avoir, afin de signifier ce qui est dit dans l’Évangile : Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu’à ce que je le boive nouveau avec vous dans le royaume de mon Père [57]. Si l’on ne peut s’en procurer, qu’on pressure au moins dans le calice un peu de raisin arrive à maturité, ou qu’on bénisse des grappes qui soient partagées au peuple » [58].

L’auteur du Mitrale mourut en 1215. Or il ne fait que reprendre ici l’explication déjà donnée dans la seconde moitié du siècle précédent par Jean Beleth, recteur de l’Université de Paris [59]. On doit reconnaître, en effet, que la très ancienne benedictio uvœ des Sacramentaires au jour de Saint-Sixte, ne se rapporte à rien de la vie du grand Pape qui puisse justifier l’attribution. Les Grecs, chez qui cette même bénédiction des raisins est aussi fixée à la même date du six août [60], n’y ont jamais célébré que la Transfiguration du Seigneur, sans aucune mémoire de Sixte II. Quoi qu’il en soit, les paroles de l’évêque de Crémone et du recteur de Paris montrent que Durand de Mende, exposant la même interprétation symbolique à la fin du XIIIe siècle [61], est en cela l’écho d’une tradition plus ancienne que son temps.

L’ancien Office de la fête a été conservé par saint Pie V, sauf les Leçons du premier et du deuxième Nocturne qui étaient tirées d’Origène [62], et les trois Hymnes des Vêpres, des Matines et des Laudes, rappelant quelque peu la facture des Hymnes correspondantes du Très-Saint Sacrement [63].

L’Hymne actuelle des Vêpres et des Matines, est empruntée au beau chant de Prudence sur l’Épiphanie, dans son Cathemerinon (Cf. l’Office, ici).

Adam de Saint-Victor a aussi chanté le glorieux mystère.

SÉQUENCE.
Lætabundi jubilemus
Ac devote celebremus
Hæc sacra solemnia
Ad honorem summi Dei
Hujus laudes nunc diei
Personet Ecclesia.
Réjouissons-nous en allégresse
et fêtons dévotement
ces saintes solennités ;
qu’à l’honneur du souverain Dieu
la louange du présent jour
retentisse en l’Église.
In hac Christus die festa
Suæ dedit manifesta
Gloriæ indicia ;
Ut hoc possit enarrari
Hic nos suo salutari
Repleat et gratia !
Le Christ en ce jour fortuné
donna les signes
manifestes de sa gloire ;
qu’il soit en aide
et nous remplisse de sa grâce,
afin que nous puissions le redire !
Christus ergo, Deus fortis,
Vitæ dator, victor mortis,
Verus sol justitiæ,
Quam assumpsit carnem de Virgine,
Transformatus in Thabor culmine,
Glorificat hodie.
Le Christ donc, le Dieu fort,
qui donne la vie, qui dompte la mort,
le véritable soleil de justice,
transfiguré au sommet du Thabor,
glorifie aujourd’hui la chair
qu’il reçut de la Vierge.
O quam felix sors bonorum !
Talis enim beatorum
Erit resurrectio.
Sicut fulget sol pleni luminis,
Fulsit Dei vultus et hominis,
Teste Evangelio.
Oh ! Qu’heureux est des bons le partage !
Car telle sera la résurrection
des bienheureux.
Comme brille le soleil en sa pleine lumière,
ainsi, au témoignage de l’Évangile,
brilla le visage du Dieu homme.
Candor quoque sacræ vestis
Deitatis fuit testis
Et futuræ gloriæ.
Mirus honor et sublimis :
Mira, Deus, tuæ nimis
Virtus est potentiæ.
L’éclat aussi de son sacré vêtement
attesta sa divinité
et la future gloire.
Admirable et sublime honneur !
Admirable, ô Dieu, plus que tout est
la vertu de votre puissance.
Cumque Christus, virtus Dei,
Petro, natis Zebedæi
Majestatis gloriam
Demonstraret manifeste,
Ecce vident, Luca teste,
Moysem et Eliam.
Et lorsque le Christ, vertu de Dieu,
devant Pierre et les fils de Zébédée,
manifestait pleinement
la gloire de sa majesté,
voici qu’apparaissent, dit saint Luc,
Moïse et Elie.
Hoc habemus ex Matthæo,
Quod loquentes erantDeo
Dei Patris Filio :
Vere sanctum, vere dignum
Loqui Deo et benignum,
Plenum omni gaudio.
Nous apprenons de saint Matthieu
qu’ils étaient vus parlant à Dieu,
au Fils du Dieu Père :
chose vraiment sainte et vraiment digne,
parler à Dieu ! chose bonne
et pleine de toute joie.
Hujus magna laus diei,
Quæ sacratur voce Dei,
Honor est eximius ;
Nubes illos obumbravit,
Et vox Patris proclamavit :
Hic est meus Filius.
Grande est la gloire de ce jour
que consacre la voix de Dieu,
insigne est son honneur !
une nuée les couvrit de lumière,
et la voix du Père proclama :
« C’est là mon Fils ».
Hujus vocem exaudite :
Habet enim verba vitæ,
Verbo potens omnia.
« Écoutez sa voix ;
car il a les paroles de la vie,
par sa parole il peut toutes choses ».
Hic est Christus, rex cunctorum,
Mundi salus, lux Sanctorum,
Lux illustrans omnia
C’est là le Christ, le roi de tous,
salut du monde, lumière des Saints,
lumière éclairant toutes choses.
Hic est Christus, Patris Verbum,
Per quem perdit jus acerbum
Quod in nobis habuit
Hostis nequam, serpens dirus,
Qui, fundendo suum virus
Evæ, nobis nocuit.
C’est là le Christ, Verbe du Père,
par qui finit le droit cruel
qu’eut contre nous l’ennemi méchant,
l’odieux serpent qui,
pénétrant Ève de son poison,
fut notre perte.
Moriendo nos sanavit
Qui surgendo reparavit
Vitam Christus et damnavit
Mortis magisterium.
Le Christ qui en mourant nous guérit,
en ressuscitant rétablit
la vie et condamna
la tyrannie de la mort.
Hic est Christus, Pax æterna,
Ima regens et superna,
Cui de cœlis vox paterna
Confert testimonium.
C’est là lé Christ, éternelle Paix,
gouvernant hauteurs et abîmes,
à qui des cieux la voix du Père
rend témoignage.
Cujus sono sunt turbati
Patres illi tres præfati
Et in terram sunt prostrati
Quando vox emittitur.
A cette voix sont troublés
les trois Pères nommés plus haut ;
quand retentit cette parole,
ils sont prosternés en terre.
Surgunt tandem, annuente
Sibi Christo,sed intente
Circumspectant, cum repente
Solus Jesus cernitur.
Au signe du Christ enfin ils se relèvent,
regardent attentivement tout autour,
quand soudain Jésus
seul est en vue.
Volens Christus hæc celari
Non permisit enarrari,
Donec, vitæ reparator,
Hostis vitæ triumphator,
Morte victa, surgeret.
Voulant que ces faits fussent secrets,
le Christ ne permit point qu’on les racontât,
avant que, réparateur de la vie,
triomphateur de l’ennemi de la vie,
la mort vaincue, il fut ressuscité.
Hæc est dies laude digna
Qua tot sancta fiunt signa ;
Christus, splendor Dei Patris,
Prece sancta suae matris
Nos a morte liberet.
Tel est ce jour digne de louange
où s’opèrent tant de saints prodiges ;
que le Christ, splendeur de Dieu le Père,
par la prière sainte de sa mère
nous délivre de la mort.
Tibi, Pater, tibi, Nate,
Tibi, Sancte Spiritus,
Sit cum summa potestate
Laus et honor debitus !
Amen.
A vous, ô Père, à vous, ô Fils,
à vous, Esprit-Saint,
soient avec puissance souveraine
la louange et l’honneur qui sont dus !
Amen.

Les Ménées des Grecs nous donneront ces strophes de saint Jean Damascène.

MENSIS AUGUSTI DIE VI. In Matutino.

Toi qui de tes invisibles mains as formé l’homme à ton image, ô Christ, dans ton humanité tu as montré la beauté archétype, non comme en une image, mais l’étant toi-même substantiellement, ensemble homme et Dieu.

Quel redoutable et grand spectacle en ce jour ! du ciel le soleil qui affecte les sens, d’ici-bas le soleil spirituel de justice, incomparable, brillent au mont Thabor.

De tous les rois le plus beau, de tous les souverains le seigneur, bienheureux prince, habitant une inaccessible lumière, à toi hors d’eux-mêmes les disciples criaient : Enfants, bénissez-le ; chantez-le, prêtres ; peuple, exaltez-le dans tous les siècles.

A toi, en tant que seigneur du ciel, roi de la terre, maître des souterraines demeures, ô Christ, firent cortège : représentants de la terre, les Apôtres ; du ciel, Elie de Thesbé ; des morts, Moïse : ils chantaient sans fin : Enfants, bénissez-le ; chantez-le, prêtres ; peuple, exaltez-le dans tous les siècles.

Laissant à la terre ses vaines préoccupations, ô ami des hommes, l’élite des Apôtres t’a suivi loin de la terre vers la divine cité ; aussi, admis à bon droit à voir ta divine manifestation, ils chantaient : Enfants, bénissez-le ; chantez-le, prêtres ; peuple, exaltez-le dans tous les siècles.

Venez, peuples, écoutez-moi, gravissons la sainte, la céleste montagne ; rejetant la matière, comportons-nous en citoyens de la cité du Dieu vivant, et par l’âme contemplons la divinité immatérielle du Père et de l’Esprit qui éclate dans le Fils unique.

Tu m’as fasciné de désir, ô Christ, et enivré de ton divin amour ; mais brûle d’un feu immatériel mes péchés et rends-moi digne de me rassasier des délices qui sont en toi, afin que j’exalte dans l’allégresse, ô très bon, tes deux avènements.

Il convient d’emprunter aussi quelques accents à l’Église d’Arménie qui célèbre ce jour avec tant de solennité.

IN TRANSFIGURATIONE DOMINI.

Lumière intelligible, nous vous glorifions, vous qui, transfiguré sur la montagne, avez montré votre vertu divine.

Or, cette ineffable Lumière de divinité, ton sein bienheureux l’a portée, Marie Mère et Vierge : nous te louons et bénissons.

Le chœur des Apôtres tremble à la vue de la Lumière amoindrie ; en toi pleinement a résidé le feu divin, Marie Mère et Vierge : nous te louons et bénissons.

Une nuée lumineuse s’étend au-dessus des Apôtres ; en toi, sainte Mère de Dieu, se répand l’Esprit-Saint, vertu du Très-Haut, te couvrant de son ombre : nous te louons et bénissons.

O Christ, notre Dieu, faites qu’avec Pierre et les fils de Zébédée, nous soyons dignes de votre divine vision.

Par delà les monts de cette terre enlevez-nous au tabernacle intelligible plus élevé que les cieux.

Elles tressaillent aujourd’hui les montagnes de Dieu allant au-devant du Créateur, les troupes des Apôtres et des Prophètes associés aux monts éternels.

La montagne de Sion, l’Épouse du Roi immortel, est aujourd’hui dans la joie, à la vue du céleste Époux paré de lumière en la gloire du Père.

Aujourd’hui la branche de Jessé a fleuri sur le Thabor.

Aujourd’hui s’exhale le parfum de l’immortalité, enivrant les disciples.

Nous vous bénissons, consubstantiel au Père, vous qui venez sauver le monde.

Terminons, en adressant à Dieu cette prière du Missel ambrosien.

ORATIO SUPER SINDONEM.
Illumina, quæsumus Domine, populum tuum, et splendore gratiæ tuæ cor eorum semper accende : ut Salvatoris mundi, æterni luminis gloria famulante, manifestata celebritas mentibus nostris reveletur semper, et crescat. Per eumdem Dominum.Nous vous en prions, Seigneur, éclairez votre peuple, et que la splendeur de votre grâce embrase toujours nos cœurs ; afin que par la vertu de la gloire du Sauveur du monde, lumière éternelle, le mystère manifesté dans cette tête se révèle toujours plus et croisse en nos âmes. Par le même Jésus-Christ, notre Seigneur.

Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Il est déjà question, dans l’antique liturgie romaine de la solennelle veillée du samedi des Quatre-Temps de Carême, de cette grande théophanie que les Pères comptent à bon droit parmi les plus grands miracles opérés par Dieu pour démontrer le caractère messianique de son Christ. A l’occasion de cette vigile, saint Léon le Grand fit plusieurs splendides homélies sur le récit évangélique de la Transfiguration, homélies qui recevaient une efficace spéciale de la synaxe nocturne célébrée sur la tombe même de saint Pierre, l’un des trois témoins du miracle.

Mais quand l’incompréhension de la liturgie, de la part des fidèles, amena à pénétrer moins profondément dans le trésor traditionnel du Missel romain, on sentit le besoin de combler pour ainsi dire une lacune, en instituant une nouvelle fête en l’honneur de la Transfiguration, dans le but d’en populariser le mystère.

En outre, comme depuis de longs siècles les Orientaux célèbrent avec une solennité toute spéciale Ἡ ἁγία Μεταμόρφοσις τοῦ Κυρίου le 6 août, date à laquelle l’armée chrétienne remporta une célèbre victoire sur les Turcs, Callixte III, en 1457, institua pour le même jour la fête de la Transfiguration du Seigneur, comme une solennité d’annuelle action de grâces au Seigneur pour le bienfait reçu.

L’antique solennité romaine de saint Sixte II et de ses six héroïques diacres fut donc presque ensevelie, ayant été réduite au rang de simple commémoraison.

Les récentes rubriques ont été encore plus exigeantes, en faisant renoncer Rome à la tradition liturgique de ses Sacramentaires. La nouvelle solennité de la Transfiguration ayant été assignée comme fête titulaire de l’antique basilique du Latran, cela nécessita la translation de saint Sixte à un autre jour, et la suppression du souvenir liturgique de ses diacres, les fameux Comites Xysti portant qui ex hoste tropaea.

L’introït de la messe emprunte son antienne au psaume 76 : « Vos éclairs, Seigneur, illuminèrent le monde ; la terre frémit et trembla » ; puis vient le premier verset du psaume 83 : « Combien sont aimées, ô Seigneur des armées, vos demeures ; mon âme soupire et languit après les parvis de Yahweh ». Cet amour pour le tabernacle du Seigneur est une allusion à la proposition faite par Pierre, d’élever trois tentes sur la montagne de la Transfiguration. Cependant il faut que, dans la vie présente, nous goûtions ces consolations in spe et non in re [64] ; car le Christ lui-même souffrit d’abord et entra ensuite dans sa gloire.

La première collecte est trop longue, mais elle est vraiment solennelle. Elle fait bien ressortir l’importance dogmatique du miracle de la Transfiguration, confirmation solennelle de la divinité du Christ donnée par l’Auguste Trinité et par les principaux représentants de l’Ancien Testament. « Seigneur qui, à l’occasion de la glorieuse Transfiguration de votre Fils unique, avez voulu que les mystères de notre foi reçussent une confirmation des patriarches ; et qui, par la voix sortie de la nuée lumineuse, nous avez promis la parfaite adoption de vos enfants ; accordez-nous de devenir cohéritiers de ce Roi de gloire, afin d’avoir part aussi à son royaume ».

Aujourd’hui la liturgie, en cette parole prononcée par le Père éternel sur le Thabor : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le », reconnaît justement la promesse de notre élévation à la dignité de fils de Dieu. En effet, comme l’enseigne l’Évangile, ils sont dieux et fils du Très-Haut, ceux qui reçoivent dans leur cœur le Verbe divin et le font revivre en eux.

La première lecture est tirée de la secunda Petri (I, 16-19) là où l’Apôtre évoque, tout ému encore, la scène dont il fut témoin sur le Thabor. La parole soudaine du Père, la nuée resplendissante, les deux prophètes qui parlent puis disparaissent promptement, nous enseignent que durant la vie présente nous devons non pas voir, mais croire.

Le graduel est commun au dimanche dans l’octave de Noël, sauf les mots : dico ego opera mea Régi. Voici le verset alléluiatique : « Alléluia. (Sap., VII, 26). Il est l’éclat de la lumière éternelle, le miroir sans aucune ombre, et l’image de sa bonté ». Comme le Verbe de Dieu est l’image fidèle des perfections paternelles, ainsi dans la Transfiguration de Jésus, son corps glorifié et son visage plus lumineux que le soleil, furent le reflet de la divinité habitant en lui, dans l’union hypostatique.

La lecture évangélique est commune au samedi des Quatre-Temps de Carême. Le Saint-Esprit a une parole très sévère pour Pierre, qui souhaitait d’élever sa tente sur le Thabor : il ne savait ce qu’il disait. Ainsi Dieu juge-t-il tous ceux qui nourrissent des affections désordonnées pour les jouissances spirituelles car le temps présent n’est pas celui de la moisson, mais du travail et des semailles.

Voici l’antienne pour l’offertoire : Ps. 111. « Dans sa maison se trouvent gloire et magnificence ; sa justice demeure dans tous les siècles. Alléluia ». Ah ! si nous pensions plus souvent aux richesses et à la beauté du Paradis, comme nous aimerions moins les choses de ce monde !

La collecte sur les oblations est la même que pour la troisième messe de Noël ; cependant elle a subi une retouche qui a altéré le cursus. « A cause de la Transfiguration de votre Fils unique, sanctifiez, Seigneur, les dons qui vous sont présentés ; et par les splendeurs de sa lumière, délivrez-nous des taches de nos péchés ».

Dans l’ordre spirituel comme dans celui de la nature, la lumière a une importance souveraine ; en effet, à peine la lumière du Seigneur pénètre-t-elle dans une conscience, elle y excite aussitôt la contrition, la foi et l’amour de Dieu.

L’antienne pour la Communion est tirée des vêpres du deuxième dimanche de Carême (Matth., XVII, 9) : « Ne répétez à personne la vision que vous avez contemplée, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts ». Le silence imposé par Jésus en cette circonstance à ses disciples a plusieurs motifs. Non seulement il veut nous enseigner à cacher dans l’humilité les faveurs dont nous sommes honorés par la bonté de Dieu, mais le Sauveur veut aussi observer l’ordre établi par le Père. Avant d’arriver à la gloire, c’est-à-dire à ce temps qui a suivi la Pentecôte, durant lequel sa divinité serait prêchée au monde entier par les Apôtres, il voulut passer par le chemin étroit et douloureux du Calvaire, et il ne permit à personne de s’interposer entre lui et la Croix.

Après la Communion. — « Faites, ô Dieu tout-puissant, que les mystères sacro-saints de la Transfiguration de votre Fils, célébrée aujourd’hui par nous solennellement, se réalisent dans notre esprit purifié du péché et illuminé par la foi ». L’Église envisage ici spécialement le mystère de notre adoption comme enfants de Dieu, adoption dont l’Eucharistie est le gage : vere panis filiorum, car elle nous fait vivre du Fils de Dieu et de son Esprit.

Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique

Le grand Roi de gloire, le Christ !

La fête de ce jour est une fête votive. Prescrite en Occident par le pape Calixte III, en 1457, après la victoire remportée sur les Turcs grâce à saint Jean de Capistran sous les murs de Belgrade, elle existait déjà au cinquième siècle en Orient. La Transfiguration est chez les orientaux la grande fête d’été, la vieille fête du Christ-Roi.

1. La Transfiguration. — Nous célébrons aujourd’hui la Transfiguration du Sauveur, événement que les Pères de l’Église comptent parmi les plus grands miracles opérés par Dieu pour rendre témoignage à son Fils.

C’était pendant la seconde partie de la vie publique ; déjà le regard du Sauveur se portait vers la Croix du Calvaire. Un soir, il se rendit sur le Thabor avec ses trois Apôtres préférés. La nuit survint, et, tandis que le Maître priait, les disciples s’endormirent. Jésus était toujours en oraison lorsque, soudain, l’éclat de sa divinité perça à travers l’enveloppe de sa nature humaine : il est transfiguré. Les disciples s’éveillent, éblouis, et sont témoins du prodige. — Au lieu de nous borner à l’habituel passage de l’Écriture relatant ce miracle, nous ferons bien de nous reporter à tous ceux qui relatent l’événement du Thabor : saint Mathieu, XVII, 1-9 ; Saint Marc, IX, 2-9 ; saint Luc, IX, 28-30 ; le dernier se trouve dans la seconde épître de saint Pierre, I, 10-21.

Quel est le sens de cette fête ?
- a) Nous devons contempler avec respect et adoration notre Dieu éternel ; aujourd’hui encore, nous célébrons sa Royauté.
- b) Nous devons voir en sa Transfiguration l’image de la nôtre, un jour : Nous attendrons le Sauveur... qui transformera notre corps misérable et le rendra semblable à son corps glorieux.
- c) Ici commence la portée morale de la fête ; sans cesse, il nous faut travailler en vue de cette transfiguration par la pratique de la vie intérieure et spirituelle, par le détachement des choses terrestres.
- d) Nous avons un sacrement de la Transfiguration : celui de l’Eucharistie. A la messe, le Seigneur Transfiguré est parmi nous ; dans la sainte communion, nous recevons le « germe de la gloire » et le gage de la résurrection future.

2. La messe (Illuxerunt). — Dès l’Introït, les feux de la Transfiguration du Sauveur se répandent dans tout l’univers, sur les justes et les impies. Le psaume 83 : « Qu’elles sont aimables vos demeures, ô Dieu des armées », est une allusion à la parole de saint Pierre : « Dressons ici trois tentes ».

A l’Oraison, nous demandons l’héritage du « Roi de gloire », c’est-à-dire la participation à sa glorification.

A l’Épître, saint Pierre prend la parole en témoin oculaire de la Transfiguration : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances ; écoutez-le ». Cette voix venue du ciel, nous l’avons entendue nous-mêmes, lorsque nous étions avec lui sur la montagne sainte.

Comprenons bien l’ordonnance dramatique de cette messe : à l’Épître, saint Pierre raconte le miracle comme il l’a vu ; à l’Évangile, nous voyons le Christ lui-même, éblouissant de gloire.

Au Saint-Sacrifice et à la communion, la scène du Thabor devient une réalité sacramentelle : c’est le Seigneur au visage brillant de clarté qui apparaît, et nous prenons part à son triomphe.

A l’Offertoire, l’Église nous montre que nous verrons la Transfiguration aujourd’hui dans la « maison » du Seigneur.

A la Secrète, nous demandons « que l’état de sa Transfiguration nous purifie des taches de nos péchés » (comme le soleil visible guérit de nombreuses maladies).

La sainte messe a été notre heure sur le Thabor, et, maintenant, conservons toute la journée les grâces que nous y avons reçues, comme un mystère sacré, dans l’intime sanctuaire de notre cœur. (« Ne parlez à personne de cette vision ». Communion).

3. La prière des Heures. — L’office de l’Église contient de très beaux textes. L’Invitatoire annonce, dès le réveil, que nous célébrons une fête du Christ-Roi : « Le souverain Roi de gloire, le Christ, adorons-le ». Le choix de tous les psaumes de matines est très heureux ; d’un bout à l’autre on y retrouve la pensée de la Royauté du Christ : « Vous l’avez placé bien peu au-dessous des anges ; vous l’avez couronné de gloire et d’honneur ; vous l’avez fait régner sur l’œuvre de vos mains » (Ps. VIII). Le psaume XXVIII fait entendre la voix de Dieu, et nous songeons à la « voix qui sortit de la nuée » : « Celui-ci est mon fils bien-aimé... »

Le psaume XLIV nous montre le Christ et son épouse royale, l’Église, glorifiés. C’est cette double idée que nous retrouvons exprimée en termes si beaux dans l’homélie de saint Léon : « Dans sa Transfiguration le Seigneur avait pour but principal d’ôter du cœur de ses disciples le scandale de la croix, et de faire que l’ignominie de sa Passion librement consentie ne déconcertât pas ceux devant qui serait manifestée la grandeur de sa dignité cachée. Mais il ne songeait pas moins à fonder l’espérance de son Église : en sorte que le corps mystique du Christ ayant connu quelle transformation lui était réservée, chacun de ses membres pût se promettre de partager la gloire dont le chef aurait brillé à l’avance ».

C’est bien, en effet, le grand souci de l’Église et le but de toute la liturgie d’amener graduellement les membres du corps mystique du Christ à la glorification finale. Cette gloire rejaillissant du chef sur les saints, nous aussi nous devons être divinisés et transfigurés. Dès que le dernier membre de l’Église sera parvenu à ce triomphe, nous pourrons entonner : « On a dit de toi de glorieuses choses, ô cité de Dieu ! » (Ps. LXXXVI).

[1] F. Mercenier, La Prière des Églises de rite byzantin, tome 2, 1ère partie, p. 259. Elle est attestée à Jérusalem au VIIe siècle par le lectionnaire géorgien de Jérusalem (M. Tarchnischvili, Le grand Lectionnaire de l’Église de Jérusalem, Ve-VIIIe siècle, Coll. Corpus scriptorum christianorum orientalium, vol. 189, tome 2, Louvain 1960, p. 25).

[2] J. Van Goudoever, Fêtes et calendriers bibliques, Coll. Théologie historique, 7, Paris 1967, p. 277.

[3] F. Mercenier, La Prière des Églises de rite byzantin, tome 2, 1ère partie, p. 272.

[4] J.B. Ferrères, La transfiguration de Notre Seigneur. Histoire de sa fête et de sa messe, dans Ephemerides theologicae Lovanienses, 5 (1928), pp. 632 sq. L’auteur renvoie à un calendrier de Vich du Xe siècle.

[5] Lettre aux moines du Mont-Thabor dans P.L. 169, col. 266-268 ; sermon sur la Transfiguration, ibid. col. 953-972.

[6] Cf. Pierre Jounel, Le Culte des Saints dans les Basiliques du Latran et du Vatican au douzième siècle, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1977.

[7] Collecte du jour.

[8] Matth. XVII, 9.

[9] Hymne des Vêpres.

[10] Basil. Seleuc. Oratio XL, 3, in Transfig Dom.

[11] Psalm. XLIV,5.

[12] Matth. XVII ; Marc, IX ; Luc. IX ; II Petr. I.

[13] Tob. XII, 7.

[14] Sicard. Cremon. Mitrale, IX, 38 ; Beleth. Rationale, CXLIV ; Durand. VII, XXII ; etc.

[15] Verset alléluiatique, ex Sap. VII, 26.

[16] Graduel, ex Psalm. XLIV, 3.

[17] Verset du Graduel, ex eodem Psalmo, 2.

[18] Léon, in Epiph. Sermo II, 4.

[19] Cant. VIII, 10.

[20] Eph. IV, 13.

[21] Premier Répons des Matines, ex Isai. LX, 1.

[22] Capitule de None, ex Apoc. XXI, 11.

[23] Matth. XVII, 2.

[24] Marc. IX. 2.

[25] Prov. XXXI, 13.

[26] Psalm. CIX, 7.

[27] Luc. XXIV, 26.

[28] Malach. III, 2.

[29] Isai. VI, 1.

[30] IIIa P. qu. XLV. art. 4.

[31] Rom. VIII, 29-3o.

[32] I Johan. III. 2.

[33] Psalm. II, 7.

[34] Jon. XXXIII, 14.

[35] IIIa P. Ibid ad 1 et 2.

[36] Capitule de Vêpres et de Laudes, ex Philipp. III, 20-21.

[37] Huitième Répons des Matines, ex II Cor. IV, 6.

[38] Joann. Damasc. Oratio in Transfig. III.

[39] Ibid. X.

[40] Post dies sex : Matth. XVII, 1 ; Marc, IX, 1. Fere dies octo : Luc. IX, 28.

[41] Luc. XVII, 11.

[42] Capitule de Sexte, ex II Cor. III, 18.

[43] Psalm. XLIV.

[44] Ambr. in Luc. Lib. VII, 12.

[45] Septième Répons des Matines, ex II Tim. 1, 9-10.

[46] Andr. Hierosolymitani, Archiepisc. Cretensis, Oratio in Transfigur.

[47] Matth. VIII, 22.

[48] Col. I, 16-17.

[49] Callist. III Const. Inter divines dispensationis arcana.

[50] Schulting, à ce jour ; Tommasi, Antiphonaire.

[51] Wandalbert ; Eldefons.

[52] Petr. Venerab. Lib. II, Epist. 44.

[53] Statuta Cluniac. V.

[54] Ibid.

[55] Déposition du Prieur de Saint-Nicolas.

[56] Sicard. Mitrale, IX, XXXVIII.

[57] Matth. XXVI, 29.

[58] Sicard. Ibid.

[59] Beleth. Rationale, CXLIV.

[60] Eucholog.

[61] Durand. Rationale, VII, XXII.

[62] Homil. XII in Exod. De vultu Moysi glorificato et velamine quod ponebat in facie sua.

[63] Gaude, mater pietatis.
Exsultet laudibus sacrata concio.
Novum sidus exoritur.

[64] Dans l’espérance et non dans la réalité.