Nous comprenons les raisons qui ont conduit notre pape Benoît XVI à publier ce Motu proprio qui élargit les possibilités de célébrer la messe selon le rite dit de saint Pie V, présenté comme une « forme extraordinaire de l’unique rite romain ».
Le Pape, en tant que successeur de l’apôtre Pierre et évêque de Rome, est chargé d’une mission primordiale au service de la communion de l’Église catholique. Benoît XVI a une conscience extrêmement vive des exigences actuelles de cette mission. On ne peut pas ne pas comprendre les intentions qui justifient la publication de ce Motu proprio, accompagné d’une lettre personnelle adressée aux évêques.
1. Il s’agit d’abord d’enrayer le processus de séparation et de rupture qu’a entraîné depuis une trentaine d’années la dissidence de Monseigneur LEFEBVRE, avec les actes schismatiques qui ont jalonné ce processus, et en particulier l’ordination de quatre évêques le 30 juin 1988. Benoît XVI ne se résigne pas à cette rupture : il veut œuvrer comme pape à la réconciliation de tous au sein de l’Église catholique.
2. Il s’agit en même temps pour lui de promouvoir une compréhension et une « réception » authentiques du Concile Vatican II. Benoît XVI est fidèle à ses convictions de théologien, déjà maintes fois affirmées : on ne peut pas admettre une lecture de Vatican II qui serait faite selon une logique de discontinuité et de différence, comme si Vatican II venait corriger et même contredire le Concile de Trente et le Concile Vatican I. Il faut lire et comprendre Vatican II selon la logique de la grande Tradition catholique, qui est une logique de continuité et de croissance organique.
3. La liturgie catholique est une expression majeure de la foi et de la Tradition de l’Église. Il faut tout faire pour que la mise en œuvre de cette liturgie, et spécialement de la messe, s’accomplisse elle aussi selon le même principe, non de discontinuité, mais de développement organique. Benoît XVI plaide inlassablement pour que la liturgie n’apparaisse jamais comme une fabrication humaine, mais comme cet ensemble lié à la Tradition vivante de l’Église et qui ouvre les hommes au mystère de Dieu et à sa révélation.
Je comprends ces intentions de notre pape Benoît XVI : ce désir de réconciliation avec les catholiques « traditionalistes », ce souci de favoriser une compréhension authentique du Concile Vatican II, cette volonté de mettre la liturgie au service de la foi commune au Dieu de Jésus Christ.
Mais l’intervention de Benoît XVI m’appelle à exercer mes responsabilités d’évêque, chargé d’une Église particulière et partageant aussi, cum Petro et sub Petro, avec l’évêque de Rome et sous son autorité, le souci de toutes les Églises. C’est à cause de cette catholicité de mon ministère d’évêque que je n’hésite pas à poser des questions qui me semblent légitimes.
Essentiellement celle-ci : même si je comprends le souci de réconciliation qui inspire la démarche de Benoît XVI, je me demande si d’autres stratégies ne sont pas à l’œuvre, qui, elles, feraient valoir d’abord des rapports de forces, conscients ou inconscients, qui peuvent être d’ordre politique ou d’ordre culturel. Je ne pourrais pas accepter que l’on se serve du nom de Dieu, de l’Église et de la liturgie de l’Église pour servir d’autres causes qui seraient finalement étrangères à la vérité de Dieu, de l’Église et de sa liturgie.
Un ami, dont la famille est liée à des groupes fidèles à Monseigneur LEFEBVRE, me disait l’autre jour : « Ils me semblent plus intéressés par des problèmes de rites que par l’Amour de Dieu ».
Soyons clairs : la question « Qui est Dieu pour nous ? » n’est pas une question secondaire. On ne peut pas se servir du nom très saint de Dieu pour des combats secondaires, surtout si ce nom passe par le sacrifice, la Passion et la Pâque de cet homme nommé Jésus, qui est son Fils.
On ne peut pas davantage réduire l’Église à une force politique et sociale que l’on pourrait manipuler comme un groupe de pression. Car l’Église est d’abord l’Église du Christ, « l’unique Église du Christ », son Corps vivant, même s’il est blessé, et vivant de l’amour de Dieu livré au monde. Je crains que certains discours, sous prétexte d’exalter l’unité de l’Église, ne fassent peu de cas de son caractère sacramentel.
Quant à la liturgie elle-même, et spécialement à la messe, à l’Eucharistie, on ne peut pas l’instrumentaliser, c’est-à-dire en faire un instrument plus ou moins ajusté à des choix humains, à des préférences culturelles ou politiques.
Avec le pape Benoît XVI, je m’engage à tout faire pour servir contre vents et marées, la vérité de la foi catholique, celle de l’Église et de la liturgie. Je prends cet engagement au nom de mes responsabilités d’évêque, selon la grande Tradition de l’Église, et en particulier selon ce que j’ai appris des origines chrétiennes, où j’ai aussi mes racines spirituelles.
J’ai donné l’an dernier une préface à la grande lettre qu’a écrite vers 250 l’évêque saint Cyprien de Carthage sur L’unité de l’Église. Il s’agissait d’organiser la réintégration dans l’Église de ceux qui avaient « chuté », en période de persécutions. Face à l’évêque de Rome, qui ne connaissait pas directement les tensions vécues dans les communautés d’Afrique du Nord, Cyprien s’est montré très exigeant sur les conditions de l’unité.
C’est aussi notre responsabilité d’évêques d’être actuellement exigeants sur les conditions d’une réconciliation véritable avec les catholiques que l’on appelle « intégristes » ou « traditionalistes ». Je n’aime pas les étiquettes. Je crois à l’importance des dialogues approfondis qui portent sur l’essentiel de la foi. Je ne voudrais pas que tous les ajustements de rites nous masquent cet essentiel. Et je continuerai à tout faire pour que nous parvenions à cet essentiel, avec la force de l’Esprit Saint.
J’ose ajouter que cet essentiel n’est pas seulement de l’ordre de la foi, mais de l’ordre de la charité. Comme l’ont affirmé les Pères de l’Église, et comme l’a écrit jadis Joseph RATZINGER, « l’amour quotidien, habituel, des chrétiens les uns pour les autres est une part essentielle de l’Eucharistie elle-même et cette bonté quotidienne est véritablement liturgie et service divin. » (J.RATZINGER, Le nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, P.17)
Voilà ce qui est « catholiquement correct » selon la grande Tradition de l’Église ! La messe est avant tout le « sacramentum caritatis », le « sacrement de la charité », comme Benoît XVI l’a aussi rappelé récemment. Au-delà de ce Motu Proprio, c’est le défi essentiel que nous avons à relever et pour lequel nous sommes attendus !