Au moment où j’écris ce billet, nous sommes encore dans l’attente du texte pontifical qui va libéraliser la célébration de la messe dite de saint Pie V. Nous ne pourrons alors que rendre grâce pour un événement dont les conséquences seront à terme considérables. Certains – je pense, en ce lieu, très spécialement à Jean Madiran – qui portent depuis quarante ans cette requête, laquelle est en vérité la requête de l’Eglise elle-même à laquelle ils ont prêté leur voix et leurs vies, en verront ainsi le premier aboutissement.
Qu’il me soit cependant permis de suggérer à mes confrères dans le sacerdoce qui célèbrent selon le rite traditionnel, et dont le cœur sera bouleversé d’une profonde émotion, de résister au désir de pousser des cris de victoire retentissants et d’entonner des Te Deum tonitruants, comme les y entraînera une tendance naturelle, généralement fâcheuse et en l’espèce tout à fait inopportune.
En élevant de justes et nécessaires louanges vers le Seigneur, qu’ils considèrent, pour s’évertuer à rester discrets et modérés dans l’expression bien naturelle de leur joie :
Que le document portera des éléments qui ne leur plairont pas pleinement ;
Que, si l’effet psychologique en sera profond, sa portée réelle risque d’être, dans un premier temps, modeste ;
Que la « victoire » sera, certes, celle du rite traditionnel, mais qu’elle sera aussi largement portée par le climat de la modernité, qui incite à penser que tout le monde a droit à la liberté, et qu’il n’y a aucune raison, en 2007, d’interdire « la messe en latin » à ceux qui veulent la dire ou l’entendre ;
Que l’état comateux du catholicisme français n’incite pas l’une de ses composantes à triompher de manière indécente ;
Que les nombreuses bonnes volontés sacerdotales qui existent agiront d’autant plus facilement en faveur de la liberté que prêtres et médias conciliaires auront moins de motif à s’exaspérer.
En revanche qu’ils en profitent pour marquer le terrain de la manière la plus efficace, en même temps que la plus désintéressée : en faisant largement connaître les lieux et heures des messes de saint Pie V qui sont déjà actuellement célébrées dans des églises, quelle que soit l’appartenance des desservants ; en aidant les prêtres de paroisse qui en ont l’inclination à célébrer tout de suite, même discrètement, la messe tridentine ; en appuyant les demandes faites au clergé, d’organiser la célébration paroissiale de la messe Saint-Pie-V. Car les ouvriers de la onzième heure connaîtront eux aussi des difficultés, autres que celles qu’ont connues leurs prédécesseurs. Et puis, la messe romaine, dite tridentine, célébrée dans le détail de la forme que nous connaissons depuis mille ans, n’appartient à personne : elle est le bien de tous dans l’Eglise.
La discrétion dans la « victoire » aidera puissamment au débordement du rite traditionnel hors de son trop étroit lit actuel. Cette extension elle-même, pour devenir une vague significative, devra savoir éventuellement se contenter d’une certaine modestie, car la vraie victoire, victoire pour l’Eglise du Christ tout entière, sera celle de la renaissance progressive, dynamique, ascendante d’une liturgie romaine qui, dans son ensemble, redeviendra digne de ce nom.
Abbé Claude Barthe