La présentation de "Redemptionis Sacramentum par le CNPL...
"On peut penser qu’il ne sera pas possible partout et sur tous les points d’en faire une application automatique et immédiate, ce qui risquerait d’ailleurs parfois de provoquer certaines difficultés dans les communautés chrétiennes."
Bref, comment dire : Rome publie... et on continue comme avant (Note du Webmestre)
Le vendredi 23 avril 2004, sous le titre Redemptionis Sacramentum, a été rendue publique une instruction émanant de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements en collaboration avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et portant sur " certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie " [1] . Ce document est signé par le Cardinal Arinze et par Mgr Sorrentino, préfet et secrétaire de la Congrégation. Approuvé par le Pape Jean-Paul II le 19 mars 2004, il est daté du 25 mars 2004, solennité de l’Annonciation du Seigneur.
Cette instruction doit être située dans le prolongement de l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia, publiée il y a un an, le jeudi saint 17 avril 2003, dans laquelle le Pape soulignait la place de l’Eucharistie au cœur de la vie de l’Eglise, une affirmation bien mise en évidence par la première phrase de l’Encyclique : " l’Eglise vit de l’Eucharistie " (Ecclesia de Eucharistia vivit) [2] . A la fin de l’Encyclique, le Saint Père en appelait vigoureusement au respect des normes liturgiques et annonçait la publication d’un " document plus spécifique, avec des rappels d’ordre également juridique, sur ce thème d’une grande importance " [3] .
On ne sera donc pas surpris que le présent document soit de nature essentiellement normative. Comme précédemment pour l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia [4] , c’est avec respect que je reçois ce texte. On peut souligner que certains de ses aspects rejoignent la préoccupation constante des acteurs de la pastorale liturgique en France actuellement. Ceci vaut notamment pour ce qui concerne le rôle des évêques pour veiller à l’adaptation de la liturgie au lieu, au groupe de fidèles et aux circonstances pastorales (n° 21), la promotion de la participation active des fidèles par la mise en œuvre de la liberté d’adaptation opportune aux besoins des participants (n° 39) et l’importance de la formation biblique et liturgique de tous comme remède aux abus et manquements (n° 170). Plus concrètement, le texte souligne aussi l’importance de l’échange de la paix avant la communion, (n° 71-72), de la communion avec des hosties consacrées au cours de la messe à laquelle ils participent (n° 89), de la communion sous les deux espèces pour manifester la plénitude du signe dans le banquet eucharistique (n° 100).
En raison de sa longueur, de sa complexité et de sa nature même, ce texte se prête mal à un résumé. Par ailleurs, comme tout dispositif d’ordre disciplinaire, il pointe les risques d’abus et de dérives au risque de donner une image négative des pratiques actuelles et de surprendre un lecteur non averti qui y chercherait une théologie ou une spiritualité de la célébration eucharistique. Il est donc essentiel de noter que si l’Encyclique est destinée à nourrir la foi des fidèles, le présent document répond à une autre visée. Par son caractère " prescriptif " et surtout son souci d’obtenir un exact respect des normes liturgiques en vigueur et de combattre les abus, l’Instruction Redemptionis Sacramentum peut apparaître comme une série de rappels à l’ordre. En réalité, ce document vise à fournir des repères liturgiques pratiques pour assurer la fidélité à la conception catholique de la célébration de l’Eucharistie telle qu’elle a été exprimée par les livres liturgiques issus de la réforme demandée par le Concile Vatican II et par l’enseignement récent du magistère : c’est parce que l’Eucharistie est un " trésor " de vie [5] que l’Eglise attache tant d’importance au respect des règles liturgiques.
Ce document émanant de la Congrégation pour le culte divin a donc pour horizon de rappeler et parfois de préciser des normes déjà connues - notamment celles qui figurent dans la dernière version de la Présentation Générale du Missel Romain parue en 2001-2002 et en cours de traduction française - et qui concernent en premier lieu les acteurs qui interviennent dans la préparation et la célébration. La règle posée au n. 19 doit être considérée comme un principe fondamental d’interprétation qu’il convient de ne jamais perdre de vue : " L’Évêque diocésain, premier dispensateur les Mystères de Dieu dans l’Église particulière qui lui est confiée, est l’organisateur, le promoteur et le gardien de toute la vie liturgique " [6].
On peut penser qu’il ne sera pas possible partout et sur tous les points d’en faire une application automatique et immédiate, ce qui risquerait d’ailleurs parfois de provoquer certaines difficultés dans les communautés chrétiennes. Sur ce plan encore, le rôle des évêques et des prêtres comme gardiens des communautés chrétiennes qui leur sont confiées est essentiel.
Le rappel de ces normes traduit un souci d’unité dans une Eglise Catholique confrontée à de multiples contextes et situations. Toutefois, le désir légitime de l’unité des pratiques et de la fidélité aux normes liturgiques en tant qu’elles portent le sens que l’Eglise catholique attache à la célébration de l’Eucharistie, ne peut conduire à une uniformisation et une réglementation contraire à la requête d’adaptation exprimée par le Concile Vatican II [7] et à l’esprit de la réforme liturgique approuvée par le Siège Apostolique comme l’indique le n° 39 du document qui rappelle opportunément : " Pour promouvoir et manifester la participation active des fidèles, le renouveau récent des livres liturgiques a favorisé, (...) dans les rubriques, les parties qui reviennent aux fidèles. De plus, un large espace est laissé à une liberté d’adaptation opportune, qui est fondée sur le principe que chaque célébration doit être adaptée aux besoins des participants, ainsi qu’à leur capacité, leur préparation intérieure et leur génie propre, selon les facultés établies par les normes liturgiques. Dans chaque célébration, il existe d’amples possibilités d’introduire une certaine variété dans le choix des chants, des mélodies, des oraisons et des lectures bibliques, ainsi que dans le cadre de l’homélie, dans la préparation de la prière des fidèles, dans les monitions qui sont parfois prononcées, et dans l’ornementation de l’église en fonction des temps liturgiques ".
De même qu’en matière dogmatique, il existe un principe de " hiérarchie des vérités " exprimé notamment dans le décret du Concile Vatican II sur l’œcuménisme [8], le n° 171 du texte invite à penser une sorte de hiérarchie de ces normes en faisant, entre les différents abus, une distinction touchant à leur gravité : " Parmi les différents abus, il y a ceux qui constituent objectivement, d’une part, les graviora delicta, d’autre part, les matières graves, et d’autres encore qui doivent tout autant être évités et corrigés avec attention ". Il est donc clair que l’on ne peut mettre toutes ces normes sur le même plan [9].
Enfin, il faut souligner qu’en France aujourd’hui, l’intérêt pour la formation et le souci de la qualité de la vie liturgique sont partagés par les évêques et par les prêtres comme de multiples sessions récentes nous ont permis de le percevoir. Sur ce point, c’est à juste titre que, dans sa présentation de l’Instruction, Mgr Robert Le Gall, évêque de Mende et président de la Commission Episcopale de Liturgie, rappelle le discours adressé récemment par le Pape Jean Paul II aux évêques des Provinces de Montpellier et de Toulouse, lors de leur visite ad limina : " (Le Saint Père) exprimait sa confiance à l’égard des prêtres et son merci pour leur générosité, " eux qui accomplissent leur ministère dans des conditions souvent très difficiles, au sein d’une société où ils ne sont pas tellement reconnus " (samedi 24 janvier 2004). " Ce qui compte avant tout pour le prêtre, ajoutait-il, c’est l’édification et la croissance de sa vie spirituelle, fondée sur une relation quotidienne avec le Christ, structurée par la célébration eucharistique, la Liturgie des Heures, la lectio divina et l’oraison. C’est ce qui fait l’unité de l’être sacerdotal et du ministère. ". A ce merci doivent être associés les diacres et tous ceux qui sont généreusement impliqués dans la pastorale sacramentelle et liturgique, dans les paroisses, les diocèses et les provinces : nous avons tous à nous former dans l’esprit de ce que l’Eglise nous enseigne, pour devenir de vrais formateurs " (7 février 2004) [10].
Dans la continuité avec le Mouvement Liturgique du XXe siècle qui a préparé la réforme de Vatican II et dans lequel le Pape Pie XII a salué " comme un signe des dispositions providentielles de Dieu sur le temps présent, comme un passage du Saint-Esprit dans son Eglise, pour rapprocher davantage les hommes des mystères de la foi et des richesses de la grâce, qui découlent de la participation active des fidèles à la vie liturgique " [11], c’est en effet la formation mais plus encore, un authentique souci de vie spirituelle appuyé sur une célébration de la liturgie fidèle aux prescriptions mais sans pointillisme et raideur excessive, qui constitue le meilleur remède aux abus que vise l’instruction Redemptionis Sacramentum. Et cela pour que la liturgie soit bien le lieu où nous célébrons " pour la gloire de Dieu et le salut du monde ".
F. Patrick Prétot, osb Institut Supérieur de Liturgie
[1] Cf. Texte sur site internet de la Conférence des évêques de France, http://www.cef.fr.
[2] Cf. JEAN-PAUL II, Lette encyclique Ecclesia de Eucharistia, L’Église vit de l’eucharistie, Présentation par Mgr Jean-Pierre RICARD, archevêque de Bordeaux, président de la Conférence des évêques de France, Paris, Cerf, 2003 (en abrégé, EdE).
[3] Cf. Ibid., n. 52, p. 64-65 : " C’est pourquoi je me sens le devoir de lancer un vigoureux appel pour que, dans la Célébration eucharistique, les normes liturgiques soient observées avec une grande fidélité. Elles sont une expression concrète du caractère ecclésial authentique de l’Eucharistie ; tel est leur sens le plus profond. La liturgie n’est jamais la propriété privée de quelqu’un, ni du célébrant, ni de la communauté dans laquelle les Mystères sont célébrés. L’Apôtre Paul dut adresser des paroles virulentes à la communauté de Corinthe pour dénoncer les manquements graves à la Célébration eucharistique, manquements qui avaient conduit à des divisions (schísmata) et à la formation de factions (airéseis) (cf. 1 Co 11, 17-34). À notre époque aussi, l’obéissance aux normes liturgiques devrait être redécouverte et mise en valeur comme un reflet et un témoignage de l’Église une et universelle, qui est rendue présente en toute célébration de l’Eucharistie. Le prêtre qui célèbre fidèlement la Messe selon les normes liturgiques et la communauté qui s’y conforme manifestent, de manière silencieuse mais éloquente, leur amour pour l’Église. Précisément pour renforcer ce sens profond des normes liturgiques, j’ai demandé aux Dicastères compétents de la Curie romaine de préparer un document plus spécifique, avec des rappels d’ordre également juridique, sur ce thème d’une grande importance. Il n’est permis à personne de sous-évaluer le Mystère remis entre nos mains : il est trop grand pour que quelqu’un puisse se permettre de le traiter à sa guise, ne respectant ni son caractère sacré ni sa dimension universelle ".
[4] Cf. mes articles " L’Église vit de l’Eucharistie : l’encyclique Ecclesia de Eucharistia de Jean-Paul II ", Esprit et Vie, 2003, p. 3-5 ; " L’Encyclique sur l’Eucharistie : l’avis d’un théologien ", Questions actuelles 33, 2003, 28-37 ; " Le mystère pascal : clé de la pastorale liturgique. A propos de l’encyclique Ecclesia de Eucharistia du pape Jean-Paul II ", Célébrer 323, 2003, 19-26.
[5] Cf. JEAN-PAUL II, EdE n. 25, 51, 59.
[6] Cf. CONCILE VATICAN II, Décret sur la charge des évêques, Christus Dominus, n. 15 et Constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium, n. 41 ; Code de Droit Canonique, c. 387.
[7] Cf. notamment Sacrosanctum Concilium n. 37-40 : " Dans les domaines qui ne touchent pas ou le bien de toute la communauté, l’Eglise ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’une formulation unique " (n. 37).
[8] CONCILE VATICAN II, Décret Unitatis Redintegratio, sur l’œcuménisme, n. 11 : " En exposant la doctrine, ils (= les théologiens catholiques) se rappelleront qu’il y a un ordre ou une "hiérarchie" des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne ".
[9] On peut aussi rappeler le principe canonique selon lequel la coutume est " la meilleure interprète de la loi " : Code de Droit Canonique, n. 27.
[10] Mgr R. LE GALL, Président de la Commission Episcopale de Liturgie, L’instruction " Redemptionis Sacramentum ", n. 6 , site de la Conférence des évêques de France, http://www.cef.fr.
[11] S. S. PIE XII, Discours au Congrès International de Pastorale Liturgique d’Assise, 22 septembre 1956, LMD 47-48, 1956, p. 330.