Introibo ad altare Dei
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Commentaires liturgiques du Jour de l’Ascension
samedi, 24 avril 2010
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On trouvera les textes liturgiques de la Messe et de l’Office ici.
Les commentaires liturgiques seraient incomplets si on ne se reportait pas aussi à ceux de la Vigile de l’Ascension et des jours dans l’Octave.
Vigile de l’Ascension
Vendredi dans l’Octave
Samedi dans l’Octave
Dimanche dans l’Octave
Lundi dans l’Octave
Mardi dans l’Octave
Mercredi dans l’Octave
Jeudi en l’Octave de l’Ascension
Vendredi après l’Octave
Le jour s’est levé radieux, la terre qui s’émut à la naissance de l’Emmanuel [1] éprouve un tressaillement inconnu ; l’ineffable succession des mystères de l’Homme-Dieu est sur le point de recevoir son dernier complément. Mais l’allégresse de la terre est montée jusqu’aux cieux ; les hiérarchies angéliques s’apprêtent à recevoir le divin chef qui leur fut promis, et leurs princes sont attentifs aux portes, prêts à les lever quand le signal de l’arrivée du triomphateur va retentir. Les âmes saintes, délivrées des limbes depuis quarante jours, planent sur Jérusalem, attendant l’heureux moment où la voie du ciel, fermée depuis quatre mille ans par le péché, s’ouvrant tout à coup, elles vont s’y précipiter à la suite de leur Rédempteur. L’heure presse, il est temps que notre divin Ressuscité se montre, et qu’il reçoive les adieux de ceux qui l’attendent d’heure en heure, et qu’il doit laisser encore dans cette vallée de larmes.
Tout à coup il apparaît au milieu du Cénacle. Le cœur de Marie a tressailli, les disciples et les saintes femmes adorent avec attendrissement celui qui se montre ici-bas pour la dernière fois. Jésus daigne prendre place à table avec eux ; il condescend jusqu’à partager un dernier repas, non plus dans le but de les rendre certains de sa résurrection ; il sait qu’ils n’en doutent plus ; mais, au moment d’aller s’asseoir à la droite du Père, il tient à leur donner cette marque si chère de sa divine familiarité. O repas ineffable, où Marie goûte une dernière fois en ce monde le charme d’être assise aux côtés de son fils, où la sainte Église représentée par les disciples et par les saintes femmes est encore présidée visiblement par son Chef et son Époux ! Qui pourrait exprimer le respect, le recueillement, l’attention des convives, peindre leurs regards fixés avec tant d’amour sur le Maître tant aimé ? Ils aspirent à entendre encore une fois sa parole ; elle leur sera si chère à ce moment du départ ! Enfin Jésus ouvre la bouche ; mais son accent est plus grave que tendre. Il débute en leur rappelant l’incrédulité avec laquelle ils accueillirent la nouvelle de sa résurrection [2]. Au moment de leur confier la plus imposante mission qui ait jamais été transmise à des hommes, il veut les rappeler à l’humilité. Sous peu de jours ils seront les oracles du monde, le monde devra croire sur leur parole, et croire ce qu’il n’a pas vu, ce qu’eux seuls ont vu. C’est la foi qui met les hommes en rapport avec Dieu ; et cette foi, eux-mêmes ne l’ont pas eue tout d’abord : Jésus veut recevoir d’eux une dernière réparation pour leur incrédulité passée, afin que leur apostolat soit établi sur l’humilité.
Prenant ensuite le ton d’autorité qui convient à lui seul, il leur dit : « Allez dans le monde entier, prêchez l’Évangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné » [3]. Et cette mission de prêcher l’Évangile au monde entier, comment l’accompliront-ils ? Par quel moyen réussiront-ils à accréditer leur parole ? Jésus le leur indique : « Voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom ; ils parleront des langues nouvelles ; ils prendront les serpents avec la main ; s’ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur nuira pas ; ils imposeront les mains sur les malades, et les malades seront guéris » [4]. Il veut que le miracle soit le fondement de son Église, comme il l’a choisi pour être l’argument de sa mission divine. La suspension des lois de la nature annonce aux hommes que l’auteur de la nature va parler ; c’est à eux alors d’écouter et de croire humblement.
Voilà donc ces hommes inconnus au monde, dépourvus de tout moyen humain, les voilà investis de la mission de conquérir la terre et d’y faire régner Jésus-Christ. Le monde ignore jusqu’à leur existence ; sur son trône impérial, Tibère, qui vit dans la frayeur des conjurations, ne soupçonne en rien cette expédition d’un nouveau genre qui va s’ouvrir, et dont l’empire romain doit être la conquête. Mais à ces guerriers il faut une armure, et une armure de trempe céleste. Jésus leur annonce qu’ils sont au moment de la recevoir. « Demeurez dans la ville, leur dit-il, jusqu’à ce que vous ayez été revêtus de la vertu d’en haut » [5]. Or, quelle est cette armure ? Jésus va le leur expliquer. Il leur rappelle la promesse du Père, « cette promesse, dit-il, que vous avez entendue par ma bouche. Jean a baptisé dans l’eau ; mais vous, sous peu de jours, vous serez baptisés dans le Saint-Esprit » [6].
Mais l’heure de la séparation est venue. Jésus se lève, et l’assistance tout entière se dispose à suivre ses pas. Cent vingt personnes se trouvaient là réunies avec la mère du divin triomphateur que le ciel réclamait. Le Cénacle était situé sur la montagne de Sion, l’une des deux collines que renfermait l’enceinte de Jérusalem. Le cortège traverse une partie de la ville, se dirigeant vers la porte orientale qui ouvre sur la vallée de Josaphat. C’est la dernière fois que Jésus parcourt les rues de la cité réprouvée. Invisible désormais aux yeux de ce peuple qui l’a renié, il s’avance à la tête des siens, comme autrefois la colonne lumineuse qui dirigeait les pas du peuple israélite. Qu’elle est belle et imposante cette marche de Marie, des disciples et des saintes femmes, à la suite de Jésus qui ne doit plus s’arrêter qu’au ciel, à la droite du Père ! La piété du moyen âge la célébrait jadis par une solennelle procession qui précédait la Messe de ce grand jour. Heureux siècles, où les chrétiens aimaient à suivre chacune des traces du Rédempteur, et ne savaient pas se contenter, comme nous, de quelques vagues notions qui ne peuvent enfanter qu’une piété vague comme elles !
On songeait aussi alors aux sentiments qui durent occuper le cœur de Marie durant ces derniers instants qu’elle jouissait de la présence de son fils. On se demandait qui devait l’emporter dans ce cœur maternel, de la tristesse de ne plus voir Jésus, ou du bonheur de sentir qu’il allait entrer enfin dans la gloire qui lui était due. La réponse venait promptement à la pensée de ces véritables chrétiens, et nous aussi, nous nous la ferons à nous-mêmes. Jésus n’avait-il pas dit à ses disciples : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m’en vais à mon Père ? » [7] Or, qui aima plus Jésus que ne l’aima Marie ? Le cœur de la mère était donc dans l’allégresse au moment de cet ineffable adieu. Marie ne pouvait songer à elle-même, quand il s’agissait du triomphe dû à son fils et à son Dieu. Après les scènes du Calvaire, pouvait-elle aspirer à autre chose qu’à voir glorifié enfin celui qu’elle connaissait pour le souverain Seigneur de toutes choses, celui qu’elle avait vu si peu de jours auparavant renié, blasphémé, expirant dans toutes les douleurs.
Le cortège sacré a traversé la vallée de Josaphat, il a passé le torrent de Cédron, et il se dirige sur la pente du mont des Oliviers. Quels souvenirs se pressent à la pensée ! Ce torrent, dont le Messie dans ses humiliations avait bu l’eau bourbeuse, est devenu aujourd’hui le chemin de la gloire pour ce même Messie. Ainsi l’avait annoncé David [8]. On laisse sur la gauche le jardin qui fut témoin de la plus terrible des agonies, cette grotte où le calice de toutes les expiations du monde fut présenté à Jésus et accepté par lui. Après avoir franchi un espace que saint Luc mesure d’après celui qu’il était permis aux Juifs de parcourir le jour du Sabbat, on arrive sur le territoire de Béthanie, cet heureux village où Jésus, dans les jours de sa vie mortelle, recherchait l’hospitalité dé Lazare et de ses sœurs. De cet endroit de la montagne des Oliviers on avait la vue de Jérusalem, qui apparaissait superbe avec son temple et ses palais. Cet aspect émeut les disciples. La patrie terrestre fait encore battre le cœur de ces hommes ; un moment ils oublient la malédiction prononcée sur l’ingrate cité de David, et semblent ne plus se souvenir que Jésus vient de les faire citoyens et conquérants du monde entier. Le rêve de la grandeur mondaine de Jérusalem les a séduits tout à coup, et ils osent adresser cette question à leur Maître : « Seigneur, est-ce à ce moment que vous rétablirez le royaume d’Israël ? »
Jésus répond avec une sorte de sévérité à cette demande indiscrète : « Il ne vous appartient pas de savoir les temps et les moments que le Père a réservés à son pouvoir. » Ces paroles n’enlevaient pas l’espoir que Jérusalem fût un jour réédifiée par Israël devenu chrétien ; mais ce rétablissement de la cité de David ne devant avoir lieu que vers la fin des temps, il n’était pas à propos que le Sauveur fît connaître le secret divin. La conversion du monde païen, la fondation de l’Église, tels étaient les objets qui devaient préoccuper les disciples. Jésus les ramène tout aussitôt à la mission qu’il leur donnait il y a peu d’instants : « Vous allez recevoir, leur dit-il, la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous, et vous serez mes témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » [9].
Selon une tradition qui remonte aux premiers siècles du christianisme [10], il était l’heure de midi, l’heure à laquelle Jésus avait été élevé sur la croix, lorsque, jetant sur l’assistance un regard de tendresse qui dut s’arrêter avec une complaisance filiale sur Marie, il éleva les mains et les bénit tous. A ce moment ses pieds se détachèrent de la terre, et il s’élevait au ciel [11]. Les assistants le suivaient du regard ; mais bientôt il entra dans une nuée qui le déroba à leurs yeux [12].
C’en était fait : la terre avait perdu son Emmanuel. Quarante siècles l’avaient attendu, et il s’était rendu enfin aux soupirs des Patriarches et aux vœux enflammés des Prophètes. Nous l’adorâmes, captif de notre amour, dans les chastes flancs de la Vierge bénie. Bientôt l’heureuse mère nous le présenta sous l’humble toit d’une étable à Bethléhem. Nous le suivîmes en la terre d’Égypte, nous l’accompagnâmes au retour, et nous vînmes nous fixer avec lui à Nazareth. Lorsqu’il partit pour exercer sa mission de trois ans dans sa patrie terrestre, nous nous attachâmes à ses pas, ravis des charmes de sa personne, écoutant ses discours et ses paraboles, assistant à ses prodiges. La malice de ses ennemis étant montée à son comble, et l’heure venue où il devait mettre le sceau à cet amour qui l’avait attiré du ciel en terre par la mort sanglante et ignominieuse de la croix, nous recueillîmes son dernier soupir et nous fûmes inondés de son sang divin. Le troisième jour, il s’échappait de son sépulcre vivant et victorieux, et nous étions là encore pour applaudir à son triomphe sur la mort, par lequel il nous assurait la gloire d’une résurrection semblable à la sienne. Durant les jours qu’il a daigné habiter encore cette terre, notre foi ne l’a pas quitté ; nous eussions voulu le conserver toujours ; et voici qu’à cette heure même il échappe à nos regards, et notre amour n’a pu le retenir ! Plus heureuses que nous, les âmes des justes qu’il avait délivrées des limbes l’ont suivi dans son vol rapide, et elles jouissent pour l’éternité des délices de sa présence.
Les disciples tenaient encore les yeux fixés au ciel, lorsque soudain deux Anges vêtus de blanc se présentèrent à eux et leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus qui vous a quittés pour s’élever au ciel reviendra un jour en la même manière que vous l’avez vu monter » [13]. Ainsi, le Sauveur est remonté, et le juge doit un jour redescendre : toute la destinée de l’Église est comprise entre ces deux termes. Nous vivons donc présentement sous le régime du Sauveur ; car notre Emmanuel nous a dit que « le fils de l’homme n’est pas venu pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui » [14] ; et c’est dans ce but miséricordieux que les disciples viennent de recevoir la mission d’aller par toute la terre et de convier les hommes au salut, pendant qu’il en est temps encore.
Quelle tâche immense Jésus leur a confiée ! Et au moment où il s’agit pour eux de s’y livrer, il les quitte ! Il leur faut descendre seuls cette montagne des Oliviers d’où il est parti pour le ciel. Leur cœur cependant n’est pas triste ; ils ont Marie avec eux, et la générosité de cette mère incomparable se communique à leurs âmes. Ils aiment leur Maître ; leur bonheur est désormais de penser qu’il est entré dans son repos. Les disciples rentrèrent dans Jérusalem, « remplis d’une « vive allégresse », nous dit saint Luc [15], exprimant par ce seul mot l’un des caractères de cette ineffable fête de l’Ascension, de cette fête empreinte d’une si douce mélancolie, mais qui respire en même temps plus qu’aucune autre la joie et le triomphe.
Durant son Octave, nous essayerons d’en pénétrer les mystères et de la montrer dans toute sa magnificence ; aujourd’hui nous nous bornerons à dire que cette solennité est le complément de tous les mystères de notre divin Rédempteur, qu’elle est du nombre de celles qui ont été instituées par les Apôtres eux-mêmes [16] ; enfin qu’elle a rendu sacré pour jamais le jeudi de chaque semaine, jour rendu déjà si auguste par l’institution de la divine Eucharistie.
Nous avons parlé de la procession solennelle par laquelle on célébrait, au moyen âge, la marche de Jésus et de ses disciples vers le mont des Oliviers ; nous devons rappeler aussi qu’en ce jour on bénissait solennellement du pain et des fruits nouveaux, en mémoire du dernier repas que le Sauveur avait pris dans le Cénacle. Imitons la piété de ces temps où les chrétiens avaient à cœur de recueillir les moindres traits de la vie de l’Homme-Dieu, et de se les rendre propres, pour ainsi dire, en reproduisant dans leur manière de vivre toutes les circonstances que le saint Évangile leur révélait. Jésus-Christ était véritablement aimé et adoré dans ces temps où les hommes se souvenaient sans cesse qu’il est le souverain Seigneur, comme il est le commun Rédempteur. De nos jours, c’est l’homme qui règne, à ses risques et périls ; Jésus-Christ est refoulé dans l’intime de la vie privée. Et pourtant il a droit à être notre préoccupation de tous les jours et de toutes les heures ! Les Anges dirent aux Apôtres : « En la manière que vous l’avez vu monter, ainsi un jour il descendra. » Puissions-nous l’avoir aimé et servi durant son absence avec assez d’empressement, pour oser soutenir ses regards lorsqu’il apparaîtra tout à coup !
Nous ne donnons point ici l’Office des premières Vêpres de l’Ascension, parce que cette fête étant fixe au jeudi, sa Vigile ne peut jamais se rencontrer le dimanche, tandis qu’il en est autrement pour les solennités auxquelles nous avons accordé ce développement. Au reste, sauf le Verset et l’Antienne de Magnificat, les premières et les secondes Vêpres de l’Ascension sont entièrement semblables.
A LA MESSE.
L’Église romaine indique aujourd’hui pour la Station la basilique de Saint-Pierre. C’est une belle pensée de réunir en un tel jour l’assemblée des fidèles autour du glorieux tombeau d’un des principaux témoins de la triomphante Ascension de son Maître. Cette Station est toujours maintenue ; mais, depuis plusieurs siècles, le Pape se rend avec le sacré Collège des Cardinaux à la basilique du Latran, afin de terminer dans cet antique sanctuaire, dédié par Constantin au Sauveur des hommes, la série annuelle des mystères par lesquels le Fils de Dieu a opéré et consomme aujourd’hui notre salut.
Dans ces deux augustes basiliques, comme dans les plus humbles églises de la chrétienté, le symbole liturgique de la fête est le Cierge pascal, que nous vîmes allumer dans la nuit de la résurrection, et qui était destiné à figurer, par sa lumière de quarante jours, la durée du séjour de notre divin Ressuscité au milieu de ceux qu’il a daigné appeler ses frères. Les regards des fidèles rassemblés s’arrêtent avec complaisance sur sa flamme scintillante, qui semble briller d’un éclat plus vif, à mesure qu’approche l’instant où elle va succomber. Bénissons notre mère la sainte Église à qui l’Esprit-Saint a inspiré l’art de nous instruire et de nous émouvoir à l’aide de tant d’ineffables symboles, et rendons gloire au Fils de Dieu qui a daigné nous dire : « Je suis la lumière du monde » [17].
L’Introït annonce avec éclat la grande solennité qui nous rassemble. Il est formé des paroles des Anges aux Apôtres sur le mont des Oliviers. Jésus est monté aux cieux ; Jésus en doit redescendre un jour.
La sainte Église recueillant les vœux de ses enfants dans la Collecte, demande pour eux à Dieu la grâce de tenir leurs cœurs attachés au divin Rédempteur, que leurs désirs doivent désormais chercher jusqu’au ciel où il est monté le premier.
ÉPÎTRE.
Nous venons d’assister, en suivant cet admirable récit, au départ de notre Emmanuel pour les cieux. Est-il rien de plus attendrissant que ce regard des disciples fixé sur leur Maître divin qui s’élève tout à coup en les bénissant ? Mais un nuage vient s’interposer entre Jésus et eux, et leurs yeux mouillés de larmes ont perdu la trace de son passage. Ils sont seuls désormais sur la montagne ; Jésus leur a enlevé sa présence visible. Dans ce monde désert, quel ne serait pas leur ennui, si sa grâce ne les soutenait, si l’Esprit divin n’était au moment de descendre sur eux et de créer en eux un nouvel être ? Ce n’est donc plus qu’au ciel qu’ils le reverront, celui qui, étant Dieu, daigna durant trois années être leur Maître, et qui, à la dernière Cène, voulut bien les appeler ses amis !
Mais le deuil n’est pas pour eux seulement. Cette terre qui recevait en frémissant de bonheur la trace des pas du Fils de Dieu, ne sera plus foulée par ses pieds sacrés. Elle a perdu cette gloire qu’elle attendit quatre mille ans, la gloire de servir d’habitation à son divin auteur. Les nations sont dans l’attente d’un Libérateur ; mais, hors de la Judée et de la Galilée, les hommes ignorent que ce Libérateur est venu et qu’il est remonté aux cieux. L’œuvre de Jésus cependant n’en demeurera pas là. Le genre humain connaîtra sa venue ; et, quant à son Ascension au ciel en ce jour, écoutez la voix de la sainte Église qui dans les cinq parties du monde retentit et proclame le triomphe de l’Emmanuel. Dix-huit siècles se sont écoulés depuis son départ, et nos adieux pleins de respect et d’amour s’unissent encore à ceux que lui adressèrent ses disciples, pendant qu’il s’élevait au ciel. Nous aussi nous pleurons son absence ; mais nous sommes heureux aussi de le voir glorifié, couronné, assis à la droite de son Père. Vous êtes entré dans votre repos, Seigneur ; nous vous adorons sur votre trône, nous qui sommes vos rachetés, votre conquête. Bénissez-nous, attirez-nous à vous, et daignez faire que votre dernier avènement soit notre espoir et non notre crainte.
Les deux Versets de l’Alléluia répètent les accents de David célébrant d’avance le Christ qui monte dans sa gloire, les acclamations des Anges, les sons éclatants des trompettes célestes, le superbe trophée que le vainqueur entraîne après lui dans ces heureux captifs qu’il a délivrés de la prison des limbes.
ÉVANGILE.
Le diacre ayant achevé l’Évangile, un acolyte monte à l’ambon, et éteint silencieusement le Cierge mystérieux qui nous rappelait la présence de Jésus ressuscité. Ce rite expressif annonce le commencement du veuvage de la sainte Église, et avertit nos âmes que pour contempler désormais notre Sauveur, il nous faut aspirer au ciel où il réside. Que rapide a été son passage ici-bas ! Que de générations se sont succédé, que de générations se succéderont encore jusqu’à ce qu’il se montre de nouveau !
Loin de lui, la sainte Église ressent les langueurs de l’exil ; elle persévère néanmoins à habiter cette vallée de larmes ; car c’est là qu’elle doit élever les enfants dont le divin Époux l’a rendue mère par son Esprit ; mais la vue de son Jésus lui manque, et si nous sommes chrétiens, elle doit nous manquer aussi à nous-mêmes. Oh ! Quand viendra le jour où de nouveau revêtus de notre chair, a nous nous élancerons dans les airs à la rencontre du Seigneur, pour demeurer avec lui à jamais ! » [18] C’est alors, et seulement alors, que nous aurons atteint la fin pour laquelle nous fûmes créés.
Tous les mystères du Verbe incarné que nous avons vu se dérouler jusqu’ici devaient aboutir à son Ascension ; toutes les grâces que nous recevons jour par jour doivent se terminer à la nôtre. « Ce monde n’est qu’une figure qui passe » [19] ; et nous sommes en marche pour aller rejoindre notre divin Chef. En lui est notre vie, notre félicité ; c’est en vain que nous voudrions les chercher ailleurs. Tout ce qui nous rapproche de Jésus nous est bon ; tout ce qui nous en éloigne est mauvais et funeste. Le mystère de l’Ascension est le dernier éclair que Dieu fait luire à nos regards pour nous montrer la voie. Si notre cœur aspire à retrouver Jésus, c’est qu’il vit de la vraie vie ; s’il est concentré dans les choses créées, en sorte qu’il ne ressente plus l’attraction du céleste aimant qui est Jésus, c’est qu’il serait mort.
Levons donc les yeux comme les disciples, et suivons en désir celui qui monte aujourd’hui et qui va nous préparer une place. En haut les cœurs ! Sursum corda ! C’est le cri d’adieu que nous envoient nos frères qui montent à la suite du divin Triomphateur ; c’est le cri des saints Anges accourus au-devant de l’Emmanuel, et qui nous invitent à venir renforcer leurs rangs.
Sois donc béni, ô Cierge de la Pâque, colonne lumineuse, qui nous as réjouis quarante jours par ta flamme joyeuse et brillante. Tu nous parlais de Jésus, notre flambeau dans la nuit de ce monde ; maintenant ta lumière éteinte nous avertit qu’ici-bas on ne voit plus Jésus, et que pour le voir désormais, il faut s’élever au ciel. Symbole chéri que la main maternelle de la sainte Église avait créé pour parler à nos cœurs en attirant nos regards, nous te faisons nos adieux ; mais nous conservons le souvenir des saintes émotions que ta vue nous fit ressentir dans tout le cours de cet heureux Temps pascal que tu fus chargé de nous annoncer, et qui à peine te survivra de quelques jours.
Pour Antienne de l’Offertoire, l’Église emploie les mêmes paroles de David qu’elle a fait retentir avant la lecture de l’Évangile. Elle n’a qu’une pensée : le triomphe de son Époux, la joie du ciel qu’elle veut voir partagée par les habitants de la terre.
Entrer à la suite de Jésus dans la vie éternelle, éviter les obstacles qui peuvent se rencontrer dans la voie, tels doivent être nos désirs en ce jour, telle est aussi la demande que la sainte Église adresse pour nous à Dieu dans l’oraison Secrète.
Un nouveau verset de David fournit l’Antienne de la Communion. Le roi-prophète y annonce, mille ans à l’avance, que c’est à l’Orient que l’Emmanuel s’élèvera aux cieux. C’est en effet de la montagne des Oliviers située au Levant de Jérusalem que nous avons vu aujourd’hui Jésus partir pour le royaume de son Père.
Le peuple fidèle vient de sceller son alliance avec son divin Chef en participant à l’auguste Sacrement ; l’Église demande à Dieu que ce mystère, qui contient Jésus désormais invisible, opère en nous ce qu’il exprime à l’extérieur.
MIDI.
Une tradition descendue des premiers siècles et confirmée par les révélations des saints, nous apprend que l’heure de l’Ascension du Sauveur fut l’heure de midi. Les Carmélites de la réforme de sainte Thérèse honorent d’un culte particulier ce pieux souvenir. A l’heure où nous sommes, elles sont réunies au chœur, vaquant debout à la contemplation du dernier des mystères de Jésus, et suivant l’Emmanuel de la pensée et du cœur aussi haut que son vol divin l’emporte.
Suivons-le aussi nous-mêmes ; mais avant de fixer nos regards sur le radieux midi qui éclaire son triomphe, revenons un moment par la pensée à son point de départ. C’est à minuit, au sein des ténèbres, qu’il éclata tout à coup dans l’étable de Bethléhem. Cette heure nocturne et silencieuse convenait au début de sa mission. Son œuvre tout entière était devant lui, et trente-trois années devaient être employées à l’accomplir. Cette mission se déroula année par année, jour par jour, et elle allait touchant à sa fin, lorsque les hommes, dans leur malice, se saisirent de lui et l’attachèrent à une croix. On était au milieu du jour, lorsqu’il parut élevé dans les airs ; mais son Père ne voulut pas que le soleil éclairât ce qui était une humiliation et non un triomphe. D’épaisses ténèbres couvrirent la terre entière ; cette journée fut sans midi. Quand le soleil reparut, il était déjà l’heure de None. Trois jours après, il sortait du tombeau aux premiers rayons de l’aurore.
Aujourd’hui, à ce moment même, son œuvre est consommée. Jésus a payé de son sang la rançon de nos péchés, il a vaincu la mort en ressuscitant glorieux ; n’a-t-il pas le droit de choisir pour son départ l’heure où le soleil, son image, verse tous ses feux et inonde de lumière cette terre que son Rédempteur va échanger pour le ciel ? Salut donc, heure de midi deux fois sacrée, puisque tu nous redis chaque jour et la miséricorde et la victoire de notre Emmanuel ! Gloire à toi pour la double auréole que tu portes : le salut de l’homme par la croix, et rentrée de l’homme au royaume des cieux !
Mais n’êtes-vous pas aussi vous-même le Midi de nos âmes, ô Jésus, Soleil de justice ! Cette plénitude de lumière à laquelle nous aspirons, cette ardeur de l’amour éternel qui seul peut nous rendre heureux, où les trouverons-nous, sinon en vous qui êtes venu ici-bas éclairer nos ténèbres et fondre nos glaces ? Dans cette espérance, nous écoutons les mélodieuses paroles de Gertrude votre fidèle épouse, et nous sollicitons la grâce de pouvoir un jour les répéter après elle : « O amour, ô Midi dont l’ardeur est si douce, vous êtes a l’heure du repos sacré, et la paix entière que l’on goûte en vous fait nos délices. O mon Bien-Aimé, élu et choisi au-dessus de toute créature, faites-moi savoir, montrez-moi le lieu où vous paissez votre troupeau, où vous prenez votre repos à l’heure de midi. Mon cœur s’enflamme à la pensée de vos doux loisirs à ce moment. Oh ! S’il m’était donné d’approcher de vous assez près pour n’être plus seulement près de vous, mais en vous ! Par votre influence, ô Soleil de justice, toutes les fleurs des vertus sortiraient de moi qui ne suis que cendre et poussière. Fécondée par vos rayons, ô mon Maître et mon Époux, mon âme produirait les nobles fruits de toute perfection. Enlevée de cette vallée de misère, admise à contempler vos traits si désirés, mon bonheur éternel serait de a penser que vous n’avez pas dédaigné, ô miroir sans tache, de vous unir à une pécheresse telle que moi » [20].
A VÊPRES.
Le Seigneur Jésus a disparu de la terre ; mais son souvenir et ses promesses sont demeurés au fond du cœur de la sainte Église. Elle suit par la pensée le triomphe si splendide de son Époux, triomphe si mérité après l’œuvre accomplie du salut des hommes. Elle ressent son veuvage ; mais elle attend d’une foi ferme le Consolateur promis. Cependant les heures s’écoulent, le soir approche ; elle rassemble alors ses enfants, et dans l’Office des Vêpres, elle repasse avec eux le profond mystère de ce grand jour.
Les Antiennes des Psaumes reproduisent le récit de l’événement qui s’est accompli à l’heure de midi ; elles sont mélodieuses, mais non sans une expression triste comme il convient au jour des adieux.
L’Hymne, pleine de suavité, a pour auteur saint Ambroise ; mais elle a été retouchée plus ou moins heureusement au XVIIe siècle.
L’Antienne qui accompagne le cantique de Marie est une invitation à Jésus de se souvenir de sa promesse, et de ne pas tarder à consoler son Épouse par l’envoi du divin Esprit. La sainte Église la répétera chaque jour, jusqu’à l’arrivée du don céleste.
Nous entendrons, dans tout le cours de l’Octave, le concert des antiques Églises de la chrétienté, célébrant sur des modes divers, mais dans un même sentiment, le médiateur de Dieu et des hommes qui s’élève aux cieux par sa propre vertu. Donnons aujourd’hui la parole à l’Église grecque qui, dans son génie pompeux, cherche à rendre les magnificences du mystère. C’est l’Hymne de l’Office du soir.
IN ASSUMPTIONE DOMINI, AD VESPERAS.
Lorsque tu fus arrivé, ô Christ, sur le mont des Oliviers, afin d’accomplir la volonté du Père, les Anges célestes furent dans l’étonnement, et les esprits infernaux frémirent. Les disciples éprouvaient un sentiment de bonheur mêlé de crainte, tandis que tu leur parlais. En face, à l’Orient, un nuage apparaissait semblable à un trône prépare ; le ciel dont les portes étaient ouvertes se montrait dans toute sa beauté ; et la terre allait apprendre comment Adam, après sa chute, pourra remonter encore. Mais tout à coup tes pieds s’élèvent dans les airs, comme si une main les soutenait, ô Christ ! Ta bouche répète des bénédictions aussi longtemps que ses accents se font entendre ; le nuage te reçoit, et bientôt le ciel lui-même. Telle est l’œuvre sublime que tu as opérée, Seigneur, pour accomplir le salut de nos âmes.
La nature d’Adam qui était tombée jusque dans les profondeurs de la terre, cette nature que tu as renouvelée, ô Dieu, tu l’élevés aujourd’hui avec toi au-dessus des Principautés et des Puissances. Dans ton amour pour elle, tu l’établis là même où tu résides ; dans ta compassion, tu te l’étais unie, tu avais souffert en elle, toi qui es impassible : et à cause de ses souffrances que tu as partagées, tu l’associes aujourd’hui à ta gloire. Les esprits célestes se sont écriés : « Quel est cet homme éclatant de beauté, et qui n’est pas seulement un homme, mais un Dieu-homme, ayant les deux natures ? » Cependant, d’autres Anges au vol rapide et vêtus de longues tuniques, descendaient vers les disciples et leur disaient : « Hommes de Galilée, Jésus, homme-Dieu, qui vient de vous quitter, reviendra Dieu-homme, pour juger les vivants et les morts, et pour faire part à ceux qui croient en lui du pardon et de sa grande miséricorde. »
Lorsque tu fus enlevé dans la gloire aux regards de tes disciples, ô Christ Dieu, un nuage reçut ton humanité, les portes du ciel s’élevèrent, le chœur des Anges tressaillit d’allégresse et les Vertus célestes criaient avec transport : « Princes, élevez vos portes, et le Roi de gloire entrera. » Cependant, tes disciples dans la stupeur disaient : « Ne vous séparez pas de nous, ô bon Pasteur, mais envoyez-nous votre Esprit très saint, pour diriger et affermir nos âmes. » Après avoir accompli dans ta bonté, Seigneur, le mystère qui avait été caché aux siècles et aux générations, tu es venu sur le mont des Oliviers avec tes disciples, ayant avec toi celle qui t’a enfanté, ô créateur et auteur de toutes choses ! Il était juste que celle qui, dans ta Passion, avait souffert plus que tout autre dans son cœur maternel, fût appelée à jouir aussi plus que tout autre du triomphe de ton humanité. Nous donc qui entrons en participation de sa joie dans ton Ascension, Seigneur, nous glorifions ta grande miséricorde envers nous.
Terminons la journée par cette belle prière du Bréviaire mozarabe.
ORATIO. | |
Unigenite Dei Filius, qui devicta morte de terrenis ad cœlestia transitum faciens, quasi filius hominis apparens, in throno magnam claritatem habens, quem omnis militia cœlestis exercitus Angelorum laudat : præbe nobis, ut nullis flagitiorum vinculis in corde hujus sæculi illigemur, qui te ad Patrem ascendisse gloriosa fidei devotione concinimus ; ut illic indesinenter cordis nostri dirigatur obtutus, quo tu ascendisti post vulnera gloriosus. Amen. | Fils unique de Dieu, ô vous qui, vainqueur de la mort, avez passé de la terre au ciel ; Fils de l’Homme dans votre nature extérieure, éblouissant d’éclat sur votre trône, objet continuel des louanges de toutes les milices célestes, ne permettez pas que nous nous laissions enchaîner par les liens coupables de ce monde, nous qui, dans les transports de notre foi, célébrons votre Ascension vers le Père. Faites que l’œil de notre cœur soit à jamais fixe là où vous êtes monté plein de gloire, après avoir été blessé ici-bas. Amen. |
O notre Emmanuel ! Vous êtes donc enfin par-parvenu au terme de votre œuvre, et c’est aujourd’hui même que nous vous voyons entrer dans votre repos. Au commencement du monde, vous aviez employé six jours pour disposer toutes les parties de cet univers créé par votre puissance ; après quoi vous rentrâtes dans votre repos. Plus tard, lorsque vous eûtes résolu de relever votre œuvre tombée par la malice de l’ange rebelle, votre amour vous fit passer, durant le cours de trente-trois années, par une succession sublime d’actes à l’aide desquels s’opéraient notre rédemption et notre rétablissement au degré de sainteté et de gloire dont nous étions déchus. Vous n’avez rien oublié, ô Jésus, de ce qui avait été arrêté éternellement dans les conseils de la glorieuse Trinité, de ce que les Prophètes avaient annoncé de vous. Votre triomphante Ascension met le sceau à la mission que vous avez daigné accomplir dans votre miséricorde. Pour la seconde fois vous entrez dans votre repos ; mais vous y entrez avec la nature humaine appelée désormais aux honneurs divins. Déjà les justes de notre race que vous avez retirés des limbes prennent rang dans les chœurs angéliques, et en partant vous nous avez dit à nous-mêmes : « Je vais vous préparer une place » [21].
Confiants dans votre parole, ô Emmanuel, résolus à vous suivre dans tous vos mystères qui n’ont été accomplis que pour nous, à vous accompagner dans l’humilité de votre Bethléhem, dans la participation aux douleurs de votre Calvaire, dans la résurrection de votre Pâque, nous aspirons à imiter aussi, quand l’heure sera venue, votre triomphante Ascension. En attendant, nous nous unissons aux chœurs des saints Apôtres qui saluent votre arrivée, à nos Pères dont l’heureuse multitude vous accompagne et vous suit. Tenez vos regards divins fixés sur nous, ô divin Pasteur ! Le moment de la réunion n’est pas arrivé encore. Gardez vos brebis, et veillez à ce que pas une ne s’égare et ne manque au rendez-vous. Instruits désormais de la fin qui nous attend, fermes dans l’amour et la méditation des mystères qui nous ont conduits à celui d’aujourd’hui, nous l’adoptons en ce jour comme l’objet de notre attente, comme le terme de nos désirs. C’est le but que vous vous êtes proposé en venant en ce monde, descendant jusqu’à notre bassesse, pour nous enlever ensuite jusqu’à vos grandeurs, vous faisant homme afin de faire de nous des dieux. Mais jusqu’au moment qui nous réunira à vous, que ferions-nous ici-bas, si la Vertu du Très-Haut que vous nous avez promise ne descendait bientôt sur nous, si elle ne nous apportait la patience dans l’exil, la fidélité dans l’absence, l’amour seul capable de soutenir un cœur qui soupire après la possession ? Venez donc, ô divin Esprit ! Ne nous laissez pas languir, afin que notre œil demeure fixé au ciel où Jésus règne et nous attend, et ne permettez pas que cet œil mortel soit tenté, dans sa lassitude, de s’abaisser sur un monde terrestre où Jésus ne se laissera plus voir.
La solennité liturgique de l’Ascension, moins antique que celle de la Pentecôte, est toutefois parmi les plus anciennes du cycle, et bien qu’on ne la trouve pas dans les témoignages documentaires antérieurs à Eusèbe [22], cette fête était pourtant déjà si universelle que saint Augustin put en attribuer la première institution aux apôtres eux-mêmes. Dans l’antiquité, la caractéristique de la fête de ce jour était une solennelle procession qui se faisait vers midi en souvenir des Apôtres accompagnant Jésus hors de la ville sur le mont des Oliviers. A Rome, après les offices nocturnes et la messe célébrée sur l’autel de Saint-Pierre, le Pape était couronné par les cardinaux et, vers l’heure de sexte, se rendait au Latran, accompagné par les évêques et par le clergé.
Aujourd’hui Jésus s’est dérobé à la vue de ses fidèles disciples, lesquels gardent toutefois leurs yeux levés au ciel, s’efforçant de revoir encore une fois le divin Maître. Mais cette vie contemplative, toute absorbée dans la vision béatifique du Paradis, est réservée aux élus de l’Église triomphante. Ceux-ci ont leur récompense in mercede contemplationis [23], comme le dit saint Augustin dans une homélie célèbre que la liturgie nous fait lire au Bréviaire le jour de saint Jean l’Évangéliste. Notre vocation au contraire doit être in opere actionis ; aussi, en ce jour, la liturgie, dans l’introït, avec une mélodie qui est parmi les plus belles du recueil grégorien, nous répète-t-elle les paroles des Anges aux Apôtres : « O Galiléens, que regardez-vous dans le ciel ? Ce Jésus qui y est allé sous vos yeux reviendra dans la même majesté. »
Ita veniet. Voilà notre consolation dans les douleurs et l’isolement de la vie. Jésus s’est éloigné, mais il reviendra certainement. Cette attente de Jésus doit déterminer, pour ainsi dire, tout le rythme de notre vie intérieure, le cœur palpitant et les yeux de la foi fixés là-haut vers le ciel.
La collecte est pleine de beauté. Le Maître est monté au ciel pour nous y préparer une place. Il est notre Chef, et c’est seulement par une espèce de violence que ses membres mystiques sont contraints à rester encore sur la terre. Ne pouvant tout de suite rejoindre Jésus en paradis, nous devons du moins habiter dans le ciel par nos affections, nos pensées, nos désirs, en sorte que, exilés ici-bas avec notre corps, nous puissions dire pourtant avec saint Paul : conversatio nostra in cælis est [24].
La lecture est tirée des Actes (I, 1-11) ; c’est le récit de l’Ascension. Jésus s’élève au ciel du mont des Oliviers, où précisément il avait commencé la Passion, et par là il nous enseigne que la Croix est l’unique moyen d’arriver au paradis. Il promet aux Apôtres l’Esprit Saint, seulement après son entrée triomphale dans son royaume, parce qu’il convenait que la plénitude de la gloire se répandît du Chef dans les membres. Avant de se dérober à leurs regards, Jésus bénit les Apôtres, pour les assurer de sa continuelle assistance, intime et invisible, dans le secret du cœur. C’est là que Jésus, par l’opération du Saint-Esprit, établit le temple où il vient résider avec son Divin Père. Les Anges invitent les Apôtres à détourner du ciel leurs regards, parce que la vie présente est le temps du labeur et non celui du repos. Maintenant l’on sème ; ensuite on moissonnera. On sème dans les sueurs et dans la douleur, et l’on moissonnera dans la joie. C’est pourquoi nous devons travailler ; mais même en ceci il y a une règle à observer. Nous devons travailler comme font les Anges, quand ils exercent leur fidèle ministère de garde à notre endroit. Ils nous assistent et se tiennent continuellement à nos côtés, mais en même temps leur regard est fixé en paradis, extasié dans la contemplation de la splendeur du Père Éternel in quem desiderant Angeli prospicere [25].
Suit le verset alléluiatique tiré du psaume 46 : Dieu s’est élevé dans la jubilation et au son des trompettes des milices angéliques, qui l’acclament leur chef et sauveur, et lui rendent grâces parce qu’au moyen de la rédemption des hommes il comble dans leurs rangs les vides autrefois laissés par les Anges apostats.
Un autre motif qui rendit plus belle l’Ascension de Jésus fut le fait que, selon toute probabilité, le Sauveur fut accompagné dans son triomphe par ces saints Patriarches et Prophètes qui sortirent de leurs tombes au moment où Jésus expira sur la croix, et qui, après sa résurrection, se montrèrent visiblement à de nombreuses personnes à Jérusalem.
Le verset précédant l’Évangile provient du psaume 67 : Dieu qui se montra sur le Sinaï s’élève maintenant et entraîne avec lui esclave l’esclavage lui-même, c’est-à-dire qu’il triomphe du péché et du démon dont il foule aux pieds la puissance qu’il tient enchaînée. Le chrétien ne doit donc pas craindre Satan. Il est comme un chien attaché, qui ne peut mordre que ceux qui s’approchent imprudemment de lui.
La lecture évangélique avec le récit de l’Ascension est tirée de saint Marc (XVI, 14-20), lequel, dans un unique tableau, recueille toute l’histoire des quarante jours passés par Jésus ressuscité avec ses Apôtres, et aussi l’histoire ultérieure de l’Église. Les disciples reçoivent la puissance d’opérer des miracles, pour confirmer la divinité de leur mission, et ils vont prêcher sur tous les points de la terre. Du haut du ciel, Jésus donne l’efficacité à leur parole, et ainsi l’Église, à l’image du Divin Maître dont elle continue l’œuvre bienfaisante, passe à travers le monde : pertransiit benefaciendo et sanando [26]. Il ne faut pas croire que ce tableau convient seulement à l’âge apostolique. Non, l’Église est encore maintenant telle qu’elle était alors. Il n’est aucun genre de bienfaisance corporelle et spirituelle auquel elle ne se consacre, encore à présent, spécialement au moyen de ses admirables corporations religieuses. Quant au don des miracles, lui aussi est un charisme qui n’a jamais manqué à l’Église. Bien plus, il est en si intime relation avec sa note de sainteté, que, dans sa sage prudence, l’Église, avant d’inscrire l’un de ses membres au catalogue des Saints, exige que les prodiges obtenus par son intercession soient d’abord juridiquement discutés, démontrés et approuvés. Et ces procès apostoliques jugés par la Sacrée Congrégation des Rites, tribunal compétent en la matière, sont toujours très nombreux.
L’antienne de l’offertoire provient du psaume 46 : « Dieu monte au ciel au milieu de la jubilation des anges qui soufflent dans les trompettes. » Le jour de l’incarnation, ils annonçaient la gloire seulement au ciel : Gloria in excelsis Deo ; sur la terre, tandis que le Sauveur s’humiliait, le don le plus à propos était celui de la paix entre Dieu et les hommes : et in terra pax hominibus bonae voluntatis. Mais aujourd’hui qu’est accomplie la magnifique rédemption, la gloire du ciel se reflète aussi sur la terre, puisque la barrière de division ayant été ôtée, des deux familles, angélique et humaine, il ne s’en fait plus qu’une ; aussi, tandis que Jésus, caput hominum et Angelorum [27], s’assied glorieux à la droite du Père, les membres de son corps mystique, en qui il vit et opère encore, se trouvent ici sur la terre. De même donc que le Sauveur réunit ces deux attributions : le Chef est glorieux au ciel et les membres travaillent dans le monde, ainsi l’Église milite ici-bas, mais, dans la personne de son Chef, elle a déjà commencé la vie glorieuse du Paradis.
Dans la collecte sur les oblations, nous rappelons aujourd’hui au Seigneur que l’offrande des dons est consacrée à commémorer l’immense gloire de l’Ascension du Christ, conséquence de sa Passion. C’est pourquoi nous le supplions d’aplanir aussi pour nous la voie du ciel, étant de devant nos pas toutes les pierres d’achoppement, en sorte que nous puissions sûrement atteindre le but désiré.
Il faut d’ailleurs remarquer qu’ici nous ne demandons point que les soldats du Christ soient absolument soustraits au combat et maintenus dans les quartiers d’hiver ; — non, car la vie est le temps de la lutte — mais nous supplions Dieu d’écarter de notre route l’unique vrai mal et péril que nous puissions rencontrer, celui de l’offenser.
Dans l’anaphore eucharistique d’introduction au trisagion, selon l’usage romain dont parlait le pape Vigile écrivant à Profuturus de Braga, nous insérons durant toute l’octave de l’Ascension la commémoration de ce sublime mystère : « Qui (le Christ), après sa Résurrection, apparut indiscutablement à ses disciples, et, sous leurs yeux, s’éleva au ciel, dans le but de nous donner part à sa divinité » [28].
Voilà la signification de la fête de ce jour, et la fin que se propose le Christ en montant au ciel. Il atteint pleinement ce but le jour de la Pentecôte, quand il nous donne avec l’Esprit Saint, sa vie divine elle-même, le cœur même de la divinité.
Au commencement des diptyques apostoliques, l’on fait aussi mémoire de la solennité du jour : « Commémorant le jour très sacré où votre Fils unique et notre Seigneur fit asseoir à votre droite glorieuse notre fragile nature, qu’il avait voulu unir à sa personne divine... » [29]
L’antienne pour la Communion est tirée du psaume 67 : « Chantez des hymnes au Seigneur qui, du côté de l’Orient, monte au plus haut des cieux. » Le plus haut des cieux signifie ici le trône même de la divinité, qu’aujourd’hui va occuper la sainte humanité de Jésus. Il s’élève du côté de l’Orient, parce que toutes les œuvres de Dieu sont resplendissantes, lumineuses, sans que l’Église ait jamais eu, comme les théosophes modernes, deux doctrines, l’une cachée, réservée aux initiés, et l’autre commune, pour le grand public. Dieu fait ses œuvres à la lumière du soleil. Le Christ meurt sur une colline, en présence de tout un peuple, au grand jour de la Parascève de Jérusalem ; Jésus ressuscite et se fait voir, non seulement aux Apôtres mais aux saintes Femmes et même à cinq cents personnes rassemblées. Aujourd’hui il monte au ciel, mais sur une colline, en présence de onze personnes au moins, sans compter la Bienheureuse Vierge et les membres de sa parenté.
Dans l’Eucharistie, ou prière de remerciement, nous supplions la divine clémence de faire que le signe visible de la grâce, c’est-à-dire le Sacrement, atteigne intérieurement la plénitude de son effet. Nous demandons par là que l’incorporation matérielle à la Victime du sacrifice eucharistique nous unisse spirituellement à Jésus.
La suprême glorification du Chef qui, aujourd’hui, va s’asseoir à la droite du Père dans le ciel, se répand dans les membres, à l’égal de ce baume parfumé qui, selon le psaume 132, descendit de la tête d’Aaron sur sa barbe et sur ses splendides vêtements pontificaux. Cette onction spirituelle est le charisme du Saint-Esprit qu’en ce jour Jésus, du ciel, obtient à l’Église. Le lien est donc très intime, entre l’Ascension et la Pentecôte. L’une ne s’explique pas sans l’autre.
L’Ascension du Christ est notre élévation.
Après le chant de l’Évangile, le diacre éteint le cierge pascal, le symbole de la Résurrection. Par cette simple cérémonie, la liturgie veut exprimer que le Christ est monté aujourd’hui au ciel. A chaque messe, le prêtre dit : « Nous nous rappelons la bienheureuse Passion, la Résurrection des morts et la glorieuse Ascension de ton Fils... » [30].
1. Premières impressions. — Quand des personnes chères se séparent de nous, nous nous affligeons, même si nous savons qu’elles rencontreront un sort meilleur. Aussi nous pourrions penser que l’Église assistera à l’Ascension avec mélancolie. Il n’en est rien. La fête est exclusivement une fête de joie. Une double joie remplit nos cœurs ; nous nous réjouissons pour le Seigneur et pour nous-mêmes.
a) La journée de l’Ascension est un triomphe du Christ, une fête de victoire. Le Seigneur a bien mérité son triomphe. Rappelons-nous toutes les phases et toutes les étapes de sa vie terrestre. Il a quitté le trône de son Père et s’est abaissé dans le sein de la Vierge, il a été couché sur la rude paille de la Crèche de Bethléem, il a dû fuir en Égypte, fuir son propre peuple ; il a vécu dans l’obscurité à Nazareth, comme un simple artisan ; puis il s’est fatigué à parcourir la Galilée et la Judée à la recherche de la brebis perdue. Il a été méconnu, il n’a pas été aimé par ses frères. Enfin, il a enduré sa Passion rédemptrice depuis le mont des Oliviers jusqu’au Golgotha. Pourquoi tout cela ? Parce qu’il nous a aimés. Quel but poursuivait-il ? Nous racheter du pouvoir du diable et nous introduire dans la patrie céleste. Et maintenant son œuvre, à laquelle il a consacré son amour et le sang de ses veines, est achevée. Il peut, aujourd’hui, jeter un regard joyeux sur sa vie écoulée. Hier, la liturgie nous a montré son Ascension en deux images : le vainqueur s’avance triomphant, il entraîne avec lui dans son triomphe les prisonniers, c’est-à-dire nous-mêmes, les enfants de Dieu rachetés par lui ; il fait part de son butin, c’est-à-dire des grâces de la Rédemption à l’Église. Le Fils rentre dans la maison paternelle, il est reçu avec joie par son Père ; mais il lui présente des nouveaux frères et sœurs, l’humanité rachetée. Nous pouvons dire que la fête de l’Ascension est, en même temps, l’accession au trône et le couronnement du Christ comme Roi du ciel et de la terre.
b) Cette fête est aussi un jour de joie pour nous. La glorification du Seigneur dans son Ascension est aussi l’élévation de la nature humaine ; c’est notre glorification. C’est là une pensée qui a profondément impressionné les Pères. Notre nature humaine participe aux plus hauts honneurs divins. Le Christ. en effet, est entré au ciel avec son corps humain, avec sa nature humaine ; il est assis sur le trône de Dieu et il restera avec sa nature humaine éternellement. C’est là une distinction inouïe pour les hommes. L’un des nôtres, notre chef, est assis sur le trône de Dieu ; ainsi donc nous aussi, les membres de son corps, nous sommes divinisés. C’est pourquoi la préface de la fête chante d’une manière significative : « Il a été élevé pour nous faire participer à sa divinité ». C’est là une divine noblesse qui nous est communiquée par l’Ascension. Mais cela constitue, pour nous, une impérieuse exigence : Sursum corda. Le péché ne monte pas au ciel avec le Christ. Le péché est comme une chaîne qui nous lie à la terre. Brisons ces liens du péché. Nous devons d’abord monter au ciel avec la volonté et le désir (« demeurer de cœur au ciel »). Ensuite, nous y suivrons le Seigneur en corps et en âme.
2. Solennité du jour. — Cette fois encore, célébrons cette fête entièrement avec l’Église, dans la prière des Heures et à la messe. Hier, nous avons récité les Heures du soir en commun ou, tout au moins, nous avons récité les vêpres dans notre particulier. Dans les antiennes, nous voyons le Roi montant au ciel. L’image centrale, au bréviaire comme à la messe, est celle-ci : « Hommes de Galilée, pourquoi regardez-vous vers le ciel ? Comme vous l’avez vu monter au ciel, ainsi il reviendra, Alléluia » (I. Ant. Intr.). L’hymne est d’un magnifique mouvement (Salutis humanae Sator) :
A l’antienne de Magnificat, nous voyons le Seigneur sur le seuil de la céleste maison paternelle : « Père, j’ai annoncé ton nom parmi les hommes que tu m’as donnés : maintenant, je te prie pour eux, non pour le monde, car je viens vers toi, Alléluia »
Dans la nuit ou de bonne heure le matin, nous récitons les Matines. C’est la réunion des psaumes royaux. Les antiennes font ressortir avec prédilection des expressions comme celle-ci : exalter, élever (exaltare, elevare). Les leçons du deuxième et du troisième nocturnes sont très riches de pensées et d’autant plus précieuses que toutes les deux furent prononcées comme homélies par les papes saint Léon 1er et saint Grégoire 1er. « Il y avait vraiment une grande et ineffable cause de nous réjouir quand la nature humaine qui était unie au Fils de Dieu s’éleva devant les yeux de la sainte troupe des disciples, bien au-dessus de tous les Esprits célestes, bien au-dessus des chœurs des anges et même au-dessus des hauteurs des archanges. Elle devait dépasser toutes les hiérarchies célestes et ne s’arrêter qu’au trône de Dieu, où elle participerait à sa gloire puisqu’elle est unie à sa nature dans la Personne du Fils. Puisque l’Ascension du Christ est notre propre élévation, et puisque là où nous a précédés le Chef glorieux le corps (mystique) peut lui aussi diriger son espérance, tressaillons, mes bien-aimés, d’une joie profonde et que de pieuses actions de grâces s’unissent à notre joie. Aujourd’hui, en effet, nous ne recouvrons pas seulement le paradis (perdu), mais nous avons pénétré dans les hauteurs du ciel. Nous avons beaucoup plus reçu par la grâce ineffable du Christ que nous n’avions perdu par l’envie du diable. Car les enfants d’Adam, que l’ennemi venimeux avait chassés du bonheur de leur premier séjour, le Fils de Dieu se les est incorporés et les a placés à la droite du Père » (Saint Léon).
« Quand nous lisons que les disciples ne crurent à la Résurrection du Seigneur qu’après une longue hésitation, pensons moins à leur faiblesse qu’à ce que je pourrais appeler notre future fermeté dans la foi. Car, précisément, par ce fait qu’ils doutèrent, la Résurrection fut démontrée par de nombreuses preuves. Et nous qui lisons maintenant ce récit, nous sommes, par leur doute, affermis dans la foi. Assurément Marie-Madeleine m’a moins servi que Thomas qui douta longtemps. Celui-ci, en effet, parce qu’il douta, toucha les cicatrices des blessures et, ainsi, guérit les blessures du doute dans notre cœur » (Saint Grégoire).
Il conviendrait de réciter les Laudes sur une hauteur (de se transporter en esprit sur le mont des Oliviers). Notre âme ressent aujourd’hui toute la fraîcheur de la joie et tous les transports de l’allégresse. Quand le soleil se lève, nous entendons le Sauveur qui nous quitte nous adresser ces paroles : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu, Alléluia ».
3. La messe (Viri Galilæi). — Après les petites Heures de Prime et de Tierce, nous célébrons la messe solennelle. C’est le point culminant de la fête et la réalisation mystique de son mystère. L’église de station est Saint-Pierre. Nous nous réunissons dans la grande église mondiale de Rome pour célébrer les saints mystères, dans cette église où saint Léon et saint Grégoire prononcèrent les homélies que nous avons lues au bréviaire. Les fêtes du Christ-Roi se célèbrent à Saint-Pierre (Noël, Épiphanie). Mais Saint-Pierre est aujourd’hui, pour nous, Jérusalem ; nous y prenons notre repas avec le Christ (Leçon et Évang.). C’est aussi le mont des Oliviers où nous accompagnons le Seigneur et d’où nous le voyons monter au ciel.
L’Introït nous présente une belle image. Les Apôtres lèvent les yeux vers le ciel. C’est un symbole de l’Église. Depuis que le Christ est remonté au ciel, elle ne cesse de regarder vers le ciel dans une ardente attente jusqu’à ce qu’il « revienne » (Ici aussi, le désir de parousie de l’Église se fait jour). Nous chantons le psaume proprement dit de l’Ascension (46) qui revient aujourd’hui dans presque tous les chants psalmodiques : « Que tous les peuples battent des mains » (nous sommes dans l’église Saint-Pierre qui est l’église des gentils).
Oraison : Depuis que le Maître est au ciel, « nous devons aussi demeurer de cœur au ciel ». Dans la leçon et l’Évangile, nous prenons part aux dernières heures terrestres du Seigneur.
Les deux lectures font remarquer que le Seigneur apparut aux siens « pendant le repas ». Il nous apparaît aussi à nous, maintenant, pendant le banquet eucharistique : Après le chant de l’Évangile, on éteint le cierge pascal, le symbole au Ressuscité. Dans la procession de l’Offrande, nous formons un cortège de fête et nous accompagnons le Seigneur montant au ciel, avec des chants d’allégresse et au son des trompettes. A la procession de la Communion, nous nous dirigeons encore vers l’« Est » et nous voyons le Seigneur s’élever au-dessus de tous les cieux.
4. Le psaume de l’Ascension (ps. 46).
I. Le Roi de son peuple
Vous tous, peuples, battez des mains, célébrez Dieu par des cris d’allégresse ;
Car Dieu, le Très-Haut, est redoutable, le grand Roi du monde entier.
C’est lui qui nous assujettit les peuples, qui met les nations sous nos pieds.
Pour nous, il nous a choisis pour son héritage, il a aimé le beau pays de Jacob.
II. Le Roi des Gentils.
Dieu s’élève au milieu des acclamations, le Seigneur monte au son des trompettes.
Louez notre Dieu, oui, louez-le, chantez notre Roi, chantez,
Car Dieu est le Roi de toute la terre ; jouez d’une main habile
Dieu règne aussi sur les Gentils, il siège sur son trône saint.
Les princes des peuples se réunissent au Dieu d’Abraham ;
Les puissants rois de la terre se sont élevés bien haut.
Sens littéral et construction. — Le psaume est court, d’une construction simple et facile à comprendre. Ce cantique se divise en deux strophes de quatre vers (le dernier vers est peut-être une addition postérieure.)
Nous nous demandons quelle fut l’occasion du psaume et quel fut son sens originaire. Le peuple juif était en guerre avec les païens. On apporta l’arche d’alliance au-dessus de laquelle se manifestait la présence de Dieu dans la nuée sainte, car le Dieu d’alliance s’avançait lui-même au combat avec l’armée de son peuple. L’objet du combat était le saint « héritage », la « gloire de Jacob », la terre promise. Israël fut vainqueur de ses ennemis et le peuple, dans des chants de victoire et d’allégresse, accompagne le divin Roi, le Dieu de l’alliance qui trône sur l’arche d’alliance, jusque sur les hauteurs du mont Sion. — Maintenant, le psaume est intelligible : Tous les peuples sont invités à rendre hommage au Dieu vainqueur (le battement de mains était un signe d’hommage, cf. IV Rois, XI, 12). Cette victoire est la continuation de celle de Josué qui prit possession de la terre promise. Il « assujettit » les peuples de Chanaan (« les nations sous nos pieds »). Depuis, le divin Roi a « choisi Israël pour son héritage et a aimé le beau pays de Jacob ». Dans la seconde strophe, nous suivons le cortège triomphal vers le mont Sion « au milieu des acclamations et au son des trompettes » ; le Roi monte. Les musiciens du temple sont invités à jouer de leurs instruments pour recevoir le Roi. Le psaume s’achève par une vue de l’avenir messianique. Le psalmiste voit, dans une vision prophétique, les gentils, sous la direction de leurs princes, entrer dans le royaume de Dieu et le Christ régner sur l’Église unie des Gentils et des Juifs (le dernier verset est un peu obscur).
Application liturgique. Pour nous, chrétiens, le Christ est le divin Roi. Lui aussi est entré en lutte avec les princes du monde. Ce fut le combat de la Rédemption ; sur le champ de bataille du Golgotha, l’ennemi héréditaire fut vaincu et le Christ conquit un butin (Psaume LXVII, 18-19) : Tu montes sur la hauteur, emmenant la foule des captifs, tu partages le butin parmi les hommes, et maintenant tu emmènes dans les hauteurs l’humanité rachetée, y compris les rebelles (les Gentils). Aujourd’hui, en la fête de l’Ascension, nous suivons le Christ dans son entrée triomphale au ciel « avec des acclamations et au son des trompettes ». Nous rendons hommage au Roi de tous les peuples, au Père de son peuple. Le verset typique de l’Ascension est celui-ci. « Dieu s’élève dans les hauteurs au milieu des acclamations, le Seigneur monte au son des trompettes ». Nous entendons trois fois ce verset au cours de la messe, à des moments profondément impressionnants. La première fois, c’est au moment de l’entrée du prêtre (de l’évêque) : L’Église voit dans le prêtre qui s’avance vers l’autel, revêtu de ses ornements de fête, le Christ-Roi faisant son entrée dans le sanctuaire du ciel (vers. ad repetendum). La seconde fois, c’est au moment de la procession de l’Évangile : Le diacre porte l’Évangile sur l’ambon — c’est encore l’image du Christ montant au ciel. La troisième fois, c’est au moment de la procession de l’Offrande. Les fidèles eux-mêmes participent à la procession d’Offrande du ciel avec le Christ, leur Roi.
[1] Psalm. XCV, XCVI, XCVII.
[2] Marc. XVI.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Luc. XXIV, 49.
[6] Act. 1.
[7] Johan. XIV, 28.
[8] Psalm. CIX.
[9] Act. 1, 6-8.
[10] Constit. apost. lib. V, cap. XIX.
[11] Luc. XXIV, 51.
[12] Act. I.
[13] Act. I.
[14] Johan. III, 17.
[15] Luc. XXIV, 52.
[16] AUGUSTIN. Epist. ad Januar.
[17] Johan. VIII, 12.
[18] I Thess. IV, 16.
[19] I Cor. VII, 31.
[20] Exercitia S. Gertrudis. Die V.
[21] Johan. XIV, 2.
[22] De Sol. Pasch., c. v. P. G., XXIV, col. 699.
[23] « Dans la récompense de la contemplation », St Augustin, Tract. 124 in Joan. Post med. : 7ème leçon des Matines du 27 décembre.
[24] « Notre vie est dans les cieux », Philip. 3, 20.
[25] « Que les Anges désirent contempler à fond », I Petr. 1, 12.
[26] « Il est allé de lieu en lieu en faisant le bien, et en guérissant », Act. 10, 38.
[27] « Chef des hommes et des Anges ».
[28] « Qui post resurrectiónem suam
ómnibus discípulis suis maniféstus appáruit,
et, ipsis cernéntibus, est elevátus in cælum,
ut nos divinitátis suæ
tribúeret esse partícipes. », Préface de l’Ascension.
[29] « Diem sacratíssimum celebrántes quo Dóminus noster, unigénitus Fílius tuus, unítam sibi fragilitátis nostræ substántiam in glóriæ tuæ déxtera collocávit », Communicántes de l’Ascension.
[30] Canon Romain.