LIVRE PREMIER
J’aborde l’explication des sacrements que vous avez reçus. Il n’aurait pas convenu de la donner plus tôt, car chez le chrétien la foi vient en premier lieu. Aussi donne-t-on, à Rome, le nom de fidèles à ceux qui ont été baptisés, et notre père Abraham a été justifié par la foi, non par les œuvres. Vous avez reçu le baptême, vous avez la foi. Il m’est interdit d’en juger autrement, car tu n’aurais pas été appelé à la grâce, si le Christ ne t’avais jugé digne de sa grâce. Qu’avons-nous donc fait samedi ? L’ouverture. Ces mystères de l’ouverture, on les a célébrés quand le prêtre t’a touché les oreilles et les narines. Qu’est-ce que cela veut dire ? Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, dans l’évan-gile, quand on lui eut présenté un sourd et muet, lui toucha les oreilles et la bouche : les oreilles parce qu’il était sourd, la bouche parce qu’il était muet et il lui dit : « Effeta. » C’est un mot hébreu qui signifie « ouvre-toi ». C’est donc pour cela que le prêtre t’a touché les oreilles, pour que tes oreilles s’ouvrent à la parole et au discours du prêtre. Mais tu me demandes : « Pourquoi les narines ? » Parce que c’était un muet, il lui toucha la bouche : ainsi, parce qu’il était incapable de parler des mystères célestes, il recevrait du Christ la parole. Et là c’était un homme, ici on baptise des femmes, et la pureté du serviteur n’est pas aussi grande que celle du maître, - puisque celui-ci pardonne les péchés, tandis qu’on les remet à celui-là, comment peut-on les comparer ? - aussi, par respect pour l’acte et la fonction, l’évêque ne touche pas la bouche, mais les narines. Pourquoi les narines ? Afin que tu reçoives la bonne odeur de la bonté éternelle, afin que tu dises : « Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu », comme l’a dit le saint apôtre, et qu’il y ait en toi tous les parfums de la foi et de la dévotion. Nous sommes arrivés à la fontaine, tu es entré, tu as été oint. Pense à ceux que tu as vus, pense à ce que tu as dit, rappelle exactement tes souvenirs. Un lévite est venu t’accueillir, un prêtre est venu t’accueillir. Tu as été oint comme un athlète du Christ, comme si tu allais te livrer à une lutte profane, tu as fait profession de t’adonner à la lutte. Celui qui lutte sait ce qu’il peut espérer : là où il y a combat, là il y a une couronne. Tu luttes dans le monde, mais tu es couronné par le Christ, et c’est pour des combats soutenus en ce monde que tu es couronné. Car, bien que la récompense soit au ciel, ce qui mérite cette récompense se trouve pourtant ici. Quand on t’a demandé : « Renonces-tu au diable et à ses œuvres ? » qu’as-tu répondu ? « J’y renonce. » - « Renonces-tu au monde et à ses plaisirs ? » qu’as-tu répondu ? « J’y renonce. » Souviens-toi de ta parole et ne perds jamais de vue les conséquences de la garantie que tu as donnée. Si tu signes une reconnaissance à quelqu’un, tu es considéré comme obligé à recevoir son argent, tu es considéré comme lié strictement et le créan-cier te contraint. Si tu contestes, tu vas trouver le juge, et là tu es convaincu par ta garantie. Pense à l’endroit où tu as promis ou à ceux à qui tu as promis. Tu as vu un lévite, mais c’est un ministre du Christ. Tu l’as vu exercer son ministère devant les autels. Ta garantie n’est donc pas gardée sur terre, mais au ciel. Pense à l’endroit où tu reçois les sacrements célestes. Si le corps du Christ se trouve ici, les anges y sont aussi établis. « Là où est le corps, là sont les aigles », as-tu lu dans l’Évangile. Là où est le corps du Christ, là sont aussi les aigles qui ont coutume de voler pour fuir ce qui est terrestre, s’élancer vers ce qui est céleste. Pourquoi dis-je cela ? Parce que tous les hommes qui annoncent le Christ sont eux aussi des anges et semblent appelés à tenir la place des anges. Comment ? écoute. Le Baptiste était Jean, né d’un homme et d’une femme. Pourtant, écoute, il est un ange lui aussi : « Voici que j’envoie mon ange devant ta face et il préparera ta route devant toi. » Voici une autre preuve. Le prophète Malachie dit : « Les lèvres du prêtre sont gardiennes de la science et c’est de sa bouche qu’on réclame la loi, parce qu’il est l’ange du Dieu tout-puis-sant. » C’est dit pour que nous proclamions la gloire du sacerdoce, non pour qu’on attribue quoi que ce soit à nos mérites personnels. Tu as donc renoncé au monde, tu as renoncé au siècle. Sois vigilant. Celui qui doit de l’argent tient toujours compte de sa garantie. Et toi, qui es redevable au Christ de la foi, garde la foi qui est bien plus précieuse que l’argent, car la foi est une richesse éternelle, l’argent une temporelle. Rappelle-toi, toi aussi, ce que tu as promis, tu seras plus prudent. Si tu gardes ta promesse, tu garderas aussi ta garantie. Tu t’es ensuite approché, tu as vu la fontaine, tu as vu aussi le prêtre près de la fontaine. Je ne puis pas non plus douter que la même pensée ne vous soit venue qu’à ce Naaman le Syrien. Car, bien qu’il ait été purifié, il douta cependant tout d’abord. Pourquoi ? Je vais le dire, écoute. Tu es entré, tu as vu de l’eau, tu as vu le prêtre, tu as vu le lévite. Je crains que quelqu’un n’ait dit peut-être : « C’est tout ? » Bien sûr c’est tout, c’est vraiment tout, là où est toute innocence, toute piété, toute grâce, toute sainteté. Tu as vu ce que tu as pu voir des yeux du corps et avec des regards humains ; tu as vu non ce que cela produit, mais ce qui se voit. Ce qu’on ne voit pas est bien plus grand que ce qu’on voit, parce que ce qu’on voit est temporel, ce qu’on ne voit pas éternel. Disons tout d’abord : « Garde la garantie de ma parole et réclames-en l’exécution. » Nous admi-rons les mystères des Juifs qui ont été donnés à nos pères. Ils sont excellents tout d’abord par l’ancien-neté de leurs sacrements, puis par leur sainteté. Voici ma promesse : les sacrements des chrétiens sont plus divins et plus anciens que ceux des Juifs. Quoi de plus extraordinaire que le passage des Juifs à travers la mer, pour parler à présent du baptême ? Pourtant les Juifs qui l’ont traversée sont tous morts au désert. Par contre, celui qui passe par cette fon-taine-ci, c’est-à-dire des choses terrestres aux choses célestes, - car c’est là un passage et donc la Pâque, c’est son passage, celui du péché à la vie, de la faute à la grâce, de la souillure à la sainteté, - celui qui passe par cette fontaine ne meurt pas, mais ressuscite. Naaman était donc lépreux. Une esclave dit à sa femme : « Que mon maître, s’il veut être purifié, aille au pays d’Israël et il y trouvera celui qui pourra le débarrasser de sa lèpre. » Elle dit cela à sa maîtresse, cette femme le dit à son mari, Naaman le dit au roi de Syrie. Celui-ci, parce qu’il l’avait en grande faveur, l’envoya au roi d’Israël. Le roi d’Israël apprit qu’on lui avait envoyé quelqu’un qu’il aurait à débarrasser de la lèpre, et il déchira ses vêtements. Alors le prophète Elisée lui fait dire : « Qu’y a-t-il que tu as déchiré tes vêtements, comme s’il n’y avait pas de Dieu capable de purifier un lépreux. Envoie-le moi. » Il le lui envoya. A son arrivée, le prophète lui dit : « Va, descends dans le Jourdain, baigne-toi et tu seras guéri. » Il se mit à réfléchir et à se dire : « C’est tout ? Je suis venu de Syrie en Judée et on me dit : Va au Jourdain, baigne-toi et tu seras guéri. Comme s’il n’y avait pas des fleuves meilleurs dans mon pays I » Ses serviteurs lui dirent donc : « Maître, pourquoi ne fais-tu pas ce que dit le prophète ? Fais-le plutôt et essaie. » Alors il se rendit au Jourdain, se baigna et en sortit guéri. Qu’est-ce que cela signifie donc ? Tu as vu de l’eau. Cependant toute eau ne guérit pas, mais l’eau qui a la grâce du Christ guérit. Il y a une différence entre l’élément et la sanctification, entre l’acte et l’effi-cacité. L’acte s’accomplit avec de l’eau, mais l’effi-cacité vient de l’Esprit-Saint. L’eau ne guérit pas si l’Esprit n’est descendu et n’a consacré cette eau. Tu l’as lu : quand Nôtre-Seigneur Jésus-Christ a institué le rite du baptême, il vint à Jean, et Jean lui dit : « C’est moi qui dois être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » Le Christ lui répondit : « Laisse seulement, car c’est ainsi qu’il convient d’accomplir toute la justice. » Vois que toute la justice est placée dans le baptême. Pourquoi donc le Christ est-il descendu, sinon pour que la chair fût purifiée, cette chair qu’il a prise de notre condition ? Le Christ n’avait pas besoin qu’on le purifiât de ses péchés, lui qui n’a pas commis de péché, mais nous en avions besoin, nous qui restons sujets au péché. Si c’est donc pour nous qu’a été institué le rite du baptême, c’est à notre foi que ce rite a été proposé. Le Christ descendit, Jean était là qui baptisait. Et voilà que l’Esprit-Saint descendit comme une colombe. Ce n’est pas une colombe qui descendit, mais comme une colombe. Souviens-toi de ce que j’ai dit : le Christ a pris une chair, non pas comme une chair, mais la réa-lité de cette chair, le Christ a vraiment pris chair, tandis que l’Esprit-Saint descendit du ciel sous l’apparence d’une colombe ; non pas dans la réalité d’une colombe, mais sous l’apparence d’une colombe. Jean vit donc et il crut. Le Christ descendit, l’Esprit-Saint descendit aussi. Pourquoi le Christ est-il descendu le premier et ensuite l’Esprit-Saint, alors que le rite habituel du baptême comporte que la fontaine soit d’abord consacrée, puis que celui qui doit être baptisé y descende ? Car, dès que le prêtre entre, il fait aussitôt l’exorcisme sur la créature qu’est l’eau, puis il fait l’invocation et la prière pour que la fontaine soit sanctifiée et qu’il y ait là la présence de la Trinité éternelle, tandis que le Christ est descendu d’abord, que l’Esprit-Saint l’a suivi. Pour quelle raison ? Pour que le Seigneur Jésus n’eût pas l’air, pour ainsi dire, d’avoir besoin du mystère de la sancti-fication, mais pour qu’il sanctifiât lui-même et que l’Esprit sanctifiât aussi. Ainsi donc le Christ descendit dans l’eau et l’Esprit-Saint descendit comme une colombe. Dieu le Père, à son tour, parla du ciel. Tu as la présence de la Trinité. Qu’il y ait eu dans la mer Rouge une figure de ce baptême, l’apôtre le dit en ces termes : « Nos pères ont tous été baptisés dans la nuée et dans la mer. » Et il ajouta : « Tout cela s’est fait pour eux en figure. » Pour eux en figure, mais pour nous en vérité. Alors Moïse tenait son bâton, le peuple juif était coupé de toute part : l’Egyptien en armes le pressait d’un côté et de l’autre les Hébreux étaient arrêtés par la mer. Ils ne pouvaient ni passer la mer, ni retourner en arrière pour attaquer l’ennemi. Ils se mirent à murmurer. Prends garde de te laisser séduire par le fait qu’ils furent exaucés. Bien que le Seigneur les ait exaucés, ils ne sont pourtant pas exempts de faute, eux qui ont murmuré. Quand tu es dans l’angoisse, tu as à croire que tu en sortiras, non pas à murmurer ; à demander, à prier, non à faire entendre des plaintes. Moïse tenait son bâton et conduisait le peuple des Hébreux, la nuit dans une colonne de lumière, le jour dans une colonne de nuée. La lumière, qu’est-elle d’autre que la vérité, car celle-ci répand une lumière visible et claire. La colonne de lumière, qu’est-elle d’autre que le Christ Seigneur qui a chassé les ténèbres de l’incroyance et a répandu dans le cœur des hommes la lumière de la vérité et de la grâce spirituelle ? Mais la colonne de nuée, c’est l’Esprit-Saint. Le peuple était dans la mer et la colonne de lumière le précédait, puis venait la colonne de nuée comme l’image de l’Esprit-Saint. Tu vois donc qu’on nous a montré dans l’Esprit-Saint et dans l’eau le type du baptême. Dans le déluge aussi il y eut alors déjà une figure du baptême, et les mystères des Juifs n’existaient certes pas encore. Si donc le rite du baptême a précédé, tu vois que les mystères des chrétiens sont plus anciens que ceux des Juifs. Mais pour le moment, étant donné la faiblesse de notre voix et le cours du temps, qu’il suffise aujour-d’hui encore d’avoir puisé quelque peu des mystères à la fontaine sacrée. Demain, si le Seigneur nous accorde le pouvoir de parler ou même de le faire avec abondance, je compléterai mon enseignement. Il faut que Votre Sainteté ait les oreilles attentives, le cœur mieux disposé, pour que vous puissiez garder ce que j’aurai pu recueillir de la suite des Écritures et que je vous aurai enseigné, afin que vous ayez la grâce du Père et du Fils et du Saint-Esprit, cette Trinité à qui appartient un règne sans fin, depuis toujours, maintenant et à jamais dans tous les siècles des siècles.
LIVRE II
Il y eut aussi dans le déluge une figure anticipée du baptême. Nous avons commencé à l’expliquer hier. Qu’est le déluge, sinon le moyen de préserver le juste pour propager la justice, de faire mourir le péché ? C’est pour cela que le Seigneur, dès qu’il vit se multi-plier les fautes des hommes, préserva le juste seul avec sa descendance, tandis qu’il ordonnait à l’eau de dépasser même le sommet des montagnes. Aussi ce déluge fit-il périr toute la corruption de la chair, tandis que la race et le modèle du juste subsistèrent seuls. N’est-ce pas ce déluge qu’est le baptême où sont effacés tous les péchés, tandis que seuls ressuscitent l’esprit et la grâce du juste ? Il y a beaucoup d’espèces de baptêmes, mais il n’y a qu’un seul baptême, s’écrie l’apôtre. Pourquoi ? Il y a les baptêmes des païens, mais ce ne sont pas des baptêmes. Ce sont des ablutions, ce ne peut être des baptêmes. La chair est lavée, la faute n’est pas effacée. Au contraire, cette ablution en fait contracter une. D’autre part, il y avait les baptêmes des Juifs, les uns superflus, les autres en figure, et la figure elle-même nous est utile, parce qu’elle est messagère de vérité. Qu’a-t-on lu hier ? Un ange, dit-on, descendait à certain moment dans la piscine et chaque fois que l’ange était descendu, l’eau s’agitait, et le premier qui y était descendu était guéri de n’importe quelle maladie qui le tenait. Cela représente la figure de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ qui devait venir. Un ange. Pourquoi ? C’est qu’il est lui-même l’Ange du grand conseil. A certain moment, parce qu’il était réservé pour la dernière heure, pour arrêter le jour à son déclin même et différer son déclin. Chaque fois que l’ange était descendu l’eau s’agitait. Tu dis peut-être : « Pourquoi ne s’agite-t-elle pas maintenant ? » Ecoute la raison : « Les signes sont pour les incroyants, la foi pour les croyants. » Celui qui était descendu le premier était guéri de n’importe quelle maladie. Que signifie le premier ? Est-ce par le temps ou par la dignité ? Comprends-le dans les deux sens. S’il s’agit du temps, le premier qui était descendu était guéri d’abord, c’est qu’il s’agit du peuple juif plutôt que du peuple des païens. S’il s’agit de la dignité, le premier qui était descendu, c’est celui qui avait la crainte de Dieu, le souci de la justice, la grâce de la charité, l’amour de la pureté, c’est lui qui était guéri de préférence. Cependant à cette époque un seul était sauvé. A cette époque, dis-je, en figure, celui qui était descendu le premier était seul guéri. Combien plus grande est la grâce de l’Église dans laquelle tous ceux qui descendent sont sauvés. Mais voyez le mystère. Nôtre-Seigneur Jésus-Christ vint à la piscine ; beaucoup de malades gisaient. Et assurément beaucoup de malades gisaient là où un seul était guéri. Alors il dit à ce paralytique : « Descends ». Celui-ci répondit : « Je n’ai pas d’homme. » Vois où tu es baptisé, d’où vient le baptême, sinon de la croix du Christ, de la mort du Christ. Là est tout le mystère : il a souffert pour toi. C’est en lui que tu es racheté, c’est en lui que tu es sauvé. « Je n’ai pas d’homme, » dit-il. C’est-à-dire, la mort est venue par un homme et la résurrection vient par un homme. Il ne pouvait descendre, il ne pouvait être sauvé celui qui ne croyait pas que Nôtre-Seigneur Jésus avait pris chair d’une vierge. Mais celui-ci qui attendait le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus, en attendant celui dont il est dit : « Et le Seigneur enverra un homme pour les sauver, » celui-ci disait : « Je n’ai pas d’homme. » Et pour cette raison il mérita sa guérison parce qu’il croyait en celui qui venait. Il eût pourtant été meilleur et plus parfait s’il avait cru que celui dont il attendait la venue était déjà arrivé. Vois maintenant le détail. Nous avons dit qu’il y avait eu une figure anticipée dans le Jourdain, quand ce Naaman le lépreux fut purifié. Cette jeune servante d’entre les captifs, qui est-elle, sinon celle qui avait les traits de l’Église et représentait sa figure ? Il était captif, en effet, le peuple des païens. Il était captif. Je ne parle pas de cette captivité imposée à un peuple par un ennemi quelconque ; mais je parle de cette captivité qui est plus grande, quand le diable, avec les siens, impose une cruelle domination et soumet à son joug les pécheurs. Tu as donc là un baptême, un autre dans le déluge. Tu as une troisième espèce de baptême quand nos pères ont été baptisés dans la mer Rouge. Tu en as une qua-trième espèce dans la piscine, quand l’eau s’agitait. Maintenant, je te le demande, dois-tu croire que tu as la présence de la Trinité dans ce baptême que le Christ administre dans l’Église ? Ainsi donc Nôtre-Seigneur Jésus-Christ dit encore à ses apôtres dans l’évangile : « Allez, baptisez les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » C’est la parole du Sauveur. Dis-moi, homme, Elie a appelé le feu du ciel, et le feu est descendu du ciel. Elisée a invoqué le nom du Seigneur, et le fer de la cognée qui avait coulé remonta de l’eau. Voilà une autre espèce de baptême. Pourquoi ? C’est que tout homme, avant le baptême, s’en-fonce et coule comme du fer ; dès qu’il a été baptisé, il n’imite plus le fer, mais il s’élève comme une espèce plus légère d’arbre fruitier. Il y a donc ici encore une autre figure. C’était une cognée au moyen de laquelle on coupait le bois. Le manche se détacha de la cognée, c’est-à-dire que le fer coula. Le fils de prophète ne sut que faire, mais il sut seulement prier le prophète Elisée et demander un remède. Alors celui-ci mit le bois (dans l’eau) et le fer remonta. Tu vois donc que c’est la croix du Christ qui allège l’infirmité de tous les hommes. Voici autre chose, bien que nous ne suivions pas l’ordre des faits. Car qui pourrait saisir tout ce que le Christ a fait, comme l’ont dit les apôtres ? Moïse était arrivé au désert et le peuple avait soif. Il était arrivé à la fontaine de Mara et il voulut boire. Aussi-tôt qu’il y eut puisé, il en sentit l’amertume et il lui fut dès lors impossible de boire. C’est pour cela que Moïse mit du bois dans la fontaine, et l’eau qui était d’abord amère commença à s’adoucir. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que toute créa-ture sujette à la corruption est une eau amère pour tous ? Même si elle est douce pour un moment, même si elle est agréable pour un moment, elle est amère, elle qui ne peut ôter le péché. Dès que tu auras bu, tu auras soif, dès que tu auras goûté sa douceur, tu sen-tiras de nouveau son amertume. C’est donc de l’eau amère. Mais dès qu’elle aura reçu la croix du Christ, le sacrement céleste, elle commence à être douce et agréable et justement agréable, puisqu’elle fait s’éloi-gner la faute. Si donc la puissance des baptêmes en figure a été si grande, combien plus grande est la puis-sance du baptême en vérité. Maintenant donc regardons : le prêtre vient, il dit une prière près de la fontaine, il invoque le nom du Père, la présence du Fils et de l’Esprit-Saint , il se sert de paroles célestes. Ces paroles divines, ce sont celles du Christ disant que nous baptisions au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Si à la parole d’un homme, à l’invocation d’un saint la Trinité se trouvait présente, combien plus n’est-elle pas présente là où agit la parole éternelle ? Vous voulez être sûrs que l’Esprit-Saint est descendu ? Tu as entendu dire qu’il est descendu comme une colombe. Pourquoi comme une colombe ? Pour que les incroyants soient appelés à la foi. Au début il a fallu qu’il y ait un signe ; dans la suite il faut qu’il y ait perfection. Voici autre chose. Après la mort de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, les apôtres étaient réunis et priaient le jour de la Pentecôte, et soudain il se fit un grand bruit, comme si un vent soufflait avec violence, et on vit comme des langues de feu qui se séparaient. Qu’est-ce cela signifie d’autre que la descente du Saint-Esprit qui voulut se manifester même d’une manière corpo-relle aux incroyants, c’est-à-dire d’une manière corporelle par un signe, d’une manière spirituelle par le sacrement ? C’est donc une preuve manifeste de sa venue ; mais à nous, on offre le privilège de la foi, parce qu’au début il y avait des signes pour les incroyants, tandis que pour nous, qui sommes déjà dans le plein développement de l’Église, il nous faut saisir la vérité non par un signe, mais par la foi. Examinons maintenant ce qu’on appelle le baptême. Tu es venu à la fontaine, tu y es descendu, tu as aperçu le grand-prêtre, tu as vu les lévites et le prêtre à la fontaine. Qu’est-ce que le baptême ? Au début notre Dieu fit l’homme immortel, à condition qu’il ne goûtât pas du péché. Il commit le péché, il devint sujet à la mort, il fut chassé du paradis. Mais le Seigneur qui voulait faire durer ses bienfaits et détruire toutes les ruses du serpent, arracher aussi tout ce qui avait nui, porta tout d’abord une sentence contre l’homme : « Tu es terre et tu retourneras en terre, » et il rendit l’homme sujet à la mort. C’était une sentence divine, elle ne pouvait être cassée par l’humanité. On trouva un remède : que l’homme mourût et ressuscitât. Pourquoi ? Afin que ce qui avait tout d’abord servi de condamnation servît de bienfait. Qu’est-ce d’autre que la mort ? Tu demandes comment ? Parce que la mort, par son intervention, met fin au péché. Quand nous mourons, en effet, nous cessons de pécher . Il semblait donc qu’on avait satisfait à la sentence, puisque l’homme qui avait été fait immortel, à condi-tion toutefois de ne pas pécher, devenait mortel dès ce moment. Cependant, pour que la faveur divine durât sans interruption, l’homme est mort, mais le Christ trouva la résurrection, c’est-à-dire qu’il voulut rétablir le bienfait céleste qui avait été perdu par la ruse du serpent. Les deux choses sont donc en notre faveur : la mort est la fin des péchés et la résurrection est la réparation de la nature. Cependant, pour que la ruse ou les embûches du diable ne l’emportent pas en ce monde, on trouva le baptême. Ecoute ce que l’Écriture dit de ce baptême, ou plutôt le Fils de Dieu : les pharisiens ne voulurent pas recevoir le baptême de Jean, ils ont méprisé le dessein de Dieu. Le baptême est donc le dessein de Dieu. Quelle grâce, là où est le dessein de Dieu ! Ecoute donc. Ainsi, pour dénouer en ce monde l’étreinte du diable, on a trouvé le moyen de faire mourir l’homme de son vivant et de le faire ressusciter de son vivant. Qu’est-ce que de son vivant ? C’est-à-dire vivant de la vie de son corps, alors qu’il viendrait à la fontaine et serait plongé dans la fontaine. D’où vient l’eau, sinon de la terre ? On satisfait donc à la sentence divine sans l’engourdissement de la mort. Le fait que tu te baignes casse cette sentence : « Tu es terre et tu retourneras en terre. » La sentence est exécutée, il y a place pour le bienfait et le remède du ciel. L’eau vient donc de la terre. D’autre part, nos moyens de vivre ne permet-taient pas que nous fussions recouverts de terre et que nous en ressuscitions. Puis, ce n’est pas la terre qui lave, mais c’est l’eau qui lave. Ainsi la fontaine est comme une sépulture. On t’a demandé : « Crois-tu en Dieu le Père tout-puissant ? » Tu as répondu : « Je crois, » et tu as été baigné, c’est-à-dire enseveli. Une seconde fois on t’a demandé : « Crois-tu en Notre Seigneur Jésus-Christ et en sa croix ? » Tu as répondu : « Je crois, » et tu as été baigné, et par là tu as été enseveli avec le Christ. Car celui qui est enseveli avec le Christ ressuscite avec le Christ. On t’a demandé une troisième fois : « Crois-tu aussi en l’Esprit-Saint ? » Tu as répondu : « Je crois, » et tu as été baigné une troisième fois, afin que ta triple confession détruisît les chutes répétées du passé. De plus, pour vous donner un exemple, le saint apôtre Pierre avait paru succomber, lors de la passion du Seigneur, à cause de la faiblesse de la condition humaine. Pour effacer et réparer cette faute, lui qui l’avait tout d’abord renié, il est interrogé une troisième fois par le Christ lui demandant s’il aimait le Christ. Alors il répondit : « Tu le sais, Seigneur, je t’aime. » Il répondit une troisième fois pour être absous une troi-sième fois. Si donc le Père remet le péché, le Fils le remet de même et aussi l’Esprit-Saint. Que nous soyons baptisés en un seul nom, c’est-à-dire au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ne t’en étonne pas : il ne parle que d’un nom là où il n’y a qu’une substance, une divinité, une majesté. C’est le nom dont il est dit : « C’est en lui que tous doivent être sauvés. » C’est en ce nom que vous avez tous été sauvés, que vous avez été rendus à la grâce de vie. L’apôtre s’écrie donc, comme vous l’avez entendu lire à l’instant : « Quiconque est baptisé, c’est dans la mort de Jésus qu’il est baptisé. » Que signifie dans la mort ? C’est que de même que le Christ est mort, tu as aussi à goûter la mort ; de même que le Christ est mort au péché et vit pour Dieu, tu as aussi à être mort aux anciens attraits des péchés, par le sacrement de baptême, et ressuscité par la grâce du Christ. C’est donc une mort, non par la réalité d’une mort corporelle, mais en symbole. Quand donc tu es baigné, tu prends la ressemblance de sa mort et de sa sépulture, tu reçois le sacrement de sa croix, puisque le Christ a été attaché à la croix et que son corps y a été fixé par des clous. Quand donc tu es crucifié, tu es attaché au Christ, tu es attaché avec les clous de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, pour que le diable ne puisse t’en détacher. Qu’ils te tiennent, ces clous du Christ, que retire la faiblesse de la nature humaine. Tu as donc été baigné, tu t’es approché du prêtre. Que t’a-t-il dit ? « Dieu le Père tout-puissant, a-t-il dit, qui t’a fait renaître de l’eau et de l’Esprit-Saint et qui t’a pardonné tes péchés, te oint lui-même dans la vie éternelle. » Vois où tu as été oint : dans la vie éternelle, dit-il. Ne préfère pas cette vie-ci à celle-là. Si, par exemple, il survient un ennemi, s’il veut t’en-lever ta foi, s’il profère des menaces de mort pour qu’on s’écarte du droit chemin, vois ce que tu as à choisir. Ne choisis pas ce en quoi tu n’as pas été oint, mais choisis ce en quoi tu as été oint, en sorte que tu préfères la vie éternelle à la vie temporelle.
LIVRE III
Nous avons traité hier de la fontaine, qui est en apparence comme une sorte de tombeau. Nous y sommes reçus et plongés, en croyant au Père et au Fils et au Saint-Esprit, puis nous nous relevons, c’est-à-dire, nous ressuscitons. Tu reçois aussi le ?????, c’est-à-dire le chrême, sur la tête. Pourquoi sur la tête ? Parce que la tête est le siège des sens du sage, dit Salomon. C’est que la sagesse sans la grâce est inactive ; mais dès qu’elle a reçu la grâce, l’œuvre de la sagesse devient parfaite. Cela s’appelle la régénération. Qu’est-ce que la régénération ? Tu trouves dans les Actes des apôtres que ce verset qu’on dit au Psaume : « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré, » semble s’appliquer à la résurrection. En effet le saint apôtre Pierre, dans les Actes des apôtres, l’a interprété de cette manière : quand le Fils ressuscita de la mort la voix du Père se fit entendre alors : « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré. » C’est pour cela qu’il est aussi appelé le premier-né d’entre les morts. Qu’est donc la résurrection, sinon le moment où nous nous relevons de la mort pour la vie ? Si donc il y a aussi dans le baptême une image de la mort, sans doute, quand tu te baignes et que tu te relèves, il y a une image de la résurrection. Ainsi donc, suivant l’interprétation de l’apôtre Pierre, il est juste de dire que si cette résurrection-là est une régénération, cette résurrection-ci est si une régénération. Mais pourquoi dis-tu que c’est dans l’eau que tu te baignes ? C’est pour cela que tu t’égares, pour cela que le doute te retient ? Nous lisons : « Que la terre produise d’elle-même un fruit qui germe. » Tu as lu aussi à propos des eaux : « Que les eaux produisent des animaux, et il est né des animaux. » Ceux-là sont nés au début de la création, mais il t’a été réservé que les eaux te régénèrent pour la grâce comme elles ont engendré les autres à la vie. Imite ce poisson, qui a reçu une moindre faveur. Pourtant il doit être pour toi une merveille. Il est dans la mer et il est au-dessus des vagues. Il est dans la mer et il nage sur les flots. La tempête fait rage en mer, les vents violents sifflent, mais le pois-son nage, il ne coule pas, parce qu’il a l’habitude de nager. Pour toi, à ton tour, la mer, c’est ce monde. Elle a des courants divers, de grosses vagues, des tem-pêtes furieuses. Sois, toi aussi, un poisson, pour que la vague du monde ne t’engloutisse pas. Le Père a raison de dire au Fils : « Aujourd’hui je t’ai engendré, » c’est-à-dire : « Quand tu as racheté le peuple, quand tu l’as appelé au royaume du ciel, quand tu as accompli ma volonté, tu as prouvé que tu es mon Fils. » Tu es remonté de la fontaine. Que s’est-il passé ensuite ? Tu as écouté la lecture. Le pontife a relevé ses vêtements, car si les prêtres l’ont fait aussi, c’est cependant le grand-prêtre qui commence ce service. Ayant relevé ses vêtements, dis-je, le grand-prêtre t’a lavé les pieds. Qu’est-ce que ce mystère ? Tu as entendu, n’est-ce pas, que le Seigneur, après avoir lavé les pieds aux autres disciples, arriva près de Pierre et que Pierre lui dit : « Tu me laves les pieds ! » C’est-à-dire : « Toi, le maître, tu laves les pieds au serviteur, toi qui es sans tache, tu me laves les pieds ; toi qui es le créateur des cieux, tu me laves les pieds ! » Tu trouves encore ceci ailleurs : « Il vint à Jean et Jean lui dit : C’est moi qui dois être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! Je suis un pécheur et tu viens au pécheur que je suis comme pour déposer tes péchés, toi qui n’as pas commis de péché. » Vois toute justice, vois l’humilité, vois la grâce, vois la sainteté. « Si je ne te lave les pieds, dit-il, tu n’auras pas de part avec moi. » Nous n’ignorons pas que l’Église romaine n’a pas cette coutume, bien que nous suivions en tout son exemple et son rite. Cependant elle n’a pas cette coutume de laver les pieds. Prends donc garde, peut-être s’en est-elle écartée à cause du grand nombre. Il y en a pourtant qui essaient de l’excuser en disant qu’il ne faut pas faire cela au cours du mystère, pas au bap-tême, pas lors de la régénération, mais qu’il faut laver les pieds comme on le fait à un hôte. L’un relève de l’humilité, l’autre de la sanctification. Précisément, écoute : c’est un mystère et une sanctification : « Si je ne te lave les pieds, tu n’auras pas de part avec moi. ». Je ne dis pas cela pour critiquer les autres, mais pour justifier l’office que je remplis. Je désire suivre en tout l’Église romaine ; mais nous sommes pourtant doués de la raison humaine. Aussi ce qu’on observe ailleurs pour de meilleures raisons, nous le gardons aussi pour de meilleures raisons. C’est l’apôtre Pierre lui-même que nous suivons, c’est à sa ferveur que nous sommes attachés. Que répond à cela l’Église romaine ? Oui, c’est bien l’apôtre Pierre lui-même qui nous suggère cette affirmation, lui qui fut prêtre de l’Église romaine. C’est Pierre lui-même quand il dit : « Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête. » Vois sa foi. Le refus qu’il opposa tout d’abord vint de son humilité, l’offre qu’il fit ensuite de lui-même vint de sa ferveur et de sa foi. Le Seigneur lui répondit, parce qu’il avait parlé des mains et de la tête : « Celui qui s’est lavé n’a pas besoin de recommencer, mais de se laver seulement les pieds. » Pourquoi cela ? Parce qu’au baptême toute faute est effacée. La faute disparaît donc ; mais Adam reçut du diable un croc-en-jambe et du venin fut répandu sur ses pieds, et c’est pour cela que tu te laves les pieds, pour que la sanctification vienne apporter une plus grande protection à la place où le serpent t’a pris en traître et qu’ainsi il ne puisse plus te faire trébucher. Tu te laves donc les pieds pour laver le venin du serpent. C’est un profit aussi pour notre humilité que nous ne rougissions pas de faire au cours du mystère ce que nous dédaignons en guise d’hommage. Après cela vient le signe spirituel dont vous avez entendu parler aujourd’hui dans la lecture. Car après la fontaine, il reste encore à rendre parfait, quand à l’invocation du prêtre l’Esprit-Saint est répandu, l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de connaissance et de piété, l’Esprit de la sainte crainte, qui sont comme les sept vertus de l’Esprit. Sans doute toutes les vertus relèvent de l’Esprit ; mais celles-ci sont comme cardinales, comme les plus importantes. Qu’y a-t-il d’aussi important que la piété ? Qu’y a-t-il d’aussi important que la connaissance de Dieu ? Qu’y a-t-il d’aussi important que la force ? Qu’y a-t-il d’aussi important que le conseil de Dieu ? Qu’y a-t-il d’aussi important que la crainte de Dieu ? De même que la crainte du monde est une faiblesse, ainsi la crainte de Dieu est une grande force. Telles sont les sept vertus, quand tu reçois la consignation . Car, comme le dit le saint apôtre, elle a beaucoup de formes, la sagesse de Nôtre-Seigneur, dit-il, et elle a beaucoup de formes, la sagesse de Dieu. De même l’Esprit-Saint a beaucoup de formes, lui qui possède toute une variété de vertus. Aussi l’appelle-t-on encore le Dieu des vertus, ce qui peut s’appliquer au Père et au Fils et au Saint-Esprit. Mais c’est le sujet d’une autre discussion, à une autre occasion. Qu’est-ce qui vient après cela ? Tu peux approcher de l’autel. Dès que tu y es arrivé, tu peux voir ce que tu ne voyais pas avant. C’est le mystère que tu as lu dans l’évangile. Si cependant tu ne l’as pas lu, tu l’as du moins entendu dire. Un aveugle se présenta au Sauveur pour être guéri. Celui-ci guérissait les autres par sa parole et son discours et rendait la lumière des yeux par son commandement. Cependant dans le livre de l’évangile intitulé selon Jean, - celui qui plus que les autres vit de grands mystères, les représenta et les expliqua, - il voulut préfigurer en cet homme le mystère présent. Sans doute tous les évangélistes sont saints, tous les apôtres, hormis le traître, sont saints. Pourtant saint Jean, qui écrivit le dernier l’évangile, comme un familier recherché et choisi par le Christ, fit entendre les mystères éternels avec une trompette plus puissante. Tout ce qu’il dit est mystère. Un autre a dit qu’un aveugle a été guéri. Matthieu l’a dit, Luc l’a dit, Marc l’a dit. Qu’est-ce que Jean est seul à dire ? « Il prit de la boue, l’étendit sur ses yeux et lui dit : Va à Siloam1. Il se leva, s’en alla, se lava et revint avec la vue. » Considère, toi aussi, les yeux de ton cœur. Tu voyais ce qui est corporel, avec les yeux de ton corps ; mais ce qui concerne les sacrements, tu ne pouvais pas encore le voir des yeux de ton cœur. Quand donc tu t’es fais inscrire, il a pris de la boue et te l’a étendue sur les yeux. Qu’est-ce que cela signifie ? Que tu avais à reconnaître ton péché, à examiner ta conscience, à faire pénitence de tes fautes, c’est-à-dire, à reconnaître le sort de la race humaine. Car, bien que celui qui vient au baptême ne confesse pas de péché, cependant il fait par là même la confession de tous ses péchés, parce qu’il demande le baptême pour être justifié, c’est-à-dire pour passer de la faute à la grâce. Ne croyez pas que c’est inutile. Il y en a, je sais au moins qu’il y en eut un qui répondait, quand nous lui disions : « A ton âge tu as une plus grande obligation de te faire baptiser, » il répondait : « Pourquoi me faire baptiser ? Je n’ai pas de péché. Est-ce que j’ai commis un péché ? » Celui-là n’avait pas de boue, parce que le Christ ne la lui avait pas étendue sur les yeux, c’est-à-dire qu’il ne lui avait pas ouvert les yeux . Car personne n’est sans péché. Il se reconnaît donc homme, celui qui cherche refuge au baptême du Christ. Ainsi donc il t’a mis de la boue, à toi aussi, c’est-à-dire, la crainte respectueuse, la prudence, la conscience de ta faiblesse, et il t’a dit : « Va à Siloam. » Qu’est-ce que Siloam ? « Cela se traduit, dit-il, par envoyé. » C’est-à-dire : « Va à la fontaine où l’on prêche la croix du Seigneur, à cette fontaine où le Christ a racheté les erreurs de tous. » Tu y es allé, tu t’es lavé, tu es venu à l’autel, tu as commencé à voir ce que tu ne voyais pas avant, c’est-à-dire que par la fontaine et la prédication de la passion du Seigneur tes yeux se sont ouverts. Toi qui semblais avoir le cœur aveuglé, tu t’es mis à voir la lumière des sacrements. Nous voici donc arrivés, frères très chers, jusqu’à l’autel, à un sujet d’entretien plus riche. A l’heure qu’il est, nous ne pouvons pas entreprendre l’explication complète, parce que cet entretien est trop long. Contentez-vous de ce qui a été dit aujourd’hui, et demain, s’il plaît au Seigneur, nous vous entretiendrons des sacrements eux-mêmes.
LIVRE IV
Dans l’Ancien Testament, les prêtres avaient coutume d’entrer souvent dans la première tente ; dans la seconde tente, le grand-prêtre entrait une seule fois par an. C’est évidemment cela que l’apôtre Paul explique au Hébreux en rappelant la suite de l’Ancien Testament. Or il y avait dans la seconde tente la manne ; il y avait aussi le bâton d’Aaron, qui s’était desséché, puis avait refleuri, et l’autel des parfums. A quoi cela tend-il ? A vous faire comprendre ce qu’est cette seconde tente, dans laquelle le prêtre vous a introduits, celle dans laquelle le grand-prêtre a coutume d’entrer une fois par an, c’est-à-dire le baptistère, où le bâton d’Aaron a fleuri. Il était desséché, puis il a refleuri. Toi aussi tu étais desséché et tu as commencé à refleurir dans l’eau courante de la fontaine. Tu étais desséché par les péchés, tu étais desséché par les erreurs et les fautes, mais tu as déjà commencé à porter du fruit, planté que tu es près du cours des eaux. Mais tu pourrais peut-être dire : « Qu’importé au peuple que le bâton du prêtre, qui s’était desséché, ait refleuri ? » Le peuple lui-même, qui est-il, sinon le peuple sacerdotal ? A qui a-t-il été dit : « Vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, un peuple saint, » comme le dit l’apôtre Pierre ? Chacun est oint pour le sacerdoce, oint aussi pour la royauté ; mais c’est une royauté spirituelle et un sacerdoce spirituel. Dans la seconde tente, il y a aussi l’autel des parfums qui répand d’ordinaire une bonne odeur. Ainsi, vous aussi, vous êtes la bonne odeur du Christ, il n’y a plus en vous aucune souillure des fautes, aucune odeur de grave erreur. Après cela, vous avez à vous approcher de l’autel. Vous avez commencé à vous avancer. Les anges ont regardé, ils vous ont vu approcher, et cette condition humaine, qui était jadis souillée par la noire ordure des péchés, ils l’ont vue soudain resplendir. Aussi ont-ils demandé : « Qui est celle-ci qui monte blanchie du désert ? » Les anges sont donc dans l’admiration. Veux-tu savoir à quel point ils admirent ? Ecoute donc l’apôtre Pierre dire qu’on nous a donné ce que les anges désirent voir. Ecoute encore : « Ce que l’œil n’a pas vu, dit-il, ni l’oreille entendu, c’est ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment. » Rends-toi compte alors de ce que tu as reçu. Le saint prophète David a vu cette grâce en figure et il l’a désirée. Veux-tu savoir combien il l’a désirée ? Ecoute-le dire de nouveau : « Asperge-moi avec de l’hysope et je serai purifié. Tu me laveras, et je deviendrai plus blanc que neige. » Pourquoi ? Parce que la neige, bien qu’elle soit blanche, est vite noircie par quelque ordure et se souille ; la grâce que tu as reçue, pourvu que tu gardes ce que tu as reçu, a une durée sans fin. Tu venais donc à l’autel, plein de désirs, pour avoir vu une telle grâce ; tu venais à l’autel, plein de désirs, pour recevoir les sacrements célestes. Que ton âme dise : Je m’approcherai de l’autel de mon Dieu, de Dieu qui réjouit ma jeunesse. » Tu as déposé la vieillesse des péchés, tu as revêtu la jeunesse de la grâce. C’est ce que t’ont donné les sacrements célestes. Ecoute encore David dire : « Ta jeunesse se renouvellera comme celle de l’aigle. » Tu es devenu un bon aigle qui s’élance vers le ciel et méprise ce qui est terrestre. Les bons aigles entourent l’autel : « Là, en effet, où est le corps, là aussi sont les aigles . » L’autel représente le corps, et le corps du Christ est sur l’autel. Vous êtes des aigles, rajeunis par l’effacement de la faute. Tu t’es approché de l’autel, tu as fixé tes regards sur les sacrements placés sur l’autel, et tu t’es étonné devant cette créature elle-même, qui n’est pour-tant qu’une créature commune et familière. Quelqu’un aura peut-être dit : « Dieu a fait une si grande faveur aux Juifs, il leur a fait pleuvoir la manne du ciel. Qu’a-t-il donné de plus à ceux à qui il a promis davantage ? » Ecoute ce que je dis : les mystères des chrétiens sont plus anciens que ceux des Juifs et les sacrements des chrétiens sont plus divins que ceux des Juifs. Com-ment ? Ecoute. Quand les Juifs ont-ils commencé à exister ? Depuis Juda, naturellement, le petit-fils d’Abraham, ou, si tu veux le comprendre ainsi, depuis la Loi, au moment où les Juifs ont mérité de la recevoir. C’est donc à cause du petit-fils d’Abraham qu’on les a appelés Juifs au temps du saint Moïse. Et si Dieu fit alors pleuvoir la manne du ciel pour les Juifs qui murmuraient, pour toi d’autre part la figure de ces sacrements est venue plus tôt, au temps d’Abraham. Quand il rassembla trois cent dix-huit serviteurs, s’en alla à la poursuite de ses ennemis, arrachant son neveu de captivité, et revint alors victorieux, le grand-prêtre Melchisédech vint à sa rencontre et offrit le pain et le vin. Qui avait le pain et le vin ? Ce n’est pas Abraham. Mais qui les avait ? Melchisédech. C’est donc lui qui est l’auteur des sacrements. Qui est Melchisédech, qui signifie roi de justice, roi de paix ? Qui est ce roi de justice ? Est-ce qu’un homme peut être roi de justice ? Qui est donc roi de justice, sinon la justice de Dieu ? Qui est la paix de Dieu, la sagesse de Dieu ? Celui qui a pu dire : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. » Comprends donc tout d’abord que ces sacrements que tu reçois sont plus anciens que les sacrements de Moïse, que les Juifs prétendent avoir, et que le peuple chrétien a commencé avant que commence le peuple juif. Mais nous, c’est par la prédestination, ce peuple-là par le nom. Melchisédech offrit donc le pain et le vin. Qui est Melchisédech ? « Sans père, dit-on, et sans mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement à ses jours ni fin à sa vie. » C’est ce que contient l’épître aux Hébreux. Sans père, ni mère, dit-on, semblable à qui ? au Fils de Dieu. Le Fils de Dieu est né sans mère par la génération céleste, parce qu’il est né de Dieu le Père seul. Et, d’autre part, il est né sans père quand il est né de la Vierge, car il n’a pas été engendré par une semence virile, mais il est né de l’Esprit-Saint et de la Vierge Marie, sorti d’un sein virginal. Semblable en tout au Fils de Dieu, Melchisédech était aussi prêtre, car le Christ à son tour est prêtre, lui à qui il est dit : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech. » Qui est donc l’auteur des sacrements, sinon le Seigneur Jésus ? C’est du ciel que sont venus ces sacrements, car le dessein en est tout entier du ciel. C’est cependant un grand miracle divin que Dieu ait fait pleuvoir la manne du ciel pour le peuple et que le peuple mangeait sans travailler. Tu dis peut-être : « C’est mon pain ordinaire. » Mais ce pain est du pain avant les paroles sacramentelles ; dès que survient la consécration, le pain se change en la chair du Christ. Prouvons donc ceci. Comment ce qui est du pain peut-il être le corps du Christ ? Par quels mots se fait donc la consécration et de qui sont ces paroles ? Du Seigneur Jésus. En effet tout le reste qu’on dit avant est dit par le prêtre : on offre à Dieu des louanges, on prie pour le peuple, pour les rois, pour tous les autres. Dès qu’on en vient à produire le vénérable sacrement, le prêtre ne se sert plus de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ. C’est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement. Quelle parole du Christ ? Eh bien, c’est celle par laquelle tout a été fait. Le Seigneur a ordonné, le ciel a été fait. Le Seigneur a ordonné, la terre a été faite. Le Seigneur a ordonné, les mers ont été faites. Le Seigneur a ordonné, toutes les créatures ont été engendrées. Tu vois comme elle est efficace la parole du Christ. Si donc il y a dans la parole du Seigneur Jésus une si grande force que ce qui n’était pas commençait à être, combien est-elle plus efficace pour faire que ce qui était existe et soit changé en autre chose. Il n’y avait pas de ciel, il n’y avait pas de mer, il n’y avait pas de terre ; mais écoute David qui dit : « Il dit, et ce fut fait, il ordonna, et ce fut créé. » Donc, pour te répondre, avant la consécration ce n’était pas le corps du Christ ; mais après la consé-cration, je te dis que c’est désormais le corps du Christ. Il a dit et ce fut fait, il a ordonné et ce fut créé. Tu existais toi-même, mais tu étais une vieille créature ; après que tu as été consacré, tu as commencé à être une nouvelle créature. Tu veux savoir combien elle est nouvelle cette créature ? « Quiconque est dans le Christ, dit-on, est une nouvelle créature. » Ecoute donc comment la parole du Christ a cou-tume de changer toutes les créatures et change, quand il le veut, les lois de la nature. Tu demandes comment ? Ecoute, et en tout premier lieu prenons l’exemple de sa naissance. D’ordinaire un homme n’est engendré que par un homme et une femme et à la suite de rela-tions conjugales. Mais parce que le Seigneur l’a voulu, parce qu’il a choisi ce mystère, c’est de l’Esprit-Saint et de la Vierge qu’est né le Christ, le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ. Tu vois donc que contrairement aux lois et à l’ordre de la nature un homme est né d’une vierge. Ecoute un autre exemple. Le peuple juif était pressé par les Egyptiens, il était coupé par la mer. Sur l’ordre de Dieu Moïse toucha les eaux de son bâton et le flot s’ouvrit, non certes suivant son habitude naturelle, mais suivant la grâce d’un ordre du ciel. Ecoute un autre exemple. Le peuple avait soif, il arriva à une fontaine. La fontaine était amère. Le saint Moïse mit du bois dans la fontaine, et elle devint douce cette fontaine qui était amère, c’est-à-dire qu’elle changea son habitude naturelle, qu’elle reçut la douceur de la grâce. Ecoute un quatrième exemple. Un fer de cognée était tombé à l’eau et, comme c’était du fer, il coula suivant son habitude. Elisée mit le bois (dans l’eau) et aussitôt le fer remonta et revint à la surface des eaux, évidemment contre l’habitude du fer, car c’est une matière plus lourde que l’élément qu’est l’eau. Cela ne te fait-il pas comprendre tout ce que produit la parole céleste ? Si elle a agi dans une fontaine terrestre, si la parole du ciel a agi dans les autres choses, n’agit-elle pas dans les sacrements célestes ? Tu sais donc que le pain se change au corps du Christ et qu’on met du vin et de l’eau dans le calice, mais que la consé-cration opérée par la parole céleste en fait du sang. Mais peut-être dis-tu : « Je ne vois pas l’apparence du sang. » Mais c’en est le symbole. De même, en effet, que tu as pris le symbole de la mort, ainsi tu bois aussi le symbole du sang, pour qu’il n’y ait aucun dégoût provoqué par le sang qui coule et que cependant le prix de la rédemption produise son effet. Tu sais donc que ce que tu reçois, c’est le corps du Christ. Tu veux être convaincu que l’on consacre au moyen de paroles célestes ? Voici quelles sont ces paroles : « Accorde-nous, dit le prêtre, que cette offrande soit approuvée, spirituelle, agréable, parce qu’elle est la figure du corps et du sang de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui la veille de sa passion, prit du pain dans ses mains saintes, leva les yeux au ciel, vers toi, Père saint, Dieu tout-puissant et éternel, le bénit en rendant grâces, le rompit et le donna rompu à ses apôtres et à ses disciples en disant : « Prenez et mangez tous de ceci, car ceci est mon corps qui sera rompu pour vous. » Faites attention. « De la même manière, il prit aussi le calice après la cène, la veille de sa passion, leva les yeux au ciel, vers toi, Père saint, Dieu tout-puissant et éternel, le bénit en rendant grâces et le donna à ses apôtres et à ses disciples en disant : « Prenez et buvez tous de ceci, car ceci est mon sang. » Remarque que ce sont toutes paroles de l’évangéliste jusqu’à « prenez le corps ou le sang » ; mais à partir de là, ce sont des paroles du Christ : « Prenez et buvez tous de ceci, car ceci est mon sang. » Et remarque chaque détail. La veille, dit-on, de sa passion, il prit du pain dans ses mains saintes. Avant qu’on le consacre, c’est du pain ; mais dès que surviennent les paroles du Christ, c’est le corps du Christ. Ecoute-le dire alors : « Prenez et mangez tous de ceci, car ceci est mon corps. » Et avant les paroles du Christ, le calice est rempli de vin et d’eau ; mais dès que les paroles du Christ ont agi, cela devient le sang qui a racheté le peuple. Voyez donc de quelles manières la parole du Christ est capable de transformer tout. Puis le Seigneur Jésus lui-même nous affirme que nous recevons son corps et son sang. Est-ce que nous devons douter de l’autorité de son témoignage ? Reviens maintenant avec moi au sujet que j’ai en vue. C’est une grande chose sans doute et digne de respect que la manne soit tombée du ciel comme une pluie pour les Juifs. Mais réfléchis : qu’est-ce qui est plus grand, la manne du ciel ou le corps du Christ ? Assurément c’est le corps du Christ, qui est l’auteur du ciel. Puis, celui qui a mangé la manne est mort ; celui qui aura mangé ce corps obtiendra la rémission de ses péchés et il ne mourra jamais. Ce n’est donc pas sans raison que tu dis : « Amen, » reconnaissant dans ton esprit que tu reçois. le corps du Christ. Quand tu te présentes, le prêtre te dit en effet : « Le corps du Christ. » Et tu réponds : « Amen, » c’est-à-dire : « C’est vrai. » Ce que la langue confesse, que la conviction le garde. Cependant, pour que tu saches que c’est un sacrement, sa figure l’a précédé. Apprends ensuite quelle est la grandeur de ce sacrement. Remarque ce qu’il dit : « Chaque fois que vous ferez ceci, vous ferez mémoire de moi jusqu’à ce que je revienne. » Et le prêtre dit : « Nous rappelant donc sa très glorieuse passion, sa résurrection des enfers et son ascen-sion au ciel, nous t’offrons cette hostie sans tache, cette hostie spirituelle, cette hostie non sanglante, ce pain sacré et le calice de la vie éternelle , et nous te demandons et te prions d’accepter cette oblation par les mains de tes anges sur ton autel d’en-haut, comme tu as daigné accepter les dons de ton serviteur le juste Abel, le sacri-fice de notre père Abraham et celui que t’a offert le grand-prêtre Melchisédech. » Chaque fois donc que tu le reçois, que te dit l’apôtre ? « Chaque fois que nous le recevons, nous annonçons la mort du Seigneur. » Si nous annonçons la mort du Seigneur, nous annonçons la rémission des péchés. Si, chaque fois que son sang est répandu, il est répandu pour la rémission des péchés, je dois toujours le recevoir, pour que toujours il remette mes péchés. Moi qui pèche toujours, je dois avoir toujours un remède. Jusqu’à présent et aujourd’hui encore, nous vous avons donné les éclaircissements que nous pouvions ; mais demain, samedi et dimanche, nous parlerons de l’ordre de la prière, comme nous le pouvons. Que le Seigneur notre Dieu vous garde la grâce qu’il vous a donnée et qu’il daigne éclairer plus complètement les yeux qu’il a ouverts, par son Fils unique, roi et sauveur, le Seigneur notre Dieu, par qui et avec qui il possède louange, honneur, gloire, majesté, puissance, avec l’Esprit-Saint, depuis toujours, maintenant et à jamais dans tous les siècles des siècles.
LIVRE V
L’instruction que je vous ai donnée hier a été poussée jusqu’aux sacrements du saint autel, et nous avons appris qu’une figure de ces sacrements les avait précédés, à l’époque d’Abraham, quand le saint Melchisédech, qui n’avait ni commencement ni fin à ses jours, offrit son sacrifice. Entends, homme, ce que dit l’apôtre Paul aux Hébreux. Où sont ceux qui prétendent que le Fils de Dieu est temporel ? Il est dit que Melchisédech n’avait ni commencement ni fin à ses jours. Si Melchisédech n’a pas de commence-ment à ses jours, est-ce que le Christ a pu en avoir un ? La figure n’est pas plus que la réalité. Tu vois donc qu’il est à la fois le premier et le dernier. Le premier, parce qu’il est l’auteur de tout, le dernier, non parce qu’il trouverait une fin, mais parce qu’il achève tout. Nous avons dit qu’on place sur l’autel le calice et le pain. Que met-on dans le calice ? Du vin. Et quoi encore ? De l’eau. Mais tu dis : « Comment donc ? Melchisédech a offert le pain et le vin. Que signifie le mélange d’eau ? » En voici la raison. Tout d’abord, la figure qui a précédé, au temps de Moïse, que contient-elle ? Comme le peuple juif avait soif et murmurait parce qu’il ne pouvait pas trouver d’eau, Dieu ordonna à Moïse de toucher le rocher de son bâton. Il toucha le rocher, et le rocher fit couler un flot très abondant. Comme le dit l’apôtre : « Ils buvaient du rocher qui suivait. Or le rocher, c’était le Christ. » Ce n’est pas un rocher immobile, puisqu’il suivait le peuple. Toi aussi, bois pour que le Christ te suive. Sois attentif au mystère. Moïse, c’est-à-dire un prophète, avec son bâton, c’est-à-dire avec la parole de Dieu. Le prêtre touche le rocher avec la parole de Dieu, l’eau coule et le peuple de Dieu boit. Le prêtre touche le calice, l’eau ruisselle dans le calice, jaillit pour la vie éternelle, et le peuple de Dieu qui a obtenu la grâce boit. Tu es donc instruit de ceci. Voici encore autre chose. Au temps de la passion du Seigneur, à l’approche du grand sabbat, parce que Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ou les larrons étaient encore en vie, on envoya des gens pour les frapper. A leur arrivée, ils trouvèrent le Seigneur Jésus-Christ mort. Alors un des soldats toucha son côté de sa lance, et de son côté il coula de l’eau et du sang. Pourquoi de l’eau ? Pourquoi du sang ? De l’eau pour "purifier, du sang pour racheter. Pourquoi du côté ? Parce que la grâce vient d’où la faute est venue. La faute est venue par la femme, la grâce par le Seigneur Jésus-Christ. Tu t’es approché de l’autel. Le Seigneur Jésus t’appelle, ou appelle ton âme ou bien l’Église, et dit : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche. » Veux-tu appliquer cela au Christ ? Rien de plus agréable. Veux-tu l’appliquer à ton âme ? Rien de plus doux. « Qu’il me baise. » Il voit que tu es pur de tout péché, parce que tes fautes ont été lavées. C’est pour cela qu’il te juge digne des sacrements célestes et qu’il t’invite au banquet céleste : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche. » Cependant, pour ce qui suit, ton âme ou l’huma-nité ou l’Église, se voyant purifiée de tout ses péchés et digne de pouvoir approcher de l’autel (qu’est en effet l’autel sinon l’image du corps du Christ ?), voit les sacrements admirables et dit : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche, » c’est-à-dire : « Que le Christ me donne un baiser. » Pourquoi ? « Parce que tes seins valent mieux que le vin. » C’est-à-dire : Tes pensées, tes sacrements valent mieux que le vin, que ce vin : bien qu’il ait une douceur, un charme, un goût agréable, pourtant il n’y a là qu’une joie de ce monde, tandis qu’en toi, il y a une allégresse spirituelle. Alors donc déjà Salomon représente les noces du Christ et de l’Église, ou de l’esprit et de la chair, ou de l’esprit et de l’âme. Et il ajoute : « Ton nom est un parfum répandu, c’est pourquoi les jeunes filles t’ont aimé. » Qui sont ces jeunes filles, sinon toutes les âmes qui ont déposé la vieillesse de ce corps, rajeunies qu’elles sont par l’Esprit-Saint ? « Attire-nous, que nous courrions après l’odeur des tes parfums. » Tu ne peux suivre le Christ à moins qu’il ne t’attire lui-même. De plus, pour que tu sois convaincu : « Quand j’aurai été élevé, dit-il, j’attirerai tout à moi. » « Le roi m’a introduit dans sa chambre. » Le grec a : « dans son office, dans son cellier », là où il y a de bonnes boissons, du miel doux parfumé, des fruits au choix, des mets variés, pour que ton repas soit relevé par de nombreux mets. Tu t’es donc approché de l’autel, tu as reçu le corps du Christ. Apprends encore quels sacrements tu as reçus. Ecoute parler le saint David. Lui aussi, sous l’action de l’Esprit, prévoyait ces sacrements. Il s’en réjouissait et disait que rien ne lui manquait. Pourquoi ? Parce que celui qui a reçu le corps du Christ n’aura plus jamais faim. Combien de fois as-tu entendu le Psaume 22 sans comprendre ! Vois comme il s’applique bien aux sacre-ments célestes. « Le Seigneur me nourrit et rien ne me manquera, il m’a placé dans un pâturage. Il m’a conduit près de l’eau qui me réconforte, il m’a fait revenir à la vie. Il m’a conduit sur le chemin de la justice, à cause de son nom. Car même si je marche à l’ombre de la mort, je ne craindrai pas le malheur, parce que tu es avec moi. Ton sceptre et ton bâton eux-mêmes m’ont sou-tenu. » Le sceptre, c’est le pouvoir souverain, le bâton la souffrance, c’est-à-dire l’éternelle divinité du Christ, mais aussi sa passion corporelle. Celle-là a créé, celle-ci a racheté. « Tu as préparé devant moi une table en face de ceux qui m’affligent. Tu as oint ma tête d’huile, et ta coupe enivrante, qu’elle est excellente ! » Vous vous êtes donc approchés de l’autel, vous avez reçu la grâce du Christ, les sacrements célestes. L’Église se réjouit de la rédemption d’un grand nombre et c’est pour elle une allégresse spirituelle de voir près d’elle sa famille vêtue de blanc. Tu trouves cela dans le Cantique des cantiques. Dans sa joie, elle appelle le Christ ; elle a préparé un banquet tel qu’il doit sembler digne d’un festin céleste. C’est pourquoi elle dit : « Que mon frère descende dans son jardin et cueille les fruits de ses arbres. » Que sont ces arbres fruitiers ? Tu étais devenu un bois sec en Adam ; mais à présent, par la grâce du Christ, vous poussez des rejetons comme des arbres fruitiers. Le Seigneur Jésus a accepté volontiers et il a répondu à l’Eglise avec une bonté céleste : « Je suis descendu, dit-il, dans mon jardin. J’ai vendangé la myrrhe avec mes parfums, j’ai mangé mon pain avec mon miel et bu mon vin avec mon lait. Mangez, dit-il, mes frères, et enivrez-vous. » « J’ai vendangé ma myrrhe avec mes parfums . » Qu’est-ce que cette vendange ? Cherchez à connaître la vigne, et vous reconnaîtrez la vendange. « Tu as transplanté, dit-il, ta vigne d’Egypte, » c’est-à-dire le peuple de Dieu. Vous êtes la vigne, vous êtes la ven-dange : plantés comme une vigne, vous avez donné du fruit comme une vendange. « J’ai vendangé la myrrhe avec mes parfums », c’est-à-dire en vue de l’odeur que vous avez reçue. « J’ai mangé mon pain avec mon miel. » Tu vois qu’il n’y a nulle amertume dans ce pain, mais qu’il est toute douceur. « J’ai bu mon vin avec mon lait. » Tu vois que c’est une sorte de joie qui n’est salie par aucune souillure de péché. Chaque fois, en effet, que tu bois, tu reçois la rémission des péchés, et tu es enivré par l’Esprit. C’est pour cela que l’apôtre dit encore : « Ne vous enivrez pas de vin, mais remplissez-vous de l’Esprit. » Car celui qui s’enivre de vin chancelle et titube ; celui qui s’enivre de l’Esprit est enraciné dans le Christ. C’est donc une excellente ivresse qui produit la sobriété de l’âme. Telle est la brève revue que nous avons faite des sacrements. Que reste-t-il d’autre maintenant que la prière ? Et ne croyez pas qu’il n’y a que peu d’importance à savoir comment vous devez prier. Les saints apôtres disaient au Seigneur Jésus : « Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean l’a appris à ses disciples. » Alors le Seigneur dit cette prière : « Notre Père, qui es aux Cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne arrive, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débi-teurs, et ne nous laisse pas induire en tentation, mais délivre-nous du mal. » Tu vois comme elle est courte, cette prière, et pleine de toutes les qualités. Comme le premier mot en est doux ! Homme, tu n’osais pas tourner ton visage vers le ciel, tu baissais les yeux vers la terre, et soudain tu as reçu la grâce du Christ, tous tes péchés t’ont été remis. De mauvais serviteur, tu es devenu un bon fils. Ne te fie donc pas à ton action, mais à la grâce du Christ. « C’est par la grâce que vous avez été sauvés, » dit l’apôtre. Ce n’est pas là de la présomption, mais de la foi. Proclamer ce que tu as reçu n’est pas orgueil, mais dévotion. Lève donc les yeux vers le Père qui t’a engendré par le bain, vers le Père qui t’a racheté par son Fils, et dis : « Notre Père ! » C’est une juste prétention, mais elle est modérée. Comme un fils, tu l’appelles Père. Mais ne revendique pas un privilège. Il n’est le Père d’une manière spéciale que du Christ seul ; pour nous, il est le Père commun, parce qu’il a engendré celui-là seul, tandis que nous il nous a créés. Dis donc toi aussi par grâce : « Notre Père , » pour mériter d’être son fils. Recommande-toi toi-même de la faveur et la considération de l’Église. « Notre Père qui es aux cieux. » Que signifie aux cieux ? Ecoute l’Écriture qui dit : « Le Seigneur est élevé au-dessus de tous les cieux », et tu trouves partout que le Seigneur est au-dessus des cieux des cieux, comme si les anges n’étaient pas aussi aux cieux, comme si les dominations n’étaient pas aussi aux cieux. Mais aux cieux dont il est dit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu. » Le ciel est là où a cessé la faute, le ciel est là où les crimes sont punis, le ciel est là où il n’y a aucune blessure de la mort. « Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié. » Que signifie « soit sanctifié ? » Comme si nous souhaitions que soit sanctifié celui qui a dit : « Soyez saints parce que je suis saint, » comme si notre parole pouvait accroître sa sainteté. Non, mais qu’il soit sanc-tifié en nous, afin que son action sanctifiante puisse parvenir jusqu’à nous. « Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne arrive. » Comme si le règne de Dieu n’était pas éternel. Jésus dit : « J’y suis né », et tu dis : « Que ton règne arrive », comme s’il n’était pas venu. Mais le règne de Dieu est arrivé quand vous avez obtenu la grâce. Car il dit lui-même : « Le règne de Dieu est en vous ». « Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Tout a été pacifié par le sang du Christ, soit au ciel, soit sur terre : le ciel a été sanc-tifié, le diable en a été chassé. Il se trouve là où se trouve l’homme qu’il a trompé. Que ta volonté soit faite, c’est-à-dire, qu’il y ait paix sur terre comme au ciel. « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Je me souviens de ce que je vous ai dit quand j’expliquais les sacrements. Je vous ai dit qu’avant les paroles du Christ, ce qu’on offre s’appelle pain ; dès que les paroles du Christ ont été prononcées, on ne l’appelle plus du pain, mais on l’appelle corps. Pourquoi dans l’oraison dominicale qui suit immédiatement dit-il « notre pain » ? Il dit pain, mais ???????? , c’est-à-dire substantiel. Ce n’est pas ce pain qui entre dans le corps, mais ce pain de vie éternelle qui réconforte la substance de notre âme. C’est pour cela que le grec l’appelle ????????. Le latin a appelé quotidien ce pain que les Grecs appellent « de demain », parce que les Grecs appellent demain ??? ????????? . Ainsi donc ce que dit le latin et ce que dit le grec semblent également utiles. Le grec a exprimé les deux sens par un seul mot, le latin a dit quotidien. S’il est quotidien, ce pain, pourquoi attendrais-tu âme année pour le recevoir, comme les Grecs ont coutume de faire en Orient ? Reçois chaque jour ce qui doit te profiter chaque jour. Vis de telle manière que tu mérites de le recevoir chaque jour. Celui qui ne mérite pas de le recevoir chaque jour ne mérite pas de le recevoir après une année. Ainsi le saint Job offrait chaque jour un sacrifice pour ses fils, de peur qu’ils n’eussent commis quelque péché dans leur cœur ou en paroles. Toi donc, tu entends dire que chaque fois qu’on offre le sacrifice, on représente la mort du Seigneur, la résurrection du Seigneur, l’ascension du Seigneur, ainsi que la rémission des péchés, et tu ne reçois pas chaque jour le pain de vie ? Celui qui a une blessure cherche un remède. C’est une blessure pour nous d’être soumis au péché ; le remède céleste, c’est le vénérable sacrement. « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Si tu le reçois chaque jour, chaque jour pour toi c’est aujourd’hui. Si le Christ est à toi aujourd’hui, il ressus-cite pour toi aujourd’hui. Comment ? « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré. » Aujourd’hui, c’est quand le Christ ressuscite. « Il était hier et il est aujourd’hui », dit l’apôtre Paul. Mais il dit ailleurs : « La nuit est passée, le jour est arrivé. » La nuit d’hier est passée, aujourd’hui le jour est arrivé. Voici la suite : « Remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs. » Qu’est la dette, sinon le péché ? Si tu n’avais pas accepté d’argent d’un prêteur étranger, tu ne serais pas dans la gène, et c’est pour cela qu’on t’attribue le péché. Tu as possédé l’argent avec lequel tu devais naître riche. Tu étais riche, fait à l’image et la ressemblance de Dieu. Tu as perdu ce que tu possédais, c’est-à-dire, l’humilité, quand tu désires te venger de l’arrogance, tu as perdu ton argent, tu t’es fait nu comme Adam, tu as accepté du diable une dette qui n’était pas nécessaire. Et par là, toi qui étais libre dans le Christ, tu t’es fait le débi-teur du diable. L’ennemi tenait ta garantie, mais le Seigneur l’a crucifiée et l’a effacée par son sang. Il a supprimé ta dette, il t’a rendu la liberté. C’est donc avec raison qu’il dit : « Et remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débi-teurs ». Fais attention à ce que tu dis : « Remets-moi comme moi je leur remets. » Si tu remets, tu fais un juste accord pour qu’on te remette. Si tu ne remets pas, com-ment l’engages-tu à te remettre ? « Et ne nous laisse pas induire en tentation, mais délivre-nous du mal. » Fais attention à ce qu’il dit : « Et ne nous laisse pas induire en tentation à laquelle nous ne pouvons pas résister. » Il ne dit pas : « Ne nous induis pas en tentation, » mais comme un athlète il veut une épreuve telle que l’humanité puisse la sup-porter et que chacun soit délivré du mal, c’est-à-dire, de l’ennemi, du péché. Mais le Seigneur, qui a ôté votre péché et pardonné vos fautes, est capable de vous protéger et de vous garder contre les ruses du diable qui vous combat, afin que l’ennemi, qui d’habitude engendre la faute, ne vous surprenne pas. Mais qui se confie à Dieu ne craint pas le diable. Car si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? C’est donc à lui qu’appartiennent la louange et la gloire depuis toujours, maintenant et à jamais et dans les siècles des siècles. Amen.
LIVRE VI
De même que Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est le vrai Fils de Dieu, non par grâce, comme les hommes, mais en tant que Fils né de la substance du Père, ainsi c’est sa vraie chair que nous recevons, comme il l’a dit, et c’est son vrai sang qui est un breuvage. Cependant tu pourrais peut-être dire (ce que dirent en ce temps-là les disciples du Christ qui l’entendaient dire : Quiconque ne mange pas ma chair et ne boit pas mon sang ne restera pas en moi et n’aura pas la vie éternelle), tu pourrais peut-être dire : « Comment est-ce sa vraie chair ? Je vois certes l’image du sang, je n’en vois pas la réalité. » En tout premier lieu je t’ai dit, à propos de la parole du Christ qui agit, comment elle peut changer et transformer les lois générales de la nature. De plus, quand les disciples ne supportèrent pas les paroles du Christ, l’entendant dire qu’il leur donnerait sa chair à manger et son sang à boire, ils se retiraient. Seul pourtant Pierre dit : « Tu as les paroles de la vie éternelle, comment te quitterais-je ? » De peur donc qu’un plus grand nombre ne tienne le même langage, sous pré-texte d’une certaine répugnance du sang qui coule, mais pour garder la grâce de la rédemption, tu reçois le sacrement symboliquement, mais tu reçois la grâce et la vertu de ce qu’il est réellement. « Je suis, dit-il, le pain vivant qui suis descendu du ciel. » Cependant la chair n’est pas descendue du ciel, c’est-à-dire qu’il a pris chair d’une vierge sur terre. Comment donc le pain est-il descendu du ciel, et le pain vivant ? Parce que Nôtre-Seigneur Jésus-Christ a part à la fois à la divinité et au corps et que toi, qui reçois son corps, tu participes à sa nature divine par cet aliment. Tu as donc pris part aux sacrements, tu as une pleine connaissance de tout, puisque tu as été baptisé au nom de la Trinité. En tout ce que nous avons fait, on a respecté le mystère de la Trinité. Partout se sont trouvés le Père, le Fils et le Saint-Esprit, une seule opération, une seule action sanctificatrice, bien qu’il y ait, semble-t-il, quelques traits distinctifs. Comment ? C’est Dieu qui t’a oint et le Seigneur qui t’a marqué d’un signe et a mis l’Esprit-Saint dans ton cœur. Tu as donc reçu l’Esprit-Saint dans ton cœur. Voici un autre point : de même que l’Esprit-Saint est dans ton cœur, ainsi le Christ est aussi dans ton cœur. Comment ? Tu trouves cela dans le Cantique des can-tiques. Le Christ dit à l’Église : « Place-moi comme un signe dans ton cœur, comme un signe dans tes bras. » Dieu t’a donc oint, le Christ t’a marqué d’un signe. Comment ? Tu as été marqué du signe de sa croix, du signe de sa passion. Tu as reçu ce signe pour lui ressembler, afin que tu ressuscites à son image, que tu vives à l’exemple de celui-là même qui a été crucifié au péché et vit pour Dieu. Et le vieil homme que tu étais, noyé dans la fon-taine, a été crucifié au péché, mais il est ressuscité pour Dieu. Tu trouves ensuite ailleurs ceci de particulier : c’est Dieu qui t’a appelé, tandis qu’au baptême c’est avec le Christ que tu as été crucifié d’une manière spé-ciale, et ensuite, quand tu reçois d’une manière spéciale le signe spirituel, tu vois qu’il y a distinction de per-sonnes, mais que tout le mystère de la Trinité s’y enchaîne. Que t’a dit ensuite l’apôtre, comme on l’a lu avant-hier ? « Il y a diversité de grâces, mais c’est le même Esprit ; il y a diversité de services, mais c’est le même Seigneur ; il y a diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. » C’est Dieu, dit-il, qui opère tout. Mais on a lu aussi à propos de l’Esprit de Dieu : « C’est un seul et même Esprit qui donne en partage à chacun comme il le veut. » Ecoute l’Écri-ture qui dit que l’Esprit donne en partage volontaire-ment et non par obéissance. L’Esprit vous a donc donné la grâce en partage comme il le veut, non comme il en a reçu l’ordre. Et surtout l’Esprit de Dieu est l’Esprit du Christ. Retenez ceci : il est l’Esprit-Saint, il est l’Esprit de Dieu, il est l’Esprit du Christ, il est l’Esprit Paraclet. Les ariens croient rabaisser l’Esprit-Saint en l’appelant Esprit Paraclet. Qu’est en fait le Paraclet, sinon le consolateur ? Comme si on n’avait pas lu aussi du Père qu’il est le Dieu de consolation ? Tu vois qu’ils veulent rabaisser l’Esprit-Saint par ce qui sert à pro-clamer, avec un sentiment de tendresse, la puissance du Père éternel. Écoutez maintenant comment nous devons prier. La prière a beaucoup de qualités. Il n’est pas sans importance de savoir où tu dois prier, et ce n’est pas une question sans importance. L’apôtre dit : « Je veux que les hommes prient en tout lieu en élevant des mains pures, sans colère et sans querelle. » Et le Seigneur dit dans l’évangile : « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre et, porte close, prie ton Père. » Ne te semble-t-il pas qu’il y ait contradiction ? L’apôtre dit : « Prie en tout lieu, » tandis que le Seigneur dit : « Prie à l’intérieur de ta chambre. » Mais il n’y a pas de contradiction. Achevons d’abord cela, puis de quelle manière tu dois commencer, la prière, en quel ordre la diviser, ce que tu dois exposer, ce que tu dois alléguer, comment conclure la prière, et ensuite pour qui tu dois prier. Instruisons-nous de tout cela. En premier lieu, où dois-tu prier ? Paul, semble-t-il, dit une chose, le Seigneur une autre. Est-ce que Paul a pu donner un enseignement contraire aux préceptes du Christ ? Non, certes. Pour quelle raison ? Parce qu’il n’est pas l’adversaire, mais l’interprète du Christ : « Soyez mes imitateurs, dit-il, comme je suis celui du Christ. » Quoi donc ? Tu peux prier partout et prier toujours dans ta chambre. Tu as ta chambre partout. Même si tu es placé parmi les païens, parmi les Juifs, tu as partout ton secret. Ta chambre, c’est ton esprit. Même si tu es placé au milieu du peuple, tu as cepen-dant dans l’homme intérieur ta chambre close et secrète. » « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre. » Il a raison de dire : « Entre », de peur que tu ne pries comme les Juifs, à qui il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ». Que ta prière ne sorte donc pas seulement de tes lèvres. Mets-y toute ton attention, entre dans la retraite de ton cœur, pénètres-y tout entier. Que celui à qui tu désires plaire ne te trouve pas négligent. Qu’il voie que tu pries de tout ton cœur, pour qu’il daigne t’écouter quand tu pries de tout ton cœur. « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre. » Tu trouves cela encore ailleurs : « Va, mon peuple, et entre dans la retraite, ferme la porte, cache-toi un peu, jusqu’à ce que passe la colère du Seigneur. » C’est ce qu’a dit le Seigneur par le prophète. Mais dans l’évan-gile, il a dit : « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, et, porte close, prie ton Père. » Qu’est-ce que « porte close ? » Apprends que tu as une porte que tu dois fermer quand tu pries. Plût à Dieu que les femmes le comprissent ! Tu l’as appris déjà, le saint David te l’a enseigné en disant : « Place Seigneur, une garde à ma bouche et une porte pour fermer mes lèvres. » Il y a ailleurs une porte dont parle l’apôtre Paul quand il dit : « Afin que s’ouvre pour moi la porte de la parole, pour parler des mystères du Christ . C’est-à-dire, quand tu pries, n’élève pas la voix en criant, n’éparpille pas ta prière, et ne pose pas dans la foule. Prie secrètement en toi-même, sûr que celui qui voit et entend tout peut t’entendre en secret, et prie ton Père en cachette Car celui qui voit ce qui est caché entend ta prière. Cependant recherchons à quoi cela sert, pour quelle raison nous devons prier en secret, plutôt qu’en élevant la voix. Ecoute, prenons exemple de l’habitude des hommes. Si tu sollicites quelqu’un qui a l’oreille prompte, tu ne crois pas nécessaire de crier tu le sollicites doucement, d’un ton modéré. Si tu solli-cites un sourd, est-ce que tu ne commences pas à élever la voix pour qu’il puisse t’entendre ? Celui donc qui crie, croit que Dieu ne peut entendre que s’il crie, et en le sollicitant, il rabaisse sa puissance. Celui qui au contraire, prie en silence fait preuve de foi et reconnaît que Dieu scrute les reins et les cœurs et qu’il entend ta prière avant qu’elle ne sorte de ta bouche. Examinons donc : « Je veux que les hommes prient en tout lieu. » Pour quelle raison a-t-il parlé des hommes ? Evidemment la prière est commune aux femmes et aux hommes. Je ne trouve rien, sinon que peut-être le saint apôtre a parlé des hommes de peur que les femmes n’en fassent usage, en comprenant mal « en tout lieu », et ne se mettent à crier partout, alors que nous ne pouvons les supporter à l’église. « Je veux que les hommes », c’est-à-dire ceux qui sont capables de garder ce précepte, « prient en tout lieu, en élevant des mains pures. » Que signifie « en élevant des mains pures » ? Est-ce que tu dois, pendant ta prière, montrer aux païens la croix du Seigneur ? C’est sans doute un signe qui doit produire le courage et non la honte. Il y a pourtant moyen que tu pries sans faire de gestes, mais en élevant tes actes. Si tu veux faire ce que tu as à faire, tu élèves des mains pures par l’innocence. Tu ne les élèves pas tous les jours : tu les a élevées une fois, il n’est pas nécessaire que tu les élèves de nouveau. « Je veux que les hommes prient en tout lieu en élevant des mains pures, sans colère et sans querelle. » Rien de plus vrai. « La colère, dit-on, perd même les sages. » Aussi en toute circonstance, autant que cela se peut faire, le chrétien doit-il modérer sa colère, et surtout quand il se dispose à prier, de peur que l’indi-gnation ne trouble ton âme, de peur que l’emportement de la colère n’empêche ta prière. Dispose-toi plutôt à prier quand ton cœur est apaisé. Pourquoi t’irriter ? Ton serviteur a commis une faute ? Tu te disposes à prier pour que tes propres manquements soient pardonnés, et tu t’indignes contre un autre ! C’est donc cela « sans colère ». Voyons maintenant ce qui regarde les querelles. La plupart du temps, c’est en homme d’affaire qu’on va prier : l’avare pense à son argent, un autre à son profit, un autre aux honneurs, un autre à sa passion, et chacun pense que Dieu peut l’exaucer. Aussi, quand tu pries, convient-il que tu fasses passer les choses de Dieu avant les affaires humaines. « Je veux, dit-il, que les femmes prient de même, sans se pavaner avec leurs atours et leurs bijoux. » C’est ce que dit l’apôtre Paul. Mais l’apôtre Pierre lui aussi : « La grâce de la femme, dit-il, a beaucoup d’importance, pour que la bonne conduite de la femme fasse changer les sentiments de son mari et que l’incroyant se soumette à la grâce du Christ. » Voilà l’influence du sérieux, de la pureté et de la bonne conduite d’une femme : elle appelle son mari à la foi et à la ferveur, effet produit souvent par la parole d’un homme prudent. « Ainsi, dit-il, que la femme ne mette pas sa fierté dans sa coiffure, ni dans ses boucles, mais dans la prière qui sort d’un cœur pur, où se trouve l’homme caché de son cœur qui est toujours riche auprès de Dieu. » Tu as donc de quoi être riche. Tes richesses dans le Christ sont la pudeur et la chasteté, tes parures la foi, la ferveur et la miséricorde. Ce sont les trésors de la justice, comme l’a rappelé le prophète . Ensuite, par où dois-tu commencer ? Dis-moi, si tu veux solliciter quelqu’un et que tu commences ainsi : « Donne-moi ceci, voici ce que je te demande, » est-ce que ta prière ne paraît pas arrogante ? Aussi la prière doit-elle commencer par la louange de Dieu, en sorte que tu pries le Dieu tout-puissant à qui tout est possible, qui a la volonté d’accorder. Puis vient la supplication, comme l’a enseigné l’apôtre quand il a dit : « Je vous prie qu’on fasse tout d’abord des prières, des supplications, des demandes, des actions de grâces. » La première partie de la prière doit donc contenir la louange de Dieu, la seconde la supplication, la troisième la demande, la quatrième l’action de grâces. Tu ne dois pas commencer comme un affamé qui parle de nourri-ture pour en avoir, mais tout d’abord par les louanges de Dieu. Voilà pourquoi ces orateurs habiles ont cette méthode pour se rendre le juge favorable : ils commencent par ses louanges, pour en faire un arbitre bienveillant. Puis peu à peu on se met à prier le juge qu’il daigne écouter avec patience. On ose en troisième lieu exprimer l’objet de sa demande, énoncer sa prière. Quatrièmement, de même qu’on a commencé par les louanges de Dieu, il faut finir par les louanges de Dieu. Tu trouves cela dans l’oraison dominicale : « Notre Père, qui es aux cieux. » C’est une louange de Dieu qu’il soit proclamé Père ; il y a en lui la gloire de l’amour paternel. C’est une louange qu’il habite aux cieux, non sur la terre. « Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié. » C’est-à-dire, qu’il sanctifie ses serviteurs. Car son nom est sanctifié en nous quand les hommes sont proclamés chrétiens. « Que ton nom soit sanctifié » est donc l’expression d’un souhait. « Que ton règne arrive. » C’est la demande : que le règne du Christ soit en nous. Si Dieu règne en nous, l’ennemi ne peut y avoir place. La faute ne règne pas, le péché ne règne pas, mais la vertu règne, la pudeur règne, la ferveur règne. Ensuite : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Cette demande est la plus grande de celles qu’on fait. « Et remets-nous nos dettes, dit-il, comme nous les remettons à nos débiteurs. » Reçois chaque jour, afin de demander chaque jour pardon pour ta dette. « Et ne nous laisse pas induire en tentation, mais délivre-nous du mal. » Qu’est-ce qui vient ensuite ? Ecoute ce que dit le prêtre : « Par notre Seigneur Jésus-Christ, en qui tu possèdes, avec qui tu possèdes honneur, louange, gloire, majesté, puissance avec l’Esprit-Saint, depuis toujours, maintenant et à jamais et dans tous les siècles des siècles. Amen. » Autre point. Bien qu’il n’y ait qu’un livre des Psaumes de David, qui a toutes les qualités de la prière que nous avons dites plus haut, cependant la plupart du temps toutes ces parties de la prière se trouvent en un seul psaume, comme nous le trouvons dans le Psaume. En effet il commence ainsi : « Seigneur, notre Maître, que ton nom est admirable sur toute la terre. » C’est la première partie, la prière. Puis, la supplication : « Je verrai les cieux, œuvres de tes doigts. » C’est-à-dire, je verrai les cieux, la lune et les étoiles que tu as fixées. Il ne dit pas : « Je verrai le ciel, » mais : « Je verrai les cieux, » où la grâce commence à blanchir sous la splendeur céleste. Ces cieux, le prophète se promettait qu’ils seraient donnés à ceux qui mériteraient du Seigneur la grâce céleste. « La lune et les étoiles que tu as fixées. » La lune, c’est l’Église, les étoiles, les âmes qui brillent de la lumière de la grâce céleste. Vois ensuite sa demande : « Qu’est l’homme que tu te souviennes de lui ou le fils de l’homme que tu le visites ? Tu l’as mis un peu au-dessous des anges, tu l’as couronné de gloire et d’honneur, et tu l’as établi sur les œuvres de tes mains. » Et une autre action de grâces : « Tu as tout mis sous ses pieds, les brebis et tous les bœufs et, de plus, toutes les bêtes des champs. » Nous vous avons enseigné, pour autant que nous le comprenons, ce que nous n’avons peut-être pas appris et nous l’avons exposé comme nous l’avons pu. Que Votre Sainteté, instruite par les enseignements sacer-dotaux, s’efforce de retenir ce qu’elle a reçu, afin que votre prière soit agréée de Dieu, que votre offrande soit comme une hostie pure et qu’il reconnaisse toujours en vous son signe, pour que vous puissiez, vous aussi, parvenir à la grâce et à la récompense des vertus, par Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, qui possède gloire, honneur, louange, éternité, depuis toujours, maintenant et à jamais et dans tous les siècles des siècles. Amen.