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Commentaire sur la 3ème instruction Liturgicæ Instaurationes

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1970.


Commentaire par le Père GY du NPL de la 3ème Instruction pour l’application exacte de la Constitution sur la Liturgie Liturgicæ instaurationes. Article de la Maison-Dieu 104, 1970

ON rencontre souvent aujourd’hui, et dans tous les pays, des négligences ou des désordres par rapport aux lois liturgiques, et beaucoup de catholiques s’en plaignent. Voici que cette question est traitée par la nouvelle Instruction Liturgicæ instaurationes de la Congrégation pour le culte divin, datée du 5 septembre 1970 et publiée le 5 novembre.

Il serait tout à fait injuste et inexact de voir dans cette Instruction un contenu principalement négatif. Cela fausserait la lecture de tout le document. Non seulement c’est une règle élémentaire de toujours situer un document législatif dans l’ensemble des documents connexes auxquels il se rattache en les rappelant et les complétant, mais, de fait, l’Instruction est homogène à la lettre et à l’esprit des différents documents de la réforme liturgique et des Instructions précédentes, et ceci sur trois points que nous considérerons successivement :
1. Un « rappel à l’ordre » d’une certaine ampleur n’était pas opportun avant que l’essentiel de la réforme liturgique soit achevé.
2. Le bon ordre de la liturgie incombe encore plus aux évêques qu’au Siège apostolique et dépend de la qualité de leur pastorale liturgique.
3. Presque toutes les normes contenues dans l’Instruction ne sont que le rappel de règles déjà établies au cours de la réforme liturgique des dernières années.

L’Instruction dit explicitement qu’il y a plusieurs années que certains ont demandé au Siège apostolique d’intervenir contre le désordre dans le domaine liturgique, et de fait des rappels de ce genre figurent par exemple dans la deuxième Instruction (4 mai 1967), la Déclaration commune du Consilium et de la Congrégation des rites (29 décembre 1966) ainsi que dans diverses allocutions du Saint-Père. Cela ne voulait pas dire toutefois qu’on voulût prendre au tragique les incertitudes et les flottements inhérents à la mise en place d’une réforme de grande envergure, ni donner plus d’importance aux mises en garde qu’aux encouragements à appliquer la réforme, à entrer dans son esprit et à réaliser le renouvellement pastoral qu’elle réclame.

Une fois le travail du Consilium à peu près terminé, et la réforme prête dans ses grandes lignes, du moins en ce qui concerne la messe, le visage de la liturgie nouvelle est devenu plus clair, et un rappel de la discipline fait avec davantage de solennité ne devrait pas être compris dans un sens négatif. Il reste évidemment qu’une intervention de ce genre risque toujours d’être mal interprétée soit par ceux qui y cherchent une excuse pour ne pas entrer dans l’esprit de la liturgie renouvelée, soit par ceux que toute intervention d’une autorité fait protester a priori et qui souvent participent plus qu’ils ne le croient aux incompréhensions d’avant le Concile envers la liturgie. Enfin et surtout il y a ceux qui, profondément attachés à l’autorité de l’Eglise, souhaitent que celle-ci s’attache aux questions les plus importantes de la liturgie et ne se mette en cause que pour des enjeux qui en valent effectivement la peine.

Le fait que la troisième Instruction paraisse quelques mois après la clôture officielle des travaux du Consilium et la publication du nouveau Missel Romain n’est donc pas un coup de barre mais prend place dans toute une politique à long terme, laquelle a une portée nettement positive. Et il faut ici souligner le point essentiel de l’Instruction, qui n’est pas d’offrir un syllabus de déviations liturgiques qu’évêques et prêtres auraient pour principale tâche d’extirper, mais de souligner la responsabilité des évêques et le caractère exact de celle-ci. A supposer que tel ou tel de ceux qui ont adressé leurs réclamations au Saint-Siège l’aient fait à partir d’une formation trop étroite reçue avant Vatican II ou d’une disjonction indue entre la loi liturgique et la pastorale, l’Instruction déclare tout net que la clef du problème est dans le bon exercice de la fonction pastorale des évêques auxquels il appartient « de diriger, de stimuler et aussi quelquefois de faire des reproches » (dirigere, instimulare, quandoque etiam arguere). Pouvait-on exprimer plus clairement et l’esprit de l’Instruction et la place d’un rappel à l’ordre par rapport à l’ensemble de la tâche positive de toute autorité pastorale ?

L’Instruction rappelle ensuite avec quelque détail la tâche des évêques dans le domaine liturgique, en particulier en ce qui concerne la connaissance des besoins des fidèles, et elle laisse entendre avec délicatesse que c’est là où le rôle pleinement pastoral de l’autorité est insuffisamment assuré que les prêtres trouvent l’obéissance difficile. On pourrait ajouter, au sujet de la connaissance des besoins des fidèles dans les diocèses, que celle-ci peut seule permettre aux évêques, et par eux au Saint-Siège, d’effectuer le discernement qui est nécessaire entre les cas d’indiscipline liturgique proprement dits et ceux qui révèlent des difficultés pastorales objectives : dans cette dernière catégorie de cas, se contenter de rappeler et d’urger la discipline en vigueur (ou de faire appel au Saint-Siège dans ce but) reviendrait à empêcher de résoudre la difficulté, alors qu’il appartient aussi aux évêques d’étudier les difficultés pastorales que la liturgie peut comporter, de chercher comment elles peuvent être résolues, et de recourir au Siège apostolique à cet effet. C’est seulement dans la mesure où les évêques remplissent toute leur tâche que des rappels à l’ordre comme ceux de cette Instruction peuvent ne pas porter à faux.

Les différents avertissements contenus aux nos 2 à 12 de l’Instruction, qui concernent le plus souvent la messe, ne font dans la plupart des cas que rappeler une discipline déjà édictée ailleurs, et c’est à peine si ici ou là s’y ajoute dans le détail une précision restrictive ou au contraire l’amorce d’une évolution : par exemple les conférences épiscopales (dans quels détails les fait-on entrer !) pourraient permettre aux femmes d’entrer dans le sanctuaire pour proclamer les lectures (n° 7 A) ; plus important est le fait que les acolytes (ordonnés acolytes) pourront désormais, comme les diacres, aider à donner la communion au calice ; le contexte ne mentionne pas les sous-diacres : on s’oriente donc, ce qui est fort sage, vers la suppression du sous-diaconat ou sa fusion avec l’acolytat.

Parmi les mises en garde qu’on pourra lire plus loin dans le texte de l’Instruction, on relèvera que certaines portent sur des questions importantes par elles-mêmes, telles que le rôle exact du prêtre dans la Prière eucharistique (n° 4), d’autres sur des questions qui tirent une part de leur importance des fortes réactions de sensibilité qui sont engagées à leur sujet : ainsi la forme de l’hostie (n° 5) ou les modalités de la communion au calice (n° 6). Dans le cadre d’une obéissante adhésion à ce que prescrivent les unes et les autres, il y a lieu de faire ici les remarques suivantes.

Tout d’abord, lorsque l’autorité de l’Eglise édicte une prescription, elle entend qu’on y obéisse sincèrement, mais cela ne veut pas dire pour autant que le bon sens et l’épikie n’aient pas à s’exercer dans des cas vraiment particuliers. Lorsque par exemple le n° 8 c défend aux prêtres d’accomplir des bénédictions liturgiques en revêtant une étole sur des vêtements « civils », nul ne pensera qu’un prêtre, abordé sur la place Saint-Pierre par quelqu’un qui veut lui faire bénir un chapelet, devrait désormais refuser ; ou bien encore, au n° 3 f (qui n’est pas très bien rédigé), le rapprochement entre la deuxième phrase (liturgia eucharistica) et la première (ante præfationem) montre qu’on entend exclure toute monition du prêtre pendant la Prière eucharistique, mais pas absolument avant le Pater. On pourrait ajouter d’autres exemples du même genre.

En second lieu les mises en garde de l’Instruction font à plusieurs reprises appel, comme il est normal, à des considérations théologiques. Par exemple à propos de l’obéissance aux livres liturgiques, elle invoque le ministère sacerdotal comme ministère de l’Eglise universelle (n° 1) ; elle justifie la défense de séparer l’une de l’autre la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique par le principe conciliaire que la messe forme un unique acte de culte (n° 2 b) ; ou encore la nature hiérarchique de la liturgie et la doctrine catholique du sacerdoce affleurent dans le n° 4 qui rappelle que la Prière eucharistique doit être récitée par le prêtre seul. Dans ces différentes prescriptions sont effectivement engagées des questions doctrinales importantes, mais il ne conviendrait pas de prêter à l’Instruction l’intention de trancher ces dernières, ou de mettre un rapport de nécessité entre les règles rappelées ci-dessus et les principes invoqués à leur sujet : chacun sait que par exemple la Tradition catholique ancienne a connu à l’intérieur de la Prière eucharistique des diptyques diaconaux, et que parfois liturgie de la parole et liturgie eucharistique ont été célébrées séparément l’une de l’autre. Quant au rapport du ministère sacerdotal à l’Eglise universelle, à l’Eglise particulière et aux livres liturgiques, il fait l’objet parmi les liturgistes d’un débat dans lequel s’affrontent très légitimement des opinions divergentes.

Mais revenons à l’essentiel. Déjà l’Apôtre Paul exhortait l’Eglise de Corinthe à célébrer l’Eucharistie de manière bien ordonnée et signalait les inconvénients qu’il y avait à mêler celle-ci à un repas ordinaire. Parmi les tâches de l’office apostolique de Pierre et des évêques envers la liturgie, rappeler l’ordre de la célébration n’est ni la principale ni la seule, mais c’est l’une d’elles, et elle est nécessaire à la communion ecclésiale. Mais la notion même d’ordre de la célébration a beaucoup varié avec les siècles, et ce qu’on appelle aujourd’hui le désordre dans la liturgie tient pour une part à de grandes différences d’appréciation sur le degré de précision qu’il est souhaitable de trouver dans les règles liturgiques communes. Certaines, qui hier encore paraissaient naturelles, étonnent maintenant par leur minutie, ou semblent puiser leur force dans les attachements spirituels d’une génération plutôt que dans le bien pastoral de l’ensemble. La Congrégation pour le culte divin, sans préjuger de ce qui devra être fait demain, demande qu’aujourd’hui le bon ordre soit observé. Mais elle n’ignore pas que demain presse.

P.-M. GY.