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A propos du Lectionnaire

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Cet article non signé a paru dans la Lettre à nos frères prêtres n° 38 de Juin 2008, Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France [1].

Sommaire

  Une opinion courante qu’il convient d’examiner  
  L’accès à la Bible durant les deux siècles avant Vatican II  
  Se libérer des préjugés faciles  
  A la découverte du Lectionnaire du Missel traditionnel  
  Le Lectionnaire du Missel de Paul VI: quelques réflexions  
  Faire confiance aux rites liturgiques transmis?  

Une opinion courante qu’il convient d’examiner

Dans les discussions sur la liturgie, l’un des points qui revient souvent, l’une des « idées reçues » les plus classiques, est cette assertion que la liturgie postconciliaire a ouvert très abondamment la « table de la Parole de Dieu », alors que, dans la liturgie traditionnelle, cette même sainte Écriture aurait été réduite à la portion congrue.
Les tenants de la nouvelle liturgie sont fermement convaincus que, sur ce point au moins, la liturgie qu’ils célèbrent jouit d’une incontestable supériorité.

L’opinion des évêques français

C’est là certainement l’opinion bien ancrée de beaucoup d’évêques français. Mgr Roland Minnerath, par exemple, archevêque de Dijon, longtemps professeur dans les Universités catholiques, a affirmé dans Église en Côte-d’Or de septembre 2007 que « la réforme liturgique a permis l’adoption d’un nouveau Lectionnaire qui déroule sur trois ans les grands textes de l’Ancien Testament, des Évangiles, des Actes des Apôtres, des lettres apostoliques et de l’Apocalypse ».
Mgr Robert le Gall, moine bénédictin, archevêque de Toulouse et président de la Commission épiscopale pour la liturgie, a assuré que « la table de la Parole (a été) largement ouverte depuis la rénovation liturgique » (« Accueillir l’initiative du Saint-Père », 17 juillet 2007).
Le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et alors président de la Conférence épiscopale, a salué pour sa part dans La Croix du 9 juillet 2007 « l’enrichissement que constitue cette réforme dans la longue tradition liturgique de l’Église », ce « nouveau Lectionnaire dominical, qui permet sur trois ans une entrée beaucoup plus large dans les Écritures, Ancien Testament compris », et il a exprimé le souhait que « l’ancien Missel de 1962 puisse s’enrichir du Lectionnaire du Missel de 1970 ».

L’opinion de La Croix

La Croix renchérit évidemment sur ce thème. Elle écrit, le mardi 1er avril 2008, rendant compte de l’Assemblée plénière des évêques à Lourdes : « Avec Vatican II, la Parole de Dieu, accessible à tous, est revenue au centre de la vie ecclésiale. (…) “Il s’agit, par exemple dans le domaine liturgique, de souligner les bienfaits du nouveau Lectionnaire”, avec notamment la redécouverte de l’Ancien Testament, explique-t-on à la Conférence des Évêques. »
Elle récidive le lendemain en affirmant : « Nous constatons que la Parole de Dieu a pris une place centrale dans la vie de beaucoup de gens” (…). Mgr Pierre Molières, évêque de Bayonne, a, pour sa part, rappelé combien les refontes du lectionnaire liturgique après Vatican II ont “aidé à la découverte” et à “l’appropriation” de la Parole de Dieu. »

Découvrir la réalité du Lectionnaire du Missel traditionnel

Cette conviction d’une supériorité incontestable du Lectionnaire du Missel de Paul VI est-elle véritablement fondée, ou n’y a-t-il là qu’une vague rumeur non sérieusement vérifiée, un de ces lieux communs qui se colportent sans jamais être examinés de près ? C’est en effet un processus mental classique — souvent le fait de la jeunesse — de croire facilement que soi-même, on sait et on a compris, tandis que les anciens, au contraire, étaient ignares et sots.
Nous allons donc examiner posément le Lectionnaire du Missel traditionnel, et le faire découvrir (ou redécouvrir) à beaucoup de nos lecteurs, dans sa réalité objective, au-delà des fantasmes et des on-dit. Nous recourrons pour cela aux données les plus avérées de l’histoire liturgique.

L’accès à la Bible durant les deux siècles avant Vatican II

L’idée est d’abord courante qu’avant le concile Vatican II, ou au moins au XIXe siècle, les catholiques n’avaient guère accès à la Bible, et particulièrement à l’Ancien Testament. Il s’agit, en réalité, d’un contresens historique. L’examen impartial des faits montre un paysage bien différent. Il a existé, il est vrai, un certain renouveau des études bibliques au XXe siècle ; mais l’idée d’un passage des ténèbres à la lumière, de l’ignorance à la connaissance, constitue une erreur de perspective.

La diffusion de la Bible au cours des XIXe et XXe siècles

D’imposantes éditions de la Bible, avec traduction et commentaires, parurent au XIXe siècle, et en nombre. Citons la version par Carrières, Sionnet et Des Clos (l’édition repérée est de 1853), celle par Delaunay (une édition en 1857, par exemple), celle par Glaire (1861), celle par Carrières et Menochius (1862), celle par Bourasse et Janvier (1866), celle par Carrières et Drioux (1872-1873), etc.
Pour l’édition complète en un volume, la version classique était alors La sainte Bible traduite sur la Vulgate par Le Maistre de Sacy. Or, nous en avons repéré sans difficulté une vingtaine d’éditions au cours du siècle : Gretsh en 1817, J.Smith en 1821, 1822, 1823, 1831 et 1832, Desprez en 1822 et 1851, Hachette en 1837, 1844 et 1847, Furne et Cie en 1846 et 1864, Ducloux en 1848 et 1850, Meyrueis et Cie en 1862, 1863 et 1865, un éditeur inconnu en 1864, Martinet en 1877, etc.
Dans le dernier quart du XIXe siècle, un renouveau biblique est évident, avec de nouvelles éditions de grandes Bibles (traduction et commentaires) : l’édition Drach, Lesêtre, Fillion, etc. chez Lethielleux compte 25 volumes de 1871 à 1890 ; celle de Fillion chez Letouzey et Ané compte 8volumes de 1881 à 1914 ; celle de Crampon chez Desclée compte 7volumes de 1894 à 1904 ; la Bible polyglotte par Vigouroux chez Roger et Chernoviz compte 8volumes de 1898 à 1909, etc.
Mais ce fut lorsque les Pères jésuites, éditeurs posthumes des travaux de Crampon, eurent l’idée de publier à part sa traduction en un volume unique qu’eut lieu une véritable explosion biblique dans le grand public. L’ouvrage, intitulé La sainte Bible – Traduction d’après les textes originaux par l’abbé Crampon et édité en 1904-1905 par Desclée, se vendit à des millions d’exemplaires et fit la fortune de son éditeur. A la suite de cet énorme succès, les éditions de la Bible se multiplièrent. Et, classiquement, le cadeau de Communion solennelle devint la Bible en un volume.
Rappelons par ailleurs que, jusqu’au milieu du XXe siècle, tous les enfants apprenaient méthodiquement (c’est-à-dire par cœur) l’Histoire sainte, qui leur faisait découvrir les grandes figures bibliques de l’Ancien Testament, d’Adam à Noé, d’Abraham à David, d’Élie aux Macchabées, etc.

La forte intervention des papes en faveur des études bibliques

Il ne faut pas oublier non plus que les papes, spécialement depuis la fin du XIXe siècle, ont énormément travaillé en faveur d’une meilleure connaissance de la Bible. Le 17 septembre 1892, Léon XIII publie la lettre apostolique Hierosolymæ in cœnobio, par laquelle il loue et approuve l’École biblique de Jérusalem récemment fondée par le père Lagrange, grâce à laquelle « la science biblique a reçu des avantages sérieux et dont elle en attend de plus grands encore ». Le 18 novembre 1893, il publie l’encyclique Providentissimus Deus, « loi fondamentale des études bibliques » (Pie XII). Le 23 février 1904, saint Pie X institue les grades canoniques en Écriture sainte ; le 24 mars 1906, il rappelle avec insistance les instructions de Léon XIII sur la qualité de l’enseignement de la Bible dans les séminaires ; le 7 mai 1909, il fonde l’Institut Biblique Pontifical.
Le 15 septembre 1920, Benoît XV publie l’encyclique Spiritus Paraclitus à l’occasion du quinzième centenaire de la mort de saint Jérôme, où il reprend toute la question biblique et où il encourage encore une fois, à la suite de ses prédécesseurs, une lecture abondante et suivie de l’Écriture. Le 27 avril 1924, Pie XI publie le Motu Proprio Bibliorum scientiam où, après avoir rappelé que ses prédécesseurs ont « plus d’une fois adressé à tous les évêques du monde catholique des lettres les engageant à promouvoir les études d’Écriture sainte », il statue que ne pourront désormais enseigner l’Écriture sainte (en particulier dans les séminaires) que ceux qui auront obtenu les grades institués par Pie X. Le 30 septembre 1943, Pie XII publie l’encyclique Divino afflante, à l’occasion du cinquantenaire de Providentissimus. « Nous ne pouvons passer sous silence, écrit-il, le soin avec lequel nos prédécesseurs, quand l’occasion s’en présentait, ont recommandé soit l’étude, soit la prédication des saintes Écritures, soit leur pieuse lecture et leur méditation. »

L’exemple d’une jeune fille pieuse de la fin du XIXe siècle

Pour apprécier comment un catholique pouvait à cette époque accéder à la connaissance de la Bible, et notamment de l’Ancien Testament, prenons l’exemple d’une jeune fille pieuse devenue religieuse et morte quatre ans après Providentissimus. Voici ce qu’en dit Mgr Guy Gaucher dans son introduction à La Bible avec Thérèse de Lisieux (Cerf-Desclée De Brouwer, 1997).
« Sœur Geneviève rapporte une autre confidence : “Si j’avais été prêtre, j’aurais étudié à fond l’hébreu et le grec, afin de connaître la pensée divine telle que Dieu daigna l’exprimer en notre langage humain”. (…) Devons-nous tellement nous étonner que cette très jeune fille soit parvenue, au témoignage des théologiens, à “une liberté et une maîtrise stupéfiante des textes non seulement du Nouveau mais de l’Ancien Testament” (Urs von Balthasar). (…) Le R.P. Godefroy Madelaine, abbé de Mondaye, premier lecteur et censeur des manuscrits thérésiens, soulignera aussi au Procès de l’Ordinaire : “Je signalerai en particulier l’heureux emploi qu’elle fait sans cesse de la sainte Écriture”. Même jugement du P. Auriault, jésuite, professeur à l’Institut Catholique de Paris. (…) “Dans un entretien que j’eus avec elle sur les dispositions de mon âme, je fus émerveillé que cette sœur, si jeune, sût si bien me montrer la miséricorde de Dieu, me citant des passages des psaumes aussi facilement que si elle les eût lus dans un livre” (sœur Marie de Jésus) » (pages 10-14).
« On n’insistera jamais assez sur l’importance de la liturgie, cette source vive avec laquelle Thérèse fut en contact dès son enfance. (…) Elle fut initiée aux histoires bibliques, aux récits évangéliques, entre autres par la lecture familiale de l’Année liturgique de dom Guéranger. (…) Entrée à son tour au couvent, Thérèse vivra au rythme de l’Office qui informe l’année, la semaine, la journée. (…) Des périodes comme l’Avent et plus encore le Carême, avec leurs textes quotidiens (surtout Isaïe) ont familiarisé la jeune religieuse avec le déroulement de l’histoire du salut. La récitation quotidienne des psaumes, les lectures des Offices pénètrent peu à peu les esprits. L’obstacle du latin n’était pas insurmontable, des traductions complètes étant disponibles. Le soir, au réfectoire, on lisait en français les lectures de l’Office de matines qui allait suivre. Les carmélites disposaient d’un moment pour préparer cette prière. Thérèse a dit le soin qu’elle apportait à la réciter, sa joie de proclamer l’Évangile, d’entonner psaumes et versets lorsqu’elle était “semainière” » (page 16).
« Un jour, Thérèse a confié à sœur Marie de la Trinité que, si elle en avait eu le temps, elle aurait aimé écrire un commentaire du Cantique des Cantiques. Confidence significative, partiellement suivie d’effet. Dès qu’elle en a l’occasion, on peut remarquer qu’elle commente tel ou tel verset, allant d’instinct vers ce sommet de l’Ancien Testament » (page 34).
« Ne nous encombrons pas de statistiques qui, d’ailleurs, ne peuvent fournir que des indications relatives. Donnons seulement un ordre de grandeur, impressionnant il est vrai. Dans une œuvre qui comprend 125 pages de cahier format écolier, 245 lettres, 54 poésies, 8 récréations théâtrales, 21prières, quelques textes sur des images et photographies, on compte environ 440 citations explicites et implicites de l’Ancien Testament et 650 du Nouveau » (page 35).
Même si nous disposons aujourd’hui d’outils (traductions, synopses, dictionnaires, atlas, concordances, études, etc.) de meilleure qualité qu’à l’époque (outils qui sont le résultat du renouvellement des études bibliques lancé par Léon XIII), ne nous imaginons pas trop facilement (avec la naïve arrogance de l’adolescent) que nos prédécesseurs ignoraient la Bible quand nous-mêmes la connaîtrions : il y a fort à parier que l’inverse est souvent plus proche de la réalité. Bossuet avait lu quarante fois la Vulgate (en latin, bien sûr) : où en sommes-nous de notre propre lecture de la Bible ?

Se libérer des préjugés faciles

Il est en effet capital, pour aborder de façon sereine et scientifique l’étude comparée des deux Lectionnaires, celui du Missel traditionnel et celui du Missel de Paul VI, de se libérer des préjugés faciles qui encombrent notre esprit. Pour nous y aider, avant de présenter ces deux Lectionnaires, rappelons brièvement deux points, l’un qui concerne la nouvelle liturgie (la Liturgie des Heures, précisément), l’autre qui touche le Lectionnaire du Missel traditionnel.

Un recul de l’accès à la Bible dans la nouvelle liturgie

Dans l’Office divin traditionnel (le Bréviaire), le psautier, c’est-à-dire les cent cinquante psaumes avec tous leurs versets, est récité intégralement chaque semaine. Le prêtre, le religieux ou le fidèle qui célèbre l’Office a ainsi accès hebdomadairement à ce trésor biblique inestimable où les Juifs de l’Ancien Testament, où Notre Seigneur Jésus-Christ, où la bienheureuse Vierge Marie et les Apôtres, où les chrétiens des premières communautés issues du judaïsme comme de la gentilité puisaient la trame de leur prière quotidienne. Cette disposition est extrêmement antique puisque saint Benoît, au chapitre XVIII de sa Règle, témoigne qu’il s’agissait déjà à son époque d’une coutume immémoriale. Or l’Office divin de la nouvelle liturgie, qui se nomme aujourd’hui la Liturgie des Heures, a rompu de façon plutôt brutale avec cette disposition reçue de l’Antiquité chrétienne.
D’abord, le psautier n’est plus récité que toutes les quatre semaines. Là où le chrétien se nourrissait chaque semaine de cet ensemble biblique majeur, il se retrouve avec une liturgie appauvrie.
De plus, le psautier a été expurgé et mutilé. Un certain nombre de versets ont été supprimés. Voici, à ce propos, le témoignage du responsable principal de l’élaboration de la Liturgie des Heures, dans la revue officielle du Consilium : « Fallait-il maintenir le psautier intégralement ? Au terme de bien des discussions au sein des groupes d’experts, puis dans le Consilium, après s’être informé aussi de l’expérience des Églises issues de la Réforme, expérience d’autant plus intéressante que ces Églises célèbrent traditionnellement la liturgie en langue moderne, il a été décidé que trois psaumes historiques seraient réservés aux temps liturgiques privilégiés (…). Trois psaumes imprécatoires ont été omis du cursus, et de même certains versets de divers autres psaumes (…). Cette mesure, très discutée bien sûr, était cependant rendue nécessaire par la célébration publique en langue vulgaire » (Aimé-Georges Martimort, « L’Institutio generalis et la nouvelle Liturgia horarum », Notitiæ 64, mai-juin 1971, p.219).
Ainsi, il ne reste, dans la nouvelle liturgie, que cent quarante-quatre psaumes, ceci seulement toutes les quatre semaines, et encore, dans une version édulcorée. Cette poésie biblique, juive, qui exprime tous les sentiments du peuple d’Israël, toutes ses prières, toutes ses douleurs, toutes ses espérances, ce psautier qui a imprégné la prière de Jésus-Christ, de la Vierge Marie, des Apôtres, a été dilué d’une part, censuré de l’autre.
Quand la nouvelle liturgie s’effraie devant le réalisme spirituel de ce langage biblique, et préfère en donner une version émasculée, « ad usum Delphini », la liturgie traditionnelle n’hésite pas à en mettre l’intégralité chaque semaine devant les yeux de tous ceux qui participent à l’Office divin.
Comme le remarque avec pertinence un expert : « Évidemment, un christianisme conventionnel, fade ou sentimental se sent mal à l’aise en face de la vigueur et de la crudité bibliques : mais il y a là justement une excellente cure de santé morale, de vigueur religieuse. Rien ne saurait mieux nous prémunir contre le christianisme mondain et superficiel que le retour à la parole de Dieu puisée à sa source » (Aimon-Marie Roguet, On nous change la religion, Cerf, 1959, pp. 91-92).
Le jugement de l’historien et sociologue Alain Besançon à ce propos est sévère : « L’idée du combat, de la guerre, occupe une telle place dans les Écritures chrétiennes qu’on se demande comment elle peut être occultée. On me signale que dans les éditions françaises du bréviaire, le psautier a été expurgé de ses versets les plus belliqueux et les plus imprécatoires, comme incompatibles avec la “sensibilité chrétienne d’aujourd’hui”. Ce retranchement [est] typiquement marcionite » (La confusion des langues– La crise idéologique de l’Église, Calmann Lévy, 1978, pp. 123-124).

La richesse biblique du Lectionnaire du Missel traditionnel

Toujours pour mettre en garde contre les préjugés faciles, jetons maintenant un coup d’œil rapide sur le Lectionnaire du Missel traditionnel, pour vérifier s’il ignore, comme on le proclame trop facilement, les livres de l’Ancien Testament, et si le peuple de Dieu était privé d’un accès aux sources de l’histoire du salut à travers la liturgie elle-même.
Relisons tout d’abord, sur ce point, ce que nous a rappelé plus haut Mgr Guy Gaucher : « On n’insistera jamais assez sur l’importance de la liturgie, cette source vive avec laquelle Thérèse fut en contact dès son enfance. (…) Elle fut initiée aux histoires bibliques, aux récits évangéliques, entre autres par la lecture familiale de l’Année liturgique de dom Guéranger. (…) Entrée à son tour au couvent, Thérèse vivra au rythme de l’Office qui informe l’année, la semaine, la journée. (…) Des périodes comme l’Avent et plus encore le Carême, avec leurs textes quotidiens (surtout Isaïe) ont familiarisé la jeune religieuse avec le déroulement de l’histoire du salut » (page 16).
On peut faire la même constatation à travers un texte de dom Gaspard Lefebvre, qui fut l’un des pionniers du deuxième Mouvement liturgique (parti des abbayes bénédictines belges) et l’auteur principal d’un des monuments de ce Mouvement liturgique, le célèbre Missel Dom Lefebvre tiré à des millions d’exemplaires. Dom Gaspard Lefebvre a en effet publié en 1929, aux éditions de l’Apostolat liturgique, un ouvrage intitulé Explication de la sainte messe – Monsieur le curé explique la messe à trois enfants de chœur. Comme on le constate par son titre, rien de plus populaire, de plus « grand public » que ce livre. Or, voici ce que le célèbre liturgiste fait connaître à ses enfants de chœur, trente ans avant l’annonce du concile Vatican II :
« On lit encore comme Épîtres des passages des prophètes Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel, Osée, Joël, Jonas, Malachie. On lit aussi les livres qu’on appelle Sapientiaux, et c’est ainsi qu’on trouve dans le Missel des passages des Proverbes de Salomon, du livre des Cantiques, du livre de la Sagesse et de l’Ecclésiastique. On y lit aussi quelques passages de ce qu’on appelle les Livres historiques, ou livres des Rois, d’Esdras, de Judith, d’Esther, et enfin les livres de Moïse : La Genèse, l’Exode, le Lévitique et les Nombres » (page93).
Comme on le voit, le souci d’attirer l’attention du peuple de Dieu sur la place de l’Ancien Testament dans la liturgie est sans équivoque. Il faut toutefois souligner que dom Lefebvre, dans son énumération, oublie purement et simplement certains livres vétéro-testamentaires qui sont utilisés dans le Lectionnaire du Missel traditionnel : le Deutéronome, le livre de Tobie, les livres des Macchabées, le livre d’Amos, le livre de Michée et le livre de Zacharie.
Dom Lefebvre, parlant à cet endroit du Lectionnaire au sens propre, ne cite pas à raison les psaumes : il faut donc rappeler ici que ceux-ci représentent l’essentiel des parties chantées de la messe (Introït, Graduel, Alléluia, Trait, Offertoire, Communion).
Comme on le voit, et contrairement à une idée (fausse) reçue, la plus grande partie des livres bibliques est utilisée dans le Lectionnaire du Missel traditionnel. Les livres non repris sont quelques livres historiques (comme ceux des Juges), ainsi que certains petits prophètes qui ne représentent que quelques pages (par exemple, Abdias ou Nahum). Encore faudrait-il nuancer : car, dans les parties chantées de la messe, on trouve des extraits de ces livres bibliques. Par exemple, le livre de Job est utilisé au XXIe dimanche après la Pentecôte, ainsi que le 27 mars ; les Lamentations de Jérémie sont utilisées le 26mai et le 20 juillet ; le livre de Baruch est utilisé au IIe dimanche de l’Avent ; le livre d’Habacuc est utilisé au Vendredi saint et le 28 mars, etc.
C’est donc l’esprit ouvert, vierge d’idées préconçues, que nous allons aborder maintenant l’étude comparée des deux Lectionnaires, celui du Missel traditionnel et celui du Missel de Paul VI. Nous allons découvrir que, reposant sur des fondements « techniques » différents, ils aboutissent logiquement à certains résultats eux-mêmes divers, dont il faudra examiner avec réflexion et liberté d’esprit la pertinence proprement liturgique.

A la découverte du Lectionnaire du Missel traditionnel

Pour commencer, afin d’aborder de façon sereine et scientifique l’étude comparée des deux Lectionnaires, nous allons faire une présentation un peu approfondie du Lectionnaire du Missel traditionnel, en examinant particulièrement son rapport à l’Ancien Testament.

Brève histoire du Lectionnaire du Missel traditionnel

Pour mieux comprendre ce Lectionnaire, examinons, à travers ce que nous en disent les historiens de la liturgie, sa genèse et son évolution. Commençons d’abord par la période approximative où il a été constitué.
« La suite des lectures semble avoir été fixée de saint Léon à saint Grégoire, soit entre 450 et 604, écrit le père François Amiot dans son Histoire de la messe (Fayard, 1956, p. 40). Pour l’Avent, le Carême, Pâques et la Pentecôte, les passages ont été choisis intentionnellement. Le reste du temps, on recourt tout simplement à la lecture à la suite, ou lectio continua. On lit les épîtres catholiques entre Pâques et la Pentecôte ; de la Pentecôte à l’Avent, on achève les épîtres catholiques et on commence saint Paul ; de l’Épiphanie au Carême, reprise de saint Paul. Pendant les temps de pénitence, l’épître tirée du Nouveau Testament est réservée au dimanche ; pendant la semaine, on prend l’Ancien. Il reste des obscurités, tenant peut-être à ce que la répartition actuelle serait la combinaison de plusieurs systèmes de lectures. Aux fêtes de saints, le choix est éclectique et bien adapté. (…) Une importance très grande est naturellement donnée à saint Paul. »
Mgr Maurice Michaud (Les livres liturgiques – Des Sacramentaires au Missel, Fayard, 1961, p.76) précise quelques années plus tard : « La liturgie des I Xe et Xe siècles appelle les brèves indications suivantes. C’est à cette époque que les dimanches après la Pentecôte ont été dotés de messes propres. Jusque-là elles n’en avaient pas. C’est l’achèvement du cycle liturgique dans le rite latin. (…) C’est probablement à Rome qu’a commencé le cycle liturgique qui progressivement a été adopté dans le reste de l’Occident. L’ordre des lectures a été lié à ce cycle liturgique dès le Ve siècle. Il paraît à peu près établi au temps de saint Grégoire, lequel aurait suivi l’ordre de saint Benoît, qui n’était autre que l’ordre traditionnel romain, vers 520. Plus tard, il a [donc] été complété pour les messes après la Pentecôte. »

Le nombre des lectures

Combien ce Lectionnaire, fixé pour l’essentiel au début du VIIe siècle (même s’il a été complété en quelques points au Xe siècle), comportait-il de lectures ? Les historiens nous renseignent clairement sur ce point.
« L’usage romain donnait à la messe des catéchumènes deux leçons, l’une des épîtres, l’autre de l’Évangile. Cette règle est attestée au Ve siècle par le pape saint Léon, que l’on voit dans ses sermons rappeler souvent soit la leçon apostolique (…), soit la leçon évangélique (…). En Afrique, au début du Ve siècle, saint Augustin nous a appris que la messe avait deux leçons, l’une de l’Apôtre, l’autre de l’Évangile (sans parler du psaume), et exceptionnellement une leçon préalable prise aux prophètes. Rome a-t-elle anciennement donné trois leçons à la messe des catéchumènes, la premières tirée des prophètes, la seconde des épîtres, la troisième de l’Évangile ? Cet usage est l’usage wisigothique et gallican, sans doute, mais tant à faire que de se laisser guider par l’analogie, l’usage de l’Afrique serait un bon indice que Rome n’avait qu’exceptionnellement une leçon prise aux prophètes » (Pierre Batiffol, Leçons sur la messe, Lecoffre et Gabalda, 1927, pp.128-129).
Noële Maurice-Denis Boulet, professeur à l’Institut Supérieur de Liturgie de Paris, donne certaines précisions tirées de l’étude des liturgies comparées : « [Dans les diverses liturgies], le nombre des lectures peut varier : deux seulement chez nous ou à Byzance, en temps ordinaire, trois en nos mercredis de Quatre-Temps et à Milan (leçon prophétique), ou parfois chez les arméniens, quatre dans les livres syriens (Ancien Testament, Épîtres catholiques ou Actes, Épîtres de saint Paul et Évangile), chez les chaldéens (deux prophéties avant l’Épître) et chez les coptes (où saint Paul commence), sans compter les développements plus considérables de certains jours, comme les samedis de Quatre-Temps chez nous » (Eucharistie, ou la messe dans ses variétés, son histoire et ses origines, Letouzey et Ané, 1953, p. 133).

Confirmation par deux spécialistes

Le père Gaston Fontaine, qui fut le secrétaire du Cœtus XI du Consilium de liturgie consacré au nouveau Lectionnaire (cf. Annibale Bugnini, La riforma liturgica, CLV, 1983, p. 404), confirme ces données lorsqu’il présente l’innovation de proposer désormais trois lectures le dimanche. Il est, en effet, obligé d’admettre que l’Église romaine, au moins depuis le Ve siècle, ne connaît ordinairement que deux lectures.
« Le Lectionnaire [du Missel de Paul VI], nous dit-il, comporte pour les messes des dimanches et des solennités trois lectures dans l’ordre suivant : Ancien Testament, Écrits des Apôtres, Évangile. Est-ce une innovation ? C’est plutôt un retour à la tradition dont témoigne déjà saint Ambroise à la fin du IVe siècle. Cette tradition a été maintenue dans les liturgies hispanique et gallicane, et elle figure encore aujourd’hui au Missel ambrosien. L’Église de Rome, qui lui était fidèle au début du IIIe siècle, l’a peut-être conservée jusqu’au Ve siècle » (« Commentarium ad ordinem lectionum missæ », Notitiæ 47, juillet-août 1969, p.262).
Peut-on trouver une origine et une explication à ce choix de deux lectures, et de deux lectures seulement ? Le père Joseph-André Jungmann, dans Missarum sollemnia (Aubier, 1952, tome II, p.154), en propose une fort suggestive : « Les origines de l’office chrétien des lectures remontent, nous l’avons déjà vu, à la synagogue. C’est dans son cadre que s’étaient tout d’abord formés les Apôtres et les chrétiens de la communauté primitive. C’est donc sur elle, en premier lieu, que nous devons diriger notre regard. (…) [Or, dans les synagogues], la lecture était organisée de telle façon que l’on lisait chaque fois deux passages, l’un de la Loi, l’autre des Prophètes. »

Prédominance du Nouveau Testament

Si certains estiment que ce choix de seulement deux lectures réduit assez considérablement la place de l’Ancien Testament, le père Jungmann (pp. 158-159) leur répond qu’il s’agit en réalité d’une orientation de la plupart des liturgies des Églises d’origine apostolique.
« Nous ne pouvons nous étonner de constater (…) une tendance à réduire ou à laisser tomber les lectures de l’Ancien Testament et à renforcer celles du Nouveau. Le lien des lectures avec la célébration de l’Eucharistie aurait déjà suffi à pousser en ce sens (…). C’est ainsi que dans les liturgies égyptiennes nous trouvons quatre lectures scripturaires ; cet usage a dû provenir, à l’origine, du souci de faire une place aux deux Testaments ; mais, tant dans la liturgie copte que dans la liturgie éthiopienne, les lectures sont maintenant empruntées toutes les quatre au Nouveau Testament (…). La liturgie byzantine, également, depuis le VIIe siècle environ, ne connaît plus à la messe que les lectures du Nouveau Testament, “l’Apôtre” et l’Évangile. La liturgie romaine a suivi la même évolution, du moins jusqu’à un certain point. »

Un seul cycle, celui de l’année liturgique

Le Lectionnaire du Missel traditionnel se déroule enfin sur une année liturgique. Sur ce point, l’usage des Églises d’origine apostolique est tellement unanime que nos historiens n’envisagent même pas une autre formule.
Lorsqu’on relit ce qu’en dit Mgr Bugnini au moment où il raconte l’élaboration du nouveau Lectionnaire (notamment pp.410-412), on constate que même les communautés issues de la Réforme protestante ont conservé massivement et jusqu’à une date récente le Lectionnaire inscrit dans le cadre de l’année liturgique. Au point, écrit-il, que « certains (membres du Cœtus XI) proposèrent que le Lectionnaire soit conservé dans le cadre d’une unique année liturgique, soit par attachement à la tradition, soit par motif œcuménique : puisqu’en réalité la majeure partie des Église issues de la Réforme protestante use du Lectionnaire traditionnel (annuel). Ce motif œcuménique pesa d’un grand poids dans la discussion », même s’il n’empêcha pas le choix final d’un cycle polyannuel.
Le père Jungmann, qui insiste sur le fait que « les diverses ordonnances des lectures s’éclairent, dans une large mesure, dès que nous les considérons à partir de leur point de départ : l’ordonnance des lectures de la synagogue » (p.157), montre que ce cycle annuel existait déjà dans la liturgie synagogale, même si « ce n’est qu’à l’époque du Talmud que l’on trouve la preuve d’un cycle fixe comportant un nombre déterminé de passages (appelés parasches) exactement délimités et distribués de façon stable entre tous les sabbats de l’année » (p.154).

Résumé des acquis historiques

Résumons brièvement nos acquis historiques. Le Lectionnaire du Missel romain s’est constitué en substance au moment de « l’âge d’or » de la liturgie patristique, au sortir même des persécutions de l’Empire romain. Il se déroule dans l’unique cycle de l’année liturgique, à l’image de toutes les liturgies de toutes les Églises d’origine apostolique, et même des communautés issues de la Réforme protestante, du moins jusqu’à une date assez récente.
Il comporte seulement deux lectures (de façon ordinaire), et rejoint sur ce point la liturgie byzantine qui, par le biais de sa version russe, représente la part la plus importante, et de très loin, des liturgies non romaines. On peut dire sans crainte de se tromper que depuis le VIIe siècle au moins, 95% des chrétiens n’entendent ordinairement que deux lectures au cours de la liturgie : ce qui en fait pour le moins une tradition très forte même si, de façon légitime également, d’autres liturgies (mais très minoritaires) connaissent trois ou quatre lectures, voire plus.
Comme dans la plupart des liturgies non romaines, ces deux lectures font la part belle au Nouveau Testament, la seconde étant systématiquement prise de l’Évangile (constante de toutes les liturgies chrétiennes), la première étant souvent prise des Épîtres ou des Actes des Apôtres.

Le dimanche dans le Lectionnaire du Missel traditionnel

Arrêtons-nous alors aux dimanches (avec l’Épiphanie, la Fête Dieu et la fête du Christ-Roi) et aux fêtes d’obligation non dominicales en France (soit Noël, Ascension, Assomption et Toussaint).
Il est facile de constater qu’à deux exceptions près, la liturgie traditionnelle a opté pour une présentation exclusive du Nouveau Testament en ces jours où tout le peuple chrétien est rassemblé. Il n’existe en effet comme épître que deux lectures de l’Ancien Testament, celle du livre d’Isaïe pour l’Épiphanie et celle du livre de Judith pour l’office récent du 15 août (l’office de l’Assomption d’avant la définition dogmatique de 1950 comportait, pour sa part, une lecture du livre de la Sagesse).
Les épîtres sont donc essentiellement constituées de textes du Nouveau Testament. Saint Paul s’y octroie une place écrasante : quarante-huit péricopes. Elles sont tirées de dix de ses quatorze Épîtres, la deuxième aux Thessaloniciens, les deux à Timothée et celle à Philémon n’étant pas représentées (cette dernière, de seulement 25 versets, ne figurant d’ailleurs pas au Lectionnaire).
Saint Pierre compte quatre péricopes (tirées de sa première Épître). Les Actes des Apôtres en comptent trois. Saint Jacques en compte deux, de même que l’Apocalypse. Saint Jean en compte une seule (tirée de sa première Épître, les deux autres n’étant que de courts billets). L’Épître de saint Jude n’est pas représentée.
Si nous examinons maintenant la seconde lecture (toujours tirée de l’Évangile, selon la coutume chrétienne universelle), nous avons dans l’ordre d’importance : saint Matthieu avec vingt-cinq péricopes, suivi par saint Luc avec vingt péricopes et par saint Jean avec quinze péricopes. Parent pauvre, saint Marc (l’Évangile le plus bref) ne compte que trois péricopes.

La semaine dans le Lectionnaire du Missel traditionnel

Si nous nous arrêtons maintenant à la liturgie célébrée durant la semaine, le panorama change substantiellement : toutes les Épîtres de saint Paul (sauf celle à Philémon) sont utilisées, la deuxième Épître de saint Pierre trouve sa place, les Actes des Apôtres sont plus largement mis en valeur, ainsi que l’Apocalypse.
Mais, surtout, l’Ancien Testament revient en force, ainsi que nous l’avons déjà signalé sans nous y attarder, en relevant avec dom Lefebvre les nombreux livres de l’Ancien Testament qui sont utilisés dans le Lectionnaire du Missel traditionnel.
Pour évaluer cette présence tout à fait substantielle de l’Ancien Testament, une exposition succincte des principes qui président à ce Lectionnaire est tout d’abord nécessaire pour ceux qui ne l’utilisent pas ordinairement. Ce Lectionnaire, redisons-le, se situe dans le cadre d’un unique cycle, celui de l’année liturgique. Il voit s’entremêler le Temporal et le Sanctoral.
Le Temporal comprend des messes quotidiennes depuis la Vigile de la Nativité jusqu’à l’Épiphanie ; depuis le mercredi des Cendres jusqu’au samedi après Pâques ; pour les trois jours des Rogations ; pour la vigile de l’Ascension ; depuis la Vigile de la Pentecôte jusqu’au samedi après la Pentecôte ; enfin, aux quatre saisons (ce que la liturgie nomme les Quatre-Temps), pour les messes d’un mercredi, d’un vendredi et d’un samedi. Soit un total de soixante-quinze messes du Temporal durant les semaines de l’année liturgique. Or ces soixante-quinze messes comportent un total de soixante-trois péricopes de l’Ancien Testament.
Passons maintenant au Sanctoral, regroupant les fêtes des saints. Contrairement au Missel de Paul VI, chaque messe consacrée à un saint comporte obligatoirement des lectures d’Écriture sainte spécifiques : soit absolument propres, soit prises d’un Commun (pour un martyr, par exemple, on prend les lectures du Commun d’un martyr). Or, ces lectures du Sanctoral facilitent aussi l’accès du fidèle à l’histoire d’Israël : on y relève en effet quarante péricopes majeures de l’Ancien Testament. Et certaines reviennent plusieurs fois dans l’année.
Le chrétien qui s’associe à la messe quotidienne de l’Église peut ainsi découvrir et goûter, savoureusement, l’Ancien Testament de façon « abondante, variée et adaptée ».

Proclamation de la Parole de Dieu et accès à l’Écriture sainte

Les lectures d’Écriture sainte ont évidemment une certaine portée d’instruction : elles sont d’ailleurs commentées par l’homélie qui les conclut. Mais la liturgie traditionnelle a conscience qu’elles ont pour but propre la rénovation de la foi chez les fidèles, la proclamation des merveilles de Dieu, la célébration de ses hauts faits au cours de l’histoire du salut, et surtout la préparation au sacrifice, pour la gloire de Dieu et la rédemption des hommes.
C’est pourquoi la liturgie traditionnelle ne transforme pas ces lectures en cours d’initiation biblique. Si le Lectionnaire du Missel traditionnel comporte une large ouverture vers les principaux livres de l’Ancien Testament, il ne se soucie guère d’une lecture systématique, strictement suivie, rationnellement organisée (selon une logique cartésienne). Ce Lectionnaire cherche plutôt à relier, selon la logique de la contemplation et de l’amour, les divers textes (lectures, chants, prières) à l’esprit de la fête du jour, et à faire « résonner » ces textes entre eux afin d’en faire découvrir les multiples harmoniques.
Le souci de proposer une lecture suivie de la Bible en une seule année est bien présent dans la liturgie traditionnelle, mais il se réalise dans l’Office divin (le Bréviaire). Là, au cours de l’office de Matines (remplacé dans l’actuelle Liturgie des Heures par l’office des Lectures), deux ou trois lectures chaque jour permettent de lire de façon abondante l’Écriture sainte. Pour l’Ancien Testament, on lit Isaïe pendant l’Avent ; la Genèse et l’Exode entre la Septuagésime et le premier dimanche de la Passion ; Jérémie durant le temps de la Passion ; les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois entre la Pentecôte et le début du mois d’août ; les Proverbes, l’Ecclésiaste, la Sagesse et l’Ecclésiastique en août ; Job, Tobie, Judith et Esther en septembre ; les deux livres des Macchabées en octobre ; Ézéchiel, Daniel et des extraits des douze petits Prophètes en novembre. 

Le Lectionnaire du Missel de Paul VI: quelques réflexions

Pour mieux comprendre le Lectionnaire du Missel traditionnel, jetons par contraste un coup d’œil au Lectionnaire du Missel de Paul VI, mieux connu sans doute de la plupart de nos lecteurs, en proposant modestement quelques réflexions à son sujet.

Présentation succincte du nouveau Lectionnaire

Ce Lectionnaire est fondé sur deux cycles relativement indépendants, celui du dimanche et celui de la semaine. A cela s’ajoute la distinction classique du Temporal et du Sanctoral.
Le Lectionnaire du dimanche comporte trois lectures, une de l’Ancien Testament, une du Nouveau Testament (Épîtres, Actes des Apôtres ou Apocalypse), une de l’Évangile. Il s’inscrit dans un cycle de trois années (A, B et C), l’année A étant consacrée (principalement) à l’Évangile selon saint Matthieu, l’année B à saint Marc, l’année C à saint Luc.
Le Lectionnaire de semaine comporte ordinairement deux lectures, la première de la Bible en général (sauf Évangile), la deuxième de l’Évangile. Concernant le Temporal, le nouveau Lectionnaire comporte une messe pour chaque jour de l’année liturgique.
A l’intérieur de ce Temporal, il convient de faire encore une distinction. La première partie du Temporal, liée aux grands mystères du salut (Avent, Noël, Carême, Pâques), s’inscrit dans un cycle annuel. La deuxième partie, soit les trente-quatre semaines dites improprement en français « du temps ordinaire » (appelées plus justement en latin « tempus per annum »), s’inscrit pour ce qui concerne la première lecture dans un cycle de deux années (paires et impaires), tandis que l’Évangile reste au contraire fixe d’une année sur l’autre.
Le Sanctoral, pour sa part, s’inscrit dans un cycle annuel. Le nombre des lectures y varie selon le degré : les Solennités comptent trois lectures, les Fêtes, Mémoires obligatoires et Mémoires facultatives n’en comptent que deux.

Brèves remarques de liturgie comparée

La liturgie n’est évidemment pas un matériau que chaque génération pourrait manipuler et remodeler à sa fantaisie : c’est un donné reçu de la tradition dans lequel on entre, pour être soi-même formé par l’Église et modelé par l’Esprit-Saint. Il n’est pas envisageable de « reconstruire » le Lectionnaire du Missel traditionnel, trésor spirituel reçu de nos pères dans la foi. Comme le rappelait le Directoire pour la pastorale de la messe à l’usage des diocèses de France (Bonne Presse – Fleurus) publié en 1956 par l’épiscopat français, « la messe n’est pas une collection de rites assemblés par les hasards de l’histoire ou les caprices de l’évolution liturgique » (page 25).
Il est cependant loisible, du point de vue de la liturgie comparée, d’examiner les « bonnes idées » de telle ou telle liturgie : apprécier la pertinence, dans la liturgie byzantine, de l’iconostase ou du « Cherubikon » ne signifie évidemment pas qu’il serait nécessaire ou souhaitable de les adopter dans la liturgie romaine. De ce point de vue purement spéculatif, il n’est pas interdit de reconnaître dans le Lectionnaire du Missel de Paul VI quelques options non dénuées d’intérêt.
La première et la principale réside sans aucun doute dans les messes pour tous les jours de l’Avent, quand le Lectionnaire du Missel traditionnel ne connaît, pour sa part, que les messes des quatre dimanches de l’Avent, ainsi que celle de la Vigile de Noël [2].
Certes, nous rappelle Pierre Jounel dans son Missel de semaine (Desclée, 2006, p.16), « si importante que soit la célébration des fêtes de la venue du Seigneur parmi les hommes, on ne saurait la mettre en parallèle avec celle de Pâques ». De plus, « originairement, [la fête de Noël] fut une fête presque austère, une proclamation solennelle de la divinité du Christ face à ceux qui la niaient ». Cette vision antique est la cause immédiate de la relative sobriété de l’Avent dans la liturgie traditionnelle. Cependant, « la piété moderne a très légitimement paré la fête de la Nativité de Jésus de la tendresse et de la poésie propres à l’évocation de l’Enfant ».
L’idée d’affecter aux quatre semaines de préparation de l’Avent une messe quotidienne, si elle découle plus d’une piété moderne affective que de la théologie mystagogique des Pères, n’est donc pas en soi illégitime. Une telle option peut permettre, en particulier, de dérouler les grandes prophéties messianiques qui ont rythmé et éclairé le peuple de Dieu dans sa marche vers la Rédemption.
La deuxième option du Lectionnaire du Missel de Paul VI qui présente un intérêt conceptuel est sa série de messes pour chacun des jours du temps pascal, alors que le Missel traditionnel ne propose de messes quotidiennes que pour l’octave de Pâques et pour l’octave de la Pentecôte. Le temps pascal étant en effet le sommet de l’année liturgique, l’idée d’en approfondir la richesse par une messe quotidienne peut paraître séduisante. Cependant, une telle option, appliquée rigidement, présente l’inconvénient majeur d’éliminer en pratique les fêtes des saints pendant près de cent jours (du mercredi des Cendres à la fin de l’octave de la Pentecôte). Enfin, la troisième option du Lectionnaire du Missel de Paul VI qui attire l’attention du liturgiste est sa série de messes pour les semaines du temps per annum. Telle qu’elle se présente, cette option tend à faire plus ou moins disparaître le Sanctoral. Mais on peut l’envisager de façon plus raisonnable et limitée. Vu sous cet angle, avoir en soi la possibilité, au titre de quelques messes votives, de parcourir certaines lectures bibliques qui n’ont pas pu être lues dans le reste du cursus liturgique, présente un certain intérêt spéculatif.

Prédominance des choix individualistes

Passons maintenant à quelques options du Lectionnaire du Missel de Paul VI qui ne peuvent que troubler celui qui a l’habitude de la liturgie traditionnelle (qu’il s’agisse, d’ailleurs, de la liturgie de l’Église romaine ou de celle d’une autre Église d’origine apostolique).
Dans la liturgie romaine traditionnelle, la messe que doit célébrer le prêtre est, dans la très grande majorité des cas, fixée par l’Église : le célébrant se coule dans ce choix ecclésial et s’y conforme. C’est seulement les jours de semaine où il n’y a ni messe du temporal ni fête de saint, et qui ne sont pas le samedi (car la liturgie impose la messe de la sainte Vierge) que le prêtre peut à son gré reprendre la messe du dimanche ou célébrer une messe votive : soit à peine une fois tous les dix jours. Même alors, le prêtre ne peut à sa fantaisie « composer le menu » de sa messe, en prenant là une antienne, là une oraison, là une lecture : l’Église lui fournit ses messes votives.
Le chrétien attaché au Missel traditionnel ressent donc un étonnement considérable en découvrant la part très importante de subjectivité et de choix personnel qui caractérise le Missel de Paul VI, et notamment son Lectionnaire.
Citons, par exemple, ce que dit à ce propos le Missel de semaine, présenté par Pierre Jounel, Desclée, 2006, p. 1542 : « Aux Solennités et Fêtes, on prend le texte intégral de la messe (oraisons, lectures et antiennes). Aux Mémoires obligatoires, on prend obligatoirement l’oraison ou les trois oraisons proposées, ainsi que l’une ou l’autre des lectures qui ferait explicitement mention du saint. Quant aux autres textes, on peut prendre soit ceux qui sont indiqués pour le saint, soit ceux de la messe du jour correspondant au Propre du temps. Aux Mémoires facultatives, on peut omettre totalement la Mémoire, en dire l’oraison, en prendre certains textes ou les adopter tous. (…) Quand les lectures ne sont pas obligatoires, on pourra prendre la première lecture et le psaume au Propre des saints, tout en assurant la lecture continue de l’Évangile telle que la propose le Propre du temps. »
On peut aussi découvrir, au début de la troisième, de la quatrième et de la cinquième semaines de Carême, des « lectures au choix qu’on peut employer n’importe quel jour de cette semaine », donc à la place des lectures fixées pour le jour.
Cette prédominance des choix personnels, quasi individualistes, ne peut que troubler celui qui est habitué à la liturgie venue des Pères, rite public réglé par l’Église elle-même. Cette subjectivité lui paraît contraire à la grande tradition liturgique, où le célébrant (comme les fidèles, d’ailleurs) s’efface devant l’action surnaturelle du Christ.

Un Lectionnaire fabriqué de façon livresque

Une autre caractéristique de ce nouveau Lectionnaire, qui étonne le chrétien attaché à un Missel issu d’une très longue tradition d’Église, c’est son caractère intégralement « fabriqué ». A la fin des années 60, une commission de liturgistes universitaires a purement et simplement inventé à partir d’une épure conceptuelle, entièrement livresque, un lectionnaire qui n’a aucun enracinement dans la liturgie réelle, qui n’a aucune histoire, aucune tradition, même si, nous dit le père Gaston Fontaine, déjà cité, « plusieurs projets privés avaient, bien avant 1964, proposé cette disposition [le cycle des trois ans pour les lectures], en vigueur aussi dans plusieurs confessions chrétiennes, par exemple les Églises luthériennes des pays scandinaves depuis 1920, et l’Église réformée de France depuis 1963 » (« Commentarium ad ordinem lectionum missæ », Notitiæ 47, juillet-août 1969, p. 264).
La description du processus d’élaboration manifeste clairement le caractère bureaucratique et universitaire de cette création : « Voici les principales étapes du travail. On a entrepris d’abord un dépouillement systématique des listes de péricopes bibliques lues dans la liturgie de la messe. Ce dépouillement comprenait : l’étude complète des liturgies latines, du VIe au XIIe siècle ; un échantillonnage des livres orientaux pour une quinzaine de rites ; le relevé des lectionnaires en usage dans les Églises de la Réforme, du XVIe siècle à nos jour » (Gaston Fontaine, « Commentarium ad ordinem lectionum missæ », Notitiæ 47, juillet-août 1969, p. 259).
Cette conception d’un Lectionnaire « manufacturé », qui plus est de la fin des années 60 (dont la plupart des œuvres littéraires ou architecturales ont très mal vieilli), inventé pour les besoins hâtifs d’une réforme liturgique, ne peut que plonger dans des abîmes de perplexité celui qui, avec toute la tradition chrétienne, ne conçoit évidemment la liturgie que comme intemporelle, intemporalité que l’enracinement historique et l’ancienneté sont seuls en mesure d’assurer.

Les trois lectures du dimanche

Le Lectionnaire du Missel de Paul VI a voulu, conformément à la demande du concile Vatican II, proposer « une lecture de la sainte Écriture plus abondante, plus variée et mieux adaptée » (Sacrosanctum Concilium 35). Il a ainsi opté pour trois lectures le dimanche : une tirée de l’Ancien Testament, une du Nouveau Testament (Épîtres, Actes des Apôtres ou Apocalypse), une de l’Évangile.
Il est évident, avant tout examen, que ce Lectionnaire contient plus de textes bibliques que le Lectionnaire du Missel traditionnel, dans la mesure où ce dernier ne propose que deux lectures. Ce Lectionnaire remplit donc matériellement et a priori son objectif. Mais qu’en est-il au fond ?
En soi, l’idée de plus de deux lectures n’est pas absolument contraire à la tradition liturgique, puisque certaines Églises d’origine apostolique connaissent effectivement dans leur liturgie trois, voire quatre lectures. Il s’agit toutefois d’une rupture nette avec la tradition romaine, qui ne comprend que deux lectures le dimanche depuis le Ve siècle au plus tard (mais probablement, en réalité, depuis le IIIe siècle). On ne peut écarter d’un revers de main un tel enracinement.
Il s’agit, de plus, d’une rupture avec la pratique majoritaire des Églises d’origine apostolique : en effet, si quelques Églises (au nombre restreint de fidèles) pratiquent les trois voire quatre lectures, la liturgie romaine traditionnelle comme la liturgie byzantine (notamment dans sa forme russe), c’est-à-dire 95% des chrétiens appartenant aux Églises d’origine apostolique, n’en connaissent ordinairement que deux. Ceci depuis quinze siècles, et sans doute pas sans de bonnes et solides raisons.
L’avantage des trois lectures est évidemment une plus grande présence de la sainte Écriture. Faut-il pour autant s’arrêter à cette réalité d’ordre purement mathématique ? Car, aussi bien, quatre lectures (comme chez les chaldéens ou les coptes) permettraient une abondance plus grande, un accès plus facile (au moins apparemment) à la sainte Écriture. La question à se poser n’est-elle pas plutôt : l’option des trois lectures est-elle un bon choix, compte tenu du contexte liturgique où elles s’insèrent, et du public auquel elles s’adressent ?

La liturgie ne peut remplacer la catéchèse biblique

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord se souvenir que la liturgie ne peut, à elle seule, suppléer les carences de l’éducation chrétienne ; qu’elle n’a pas vocation à devenir un cours d’Écriture sainte de substitution. Il est probable que c’est dans l’espoir de faire connaître malgré tout l’Écriture sainte à des fidèles de plus en plus ignorants que bon nombre d’évêques ont voté l’article51 de la Constitution sur la Liturgie demandant que« dans un nombre d’années déterminé, on lise au peuple la partie la plus importante des saintes Écritures ».
Cependant la liturgie n’est pas à proprement parler un cours d’initiation biblique, et ne doit pas le devenir : elle présuppose au contraire cette initiation. Si cette dernière est défectueuse, cela appartient à la question de la catéchèse, sur laquelle, tout au moins concernant la France depuis un demi-siècle, il y aurait fort à dire et à écrire. Mais il n’est ni possible ni sain de suppléer, par impuissance et à titre de pis-aller, une catéchèse défaillante en « chargeant la barque » de la liturgie.
Une telle visée, en effet, implique de faire supporter à la liturgie un fardeau qui l’écrase. Comme le remarque avec pertinence dom Bernard Botte, il faut se mettre en garde contre la tentation de composer et de réaliser des liturgies « qui puissent être comprises par l’homme de la rue sans aucune préparation. On ne fait pas une liturgie chrétienne pour un peuple qui ne connaît rien de l’Ancien Testament et pas grand-chose du Nouveau. Sans un renouveau de la catéchèse et de la prédication, une réforme liturgique est vouée à l’échec » (Le mouvement liturgique – Témoignage et souvenirs, Desclée, 1973, p.84). C’est aussi la remarque du Directoire pour la pastorale de la messe à l’usage des diocèses de France de 1956, parlant d’une « catéchèse préalable » à la liturgie elle-même : « Une catéchèse biblique est particulièrement nécessaire pour introduire à la liturgie de la messe, (notamment) au Propre, presque entièrement tiré de la sainte Écriture » (pages 23-24).

« Trop de lectures tue la lecture »

Il convient ensuite de considérer la capacité d’écoute, de compréhension et d’assimilation des fidèles. Sont-ils facilement en mesure (surtout s’ils ont une faible formation chrétienne) de mettre en ordre dans leur esprit trois lectures successives, souvent disparates ? L’homélie suffira-t-elle pour tirer profit de cette abondance ? Ce choix de trois lectures n’est-il pas, comme on dit aujourd’hui, le prototype de la « fausse bonne idée » ? C’est en tout cas ce qu’ont estimé, à partir d’une première expérience, des spécialistes dont l’engagement en faveur de la nouvelle liturgie ne peut pas être mis en doute.
« Nul ne regrette que la liturgie d’aujourd’hui présente “aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, et qu’elle leur ouvre plus largement les trésors bibliques” (CSL 51). Personne ne réclame un retour en arrière. Mais on peut s’interroger sur le rapport entre la multiplicité des textes lus à la messe, et l’accès des fidèles aux trésors bibliques. En d’autres termes, la table de la Parole de Dieu ne se trouve-t-elle pas trop fournie par rapport à l’appétit et aux possibilités de la plupart ? » (Robert Gantoy, « Intégrer les fonctions de la parole dans la célébration », Paroisse et liturgie 3, mai-juin 1972, p.198).
« On est en droit de se demander si un rituel trop chargé n’occulte pas en partie ce qu’il devrait révéler. Par exemple, la série biblique : Ancien Testament, psaume, Épître, Évangile, qui devrait manifester l’épaisseur historique de la Révélation à la fois dans son unité et dans sa variété, constitue-t-elle en fait une nourriture digeste ? Si ces lectures ne sont déjà familières à l’assemblée, elles produisent comme un flot de phrases qui s’écoulent, sans que l’épée à deux tranchants de la Parole de Dieu vienne questionner la moelle et les os » (Joseph Gélineau, Demain la liturgie, Cerf, 1976, pp.151-152).
« Tout en se félicitant globalement de la richesse des Lectionnaires élaborés depuis Vatican II, on se demande, non sans raison, si les fidèles en retirent le fruit escompté. Ne vaudrait-il pas mieux prendre le temps de bien lire et de comprendre un seul texte, au lieu de multiplier des lectures faites rapidement et qui n’ont pas toujours entre elles (loin de là) de liens particuliers évidents ? » (« Liminaire », Communautés et liturgies 1, janvier-février 1977, p. 1). « Cette lecture massive de l’Écriture dans les célébrations fait assez souvent difficulté » (Robert Gantoy, « La Bible dans la liturgie : pourquoi, comment », Communautés et liturgies 1, janvier-février 1977, p. 25).
« Le mieux est souvent l’ennemi du bien », affirme justement le dicton. On a voulu faire mieux que le Lectionnaire traditionnel : n’a-t-on finalement pas fait moins bien ? Ne faut-il pas admettre avec saint Paul (1Co3, 1-2) que les chrétiens (dont nous-mêmes) sont encore souvent des petits enfants dans le Christ, à qui il vaut mieux donner du lait à boire qu’une nourriture solide qu’ils peuvent difficilement assimiler dans le contexte ? Il est au moins légitime de s’interroger sur ce point.

Le cycle polyannuel

Le Lectionnaire du Missel de Paul VI a opté pour un cycle polyannuel (de trois ans ou de deux ans, selon les cas). Ici encore, il est clair que, pour cette seule raison, ce Lectionnaire contient plus de textes bibliques que le Lectionnaire du Missel traditionnel. Mais une nouvelle fois, il faut examiner si ce choix est réellement le plus opportun.
Ce choix d’un cycle polyannuel est d’abord une rupture avec la tradition liturgique unanime des Églises d’origine apostolique, qui toutes s’inscrivent dans un cycle annuel. Même les communautés issues de la Réforme ont, dans leur ensemble, respecté cette tradition.
Cette tradition liturgique unanime repose sur le fondement naturel qu’est l’année. On peut dire qu’il n’existe que deux références temporelles absolues, le jour (mouvement de la terre sur elle-même) et l’année (mouvement de la terre autour du soleil). Le mois, la semaine, l’heure sont plutôt des conventions, même s’ils reposent sur certains fondements naturels (par exemple, le cycle de la lune). Le retour régulier des quatre saisons est une référence humaine absolue et universelle. Il est donc profondément humain, conforme au symbolisme le plus évident, le plus simple et le plus enraciné dans la nature des choses d’inscrire la liturgie dans le cycle annuel.
C’est précisément pour cette raison que toutes les liturgies chrétienne sans exception ont toujours fait ce choix, et même la plupart des liturgies non chrétiennes. Ceci entraîne le retour régulier des mêmes lectures, des mêmes chants, des mêmes rites au même moment.
Il reste toutefois dans cette liturgie cyclique un coefficient de variation qui évite que l’homme ne se sente enfermé dans la routine et la monotonie, grâce à la date de Pâques (qui peut varier selon les années entre le 22 mars et le 25 avril), ainsi qu’aux événements exceptionnels qui dépassent le cycle annuel, comme les anniversaires ou jubilés des dix ans, des vingt-cinq ans, des cinquante ans, du centenaire, etc.

Le cycle annuel, norme profondément naturelle

Parce qu’il correspond à la nature humaine, le cycle annuel semble de loin le plus pédagogique. La répétition annuelle y devient un atout considérable, comme le remarque un liturgiste pourtant très en pointe.
« Nous vivons à une époque caractérisée, à maints égards, par un désir frénétique du changement qui correspond en définitive à une fuite en avant, à une peur panique de la mort inéluctable, à cet étourdissement que Pascal nommait distraction. Dans la liturgie chrétienne célébrée en vérité, la répétition, bien loin d’être un réflexe réactionnaire, a partie liée avec l’espérance : elle est le résultat d’une certitude qui vient d’ailleurs et pousse en avant. Par contre, la volonté de tout changer toujours, de chercher en toutes occasions l’inédit, secrète inévitablement l’ennui ou produit des glissements successifs qui aboutissent à dénaturer la liturgie. (…) Il me semble opportun d’attirer l’attention sur l’effet bénéfique d’une certaine permanence dans les rites et les paroles. Un chamboulement excessif du rituel empêche d’acquérir un rythme intérieur, d’assimiler en profondeur les richesses de la prière liturgique. Tout passe, tout coule, si l’on ne dispose plus de repères. Le retour à intervalles réguliers de formules connues ou de gestes familiers favorise la liberté spirituelle, tandis que l’esprit et le cœur s’emballent et s’épuisent lorsqu’ils sont toujours invités à une gymnastique dont les mouvements changent à chaque exercice » (Jean-Yves Quellec, « Questions de rythme », Communautés et liturgies 3, juin 1981, p.199-200).

Une véritable « usine à gaz »

La réforme liturgique, avec notamment la création du nouveau Lectionnaire, a été réalisée par des professeurs de liturgie et des fonctionnaires ecclésiastiques, et ceci de façon purement conceptuelle. Dans notre cas précis, il ne s’agit pas de l’évolution partielle d’un Lectionnaire existant, mais purement et simplement d’une création ex nihilo. Et, comme souvent lors d’un processus bureaucratique, le résultat est une fantastique et ahurissante « usine à gaz » (selon l’expression consacrée).
La coexistence ordinaire de trois cycles spécifiquement distincts : un cycle trisannuel pour les dimanches, un cycle bisannuel pour une partie du Temporal de semaine, un cycle annuel pour le reste de la liturgie, s’ajoutant à la division antérieure et traditionnelle entre Temporal et Sanctoral, représente au départ « l’idée géniale » d’un liturgiste en chambre, et à l’arrivée le cauchemar de tous les utilisateurs.
Le résultat le plus évident est la vogue (très compréhensible, car finalement nécessaire) des « missels jetables » du type Nouveau missel des dimanches, Magnificat ou Prier en Église : à la place des communautés dépassées par la complexité de la mise en œuvre, une équipe de « liturgistes commerciaux » impose ses choix au jour le jour.
Si l’on voulait faire de l’ironie, on dirait que le résultat demandé par le numéro 34 de Sacrosanctum Concilium : « Les rites manifesteront une noble simplicité, (…) ils seront adaptés à la capacité des fidèles et, en général, il n’y aura pas besoin de nombreuses explications pour les comprendre » est parfaitement atteint par ce Lectionnaire dont l’utilisation est d’une simplicité vraiment… biblique.

Faire confiance aux rites liturgiques transmis?

La comparaison avec le Lectionnaire du Missel de Paul VI n’est ainsi certainement pas en défaveur du Lectionnaire du Missel traditionnel.
Si nous reprenons nos diverses réflexions, nous constatons qu’il faut abandonner l’image d’une ignorance de la Bible avant le concile Vatican II : c’est une idée toute faite qui ne résiste pas à un examen sérieux. Bien entendu, pour cela, il faut avoir l’honnêteté de comparer ce qui est réellement comparable. Si l’on met en balance un groupe de chrétiens d’aujourd’hui qui seraient des militants très engagés et des membres assidus d’un cercle biblique, avec de simples pascalisants du début du XXe siècle à la limite de la rupture avec l’Église, le résultat est couru d’avance : mais il ne signifie strictement rien.
Le Lectionnaire du Missel traditionnel s’enracine dans une très longue tradition. Sa structure essentielle surgit des entrailles de l’Église, à la sortie de l’ère des persécutions sanglantes. Composé par les grands contemplatifs et mystagogues que furent les Pères de l’Église, il nous permet un accès proprement liturgique aux textes essentiels de l’Écriture sainte.
Ce Lectionnaire est fort loin d’être justiciable des critiques faciles et superficielles de ceux qui, en réalité, ne l’ont pas sérieusement étudié, voire ne l’ont jamais parcouru, en parlant par ouï-dire et sur la base de rumeurs. Il propose notamment un accès à l’Ancien Testament beaucoup plus large qu’on ne le dit habituellement, même si, comme 95% des liturgies chrétiennes, il privilégie nettement le Nouveau Testament pour les lectures du dimanche.
Ce Lectionnaire repose sur des fondements éprouvés, partagés par toutes les liturgies des Églises d’origine apostolique, notamment l’unique cycle annuel, réalité humaine et symbolique incontestable et indépassable.
Le père Patrick Prétot, directeur de l’Institut supérieur de Liturgie de Paris, nous fournira notre conclusion : « Les pratiques rituelles venues de la tradition sont à mon avis un trésor que nous n’osons pas assez mettre en avant : nous cherchons du “nouveau” qui serait censé être mieux à même de correspondre aux mentalités de notre temps. Mais avant de vouloir “inventer” (et on sait combien ce mot est problématique quand on parle de rites), n’aurions-nous pas d’abord à faire confiance aux rites liturgiques transmis ? Ils ont formé des générations, puisque c’est la liturgie qui nous forme ! » (« Se donner des repères pour avancer », Célébrer 339, octobre 2005, p.45).

[1] Je ne pense pas que mes confrères de la FSSP X m’en voudront de publier ainsi un article bien fait sur la comparaison des deux lectionnaires

[2] Note du Webmestre : et les 3 messes des Quatre-Temps de l’Avent