Textes de la Procession et de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Deuxième jour des Rogations. On se reportera aussi aux commentaires du Lundi.
Comme au Lundi.
Au bréviaire, on ne fait rien du 2nd jour des rogations : on pourra se reporter au Matines du Lundi avant 1960.
Les Supplications de l’Église continuent aujourd’hui encore, et l’armée du Seigneur parcourt pour la seconde fois les rues des cités et les chemins ombragés des campagnes. Joignons-nous-y, et faisons entendre ce cri qui pénètre le ciel, Kyrie eleison ! Seigneur, ayez pitié ! Songeons au nombre immense de péchés que chaque jour et chaque nuit voient se commettre, et implorons miséricorde. Aux jours du déluge, « toute chair avait corrompu sa voie [1] » ; mais les hommes ne songeaient pas à demander grâce au ciel. « Le déluge vint et les perdit tous », dit le Seigneur [2]. S’ils eussent prié, s’ils eussent fait amende honorable à la divine justice, la main de Dieu se fût arrêtée ; elle n’eût pas déchaîné sur la terre les cataractes du grand abîme [3]. Un jour doit venir aussi, où non plus les eaux, mais un feu allumé à la colère céleste s’élancera tout à coup, et il embrasera cette terre que nous foulons. Il brûlera jusqu’aux racines des montagnes [4], et dévorera les pécheurs qui seront surpris dans leur fausse sécurité, comme il arriva aux jours de Noé.
Mais auparavant la sainte Église, opprimée par ses ennemis, décimée par le martyre de ses enfants, réduite aux abois par les défections, dépourvue vue de tout appui terrestre, sentira que le jour est proche ; car la prière sera devenue rare comme la foi. Veillons donc et prions, afin que ces jours de la consommation soient retardés, afin que la vie chrétienne si épuisée reprenne un peu de vigueur, et que ce monde vieilli ne s’affaisse pas en nos temps. Nous sommes encore partout, mais notre nombre a diminué visiblement. L’hérésie occupe de vastes régions où la catholicité fleurissait autrefois ; dans les pays épargnés par l’hérésie, l’incrédulité et l’indifférence ont amené la plupart des hommes à n’être plus chrétiens que de nom, et à enfreindre sans remords les devoirs religieux les plus essentiels ; chez un grand nombre de ceux qui remplissent encore leurs obligations de catholiques, les vérités sont diminuées [5], l’énergie de la foi a fait place à la mollesse dans les convictions, des conciliations impossibles sont tentées et suivies, les sentiments et les actions des saints qu’animait l’Esprit de Dieu, les actes et les enseignements de l’Église sont taxés d’exagération et d’incompatibilité avec un soi-disant progrès ; la recherche des aises est devenue une étude sérieuse, la poursuite des biens terrestres une noble passion, l’indépendance une idole à laquelle on sacrifie tout, la soumission une honte qu’il faut fuir ou dissimuler ; enfin le sensualisme, comme une impure atmosphère, imprègne de toutes parts une société que l’on dirait avoir résolu d’abolir jusqu’au souvenir de la Croix.
De là tant de périls pour cette société qui rêve d’autres conditions que celles que Dieu lui a voulu imposer. Si l’Évangile est divin, comment les hommes en pourraient-ils prendre le contre-pied, sans provoquer le ciel à lancer sur eux ces fléaux qui écrasent quand ils ne sauvent pas ? Soyons justes, et sachons convenir de nos misères devant la souveraine sainteté : les péchés de la terre se multiplient en nombre et en intensité d’une manière effrayante ; et pourtant, dans le tableau que nous venons de tracer, nous n’avons parlé ni de l’impiété forcenée, ni des enseignements pervers dont le poison circule partout, ni des pactes avec Satan qui menacent notre siècle de descendre au niveau des siècles païens, ni de la conspiration ténébreuse organisée contre tout ordre, toute justice, toute vérité. Encore une fois, unissons-nous à la sainte Église, et crions avec elle en ces jours : « De votre colère, délivrez-nous, Seigneur ! »
Une autre fin des Rogations est d’attirer la bénédiction de Dieu sur les moissons et les fruits de la terre ; c’est la demande du pain quotidien qu’il s’agit de présenter solennellement à la majesté divine. « Tous les êtres, dit le Psalmiste, élèvent avec espoir leurs yeux vers vous, Seigneur, et vous leur donnez leur nourriture en la saison convenable ; vous ouvrez la main, et vous répandez votre bénédiction sur tout ce qui respire [6]. » Appuyée sur ces touchantes paroles, la sainte Église supplie le Seigneur de donner, cette année encore, aux habitants de la terre la nourriture dont ils ont besoin. Elle confesse qu’ils en sont indignes par leurs offenses ; reconnaissons avec elle les droits de la divine justice sur nous, et conjurons-la de se laisser vaincre par la miséricorde. Les fléaux qui pourraient arrêter tout court les espérances orgueilleuses de l’homme sont dans la main de Dieu ; il ne lui en coûterait pas un effort pour anéantir tant de belles spéculations : un dérangement dans l’atmosphère suffirait pour mettre les peuples aux abois. La science économique a beau faire : bon gré, mal gré, il lui faut compter avec Dieu. Elle parle de lui rarement ; il semble consentir à se voir oublié ; mais « il ne dort pas, celui qui garde Israël [7]. » Qu’il retienne sa main bienfaisante, et nos travaux agricoles, dont nous sommes si fiers, nos cultures, à l’aide desquelles nous nous vantons d’avoir rendu la famine impossible, sont aussitôt frappés de stérilité. Une maladie dont la source demeurera inconnue fondra tout à coup, nous l’avons vu, sur les produits de la terre ; et ce serait assez pour affamer les peuples, assez pour amener les plus terribles perturbations dans un ordre social qui s’est affranchi de la loi chrétienne, et n’a plus d’autre raison de tenir debout que la compassion divine.
Et cependant, si le Seigneur daigne cette année encore octroyer fécondité et protection aux moissons que nos mains ont semées, il sera vrai de dire qu’il aura donné la nourriture à ceux qui l’oublient, à ceux qui le blasphèment, comme à ceux qui pensent à lui et l’honorent. Les aveugles et les pervers, abusant de cette longanimité, en profiteront pour proclamer toujours plus haut l’inviolabilité des lois de la nature ; Dieu se taira encore, et il les nourrira. Pourquoi donc n’éclate-t-il pas ? Pourquoi contient-il son indignation ? C’est que son Église a prié, c’est qu’il a reconnu sur la terre les dix justes [8], c’est-à-dire le contingent si faible dont il se contente dans son adorable bonté. Il laissera donc parler et écrire ces savants économistes qu’il lui serait si aisé de confondre. Grâce à cette patience, il adviendra que plusieurs se lasseront de courir ainsi les voies de l’absurde ; une circonstance inattendue leur dessillera les yeux, et un jour ils croiront et prieront avec nous. D’autres s’enfonceront toujours plus avant dans leurs ténèbres ; ils défieront la justice divine jusqu’à la fin, et mériteront que s’accomplisse sur eux ce terrible oracle : « Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même, et l’impie pour le jour mauvais [9]. »
Pour nous qui nous faisons gloire de la simplicité de notre foi, qui attendons tout de Dieu et rien de nous-mêmes, qui nous reconnaissons pécheurs et indignes de ses dons, nous implorerons, durant ces trois jours, le pain de sa pitié, et nous dirons avec la sainte Église : « Daignez donner et conserver les fruits de la terre : Seigneur, nous vous en supplions, exaucez-nous ! » Qu’il daigne exaucer cette fois encore le cri de notre détresse ! Dans un an nous reviendrons lui adresser la même demande. Marchant sous l’étendard de la croix, nous parcourrons encore les mêmes sentiers, faisant retentir les airs des mêmes Litanies, et notre confiance se fortifiera de plus en plus, à la pensée que, par toute la chrétienté, la sainte Église conduit ses enfants dans cette marche aussi solennelle qu’elle est suppliante. Depuis quatorze siècles, le Seigneur est accoutumé à recevoir les vœux de ses fidèles à cette époque de l’année ; nous ne voudrons plus désormais atténuer les hommages qui lui sont dus, et nous ferons nos efforts pour suppléer, par l’ardeur de nos prières, à l’indifférence et à la mollesse qui s’unissent trop souvent, pour faire disparaître de nos mœurs tant de signes de catholicité qui furent chers à nos pères.
La Messe des Rogations est la même que celle d’hier ; on en trouvera le commentaire à sa place.
Nous ajouterons ici une prière empruntée à l’antique Liturgie gallicane, et composée à l’époque où la pieuse institution à laquelle sont consacrés ces trois jours était encore dans sa première ferveur.
CONTESTATIO. | |
Vere dignum et justum est, te tota cordis contritione in jejunio laudare, omnipotens sempiterne Deus, per Christum Dominum nostrum. Qui nos mysteriorum tuorum secretis informans, pacificum nemus ore columbæ gestatum, Noe oculis ostendens, nobis de virente arbore crucis gloriosum signum expressit : quem columbæ species in Christi decoravit honore, cunctis colendum Spiritus sanctificatione demonstrans. Cujus animalis innocentia esse similes præoptantes, ab eoque sanctificari Spiritu, cujus ipse sumpsit speciem, exorantes ; in hoc jejunio triduana humiliatione instituto, invictum hoc signum cum plebium cuneis præferentes, atque Majestatem tuam psallencii modulatione laudantes, petimus, omnipotens Deus : ut accipias cuncta plebis vota, quæque quoquo ritu tibi reddit subjecta : et ita eos in hoc jejunio sanctifices, ut a cunctis mereantur exui peccatis. | Il est juste et raisonnable ô Dieu tout puissant et éternel, de vous offrir nos vœux, en accompagnant ce jeûne annuel de toute la contrition de nos cœurs, par Jésus-Christ notre Seigneur, qui étant venu à nous pour nous manifester la profondeur de vos mystères, nous a révélé le symbole qui fut offert aux yeux de Noé dans la branche de l’olivier pacifique que la colombe portait dans son bec, lorsqu’il nous a présenté le signe glorieux de la croix, qui est l’arbre verdoyant. Cet arbre, que la colombe mystique a dédié à l’honneur du Christ, elle l’a en même temps sanctifié par la grâce de l’Esprit-Saint, afin qu’il fût pour tous l’objet d’un culte religieux, et nous inspirât le désir de retracer en nous l’innocence de cet oiseau, et de recevoir la sanctification par le divin Esprit dont il figura un jour la présence. Nous offrons donc nos vœux dans ce jeûne et cette humiliation de trois jours, portant en tête des bataillons formés de fidèles le signe invincible de la croix, et faisant retentir dans le chant des psaumes la louange de votre divine Majesté. Nous vous supplions, ô Dieu tout-puissant, d’agréer tous les hommages que vous présente votre peuple et tous les rites sous lesquels il les exprime, et de nous accorder, au moyen de ce jeûne, la sanctification de nos âmes, en leur faisant mériter d’être affranchies de tout péché. |
Cette station intermédiaire au Latran trahit à elle seule sa tardive introduction dans la liturgie romaine. La basilique du Latran ne porte plus le nom du Sauveur, mais celui de saint Jean-Baptiste, à qui est donnée place, pour cette raison, immédiatement après la sainte Vierge, et avant l’Apôtre Pierre.
Saint Jean-Baptiste est le type de la pénitence qui nous dispose à obtenir la grâce. La solennité stationnale de ce jour en évoque à propos le souvenir, puisque, sans le bain de la pénitence qui purifie l’âme, le Paraclet ne pourra jamais sanctifier celle-ci par sa présence, car il est écrit : Non permanebit Spiritus meus in homine in æternum, quia caro est [10].
La pénitence, la rigueur de l’abstinence, un rude cilice, la solitude sauvage du désert, voilà donc le fond sur lequel se dessine aujourd’hui, gigantesque, la figure du plus grand parmi les fils d’Adam ; voilà les moyens qu’il employa pour garder son âme intacte de toute tache de péché. Quelle leçon pour nous, qui traitons avec tant de condescendance une chair pécheresse et rebelle, nous qui pouvons d’autant moins en agir ainsi, que nous sommes plus éloignés de la vertu de Jean-Baptiste, lequel avait été sanctifié dès le sein de sa mère.
La procession et la messe, aujourd’hui et demain, sont semblables à celles du lundi.
1. Jour de Rogations. — a) C’est le second jour des Rogations. Si la chose est possible, assistons à la procession. Célébrons en esprit le vénérable office de station à Saint-Jean de Latran, l’antique Église baptismale. Peut-être pourrions-nous, les trois jours de Rogations, partager nos demandes. Pensons, le premier jour, à nos propres besoins ; le second jour, à ceux de notre famille et de notre communauté ; le troisième jour, enfin, à tous les besoins de la sainte Église. Restons, pendant tous ces jours, dans des dispositions de prière. b) Les antiennes directrices : « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât d’entre les morts, Alléluia » (Ant. Bened.). « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; je quitte de nouveau le monde, et je vais au Père, Alléluia » (Ant. Magn.).
2. Lecture d’Écriture (1 Pierre, chap. 3 et 4). — Saint Pierre nous parle de la charité, de la paix et de la patience : « Enfin, qu’il y ait entre vous union de sentiments, bonté compatissante, charité fraternelle, affection miséricordieuse, humilité. Ne rendez point le mal pour le mal, ni l’injure pour l’injure, bénissez au contraire ; car c’est à cela que vous avez été appelés, afin de devenir héritiers de la bénédiction. Car « celui qui veut vivre et voir des jours heureux, qu’il garde sa langue du mal et ses lèvres des discours trompeurs. Qu’il s’éloigne du mal et fasse le bien. Car le Seigneur a les yeux sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières ; mais la face du Seigneur est contre ceux qui font le mal ». Et qui peut vous nuire si vous vous appliquez à faire le bien ? La pensée du retour prochain du Seigneur doit nous exciter à la pratique des vertus chrétiennes : la fin de toutes choses est proche. Soyez donc prudents et sobres pour vaquer à la prière. Mais, surtout, ayez un ardent amour les uns pour les autres ; car l’amour couvre une multitude de péchés. Exercez entre vous l’hospitalité sans murmure. Que chacun mette au service des autres le don qu’il a reçu, et montrez-vous de bons dispensateurs de la grâce de Dieu, laquelle est variée... Ne soyez pas surpris de l’incendie qui s’est allumé au milieu de vous pour vous éprouver, comme s’il vous arrivait quelque chose d’extraordinaire. Mais, dans la mesure où vous avez part aux souffrances du Christ, réjouissez-vous afin que, lorsque sa gloire sera manifestée, vous soyez aussi dans la joie et l’allégresse. Si vous êtes outragés pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. Que nul d’entre vous ne souffre comme meurtrier, comme voleur ou malfaiteur, ou comme avide du bien d’autrui. Mais s’il souffre comme chrétien, qu’il n’en ait pas honte ; plutôt, qu’il glorifie Dieu pour ce nom. Car voici le temps où le jugement de Dieu va commencer par la raison de Dieu. Et s’il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de Dieu ? Et « si le juste est sauvé avec peine, que deviendra l’impie, le pécheur ? » C’est pourquoi que ceux qui souffrent selon la volonté de Dieu lui confient leurs âmes, comme au Créateur fidèle, en pratiquant le bien ».
[1] Gen. VI, 12.
[2] Luc. XVII, 27.
[3] Gen. VIII, 2.
[4] Deut. XXXII, 22.
[5] Psalm. XI.
[6] Psalm. CXLIV.
[7] Psalm. CXX.
[8] Gen. XVIII, 32.
[9] Prov. XVI, 4.
[10] « Mon esprit ne demeurera pas pour toujours avec l’homme, parce qu’il est chair », Gen. 6, 3.