Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Mort à Rome le 18 octobre 1775. Fondateur des Passionistes. Canonisé par Pie IX en 1867 qui inscrivit sa fête au calendrier comme rite double en 1869.
Ant. ad Introitum. Gal. 2, 19-20. | Introït |
Christo confíxus sum Cruci : vivo autem, iam non ego ; vivit vero in me Christus : in fide vivo Fílii Dei, qui diléxit me, et trádidit semetípsum pro me. (T.P. Allelúia, allelúia.) | Avec le Christ j’ai été cloué à la croix : et c’est le Christ qui vit en moi : je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi. (T.P. Alléluia, alléluia.) |
Ps. 40, 2. | |
Beátus, qui intéllegit super egénum et páuperem : in die mala liberábit eum Dóminus. | Heureux celui qui a l’intelligence de l’indigent et du pauvre : le Seigneur le délivrera au jour mauvais. |
V/. Glória Patri. | |
Oratio. | Collecte |
Dómine Iesu Christe, qui, ad mystérium Crucis prædicándum, sanctum Paulum singulári caritáte donásti, et per eum novam in Ecclésia famíliam floréscere voluísti : ipsíus nobis intercessióne concéde ; ut, passiónem tuam iúgiter recoléntes in terris, eiúsdem fructum cónsequi mereámur in cælis : Qui vivis et regnas. | Seigneur Jésus-Christ, vous qui avez donné à saint Paul une charité singulière pour prêcher le mystère de ta Croix, et qui avez fait fleurir par lui dans l’Église une nouvelle famille, accordez-nous, par son intercession, qu’entretenant en nous sur la terre le souvenir continuel de votre passion, nous méritions d’en recueillir le fruit dans les cieux. |
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Corinthios. | Lecture de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Corinthiens. |
1. Cor. 1, 17-25. | |
Fratres : Non misit me Christus baptizáre, sed evangelizáre : non in sapiéntia verbi, ut non evacuétur Crux Christi. Verbum enim Crucis pereúntibus quidem stultítia est : iis autem, qui salvi fiunt, id est nobis, Dei virtus est. Scriptum est enim : Perdam sapiéntiam sapiéntium et prudéntiam prudéntium reprobábo. Ubi sápiens ? ubi scriba ? ubi conquisítor huius sǽculi ? Nonne stultam fecit Deus sapiéntiam huius mundi ? Nam quia in Dei sapiéntia non cognóvit mundus per sapiéntiam Deum : plácuit Deo per stultítiam prædicatiónis salvos fácere credéntes. Quóniam et Iudǽi signa petunt et Græci sapiéntiam quærunt : nos autem prædicámus Christum crucifíxum : Iudǽis quidem scándalum, géntibus autem stultítiam, ipsis autem vocátis Iudǽis atque Græcis Christum Dei virtútem et Dei sapiéntiam : quia, quod stultum est Dei, sapiéntius est homínibus : et, quod infírmum est Dei, fórtius est homínibus. | Mes Frères : Le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l’Evangile : non point avec la sagesse de la parole, afin que la Croix du Christ ne soit pas rendue vaine. La parole de la Croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour ceux qui sont sauvés, c’est-à-dire pour nous, elle est la puissance de Dieu. Aussi est-il écrit : Je détruirai la sagesse des sages, et Je réprouverai la prudence des prudents. Où est le sage ? Où est le scribe ? Où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n’a-t-Il pas frappé de folie la sagesse de ce monde ? Car parce que le monde, avec sa sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. En effet, les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs, et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Grecs, le Christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes. |
Allelúia, allelúia. V/. V/. 2 Cor. 5, 15. Pro ómnibus mórtuus est Christus : ut, et qui vivunt, iam non sibi vivant, sed ei, qui pro ipsis mórtuus est, et resurréxit. | Allelúia, allelúia. V/. Le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. |
Allelúia. V/. Rom. 8, 17. Si fílii, et herédes : heródes quidem Dei, coherédes autem Christi : si tamen compátimur, ut et conglorificémur. Allelúia. | Allelúia. V/. Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, pourvu toutefois que nous souffrions avec Lui, afin d’être glorifiés avec Lui. |
¶ In Missis votivis extra tempus paschale dicitur | ¶ Aux messes votives hors du temps pascal, on dit : |
Graduale. Gal. 6, 14. | Graduel |
Mihi autem absit gloriári, nisi in Cruce Dómini nostri Iesu Christi : per quem mihi mundus crucifíxus est, et ego mundo. | Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde. |
V/. 1. Cor. 2, 2. Non iudicávi me scire áliquid inter vos, nisi Iesum Christum, et hunc crucifíxum. | V/. Car je n’ai pas jugé savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. |
Allelúia, allelúia. V/. 1. Petri 2, 21. Christus passus est pro nobis, vobis relínquens exémplum, ut sequámini vestígia eius. Allelúia. | Allelúia, allelúia. V/. Le Christ aussi a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces. Alléluia. |
Post Septuagesimam, omissis Allelúia et versu sequenti, dicitur | Après la Septuagésime, on omet l’Alléluia et le verset suivant et on dit |
Tractus. 1. Petri 4, 1. | Trait |
Christo ígitur passo in carne, et vos eádem cogitatióne armámini : quia, qui passus est in carne, désiit a peccátis. | Puisque le Christ a souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de la même pensée ; car celui qui a souffert dans la chair en a fini avec le péché. |
V/. 2 Cor. 4, 10. Semper mortificatiónem Iesu in córpore nostro circumferéntes, ut et vita Iesu manifestétur in corpóribus nostris. | V/. Portant toujours dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. |
V/. Hebr. 12, 2. Aspiciéntes in auctórem fídei et consummatórem Iesum, qui propósito sibi gáudio sustínuit Crucem, confusióne contémpta, atque in déxtera sedis Dei sedet. | V/. Les yeux fixés sur l’auteur et le consommateur de la foi, Jésus, qui, au lieu de la joie qu’il avait devant lui, a souffert la croix, méprisant l’ignominie, et s’est assis à la droite du trône de Dieu. |
+ Sequéntia sancti Evangélii secundum Lucam. | Lecture du Saint Evangile selon saint Luc. |
Luc. 10, 1-9. | |
In illo témpore : Designávit Dóminus et álios septuagínta duos : et misit illos binos ante fáciem suam in omnem civitátem et locum, quo erat ipse ventúrus. Et dicebat illis : Messis quidem multa, operárii autem pauci. Rogáte ergo Dóminum messis, ut mittat operários in messem suam. Ite : ecce, ego mitto vos sicut agnos inter lupos. Nolíte portare sǽculum neque peram neque calceaménta ; et néminem per viam salutavéritis. In quamcúmque domum intravéritis, primum dícite : Pax huic dómui : et si ibi fúerit fílius pacis, requiéscet super illum pax vestra : sin autem, ad vos revertétur. In eádem autem domo manéte, edéntes et bibéntes quæ apud illos sunt : dignus est enim operárius mercede sua. Nolíte transíre de domo in domum. Et in quamcúmque civitátem intravéritis, et suscéperint vos, manducáte quæ apponúntur vobis : et curáte infírmos, qui in illa sunt, et dícite illis : Appropinquávit in vos regnum Dei. | En ce temps-là : le Seigneur désigna encore soixante-dix autres disciples, et il les envoya devant lui, deux à deux, en toute ville et endroit où lui-même devait aller. Il leur disait : La moisson est grande, mais les ouvriers sont en petit nombre. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Allez : voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni besace, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : "Paix à cette maison !" Et s’il y a là un fils de paix, votre paix reposera sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant de ce qu’il y aura chez eux, car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Et en quelque ville que vous entriez et qu’on vous reçoive, mangez ce qui vous sera servi ; guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : "Le royaume de Dieu est proche de vous." |
Ant. ad Offertorium. Ephes. 5, 2. | Offertoire |
Ambuláte in dilectióne, sicut et Christus diléxit nos, et trádidit semetípsum pro nobis oblatiónem et hóstiam Deo in odórem suavitátis. (T.P. Allelúia.) | Marchez dans l’amour, comme le Christ, qui nous a aussi aimés, et qui s’est livré lui-même pour nous à Dieu, comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur. (T.P. Alléluia.) |
Secreta | Secrète |
Cæléstem nobis, Dómine, prǽbeant mystéria hæc passiónis et mortis tuæ fervórem : quo sanctus Paulus, ea offeréndo, corpus suum hóstiam vivéntem, sanctam tibíque placéntem exhíbuit : Qui vivis et regnas. | Que ces mystères de votre passion et de votre mort nous procure la ferveur céleste, Seigneur : ferveur avec laquelle saint Paul, en les offrant, fit de son propre corps une hostie vivante, sainte et agréable à vos yeux. |
Ant. ad Communionem. 1. Petri 4, 13. | Communion |
Communicántes Christi passiónibus gaudéte, ut in revelatióne glóriæ eius gaudeátis exsultántes. (T.P. Allelúia.) | Parce que vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lorsque Sa gloire sera manifestée, vous soyez aussi dans la joie et l’allégresse. (T.P. Alléluia.) |
Postcommunio | Postcommunion |
Súmpsimus, Dómine, divínum sacraméntum, imménsæ caritátis tuæ memoriále perpétuum : tríbue, quǽsumus ; ut, sancti Pauli méritis et imitatióne, aquam de fóntibus tuis hauriámus in vitam ætérnam saliéntem, et tuam sacratíssimam passiónem córdibus nostris impréssam móribus et vita teneámus : Qui vivis. | Nous avons reçu, Seigneur, le sacrement divin, mémorial perpétuel de votre immense charité : accordez-nous, nous vous en prions ; que par les mérites et à l’imitation de saint Paul, nous puisions à votre source l’eau jaillissant dans la vie éternelle, et que nous gardions votre très sainte passion imprimée dans nos cœurs par nos mœurs et notre vie. |
Leçons des Matines avant 1960
Quatrième leçon. Paul de la Croix, originaire d’une noble famille de Castellazzo, près d’Alexandrie, naquit à Uvada en Ligurie. La clarté merveilleuse qui remplit la chambre de sa mère dans la nuit de sa naissance, et l’insigne bienfait de l’auguste Reine du ciel qui le retira sain et sauf, dans son enfance, d’un fleuve où il était tombé et où sa perte semblait certaine, firent connaître quel serait dans l’avenir l’éclat de sa sainteté. Dès qu’il eut l’usage de la raison, brûlant d’amour pour Jésus-Christ crucifié, il commença à s’adonner longuement à la contemplation des souffrances du Sauveur, et à soumettre sa chair innocente par des veilles, des disciplines, des jeûnes et d’autres dures pénitences, ne buvant le vendredi que du vinaigre mélangé de fiel. Enflammé du désir du martyre, il se joignit à l’armée qui s’assemblait à Venise pour combattre les Turcs ; mais ayant connu dans la prière la volonté de Dieu, il laissa aussitôt les armes, car il devait consacrer ses soins à former une milice plus excellente, qui travaillerait de toutes ses forces à défendre l’Église, et à procurer aux hommes le salut éternel. De retour dans sa patrie, il refusa une alliance très honorable et l’héritage d’un oncle qui lui étaient offerts. Il voulut entrer dans la voie étroite, et être revêtu par son Évêque d’une tunique grossière. Alors, sur l’ordre de ce Prélat, que frappaient l’éminente sainteté de sa vie et sa science des choses divines, il se mit, bien qu’il ne fût pas encore clerc, à cultiver le champ du Seigneur par la prédication de la parole de Dieu, au grand profit des âmes.
Cinquième leçon. Paul se rendit à Rome, où il se pénétra de la science théologique ; le souverain Pontife Benoît XIII l’éleva au sacerdoce, dignité qu’il reçut par obéissance. Ayant obtenu du même Pontife la permission de réunir des compagnons, il se retira dans la solitude du mont Argentaro, que la bienheureuse Vierge lui avait désignée depuis longtemps déjà, lui montrant en même temps un habit de couleur noire, orné des insignes de la passion de son Fils. Ce fut en ce lieu qu’il jeta les fondements de la nouvelle congrégation, prodiguant pour elle ses travaux et ses peines. Il vit bientôt des hommes d’élite grossir ses rangs, et, avec la bénédiction divine, elle prit un grand développement ; elle fut confirmée plus d’une fois par le siège apostolique, avec les règles que le Saint avait reçues de Dieu dans la prière, et le quatrième vœu de propager le souvenir béni de la passion du Seigneur. Il institua aussi des religieuses consacrées à méditer l’excès d’amour de l’Époux divin. Parmi tous ces soins, Paul ne cessait de prêcher l’Évangile avec un zèle avide du salut des âmes ; il amena dans la voie du salut un nombre d’hommes presque incalculable, parmi lesquels plusieurs grands scélérats et des hérésiarques. La puissance de sa parole était merveilleuse, surtout lorsqu’il faisait le récit de la passion du Christ ; versant lui-même une grande abondance de larmes et arrachant aussi des pleurs aux assistants, il brisait les cœurs endurcis des pécheurs, et les portait à la pénitence.
Sixième leçon. Une vive flamme d’amour divin avait fait son foyer dans sa poitrine, au point que la partie de son vêtement la plus voisine du cœur parut souvent comme brûlée par le feu, et que deux de ses côtes se soulevèrent. Il ne pouvait arrêter ses larmes quand il offrait le saint Sacrifice ; on le voyait fréquemment en extase, parfois le corps élevé de terre et le visage rayonnant d’une lumière surnaturelle. Pendant qu’il prêchait, il arriva qu’on entendît une voix du ciel lui suggérant ses paroles, ou encore que son sermon retentissait à plusieurs milles de distance. Il brilla par le don de prophétie, le don des langues, celui de pénétration des cœurs, comme aussi par son pouvoir sur les démons, les maladies et les éléments. Tandis qu’il était l’objet de l’affection et de la vénération des souverains Pontifes eux-mêmes, il se jugeait un serviteur inutile, le plus misérable des pécheurs, digne d’être foulé aux pieds par les démons. Enfin, ayant persévéré avec une fidélité inviolable, jusqu’à une extrême vieillesse, dans son genre de vie très austère, il donna à ses disciples d’admirables avis, comme pour leur transmettre son esprit en héritage ; réconforté par les sacrements de l’Église et par une vision céleste, il passa de la terre au ciel, à Rome, l’an mil sept cent soixante-quinze, au jour qu’il avait prédit. Le souverain Pontife Pie IX l’a inscrit au nombre des Bienheureux, puis parmi les Saints, à cause des nouveaux et éclatants miracles dus à son intercession
Resplendissant du signe sacré de la Passion, Paul de la Croix fait aujourd’hui cortège au vainqueur de la mort. « Il fallait que le Christ souffrît, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire [1]. » Il faut que le Chrétien, membre du Christ, suive son Chef à la souffrance, pour raccompagner au triomphe. Paul, dès son enfance, a sondé l’ineffable mystère des souffrances d’un Dieu ; il s’est épris pour la Croix d’un immense amour, il s’est élancé à pas de géant dans cette voie royale ; et c’est ainsi qu’à la suite du Chef il a traversé le torrent, et qu’enseveli avec lui dans la mort, il est devenu participant des gloires de sa Résurrection [2].
La diminution des vérités par les enfants des hommes semblait avoir tari la source des Saints [3], quand l’Italie, toujours féconde dans sa foi toujours vive, donna naissance au héros chrétien qui devait projeter sur la froide nuit du XVIIIe siècle le rayonnement de la sainteté d’un autre âge. Dieu ne manque jamais à son Église. Au siècle de révolte et de sensualisme qui couvre du nom de philosophie ses tristes aberrations, il opposera la Croix de son Fils. Rappelant par son nom et ses œuvres le grand Apôtre des Gentils, un nouveau Paul surgira de cette génération enivrée de mensonge et d’orgueil, pour qui la Croix est redevenue scandale et folie. Faible, pauvre, méconnu longtemps, seul contre tous, mais le cœur débordant d’abnégation, de dévouement et d’amour, il ira, cet apôtre, avec la prétention de confondre, lui aussi, la sagesse des sages et la prudence des prudents ; dans la grossièreté d’un habit étrange pour la mollesse du siècle, nu-pieds, la tête couronnée d’épines, les épaules chargées d’une lourde croix, il parcourra les villes, il se présentera devant les puissants et les faibles, estimant ne savoir autre chose que Jésus et Jésus crucifié. Et la Croix dans ses mains, fécondant son zèle, apparaîtra comme la force et la sagesse de Dieu [4]. Qu’ils triomphent, ceux qui prétendent avoir banni le miracle de l’histoire et le surnaturel de la vie des peuples ; ils ne savent pas qu’à cette heure même, d’étonnants prodiges, des miracles sans nombre, soumettent des populations entières à la voix de cet homme, qui, par la destruction complète du péché dans sa personne, a reconquis le primitif empire d’Adam sur la nature et semble jouir déjà, dans sa chair mortelle, des qualités des corps ressuscites.
Mais l’apostolat de la Croix ne doit pas finir avec Paul. A la vieillesse d’un monde décrépit ne suffisent plus les ressources anciennes. Nous sommes loin des temps où la délicatesse exquise du sentiment chrétien était surabondamment touchée par le spectacle de la Croix sous les fleurs, telle que la peignait aux Catacombes un suave et respectueux amour. L’humanité a besoin qu’à ses sens émoussés par tant d’émotions malsaines, quelqu’un soit maintenant chargé d’offrir sans cesse, comme réactif suprême, les larmes, le sang, les plaies béantes du divin Rédempteur. Paul de la Croix a reçu d’en haut la mission de répondre à ce besoin des derniers temps ; au prix d’indicibles souffrances, il devient le père d’une nouvelle famille religieuse qui ajoute aux trois vœux ordinaires celui de propager la dévotion à la Passion du Sauveur, et dont chaque membre en porte ostensiblement le signe sacré sur la poitrine.
N’oublions pas toutefois qu’elle-même la Passion du Sauveur n’est que la préparation pour l’âme chrétienne au grand mystère delà Pique, terme radieux des manifestations du Verbe, but suprême des élus, sans l’intelligence et l’amour duquel la piété reste incomplète et découronnée. L’Esprit-Saint, qui conduit l’Église dans l’admirable progression de son Année liturgique, n’a pas d’autre direction pour les âmes qui s’abandonnent pleinement à la divine liberté de son action sanctificatrice. Du sommet sanglant du Calvaire où il voudrait clouer tout son être, Paul de la Croix est emporté maintes fois dans les hauteurs divines où il entend ces paroles mystérieuses qu’une bouche humaine ne saurait dire [5] ; il assiste au triomphe de ce Fils de l’homme qui, après avoir vécu de la vie mortelle et passé par la mort, vit aujourd’hui dans les siècles des siècles [6] ; il voit sur le trône de Dieu l’Agneau immolé, devenu le foyer des splendeurs des cieux [7] ; et de cette vue sublime des célestes réalités il rapporte sur terre l’enthousiasme divin, l’enivrement d’amour qui, au milieu des plus effrayantes austérités, donne à toute sa personne un charme incomparable. « Ne craignez pas, dit-il à ses enfants terrifiés par les attaques furieuses des démons ; n’ayez pas peur, et dites bien haut : Alléluia ! Le diable a peur de l’Alléluia ; c’est une parole venue du Paradis. » Au spectacle de la nature renaissant avec son Seigneur en ces jours du printemps, au chant harmonieux des oiseaux célébrant sa victoire, à la vue des rieurs naissant sous les pas du divin Ressuscité, il n’y tient plus ; suffoquant de poésie et d’amour, et ne pouvant modérer ses transports, il gourmande les fleurs, il les touche de son bâton, en disant : « Taisez-vous ! Taisez-vous ! » — « A qui appartiennent ces campagnes ? dit-il un jour à son compagnon de route... A qui appartiennent ces campagnes ? Vous dis-je. Ah ! Vous ne comprenez pas ?... Elles appartiennent à notre grand Dieu ! » Et, transporté d’amour, raconte son biographe, il vole en l’air jusqu’à une certaine distance. « Mes frères, aimez Dieu ! répète-t-il à tous ceux qu’il rencontre, aimez Dieu qui mérite tant d’être aime ! N’entendez-vous pas les feuilles mêmes des arbres qui vous disent d’aimer Dieu ? O amour de Dieu ! ô amour de Dieu ! »
Nous nous laissons aller aux charmes d’une sainteté si suave et si forte à la fois ; attrait divin que n’inspirèrent jamais les disciples d’une spiritualité faussée, trop en vogue dans le dernier siècle auprès des meilleurs. Sous prétexte de dompter la nature mauvaise et d’éviter des écarts possibles, on vit les nouveaux docteurs, alliés inconscients du jansénisme, enserrer l’âme dans les liens d’une régularité contrainte, abattre son essor, la discipliner, la refaire à leur façon dans un moule uniforme, et, par des règles savamment déduites, déterminer avec précision les contours de la sphère où tous enfin marcheraient d’un pas égal, et, sous une direction logique, atteindraient sûrement la perfection de la sainteté. Mais c’est le divin Esprit, l’Esprit de sainteté qui seul fait les Saints, et cet Esprit d’amour est libre par essence. Il s’accommode peu du moule et des méthodes humaines : il souffle où il veut et quand il veut ; mais on ne sait d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de celui qui est né de l’Esprit, nous dit le Seigneur [8]. L’Esprit a élu Paul dès sa première enfance ; il le saisit dans toute l’expansion de sa riche nature, ne détruit rien, sanctifie tout, et par la grâce décuplant son essor, il le produit sur les modèles antiques, toujours ardent, toujours aimable, et saint plus que personne, en face des chétifs produits d’une école dont les procédés corrects ont pour résultat le plus ordinaire d’user péniblement l’âme sur elle-même, dans les stériles efforts d’une ascèse impuissante.
Vous n’avez eu qu’une pensée, ô Paul : retiré dans les trous de la pierre [9], qui sont les plaies sacrées du Sauveur, vous eussiez voulu amener tous les hommes à ces sources divines où s’abreuve le vrai peuple élu dans le désert de la vie [10]. Heureux ceux qui purent entendre votre parole toujours victorieuse, et la mettant à profit, se sauver par la Croix du milieu d’une génération perverse ! Mais en dépit de votre zèle d’apôtre, elle ne pouvait, cette parole, retentir à la fois sur tous les rivages ; et là où vous n’étiez pas, le mal débordait sur le monde. Préparé de longue main par la fausse science et la fausse piété, la défiance contre Rome et la corruption des grands, le siècle où devait sombrer la vieille société chrétienne s’abandonnait aux docteurs de mensonge, et avançait toujours plus vers son terme fatal. Votre œil, éclairé d’en haut, pénétrait l’avenir et voyait le gouffre où, pris de vertige, peuples et rois s’abîmaient ensemble. Battu par la tempête, le successeur de Pierre, le pilote du monde, impuissant à prévenir l’orage, cherchait par quels efforts, au prix de quel sacrifice il contiendrait au moins un temps les flots déchaînés. O vous, l’ami des Pontifes et leur soutien dans ces tristes jours, témoin et confident des amertumes du Christ en son vicaire, de quelles angoisses suprêmes votre cœur n’eut-il pas le mortel secret ? Et quelles n’étaient pas vos pensées, en léguant, près de mourir, l’image vénérée de la Vierge des douleurs à celui des Pontifes qui devait boire jusqu’à la lie le calice d’amertume et mourir captif dans une terre étrangère ? Vous promîtes alors de reporter sur l’Église, du haut du ciel, cette compassion tendre et effective qui vous identifiait sur la terre à son Époux souffrant. Tenez votre promesse, ô Paul de la Croix ! En ce siècle de désagrégation sociale, qui n’a pas su réparer les crimes du précédent, ni s’instruire aux leçons du malheur, voyez l’Église opprimée de toutes parts, la force aux mains des persécuteurs, le vicaire du Christ prisonnier dans son palais, vivant d’aumônes. L’Épouse n’a d’autre lit que la croix de l’Époux ; elle vit du souvenir de ses souffrances. L’Esprit-Saint qui la garde et la prépare à l’appel suprême, vous a suscité, ô Paul, pour raviver sans cesse désormais ce souvenir qui doit la fortifier dans les angoisses des derniers jours.
Vos enfants continuent votre œuvre ici-bas ; répandus par le monde, ils gardent fidèlement l’esprit de leur père. Ils ont pris pied sur le sol d’Angleterre où les voyait d’avance votre esprit prophétique ; et ce royaume pour lequel vous avez tant prié se dégage peu à peu, sous leur douce influence, des liens du schisme et de l’hérésie. Bénissez leur apostolat ; qu’ils croissent et se multiplient dans la proportion toujours croissante des besoins de ces temps malheureux ; que jamais leur zèle ne fasse défaut à l’Église, la sainteté de leur vie à la gloire de leur père.
Pour vous, ô Paul, fidèle au divin Crucifié dans ses abaissements, vous l’avez trouvé fidèle aussi dans sa Résurrection triomphante ; caché dans les enfoncements du rocher mystérieux au temps de son obscurité volontaire, quelle splendeur est la vôtre, aujourd’hui que du sommet des collines éternelles, cette pierre divine, qui est le Christ, illumine de ses rayons vainqueurs la terre entière et l’étendue des cieux [11] ! Éclairez-nous, protégez-nous du sein de cette gloire. Nous rendons grâces à Dieu pour vos triomphes. Faites en retour que nous aussi soyons fidèles à l’étendard de la Croix, afin de resplendir comme vous dans sa lumière, quand paraîtra au ciel ce signe du Fils de l’homme, au jour où il viendra juger les nations [12]. Apôtre de la Croix, initiez-nous en ces jours au mystère de la Pâque si intimement uni au mystère sanglant du Calvaire : celui-là seul comprend la victoire qui fut au combat ; seul il partage le triomphe.
Cet apôtre des temps modernes, puissant en œuvres et en paroles, et qui renouvela dans ses prédications les prodiges des premières années de l’Église, passa au Seigneur le 18 octobre 1775, et fut enseveli dans le Titre de Pammachius où, aujourd’hui, l’on célèbre sa fête solennelle. Toutefois comme le 18 octobre est consacré à saint Luc, Pie IX décréta que la mémoire de saint Paul de la Croix serait célébrée dans toute l’Église à la date du 28 avril. C’était en 1869, époque où la tradition liturgique romaine était peu étudiée, et, dans la pratique, était négligée. Et c’est ainsi que la messe de saint Vital, que portent tous les anciens documents, et qui appartient vraiment au fond liturgique traditionnel de la Ville éternelle, disparut ; on ne conserva que sa commémoraison.
La messe de saint Paul, considérée sous le rapport de sa composition, a tous les mérites et tous les défauts des messes modernes. Son rédacteur n’a tenu aucun compte du caractère musical et psalmodique des antiennes et des répons de l’introït, de l’offertoire, etc., toutes choses qu’il ignorait probablement. Il a donc glané tout simplement, dans les épîtres de saint Paul et de saint Pierre, des textes relatifs à Jésus Crucifié, et il les a habilement disposés, à la manière d’une mosaïque, dans sa composition. C’est ainsi que dans le graduel on va de la lettre aux fidèles de Galatie à celle aux Corinthiens, de celle-ci à la secunda Petri ; dans le Trait, on va de Pierre aux Corinthiens, puis aux Hébreux, oubliant totalement qu’il s’agit de parties liturgiques rythmiques et musicales de leur nature. En compensation, la composition respire l’amour et excite à la dévotion envers la Passion du Sauveur.
Introït : Jésus-Christ ne veut pas être seul : il est venu au monde pour nous, et tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour notre bien. Jésus désire donc revivre en nous, et y continuer le mystère de son incarnation, de sa passion et de sa mort. C’est en ce sens que l’Apôtre vivait dans le Christ, et en Lui se disait même cloué à la Croix.
Le texte de la première lecture est presque identique à celui de la messe de saint Justin et est peut-être mieux adapté encore. La congrégation religieuse fondée par saint Paul de la Croix ne s’adonne pas aux œuvres paroissiales, aux écoles ni aux instituts d’éducation, mais ses membres vont de préférence prêcher des missions dans les campagnes et dans les pauvres bourgades, annonçant Jésus Crucifié aux pécheurs. Il faut noter que les Passionnistes, en plus des vœux religieux habituels, émettent dans leur profession celui de propager parmi les fidèles la dévotion à la Passion du Sauveur.
La lecture de l’Évangile est empruntée à la fête de saint Marc. Comment ne pas s’émouvoir au souvenir de ce nouvel apôtre du Crucifié au XVIIIe siècle, qui le prêchait parmi les plus dures pénitences et voyageait toujours nu-pieds. Il arriva parfois qu’en pleine forêt les brigands eux-mêmes, attendris, étendirent leurs manteaux au passage de saint Paul de la Croix, pour que ses pieds ne fussent pas blessés par les épines.
La vie active de l’Église provient de sa vie de prière et de contemplation ; c’est donc une illusion pernicieuse que de croire qu’on peut illuminer les autres si d’abord on ne brûle pas soi-même de la flamme du saint amour. Saint Paul de la Croix et saint Léonard de Port-Maurice furent en Italie les deux plus grands restaurateurs de la vie apostolique au XVIIIe siècle ; mais l’un et l’autre comprirent que, pour produire des apôtres et des missionnaires, la retraite, la solitude, le recueillement de l’esprit, la rigide pauvreté, l’austère pénitence sont nécessaires ; aussi saint Paul institua la Congrégation des Passionnistes loin des bruits des villes et dans les rochers solitaires du Mont Argentaro. Quant à saint Léonard, il fut le promoteur, au sein de la famille séraphique, d’une réforme particulière, adoptée par les Couvents dits de retraite, et qui contribua grandement à maintenir vivant chez les Mineurs l’idéal franciscain primitif.
Avec le Christ, je suis attaché à la Croix (Introït).
Saint Paul. — Jour de mort : 18 octobre 1775. Tombeau : à Rome, dans l’Église de Saint-Jean et Saint-Paul, sur les flancs du Cœlius. Image : On le représente comme Passioniste, avec les instruments de la Passion. Vie : Le saint naquit en Italie (en 1693). Il eut dès sa jeunesse une grande dévotion pour le Sauveur crucifié, dont il fit l’objet de ses longues et fréquentes méditations. Il mortifiait son corps indocile par les veilles, la discipline et le jeûne. Chaque vendredi, il prenait comme boisson un mélange de vinaigre et de fiel. Dans son désir du martyre, il voulut se joindre à l’expédition que les Vénitiens entreprenaient contre les Turcs. Il reconnut cependant que telle n’était pas la volonté de Dieu. Il renonça aux armes pour se consacrer de toute son âme à un autre combat pour la défense de l’Église et le salut des âmes. Ordonné prêtre, il fonda la congrégation des « Passionistes », dont le but était la méditation de la Passion et la conversion des pécheurs par des sermons de pénitence sur la Passion du Seigneur. Il avait un grand zèle des âmes et ses sermons eurent beaucoup de succès. Il mourut dans un âge avancé, le 18 octobre 1775. Son corps repose dans l’église de Saint-Jean et Saint-Paul, sur les flancs du Cœlius. Cette église est encore celle de la curie généralice de l’Ordre. Cet Ordre a connu une grande diffusion et fait beaucoup de bien.
Pratique : Quand saint Paul de la Croix célébrait la messe, il ne pouvait s’empêcher de verser des larmes d’amour compatissant. Lui aussi nous enseigne cette grande vérité que c’est par la liturgie qu’on rend à la Passion du Christ le culte le plus grand et le plus continuel. Chaque chrétien doit traduire dans sa vie son amour pour le Crucifié.
La messe (Christo confixus). — La messe est composée spécialement en considération de la vie du saint ; c’est une louange de la mystique dont le Christ est le centre, une louange de l’amour de la Croix. La messe commence par les célèbres paroles de saint Paul : « Avec le Christ je suis attaché à la croix ; je vis, mais ce n’est plus « moi » qui vis, c’est le Christ qui vit en moi... ». Le verset du psaume chante le zèle du saint pour les âmes. Ces deux pensées, amour de la Croix et zèle des âmes, sont aussi exprimées dans l’Épître : « Si nous souffrons avec lui, nous serons glorifiés avec lui » (Allel.). Dans l’Évangile, nous voyons dans le saint un successeur des 72 disciples que le Seigneur envoie dans la pauvreté et en leur recommandant de limiter leurs besoins. Les chants choisis pour les deux processions eucharistiques sont d’une grande beauté. A l’Offertoire, nous entrons dans la mort du Seigneur qui s’est livré pour nous comme oblation et hostie. A la Communion, nous prenons part (Communicantes — Communion) à la Passion du Christ et, par avance, à la glorification.
[1] Luc. XXIV, 26.
[2] Rom. VI, 3-5.
[3] Psalm. XI, 2.
[4] I Cor. I, 11.
[5] II Cor. XII, 4.
[6] Apoc. I, 18.
[7] Ibid. XXI, 23.
[8] Johan. III, 8.
[9] Cant. II, 14.
[10] I Cor. X, 4.
[11] Psalm. LXXV, 5.
[12] Matth. XXIV, 30.