Antienne |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique |
Dom Adrien Nocent, Contempler sa Gloire |
Introduction générale aux Antiennes O et commentaires de la 1ère antienne.
Les autres antiennes : | O Adonai, 18/12
O Radix Iesse, 19/12 O clavis David, 20/12 O Oriens, 21/12 O Rex Gentium, 22/12 O Emmanuel, 23/12 |
Le 17 Décembre. Ant. au Magnificat
O Sapiéntia, * quæ ex ore Altíssimi prodiísti, attíngens a fine usque ad finem, fórtiter suavitérque dispónens ómnia : veni ad docéndum nos viam prudéntiæ. Pour écouter l’antienne, cliquer sur l’image | O Sagesse, * qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut [1], atteignant d’une extrémité à une autre extrémité, et disposant toutes choses avec force et douceur [2] : venez pour nous enseigner la voie de la prudence. [3] |
Introduction
L’Église ouvre aujourd’hui la série septénaire des jours qui précèdent la Vigile de Noël, et qui sont célèbres dans la Liturgie sous le nom de Féries majeures. L’Office ordinaire de l’Avent prend plus de solennité ; les Antiennes des Psaumes, à Laudes et aux Heures du jour, sont propres au temps et ont un rapport direct avec le grand Avènement. Tous les jours, à Vêpres, on chante une Antienne solennelle qui est un cri vers le Messie, et dans laquelle on lui donne chaque jour quelqu’un des titres qui lui sont attribués dans l’Écriture.
Le nombre de ces Antiennes, qu’on appelle vulgairement les O de l’Avent, parce qu’elles commencent toutes par celte exclamation, est de sept dans l’Église romaine, une pour chacune des sept Féries majeures, et elles s’adressent toutes à Jésus-Christ. D’autres Églises, au moyen âge, en ajoutèrent deux autres : une à la Sainte Vierge, O Virgo Virginum ! et une à l’Ange Gabriel, O Gabriel ! ou encore à saint Thomas, dont la fête tombe dans le cours des Fériés majeures. Cette dernière commence ainsi : O Thomas Didyme [4] !
Il y eut même des Églises qui portèrent jusqu’à douze le nombre des grandes Antiennes, en ajoutant aux neuf dont nous venons de parler, trois autres, savoir : une au Christ, O Rex pacifice ! une seconde à la Sainte Vierge, O mundi Domina ! et enfin une dernière en manière d’apostrophe à Jérusalem, O Hierusalem !
L’instant choisi pour faire entendre ce sublime appel à la charité du Fils de Dieu, est l’heure des Vêpres, parce que c’est sur le Soir du monde, vergente mundi vespere, que le Messie est venu. On les chante à Magnificat, pour marquer que le Sauveur que nous attendons nous viendra par Marie. On les chante deux fois, avant et après le Cantique, comme dans les fêtes Doubles, en signe de plus grande solennité ; et même l’usage antique de plusieurs Églises était de les chanter trois fois, savoir : avant le Cantique lui-même, avant Gloria Patri, et après Sicut erat. Enfin, ces admirables Antiennes, qui contiennent toute la moelle de la Liturgie de l’Avent, sont ornées d’un chant plein de gravité et de mélodie ; et les diverses Églises ont retenu l’usage de les accompagner d’une pompe toute particulière, dont les démonstrations toujours expressives varient suivant les lieux. Entrons dans l’esprit de l’Église et recueillons-nous, afin de nous unir, dans toute la plénitude de notre cœur, à la sainte Église, lorsqu’elle fait entendre à son Époux ces dernières et tendres invitations, auxquelles il se rend enfin.
Première Antienne
O Sagesse incréée qui bientôt allez vous rendre visible au monde, qu’il apparaît bien en ce moment que vous disposez toutes choses ! Voici que, par votre divine permission, vient d’émaner un Édit de l’empereur Auguste pour opérer le dénombrement de l’univers. Chacun des citoyens de l’Empire doit se faire enregistrer dans sa ville d’origine. Le prince croit dans son orgueil avoir ébranlé à son profit l’espèce humaine tout entière. Les hommes s’agitent par millions sur le globe, et traversent en tous sens l’immense monde romain ; ils pensent obéir à un homme, et c’est à Dieu qu’ils obéissent. Toute cette grande agitation n’a qu’un but : c’est d’amener à Bethléhem un homme et une femme qui ont leur humble demeure dans Nazareth de Galilée ; afin que cette femme inconnue des hommes et chérie du ciel, étant arrivée au terme du neuvième mois depuis la conception de son fils, enfante à Bethléhem ce fils dont le Prophète a dit : « Sa sortie est dès les jours de l’éternité ; ô Bethléhem ! tu n’es pas la moindre entre les mille cités de Jacob ; car il sortira aussi de toi. » O Sagesse divine ! Que vous êtes forte, pour arriver ainsi à vos fins d’une manière invincible quoique cachée aux hommes ! Que vous êtes douce, pour ne faire néanmoins aucune violence à leur liberté ! Mais aussi, que vous êtes paternelle dans votre prévoyance pour nos besoins ! Vous choisissez Bethléhem pour y naître, parce que Bethléhem signifie la Maison du Pain. Vous nous montrez par là que vous voulez être notre Pain, notre nourriture, notre aliment de vie. Nourris d’un Dieu, nous ne mourrons plus désormais. O Sagesse du Père, Pain vivant descendu du ciel, venez bientôt en nous, afin que nous approchions de vous, et que nous soyons illuminés de votre éclat ; et donnez-nous cette prudence qui conduit au salut.
PRIÈRE POUR LE TEMPS DE L’AVENT. (Bréviaire Mozarabe, IVe Dimanche de l’Avent, Oraison.)
O Christ, Fils de Dieu, né d’une Vierge en ce monde, vous qui ébranlez les royaumes par la terreur de votre Nativité, et contraignez les rois à l’admiration : donnez-nous votre crainte qui est le commencement de la sagesse ; afin que nous y puissions fructifier et vous présenter en hommage un fruit de paix. Vous qui, pour appeler les nations, êtes arrivé avec la rapidité d’un fleuve, venant naître sur la terre pour la conversion des pécheurs, montrez-nous le don de votre grâce, afin que toute frayeur étant bannie, nous vous suivions toujours dans le chaste amour d’une intime charité. Amen.
O sagesse, tu ordonnes toutes choses avec force et suavité.
Les antiennes O. — Les sept derniers jours avant Noël sont marqués par des antiennes particulières appelées antiennes O. Ce sont des antiennes de Magnificat qui commencent toutes par l’apostrophe O, d’où leur nom. Elles n’ont pas seulement la même mélodie, mais sont construites sur le même plan :
1) On invoque le Seigneur qui va venir, tantôt en le désignant par un symbole, tantôt par un titre, par exemple : O sagesse, ô Racine de Jessé.
2) Ce symbole ou ce titre est ensuite développé dans une phrase relative.
3) Le point culminant de la phrase est la supplication instante : veni, viens, qui est suivie de la demande de Rédemption. Ces antiennes majestueuses qui sont chantées selon le rite double (en entier même avant le Magnificat) sont comme le résumé de toutes les prophéties sur le Sauveur. La mélodie de ces chants respire l’admiration et le désir ardent. On y entend l’ardente imploration de l’Ancien Testament et du monde païen vers le Rédempteur, elles sont le « Rorate cæli » de l’humanité. Il y a dans ces sept chants une progression de pensée. Nous voyons d’abord le Fils de Dieu dans sa vie éternelle, avant les temps (1), puis dans l’Ancienne Alliance (2-4), ensuite dans la nature (5), enfin nous le voyons comme Rédempteur des païens (6), comme « Dieu avec nous » (7).
La solennité particulière de ces antiennes résulte des prescriptions de l’Église qui veut qu’elles soient chantées entièrement avant et après Magnificat (ce qui n’a lieu d’ordinaire que pour les fêtes doubles et ne se fait pas aux féries et aux dimanches). Dans les abbayes qui ont l’Office choral solennel, des usages particuliers accompagnent le chant des antiennes O. La première est entonnée par l’Abbé, au trône, en habits pontificaux, pendant que l’on sonne la grosse cloche. La cloche continue de sonner pendant tout le Magnificat chanté sur le mode le plus solennel. Les autres antiennes sont entonnées successivement par les plus dignes après l’abbé, revêtus de la chape et debout au milieu du chœur, devant le grand pupitre. Les fidèles pourraient, pendant ces sept jours, unir chaque soir le chant de ces antiennes à celui du Magnificat. On pourrait même, d’après les usages de l’ancienne Église, intercaler l’antienne entre chaque verset du Magnificat.
La première antienne
C’est la vie du Fils de Dieu avant les temps et sa manifestation dans la création. La création est une image du royaume de la grâce dans lequel le Sauveur « dirige nos âmes avec force et suavité. »
Les antiennes O.
Malgré un retour aux psaumes, la génération présente des chrétiens ne prend plus part, sauf rares exceptions, à la célébration des vêpres. La langue latine, qui lui est incompréhensible et embarrasse sa prière, y est pour quelque chose [5]. Mais d’autres motifs creusent un fossé entre la vie courante et la vie religieuse. Le monde a bouleversé ses propres traditions et a fait place à des exigences nouvelles sans cesse accrues. La vie ecclésiastique et religieuse garde ses formes traditionnelles, sa langue, ses usages, ses heures de prière et ne les remanie qu’avec prudence. A cet égard, la messe du soir montre une voie qui permet de combler l’écart entre les obligations impérieuses du monde contemporain et celles qui devraient être non moins impérieuses de la vie chrétienne. Quoi qu’il en soit, il ne reste plus guère que les cathédrales et les monastères où le chant des grandes antiennes ait gardé un certain degré de solennité. Mais la grande majorité des fidèles ignore, comme elle ignore la composition des vêpres, ce que sont ces antiennes O. Nous sommes fort loin du temps où, comme le rapporte un moine liégeois, Reiner, les fidèles allaient en foule, ces jours-là, assister aux vêpres et chanter les grandes antiennes [6].
Que sont ces antiennes O ? Les vêpres se terminent par le chant du Magnificat. Ce cantique est, comme les psaumes des vêpres, précédé et suivi d’une antienne. A partir du 17 décembre, cette antienne commence chaque jour, jusqu’au 23 décembre inclus, par l’exclamation admirative « O » : O Sagesse, O Adonaï (Seigneur)... etc. Ces antiennes, au nombre de sept, semblent bien être d’origine romaine ; certains pensent même qu’on pourrait les attribuer à saint Grégoire qui les aurait au moins inspirées [7].
En Allemagne, à Liège et à Paris on avait ajouté deux antiennes aux sept en usage ailleurs. On en trouve même douze. La formule avait paru excellente. Comme toujours, on la reproduit, mais ce n’est pas sans l’appauvrir. Plus tard, d’autres antiennes destinées aux Docteurs de 1’Église ou encore à l’Ascension du Seigneur prendront le même type de composition et la même mélodie : O Doctor optime, O Rex gloriae...
En certaines églises, on chantait les grandes antiennes au cantique final des laudes, le Benedictus, On les répétait même après chaque verset à partir de In sanctitate et iustitia jusqu’au Gloria. Le Benedictus est le cantique de Zacharie ; le rapprochement avec le grand personnage de l’Avent, Jean-Baptiste, a peut-être attiré le chant de ces antiennes en ce moment, d’autant plus que deux d’entre elles O Clavis (O Clef) et O Oriens (O Aurore reprennent les termes des derniers versets du cantique Benedictus.
Peut-on trouver une progression entre ces antiennes ou un enseignement synthétique voulu ? Il ne semble pas qu’il faille appliquer à cette liturgie, non plus qu’à d’autres, nos habitudes didactiques et l’ordre logique si cher, pour nous, depuis Descartes surtout. La liturgie, suivant en cela le génie sémitique et biblique, procède plutôt par coups de pinceaux, insistant tantôt sur un point, tantôt sur un autre, revenant en arrière pour décrire un aspect non encore souligné. Procédé cyclique auquel notre époque semble revenir.
Leur composition est cependant parallèle : appel au Fils de Dieu, énumération de son activité et de ses grâces, et surtout appel insistant pour que Dieu vienne : veni, et que sa venue nous transforme et nous sauve. Les sept antiennes s’inspirent largement de l’Écriture.
Elles évoquent la rédemption ; et ceci est significatif d’une époque où, malgré l’adjonction de nouvelles fêtes qui croissent en importance, par exemple, on se souvient que Pâques reste l’événement central de notre salut.
A travers ces antiennes, nous retrouvons toujours le rappel des deux avènements du Seigneur qui caractérise l’esprit de l’Avent.
On croit voir dans les initiales de ces antiennes, en commençant par la dernière, un acrostiche, réponse du Christ à l’attente de son peuple : Ero cras, « je serai demain », On ne s’étonnera pas de ces constructions recherchées, si peu dans nos goûts actuels. Des cas parallèles ne manquent pas au Moyen Age. Qu’il suffise de citer l’hymne de saint Jean-Baptiste Ut queant lapsis, où chaque début de vers deviendra un nom de note de la gamme, et l’hymne de Sedulius chantée en partie aux laudes de Noël, A solis ortus cardine, dont chaque strophe commence par une lettre de l’alphabet, depuis A jusqu’à Z.
Joyaux de l’Avent, ces antiennes en expriment la théologie. L’incarnation du Fils, la rédemption, la poursuite de notre rachat jusqu’à la fin des temps, telle est cette constante théologie. Elle fait entrevoir que la célébration de l’Avent, comme celle de Noël, se centre sur le Mystère pascal où s’exprime l’œuvre de notre salut dans la mort et la résurrection du Christ.
La première antienne
L’antienne s’adresse au Fils. On se rappelle le Prologue du IVe évangile : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ». Il est Parole sortie de la bouche du Père. Par ailleurs, on le voit créant l’univers. On l’appelle maintenant, et dans ce cri se révèle le double aspect de notre attente : nous avons besoin de sa venue pour qu’il nous apprenne le chemin de la justice ; nous avons besoin encore de sa venue pour parcourir cette route qui doit nous conduire à la fin des temps. Ce « viens » est, au fond, la seule prière valable de l’homme ; elle concentre en elle seule tout son besoin de Dieu. C’est le cri incessant de l’humanité depuis son rejet du Paradis. L’homme se rappelle qu’il a choisi le mal ; comment pourrait-il connaître maintenant le « chemin de la justice » ? Or, dans l’Ancien Testament, justice et jugement forment groupe. Il ne faudrait pas voir en ce mot « justice » un idéal abstrait, mais quelque chose de personnel et de concret : l’état d’innocence de l’homme fidèle à cet idéal impossible à nommer [8]. Isaïe auquel est empruntée cette troisième partie de notre antienne, est peut-être celui des prophètes qui a le mieux vu le rôle du Messie par rapport à la justice. « La fonction essentielle du Messie davidique est, pour Isaïe, d’instaurer la justice [9]. » Il vient dans le royaume de David « pour l’affermir et le consolider dans le droit et dans la justice » (Is, 9, 5-6). Cette justice est conçue très matériellement encore, comme une justice sociale qui bannit les passe-droits, les scandales de la magistrature, etc. Mais cette notion s’enrichit. Car cette vision ne peut se réaliser que dans un climat d’innocence où chacun accomplit ce que Yahvé demande. Or le monde ne peut arriver à ce stade de paix et de perfection sans l’intervention de Yahvé lui-même. Yahvé anéantira le pécheur (Is. 5, 3-15), mais à cet anéantissement succédera un monde nouveau ; Sion aura été lavée de la souillure, les taches de sang dans Jérusalem seront effacées (Is. 4, 3-5). Cette intervention divine qui est jugement, loin d’être seulement condamnation, est en réalité et fondamentalement une reconstruction. Nous nous retrouvons ici dans la ligne de la Parousie. Le Christ doit venir, et nous l’appelons pour qu’il nous mène dans ce chemin de la justice, c’est-à-dire jusqu’au renouveau total du monde au jour du jugement.
[1] Eccli., 24, 3.
[2] Sap. 8, 1.
[3] ou de la justiceIs. 40, 14.
[4] Elle est plus moderne ; mais à partir du XIIIe siècle elle remplaça presque universellement celle : O Gabriel !
[5] Don Adrien Nocent fut un farouche réformiste. Professeur retraité logeant à l’Abbaye St-Anselme à Rome au début des années 1990, il nous disait, à nous jeunes liturgistes qui écoutions quand même avec respect un des « grands » animateurs de la « réforme »®, que celle-ci n’est pas allé assez loin. N. d. W.
[6] Cité par : E. Flicoteaux, Avent, Noël, Épiphanie, p. 73, Paris, Éditions du Cerf, 1951, Coll. L’Esprit liturgique 1.
[7] Callewaert, De groote Adventifonen O - Sacris erudiri, 1940, p. 405. Voir encore l’article, déjà ancien mais toujours intéressant, Les grandes antiennes O, Messager des Fidèles, Maredsous, 1886, pp. 512-516.
[8] J. GUILLET, Thèmes bibliques, pp. 30 et suiv., Paris, Aubier, 1950.
[9] Ibid., pp. 57 et suiv.