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28/08 St Augustin, évêque, confesseur et docteur de l’Eglise

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Baptême d’Augustin par St Ambroise, en présence de Ste Monique

Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses (janvier-février 2008)  

Né en 354, mort en 430. Fête en Gaule depuis le VIème siècle. Attestée à Rome depuis le XIe siècle. Fête double depuis 1298. On commémore aussi aujourd’hui S. Hermès.

On ne s’étonnera pas de ce que l’Ordo du Latran annonce : Sancti patris nostri Augustini festivitas sollemniter et devotissime condigno celebretur honore, car l’Ordre canonial suivait la Règle de saint Augustin. Mais avant les chanoines, ce sont les papes eux-mêmes qui ont implanté le souvenir de saint Augustin dans leur résidence du Latran. En 1900, on a découvert sous la basilique du Sancta Sanctorum une salle de la bibliothèque, le scrinium sanctum contemporain de saint Grégoire le Grand, avec une fresque de 2m 50 de hauteur qui représente Augustin, identifié par l’inscription suivante :

Diversi diversa patres, hic omnia dixit,
romano eloquio mystica verba sonans [1].
Mais ce n’est pas là évidemment le gage d’un culte. Les témoins de la liturgie locale de Rome ignorent la fête d’Augustin jusqu’au XIe siècle. Celle-ci apparaît dans les sacramentaires gélasiano-francs du VIIIe siècle : Gellone, Angoulême, Rheinau ont au 28 août le natale sancti Augustini, tandis que Saint-Gall annonce au 15 septembre une translatio sancti Augustini qu’il est seul à connaître. Tous ont un formulaire identique, dans lequel les trois oraisons sont des réemplois de textes du Grégorien ; seule la préface est propre. Ce sont les mêmes oraisons qu’on trouve dans les livres romains du XIe et du XIIe siècle=, ainsi que dans le missel du Latran.

Bien que le calendrier de Carthage donne le 29 août pour la depositio d’Augustin, la date du 28 est attestée par Prosper d’Aquitaine et Victor de Vite. C’est le jour où la mémoire d’Augustin est inscrite au martyrologe hiéronymien201 et, à sa suite, dans presque tous les calendriers et martyrologes, de Naples et du Mont-Cassin en Espagne, d’Italie en Allemagne, de France en Angleterre. Mais le culte du grand docteur d’Occident ne dépasse pas les frontières du romanum eloquium, il est inconnu de toutes les liturgies orientales » [2].

Textes de la Messe

die 28 augusti
le 28 août
SANCTI AUGUSTINI
SAINT AUGUSTIN
Ep., Conf. et Eccl. Doct.
Évêque, Confesseur et Docteur de l’Église
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Ant. ad Introitum. Eccli. 15, 5.Introït
In médio Ecclésiæ apéruit os eius : et implévit eum Dóminus spíritu sapiéntiæ et intelléctus : stolam glóriæ índuit eum.Au milieu de l’Église, il a ouvert la bouche : et le Seigneur l’a rempli de l’esprit de sagesse et d’intelligence : il l’a revêtu de la robe de gloire.
Ps. 91,2.
Bonum est confitéri Dómino : et psállere nómini tuo, Altíssime.Il est bon de louer le Seigneur : et de chanter votre nom, ô Très-Haut.
V/. Glória Patri.
Oratio.Collecte
Adésto supplicatiónibus nostris, omnípotens Deus : et, quibus fidúciam sperándæ pietátis indúlges, intercedénte beáto Augustíno Confessóre tuo atque Pontífice, consuétae misericórdiæ tríbue benígnus efféctum. Per Dóminum nostrum.Recevez favorablement nos supplications, Dieu tout-puissant : et puisque vous voulez bien nous permettre d’espérer en votre bonté, daignez, grâce à l’intercession du bienheureux Augustin, votre Confesseur et Pontife, nous accorder les effets de votre miséricorde habituelle.
Et fit commemoratio S. Hermetis Mart. :Et on fait mémoire de St Hermès, Martyr :
Oratio.Collecte
Deus, qui beátum Hermétem Mártyrem tuum virtúte constántiæ in passióne roborásti : ex eius nobis imitatióne tríbue ; pro amóre tuo próspera mundi despícere, et nulla eius advérsa formidáre. Per Dóminum.Dieu, vous avez donné à votre Martyr le bienheureux Hermès, le courage et la constance au milieu des supplices : faites qu’à son exemple et pour votre amour, nous méprisions les faveurs du monde, et ne redoutions aucune adversité.
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Timótheum.Lecture de l’Épître de Saint Paul Apôtre à Timothée.
2. Tim. 4, 1-8.
Caríssime : Testíficor coram Deo, et Iesu Christo, qui iudicatúrus est vi vos et mórtuos, per advéntum ipsíus et regnum eius : pr.dica verbum, insta opportúne, importune : árgue, óbsecra, íncrepa in omni patiéntia, et doctrína. Erit enim tempus, cum sanam doctrínam non sustinébunt, sed ad sua desidéria, coacervábunt sibi magistros, pruriéntes áuribus, et a veritáte quidem audítum avértent, ad fábulas autem converténtur. Tu vero vígila, in ómnibus labóra, opus fac Evangelístæ, ministérium tuum ímpie. Sóbrius esto. Ego enim iam delíbor, et tempus resolutiónis meæ instat. Bonum certámen certávi, cursum consummávi, fidem servávi. In réliquo repósita est mihi coróna iustítiæ, quam reddet mihi Dóminus in illa die, iustus iudex : non solum autem mihi, sed et iis, qui díligunt advéntum eius.Mon bien-aimé : je t’adjure, devant Dieu et Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts, par son avènement et par son règne, prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, supplie, menace, en toute patience et toujours en instruisant. Car il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais ils amasseront autour d’eux des docteurs selon leurs désirs ; et éprouvant aux oreilles une vive démangeaison, ils détourneront l’ouïe de la vérité, et ils la tourneront vers des fables. Mais toi, sois vigilant, travaille constamment, fais l’œuvre d’un évangéliste, acquitte-toi pleinement de ton ministère ; sois sobre. Car pour moi, je vais être immolé, et le temps de ma dissolution approche, j’ai combattu le bon combat, j’ai achève ma course, j’ai gardé la foi. Reste la couronne de justice qui m’est réservée, que le Seigneur, le juste juge, me rendra en ce jour-là ; et non seulement à moi, mais aussi à ceux qui aiment son avènement.
Graduale. Ps. 36, 30-31.Graduel
Os iusti meditábitur sapiéntiam, et lingua eius loquétur iudícium.La bouche du juste méditera la sagesse et sa langue proférera l’équité.
V/. Lex Dei eius in corde ipsíus : et non supplantabúntur gressus eius.V/. La loi de son Dieu est dans son cœur : et on ne le renversera point.
Allelúia, allelúia. V/. Ps. 88, 21. Invéni David servum meum, oleo sancto meo unxi eum. Allelúia.Allelúia, allelúia. V/. J’ai trouvé David mon serviteur ; je l’ai oint de mon huile sainte. Alléluia.
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Matthǽum.Suite du Saint Évangile selon saint Mathieu.
Matth. 5, 13-19.
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Vos estis sal terræ. Quod si sal evanúerit, in quo saliétur ? Ad níhilum valet ultra, nisi ut mittátur foras, et conculcétur ab homínibus. Vos estis lux mundi. Non potest cívitas abscóndi supra montem pósita. Neque accéndunt lucérnam, et ponunt eam sub módio, sed super candelábrum, ut lúceat ómnibus qui in domo sunt. Sic lúceat lux vestra coram homínibus, ut vídeant ópera vestra bona, et gloríficent Patrem vestrum, qui in cælis est. Nolíte putáre, quóniam veni sólvere legem aut prophétas : non veni sólvere, sed adimplére. Amen, quippe dico vobis, donec tránseat cælum et terra, iota unum aut unus apex non præteríbit a lege, donec ómnia fiant. Qui ergo solvent unum de mandátis istis mínimis, et docúerit sic hómines, mínimus vocábitur in regno cælórum : qui autem fécerit et docúerit, hic magnus vocábitur in regno cælórum.En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ; et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le candélabre, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. Car, en vérité, je vous le dis, jusqu’à ce que passent le ciel et la terre, un seul iota ou un seul trait ne disparaîtra pas de la loi, que tout ne soit accompli. Celui donc qui violera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera les hommes à le faire, sera appelé le plus petit dans le royaume des deux ; mais celui qui fera et enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.
Ante 1960 : CredoAvant 1960 : Credo
Ant. ad Offertorium. Ps. 91, 13.Offertoire
Iustus ut palma florébit : sicut cedrus, quæ in Líbano est multiplicábitur.Le juste fleurira comme le palmier : et il se multipliera comme le cèdre du Liban.
SecretaSecrète
Sancti Augustíni Pontíficis tui atque Doctóris nobis, Dómine, pia non desit orátio : quæ et múnera nostra concíliet ; et tuam nobis indulgéntiam semper obtíneat. Per Dóminum.Que la pieuse intercession de saint Augustin, Pontife et Docteur, ne nous fasse point défaut, Seigneur, qu’elle vous rende nos dons agréables et nous obtienne toujours votre indulgence.
Pro S. HermetePour St. Hermès
SecretaSecrète
Sacrifícium tibi, Dómine, laudis offérimus in tuórum commemoratióne Sanctórum : da, quǽsumus ; ut, quod illis cóntulit glóriam, nobis prosit ad salútem. Per Dóminum.Nous vous offrons, Seigneur, le sacrifice de louange en mémoire de vos Saints ; faites que le sacrement qui fut le principe de leur gloire soit pour nous la cause du salut.
Ant. ad Communionem. Luc. 12, 42.Communion
Fidélis servus et prudens, quem constítuit dóminus super famíliam suam : ut det illis in témpore trítici mensúram.Voici le dispensateur fidèle et prudent que le Maître a établi sur ses serviteurs pour leur donner au temps fixé, leur mesure de blé.
PostcommunioPostcommunion
Ut nobis, Dómine, tua sacrifícia dent salútem : beátus Augustínus Póntifex tuus et Doctor egrégius, quǽsumus, precátor accédat. Per Dóminum nostrum.Afin, Seigneur, que votre saint sacrifice nous procure le salut, que le bienheureux Augustin, votre Pontife et votre admirable Docteur intercède pour nous.
Pro S. HermetePour St. Hermès
PostcommunioPostcommunion
Repleti, Dómine, benedictióne cælésti, quǽsumus cleméntiam tuam : ut, intercedénte beáto Herméte Mártyre tuo, quæ humíliter gérimus, salúbriter sentiámus. Per Dóminum.Comblés, Seigneur, de la céleste bénédiction, nous supplions votre clémence, afin que, par les prières de votre Martyr le bienheureux Hermès, ce que nous venons d’accomplir humblement serve à notre salut.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Augustin, né à Tagaste en Afrique, d’une famille recommandable, surpassa de beaucoup les autres enfants par ses aptitudes et les dépassa bientôt par son savoir. Jeune homme, il tomba, pendant son séjour à Carthage, dans l’hérésie manichéenne. Il partit ensuite pour Rome, d’où on l’envoya enseigner la rhétorique à Milan et devint, dans cette ville, un des auditeurs les plus assidus de saint Ambroise. Poussé par le saint Évêque à étudier les dogmes catholiques, il reçut de lui le baptême, étant âgé de trente-trois ans. Retourné en Afrique, il joignit aux pratiques religieuses une grande pureté de vie, et fut ordonné Prêtre par l’Évêque d’Hippone, Valère, homme d’une sainteté éminente. C’est alors qu’Augustin établit une famille de religieux, dont il partagea la vie commune et les occupations, et qu’il instruisait avec un très grand soin dans la doctrine et dans le genre de vie apostolique. Mais comme l’hérésie manichéenne devenait puissante, il se mit à l’attaquer énergiquement et confondit l’hérésiarque Fortunat.

Cinquième leçon. Cette piété d’Augustin porta Valère à le prendre pour coadjuteur dans sa charge épiscopale. Personne ne fut plus humble ni plus réglé que lui. Son lit était simple, simple aussi son vêtement, sa table n’avait rien que de très commun, et ses repas étaient toujours assaisonnés d’une lecture sainte ou d’un pieux entretien. Telle était sa libéralité envers les pauvres, qu’un jour n’ayant plus rien à sa disposition, il fit briser les vases sacrés pour secourir leur détresse. Il évita d’être en rapport et en familiarité avec les femmes, sans excepter sa sœur et la fille de son frère, et il avait coutume de dire que, si ses parentes ne donnaient lieu à aucun soupçon, il pourrait n’en être pas de même de celles qu’on trouverait en visite chez elles. Jamais il ne cessa de prêcher la parole de Dieu, à moins d’en être empêché par une grave maladie. Il combattit sans relâche les hérétiques, soit par ses discours, soit par ses écrits, et ne les laissa s’implanter nulle part. Poursuivant aussi les erreurs des Manichéens, des Donatistes, des Pélagiens et autres sectes, il en délivra presque toute l’Afrique.

Sixième leçon. Il écrivit tant de livres remplis de piété, de goût et d’éloquence, qu’il a fait resplendir les dogmes chrétiens ; et c’est lui qu’ont principalement suivi ceux qui plus tard appliquèrent à l’enseignement théologique la méthode et le raisonnement. Tandis que les Vandales dévastaient l’Afrique et assiégeaient Hippone depuis trois mois, Augustin tomba malade de la fièvre. Comprenant alors qu’il était près de quitter cette vie, il fit placer devant lui les Psaumes de David qui se rapportent à la pénitence, et il les lisait avec abondance de larmes. « Personne, disait-il souvent, n’aurait-il conscience d’aucune faute, ne doit risquer de quitter la vie sans avoir fait pénitence. » Étant donc en pleine connaissance, tout entier à la prière, entouré de ses frères qu’il exhortait à la charité, à la piété et à toutes les vertus, il s’en alla au ciel, ayant vécu soixante-seize ans, dont trente-six dans l’épiscopat. Son corps apporté d’abord en Sardaigne, fut ensuite racheté ,à grand prix par Luitprand, roi des Lombards, et transféré à Pavie, où on l’ensevelit avec honneur.

Au troisième nocturne. Du Commun.

Lecture du saint Évangile selon saint Matthieu. Cap. 5, 13-19.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on ? Et le reste.

Homélie de saint Jean Chrysostome. Homil. 15 in Matth., sub med.

Septième leçon. Remarquez ce que dit Jésus-Christ : « Vous êtes le sel de la terre ». Il montre par là combien il est nécessaire qu’il donne ces préceptes à ses Apôtres. Car, ce n’est pas seulement, leur dit-il, de votre propre vie, mais de l’univers entier que vous aurez à rendre compte. Je ne vous envoie pas comme j’envoyais les Prophètes, à deux, à dix, ou à vingt villes ni à une seule nation, mais à toute la terre, à la mer, et au monde entier, à ce monde accablé sous le poids de crimes divers.

Huitième leçon. En disant : « Vous êtes le sel de la terre », il montre que l’universalité des hommes était comme affadie et corrompue par une masse de péchés ; et c’est pourquoi il demande d’eux les vertus qui sont surtout nécessaires et utiles pour procurer le salut d’un grand nombre. Celui qui est doux, modeste, miséricordieux et juste, ne peut justement se borner à renfermer ces vertus en son âme, mais il doit avoir soin que ces sources excellentes coulent aussi pour l’avantage des autres. Ainsi celui qui a le cœur pur, qui est pacifique et qui souffre persécution pour la vérité, dirige-sa vie d’une manière utile à tous.

Neuvième leçon. Ne croyez donc point, dit-il, que ce soit à de légers combats que vous serez conduits, et que ce soient des choses de peu d’importance dont il vous faudra prendre soin et rendre compte, « vous êtes le sel de la terre ». Quoi donc ? Est-ce que les Apôtres ont guéri ce qui était déjà entièrement gâté ? Non certes ; car il ne se peut faire que ce qui tombe déjà en putréfaction soit rétabli dans son premier état par l’application du sel. Ce n’est donc pas cela qu’ils ont fait, mais ce qui était auparavant renouvelé et à eux confié, ce qui était délivré déjà de cette pourriture, ils y répandaient le sel et le conservaient dans cet état de rénovation qui est une grâce reçue du Seigneur. Délivrer de la corruption du péché, c’est l’effet de la puissance du Christ ; empêcher que les hommes ne retournent au péché, voilà ce qui réclame les soins et les labeurs des Apôtres.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Le plus grand des Docteurs et le plus humble, Augustin se lève, acclamé par les cieux dont nulle conversion de pécheur n’excita comme la sienne l’ineffable joie [3], célébré par l’Église où ses travaux laissent pour les siècles en pleine lumière la puissance, le prix, la gratuité de la divine grâce.

Depuis l’entretien extatique qui fit d’Ostie un jour le vestibule du ciel [4], Dieu a complété ses triomphes dans le fils des larmes de Monique et de la sainteté d’Ambroise. Loin des villes fameuses où l’abusèrent tant de séductions, le rhéteur d’autrefois n’aspire qu’à nourrir son âme de la simplicité des Écritures sacrées dans le silence de la solitude. Mais la grâce, qui a brisé la double chaîne enserrant son esprit et son cœur, garde sur lui des droits souverains ; c’est dans la consécration des pontifes vouant Augustin à l’oubli de soi-même, que la Sagesse consomme avec lui son alliance : la Sagesse qu’il déclare « aimer seule pour elle seule, n’aimant qu’à cause d’elle le repos et la vie » [5]. A ce sommet où l’a porté la miséricorde divine, entendons-le épancher son cœur :

« Je vous ai aimée tard, beauté si ancienne et si nouvelle ! je vous ai aimée tard ! Et vous étiez en moi ; et moi, hors de moi-même, vous cherchais en tous lieux [6]... J’interrogeais la terre, et elle me disait : « Je ne suis pas ce que tu cherches » ; et tous les êtres que porte la terre me faisaient même aveu. J’interrogeais la mer et ses abîmes, et ce qui a vie dans leurs profondeurs ; et la réponse était : « Nous ne sommes pas ton Dieu, cherche au-dessus de nous ». J’interrogeais les vents et la brise ; et l’air disait avec ses habitants : « Anaximènes se trompe ; je ne suis pas Dieu ». J’interrogeais le ciel, le soleil, la lune, les étoiles : « Nous non plus, nous ne sommes pas le Dieu que tu cherches ». O vous tous qui vous pressez aux portes de mes sens, objets qui m’avez dit n’être pas mon Dieu, dites-moi de lui quelque chose ; et dans leur beauté qui avait attiré mes recherches avec mon désir, ils ont crié d’une seule voix : « C’est lui qui nous a faits » [7]. — Silence à l’air, aux eaux, à la terre ! Silence aux cieux ! Silence en l’homme à l’âme elle-même ! Qu’elle passe au delà de sa propre pensée : par delà tout langage, qu’il soit de la chair ou de l’ange, s’entend lui-même Celui dont parlent les créatures ; là où cessent le signe et l’image, et toute vision figurée, se révèle la Sagesse éternelle [8]... Mes oreilles sourdes ont entendu votre voix puissante ; votre lumière éblouissante a forcé l’entrée de mes yeux aveugles ; votre parfum a éveillé mon souffle, et c’est à vous que j’aspire, j’ai faim et soif, car je vous ai goûté ; j’ai tressailli à votre contact, je brûle d’entrer dans votre repos : quand je vous serai uni de tout moi-même, la douleur et le travail auront pris fin pour moi » [9].

Un autre travail que le labeur de la correspondance intime aux prévenances de son Dieu ne devait finir pour Augustin qu’avec la vie : celui de ses luttes pour la vérité qui avait délivré son âme [10], sur tous les champs de bataille choisis dans ces temps par le père du mensonge. Combats terminés par autant de victoires, où l’on ne sait qu’admirer le plus, comme d’autres l’ont dit : la science des Livres saints, la puissance de la dialectique ou l’art de bien dire ; mais dans lesquels l’emporte sur tout la plénitude de la charité. Nulle part ailleurs n’apparaît mieux l’unité de cette divine charité communiquée par l’Esprit à l’Église, et qui, du même cœur où elle puise son inflexibilité à maintenir jusqu’au moindre iota les droits du Seigneur Dieu, déborde d’ineffable mansuétude pour tant de malheureux qui les méconnaissent encore :

« Qu’ils vous soient durs, ceux qui ne savent pas quel labeur c’est d’arriver au vrai, d’éviter l’erreur. Qu’ils vous soient durs, ceux qui ne savent pas combien il est rare, combien il en coûte, de parvenir à surmonter dans la sérénité d’une âme pieuse les fantômes des sens. Qu’ils vous soient durs, ceux qui ne savent pas avec quelle peine se guérit l’œil de l’homme intérieur, pour fixer son soleil, le soleil de justice ; ceux qui ne savent pas par quels soupirs, quels gémissements, on arrive, en quelque chose, à comprendre Dieu. Qu’ils vous soient durs enfin, ceux qui n’ont jamais connu séduction pareille à celle qui vous trompe... Pour moi qui, ballotté par les vaines imaginations dont mon esprit était en quête, ai partagé votre misère et si longtemps pleuré, je ne saurais aucunement être dur avec vous » [11].

C’est aux disciples de Manès, traqués partout en vertu des lois mêmes des empereurs païens, qu’Augustin adressait ces paroles émues : nouveau Paul, se souvenant du passé [12] ! Combien effrayante n’est donc pas la misère de notre race déchue, que les nuages s’élevant des bas fonds y prévalent à ce point sur les plus hautes intelligences ! avant d’être le plus redoutable adversaire de l’hérésie, Augustin, neuf années durant, s’était montré le sectateur convaincu, l’apôtre ardent du manichéisme : variante incohérente de ce roman dualiste et gnostique dans lequel, pour expliquer l’existence du mal, on n’imaginait rien de mieux que de faire un dieu du mal même, et qui trouva dans la complaisance qu’y prenait l’orgueil du prince des ténèbres le secret de son influence étrange à travers les siècles.

Plus locale, mais autrement prolongée, devait être la lutte d’Augustin contre la secte Donatiste, appuyée d’un principe aussi faux que le fait dont elle se disait née. Le fait, démontré juridiquement inexact à la suite des requêtes présentées par Douai et ses partisans, était que Cécilien, primat d’Afrique en 311, aurait reçu la consécration épiscopale d’un évêque traditeur des Livres saints pendant la persécution. Comme principe et conséquence tirée par eux dudit principe, les Donatistes affirmaient que nul ne pouvait communiquer avec un pécheur sans cesser de faire partie du troupeau du Christ ; que dès lors, les évêques du reste du monde n’en ayant pas moins continué de communiquer avec Cécilien et ses successeurs, eux seuls Donatistes étaient maintenant l’Église. Schisme sans fondement, s’il en fut, mais qui s’était imposé pourtant au plus grand nombre des habitants de l’Afrique romaine, avec ses quatre cent dix évêques et ses troupes de Circoncellions, fanatiques toujours prêts aux violences et aux meurtres contre les catholiques surpris sur les routes ou dans les maisons isolées. Le rappel de ces brebis égarées prit à notre Saint le meilleur de son temps.

Qu’on ne se le représente pas méditant à loisir, écrivant dans la paix d’une humble ville épiscopale, choisie comme à dessein par la Providence, ces ouvrages précieux dont le monde devait jusqu’à nous recueillir les fruits. Il n’est point sur la terre de fécondité sans souffrance, souffrances publiques, angoisses privées, épreuves connues des hommes ou de Dieu ; lorsque, à la lecture des écrits des Saints, germent en nous les pieuses pensées, les résolutions généreuses, nous ne devons pas nous borner, comme pour les livres profanes, à solder un tribut quelconque d’admiration au génie de leurs auteurs, mais plus encore songer au prix dont sans nul doute ils ont payé le bien surnaturel produit par eux dans chacune de nos âmes. Avant l’arrivée d’Augustin dans Hippone, les Donatistes s’y trouvaient en telle majorité, rappelle-t-il lui-même, qu’ils en abusaient jusqu’à interdire de cuire le pain pour les catholiques [13]. Quand le Saint mourut, l’état des choses était bien changé ; mais il avait fallu que le pasteur, faisant passer avant tous autres devoirs celui de sauver, fût-ce malgré elles, les âmes qui lui étaient confiées, donnât ses jours et ses nuits à cette œuvre première, et courût plus d’une fois le risque heureux du martyre [14]. Les chefs des schismatiques, redoutant la force de ses raisons plus encore que son éloquence, se refusaient à toute rencontre avec lui ; mais ils avaient déclaré que mettre à mort Augustin serait œuvre louable, méritant la rémission de tout péché à qui aurait pu l’accomplir [15].

« Priez pour nous, disait-il en ces débuts de son ministère, priez pour nous qui vivons d’une façon si précaire entre les dents de loups furieux : brebis égarées, brebis obstinées qui s’offensent de ce que nous courons après elles, comme si leur égarement faisait qu’elles ne soient pas nôtres. — Pourquoi nous appeler ? disent-elles ; pourquoi nous poursuivre ? — Mais la cause de nos cris, de nos angoisses, c’est justement qu’elles vont à leur perte. — Si je suis perdue, si je n’ai plus la vie, qu’avez-vous affaire de moi ? que me voulez-vous ? — Ce que je veux, c’est te rappeler de ton égarement ; ce que je veux, c’est t’arracher à la mort. — Et si je veux m’égarer ? si je veux me perdre ? —Tu veux t’égarer ? tu veux te perdre ? Combien mieux, moi, je ne le veux pas ! Oui ; j’ose le dire : je suis importun ; car j’entends l’Apôtre : Prêche la parole, presse à temps, à contretemps [16]. A temps, sans doute, ceux qui le veulent bien ; à contretemps, ceux qui ne le veulent pas. Oui, donc ; je suis importun : tu veux périr ; je ne le veux pas. Il ne le veut pas, lui non plus, Celui qui dit, plein de menaces, aux pasteurs : Vous n’avez pas rappelé ce qui s’égarait, vous n’avez pas cherché ce qui était perdu [17]. Dois-je plus te redouter que lui-même ? Je ne te crains pas : ce tribunal du Christ, devant lequel nous devons tous paraître [18], tu ne le remplaceras pas par celui de Donat. Que tu le veuilles ou non, je rappellerai la brebis qui s’égare, je chercherai la brebis perdue. Que les ronces me déchirent : il n’y aura pas de brèche assez étroite pour arrêter ma poursuite ; il n’y aura pas de haie que je ne secoue, tant que le Seigneur me donnera des forces, pour pénétrer où que ce soit que tu prétendes périr » [19].

Forcés dans leurs derniers retranchements par l’intransigeance d’une telle charité, les Donatistes répondaient-ils en massacrant, à défaut d’Augustin, fidèles et clercs ; l’évêque suppliait les juges impériaux qu’on épargnât aux coupables la mutilation et la mort, de crainte que le triomphe des martyrs ne fût comme souillé par ces représailles sanglantes [20]. Mansuétude bien digne, à coup sûr, de l’Église dont il était Pontife, mais que tenteraient vainement de retourner contre cette même Église, en l’opposant à certains faits de son histoire, les tenants d’un libéralisme qui reconnaît tout droit à l’erreur et lui réserve toute prévenance. L’évêque d’Hippone l’avoue : sa pensée fut d’abord qu’il ne fallait point user de contrainte pour amener personne à l’unité du Christ ; il crut que la parole, la libre discussion, devait être dans la conversion des hérétiques le seul élément de victoire [21] ; mais, à la lumière de ce qui se passait sous ses yeux, la logique même de cette charité qui dominait son âme l’amenait bientôt à se ranger au sentiment tout autre de ses collègues plus anciens dans l’épiscopat [22].

« Qui peut, remarque-t-il, nous aimer plus que ne fait Dieu ? Dieu néanmoins emploie la crainte pour nous sauver, tout en nous instruisant avec douceur. Et le Père de famille, voulant des convives à son festin, n’envoie-t-il pas par les chemins, le long des haies, ses serviteurs, avec ordre de forcer à venir tous ceux qu’ils rencontreront [23] ? Ce festin, c’est l’unité du corps du Christ. Si donc la divine munificence a fait qu’au temps voulu la foi des rois devenus chrétiens reconnût ce pouvoir à l’Église, c’est aux hérétiques .ramenés de tous les carrefours, aux schismatiques forcés dans leurs buissons, de considérer, non la contrainte qu’ils subissent, mais le banquet du Seigneur où sans elle ils n’arriveraient pas. Le berger n’use-t-il pas de la menace, de la verge au besoin, pour faire rentrer au bercail du maître les brebis que la séduction en avait fait sortir ? La sévérité provenant de l’amour est préférable à la douceur qui trompe. Celui qui lie l’homme en délire et réveille le dormeur de sa léthargie, les moleste tous deux, mais pour leur bien. Si dans une maison menaçant ruine se trouvaient des gens que nos cris ne persuaderaient pas d’en sortir, est-ce que ne point user de violence à leur endroit pour les sauver malgré eux ne serait pas cruauté ? et cela, lors même que nous ne pourrions en arracher qu’un seul à la mort, et que l’obstination de plusieurs en prendrait occasion de précipiter leur perte : comme font ceux du parti de Donat qui, dans leur furie, demandent au suicide la couronne du martyre. Nul ne saurait devenir bon malgré lui ; mais ce sont des villes entières, non quelques hommes seulement, que la rigueur des lois dont ils se plaignent amène chaque jour à délivrance, en les dégageant des liens du mensonge, en leur faisant voir la vérité que la violence ou les tromperies schismatiques dérobaient à leurs yeux. Loin qu’elles se plaignent, leur reconnaissance aujourd’hui est sans bornes, leur joie entière ; leurs fêtes et leurs chants ne cessent plus » [24].

Cependant, par delà les flots séparant Hippone des rivages d’Italie, la justice du ciel passait sur la reine des nations. Rome, qui depuis le triomphe de la Croix n’avait point su répondre au délai que lui laissait la miséricorde, expiait sous les coups d’Alaric le sang des Saints versé jadis pour ses faux dieux. Sortez d’elle, mon peuple [25]. A ce signal que le prophète de Pathmos avait entendu d’avance, la ville aux sept collines s’était dépeuplée. Loin des routes remplies de Barbares, heureux le fugitif pouvant confier à la haute mer, au plus fragile esquif, l’honneur des siens, les débris de sa fortune ! Comme un phare puissant dont les feux dominent l’orage, Augustin, par sa seule renommée, attirait vers la côte d’Afrique les meilleurs de ces naufragés de la vie. Sa correspondance si variée nous fait connaître les liens nouveaux créés par Dieu alors entre l’évêque d’Hippone et tant de nobles exilés. Naguère, c’était jusqu’à Nole, en l’heureuse Campanie, que des messages pleins de charmes, où se mêlaient les doctes questions, les réponses lumineuses, allaient saluer « ses très chers seigneurs et vénérables frères, Paulin et Thérasia, condisciples d’Augustin en l’école du Seigneur Jésus » [26]. Maintenant c’est à Carthage, ou plus près encore, que les lettres du Saint vont consoler, instruire, fortifier Albina, Mélanie, Pinianus, Proba surtout et Juliana, aïeule et mère illustres d’une plus illustre fille, la vierge Démétriade, première du monde romain par la noblesse et l’opulence [27], conquête très chère d’Augustin pour l’Époux.

« Oh ! qui donc, s’écrie-t-il à la nouvelle de la consécration de cette fiancée du Seigneur, qui expliquera dignement combien glorieuse se révèle aujourd’hui la fécondité des Anicii, donnant des vierges au Christ après avoir pour le siècle ennobli tant d’années du nom des consuls leurs fils ! Que Démétriade soit imitée : quiconque ambitionne la gloire de l’illustre famille, prenne pour soi sa sainteté [28] ! » Vœu du cœur d’Augustin, qui devait se réaliser magnifiquement, lorsque la gens Anicia, moins d’un siècle plus tard, donna au monde Scholastique et Benoît pour conduire tant d’âmes avides de la vraie noblesse dans le secret de la face de Dieu.

La chute de Rome eut dans les provinces et par delà un retentissement immense. L’évêque d’Hippone nous dit ses propres gémissements quand il l’eut apprise, ses larmes à lui, descendant des anciens Numides, sa douleur presque inconsolable [29] : tant, même en sa décadence, par l’action secrète de Celui qui lui réservait de nouvelles, de plus hautes destinées, la cité reine avait gardé de place en la pensée universelle et d’empire sur les âmes. En attendant, la terrible crise devenait pour Augustin l’occasion de ses œuvres les plus importantes. Sur les ruines du monde qui semblait s’écrouler pour toujours, il édifiait son grand ouvrage de la Cité de Dieu : réponse aux partisans de l’idolâtrie, nombreux encore, qui attribuaient à la suppression du culte des dieux les malheurs de l’empire. Il y oppose à la théologie et, en même temps, à la philosophie du paganisme romain et grec la réfutation la plus magistrale, la plus complète qu’on en ait jamais vue ; pour de là établir l’origine, l’histoire, la fin des deux cités, l’une de la terre, l’autre du ciel, qui se divisent le monde, et que « firent deux amours divers : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même » [30].

Mais le principal triomphe d’Augustin fut celui qui joignit à son nom le titre de Docteur de la grâce. La prière aimée de l’évêque d’Hippone : Da quod jubes, et jube quod vis [31], froissait l’orgueil d’un moine breton que les événements de l’année 410 avaient amené lui aussi sur la terre africaine [32] : d’après Pelage, la nature, toute-puissante pour le bien, se suffisait pleinement dans l’ordre du salut, n’ayant été lésée d’aucune sorte d’ailleurs par le péché d’Adam qui n’avait affecté que lui-même. On comprend la répulsion toute spéciale d’Augustin, si redevable à la miséricorde céleste, pour un système dont les auteurs « semblaient dire à Dieu : Tu nous as faits hommes, mais c’est nous qui nous faisons justes » [33].

Dans cette campagne nouvelle, les injures ne furent pas épargnées au converti de jadis ; mais elles étaient la joie et l’espérance [34] de celui qui, rencontrant ce même genre d’arguments dans la bouche d’autres adversaires, avait dit déjà : « Catholiques, mes frères très aimés, unique troupeau de l’unique Pasteur, je n’ai cure des insultes de l’ennemi au chien de garde du bercail ; ce n’est pas pour ma défense, c’est pour la vôtre que je dois aboyer. Faut-il lui dire pourtant, à cet ennemi, qu’en ce qui touche mes égarements, mes erreurs d’autrefois, je les condamne avec tout le monde, et n’y vois que la gloire de Celui qui par sa grâce m’a délivré de moi-même. Lorsque j’entends rappeler cette vie qui fut la mienne, à quelque intention qu’on le fasse, je ne suis pas si ingrat que de m’en affliger ; car autant l’on fait ressortir ma misère, autant moi je loue mon médecin » [35].

La renommée de celui qui faisait si bon marché de lui-même remplissait néanmoins la terre, en compagnie de la grâce par lui victorieuse. « Honneur à vous, écrit de Bethléhem Jérôme chargé d’années ; honneur à l’homme que n’ont point abattu les vents déchaînés !... Ayez bon courage toujours. L’univers entier célèbre vos louanges ; les catholiques vous vénèrent et vous admirent comme le restaurateur de l’ancienne foi. Signe d’une gloire encore plus grande : tous les hérétiques vous détestent. Moi aussi, ils m’honorent de leur haine ; ne pouvant nous frapper du glaive, ils nous tuent en désir » [36].

On reconnaît dans ces lignes l’intrépide lutteur que nous retrouverons en septembre, et qui laissait bientôt après sa dépouille mortelle à la grotte sacrée près de laquelle il avait abrité sa vie. Augustin devait poursuivre le bon combat quelques années, compléter l’exposé de la doctrine catholique à l’encontre même de saints personnages, auxquels il eût semblé que du moins le commencement du salut, le désir de la foi, ne requérait pas un secours spécial du Dieu rédempteur et sauveur. C’était le semi-pélagianisme. Cent ans plus tard [37], le second concile d’Orange, approuvé par Rome, acclamé par l’Église, terminait la lutte en s’inspirant dans ses définitions des écrits de l’évêque d’Hippone. Lui cependant concluait ainsi le dernier ouvrage achevé par ses mains : « Que ceux qui lisent ces choses rendent grâces à Dieu, s’ils les comprennent ; sinon, qu’ils s’adressent dans la prière au docteur de nos âmes, à Celui dont le rayonnement produit la science et l’intelligence. Me croient-ils dans l’erreur ? qu’ils y réfléchissent encore et encore, de peur que peut-être ce ne soient eux qui se trompent. Pour moi, quand il advient que les lecteurs de mes travaux m’instruisent et me corrigent, j’y vois la honte de Dieu ; et c’est ce que je demande comme faveur, aux doctes surtout qui sont dans l’Église, s’il arrive que ce livre parvienne en leurs mains et qu’ils daignent prendre connaissance de ce que j’écris » [38].

Revenons au milieu de ce peuple d’Hippone, si privilégié, conquis par le dévouement d’Augustin plus encore que par ses admirables discours. Sa porte, ouverte à tout venant, accueillait toute demande, toute douleur, tout litige de ses fils. Parfois, devant l’insistance des autres églises, des conciles même, réclamant d’Augustin la poursuite plus active de travaux d’intérêt général, un accord intervenait entre le troupeau et le pasteur, et l’on déterminait que, tels et tels jours de la semaine, le repos laborieux de celui-ci serait respecté par tous [39] ; mais la convention durait peu ; quiconque le voulait [40] triomphait de cet homme si aimant et si humble, près de qui, mieux que tous, les petits savaient bien qu’ils ne seraient jamais éconduits : témoin l’heureuse enfant qui, désireuse d’entrer en relation épistolaire avec l’évêque, mais craignant de prendre l’initiative, reçut de lui la missive touchante qu’on peut lire en ses Œuvres [41]. Resterait à montrer dans notre Saint l’initiateur de la vie monastique en Afrique romaine, par les monastères qu’il fonda et habita lui-même avant d’être évêque ; le législateur dont une simple lettre aux vierges d’Hippone [42] devenait la Règle où tant de serviteurs et de servantes de Dieu puiseraient jusqu’aux derniers temps la forme de leur vie religieuse ; enfin, avec les clercs de son église vivant ainsi que lui de la vie commune dans la désappropriation absolue [43], l’exemplaire et la souche de la grande famille des Chanoines réguliers. Mais il nous faut abréger ces pages déjà longues, que complétera le récit de la sainte Liturgie.

Indépendamment de la fête présente, l’Église fait au cinq mai mémoire spéciale de la Conversion d’Augustin dans son Martyrologe.

Quelle mort fut la vôtre, Augustin, sur l’humble couche où n’arrivaient à vous que nouvelles de désastres et de ruines ! Livrée aux Barbares en punition de ces crimes innommés du vieux monde dont la nourricière de Rome avait eu sa si large part, l’Afrique, votre patrie, ne devait pas vous survivre. Avec Genséric, Arius triomphait sur cette terre qui pourtant, grâce à vous, parla vigueur de foi qu’elle avait retrouvée, allait encore, un siècle durant, donner d’admirables martyrs au Verbe consubstantiel. Rendue au monde romain par Bélisaire, Dieu sembla vouloir à cause d’eux lui ménager l’occasion de retrouver ses beaux jours ; mais l’impéritie byzantine, absorbée dans ses querelles théologiques et ses intrigues de palais, ne sut ni la relever, ni la garder contre une invasion plus funeste que n’avait été la première. Les flots débordants de l’infidélité musulmane eurent bientôt fait de tout stériliser, dessécher et flétrir.

Enfin, après douze siècles, la Croix reparaît dans ces lieux où de tant d’Églises florissantes le nom même a péri. Puisse la liberté qui lui est rendue devenir bientôt le triomphe ! Puisse la nation dont relève aujourd’hui votre sol natal se montrer fière de cet honneur nouveau, comprendre les obligations qui en résultent pour elle en face d’elle-même et du monde !

Durant cette longue nuit pesant sur la terre d’où vous étiez monté aux cieux, votre action cependant ne s’était pas ralentie. Par l’univers entier, vos ouvrages immortels éclairaient les intelligences, excitaient l’amour. Dans les basiliques desservies par vos imitateurs et fils, la splendeur du culte divin, la pompe des cérémonies, la perfection des mélodies saintes, maintenaient au cœur des peuples l’enthousiasme surnaturel qui s’était emparé du vôtre à l’instant heureux où, pour la première fois dans notre Occident, résonna sous la direction d’Ambroise le chant alternatif des Psaumes et des Hymnes sacrées [44]. Dans tous les âges, aux eaux, sorties de vos fontaines [45], la vie parfaite se complut à renouveler sa jeunesse sous les mille formes que le double aspect delà charité, qui regarde Dieu et le prochain, lui demande de revêtir.

Illuminez toujours l’Église de vos incomparables rayons. Bénissez les multiples familles religieuses qui se réclament de votre illustre patronage. Aidez-nous tous, en obtenant pour nous l’esprit d’amour et de pénitence, de confiance et d’humilité qui sied si bien à l’âme rachetée ; enseignez-nous l’infirmité de la nature et son indignité depuis la chute, mais aussi la bonté sans limites de notre Dieu, la surabondance de sa rédemption, la toute-puissance de sa grâce. Que tous avec vous nous sachions non seulement reconnaître la vérité, mais loyalement et pratiquement dire à Dieu : « Vous nous avez faits pour vous, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en vous » [46].

Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Saint Augustin a l’immense mérite d’avoir inauguré l’ère des Docteurs et d’avoir fait, au IVe siècle, pour la théologie catholique, ce que, huit siècles plus tard, fit l’Aquinate pour la scolastique. Tous les Docteurs de la première partie du moyen âge pensent et parlent d’après l’évêque d’Hippone, dont la personnalité rappelle, à certains égards, celle d’un autre illustre converti, saint Paul, d’abord féroce ennemi du Christ, puis héraut de l’Évangile sur toute la terre.

Le corps de saint Augustin, soustrait par les évêques africains à la profanation des Vandales, fut porté d’abord en Sardaigne, puis à Pavie, par les soins de Luitprand. On l’y conserve encore à Saint-Pierre in Ciel d’oro. Au XVe siècle, à Rome, au lieu où déjà s’élevait une chapelle dédiée à saint Augustin, près de Saint-Tryphon, le cardinal d’Estouteville fit ériger, en l’honneur du saint d’Hippone, une splendide église qui est l’une des plus fréquentées de la Ville éternelle.

La messe, n’étant pas ancienne, a été rédigée en glanant de-ci de-là dans le Sacramentaire.

Ainsi l’introït et les deux lectures sont les mêmes que le 29 janvier ; la première collecte est identique à l’oratio super populum du lundi de la deuxième semaine de Carême. Le reste est du Commun des Docteurs, sauf le verset alléluiatique qui est semblable à celui de la fête de saint Silvestre Ier.

Dans les Sacramentaires du bas moyen âge, nous trouvons la préface suivante : ... aeterne Deus. Qui beatum Augustinum confessorem tuum, et scientiae documentis replesti, et virtutum ornamentis ditasti ; quem ita multimodo genere pietatis imbuisti, tu ipse Tibi et ara, et sacrificium, et sacerdos esset et templum. Per...

Nous rappellerons aujourd’hui, pour l’édification spirituelle, trois paroles célèbres du grand docteur d’Hippone : « Seigneur, vous avez fait notre cœur pour vous, et il ne peut trouver de paix qu’en vous seul. — Seigneur, faites-moi connaître qui vous êtes et qui je suis. — Trop tard je vous ai aimée, ô éternelle beauté, trop tard ! »

Saint Augustin est l’un de ces rares saints dont la grandeur n’eut pas à attendre le recul dû à la mort et à la lumière de l’éternité pour être appréciée à sa valeur. Non, les contemporains eux-mêmes en eurent conscience ; aussi, en Afrique, on ne célébrait pas un concile sans que l’évêque de la petite ville d’Hippone en fût l’âme. Sur la tombe de sainte Monique à Ostie, le consul Bassus unit les louanges du fils à celles de sa mère :

GLORIA • VOS • MAIOR - GESTORVM • LAVDE • CORONAT
VIRTVTVM • MATER • FELICIOR • SVBOLIS

Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique

Notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en vous.

1. Saint Augustin. — La chronique du martyrologe est remarquablement longue aujourd’hui. « A Hippone, dans la Province romaine d’Afrique, mort de saint Augustin, évêque et illustre docteur de l’Église. Il fut converti à la foi chrétienne et baptisé par saint Ambroise. Dès lors il se fit le défenseur de la vérité contre les Manichéens et autres hérétiques, et se révéla redoutable champion de la foi. Après une vie laborieuse entièrement consacrée au bien de l’Église, il alla recevoir au ciel l’éternelle récompense. Par crainte des Vandales, on transporta ses restes d’Hippone en Sardaigne ; Luitprand, roi des Lombards, les fit plus tard transférer à Pavie où ils furent solennellement inhumés ». C’est en cette ville que repose encore son corps, dans l’église appelée Ciel d’oro. — Augustin, né à Tagaste, en Afrique, l’an 353, baptisé dans la nuit de Pâques de 387, et mort en 430, fut un des évêques, confesseurs et docteurs les plus célèbres de tous les temps. Ses écrits marquent l’apogée de la littérature patristique, en même temps qu’ils demeurent pour la postérité un intense foyer de lumière : Sa conversion due aux larmes de sa mère et aux saintes instances d’un Ambroise nous frappe d’admiration. Les « Confessions » qui relatent la vie d’Augustin jusqu’à l’an 400 et racontent ses égarements et ses luttes dans un récit entrecoupé de considérations profondes et surnaturelles, sont un ouvrage impérissable. Un autre ouvrage « La Cité de Dieu » est également un monument immortel de son génie, une philosophie de l’histoire. Citons encore ses célèbres homélies, particulièrement celles sur les psaumes et sur l’Évangile de saint Jean. Comme évêque, saint Augustin se distingua surtout par ses luttes intrépides et toujours victorieuses contre les hérétiques. Son plus beau triomphe fut la défaite des Pélagiens qui niaient la nécessité de la grâce divine pour le salut ; ce qui lui mérita le titre de « Docteur de la grâce ». L’art chrétien lui donne comme emblème un cœur brûlant, symbole de l’ardente charité qui remplit tous ses écrits. Il est le fondateur de la vie commune canonique ; aussi les Chanoines et les Ermites Augustins le revendiquent-ils comme patron.

2. La Messe est celle du Commun des Docteurs (In medio). — Le célébrant me représente le grand Docteur qui s’avance « au milieu du sanctuaire » ; son esprit est toujours vivant dans l’Église. Je le vois triomphant, revêtu de la « robe de gloire ». Je l’entends prêcher, « reprendre, supplier, menacer en toute patience et doctrine ». Je le vois, « comme une victime », consumer ses jours dans l’ardeur de son zèle. « J’ai combattu le bon combat, dit-il, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Je vois comment « le Seigneur lui donne la couronne de justice en ce jour (de sa fête) ». Je vois en lui le « sel » de l’Église qui ne cesse à travers les siècles de vivifier, d’assaisonner, de préserver de la corruption ; je reconnais en lui la « lumière » de l’Église, le flambeau qui éclaire tous ceux qui sont « à la maison ». Il est comme « une ville située sur une montagne »... A l’Offertoire, nous unissons notre oblation à la sienne ; il se « multipliera » en nous. (multiplicabitur). A la Communion, nous retrouvons en lui le « serviteur fidèle » qui distribue « la mesure de froment » à la famille de Dieu, le froment de la doctrine, le Froment de l’Eucharistie.

3. Importance de saint Augustin. — Pour apprécier l’importance de saint Augustin examinons brièvement en lui le fondateur d’Ordre, le docteur, et enfin l’homme.
- a) le Fondateur d’Ordre. On ne saurait attribuer à saint Augustin le titre de Fondateur d’ordre dans le sens rigoureux du mot, comme à un saint Benoît par exemple. Néanmoins, c’est le régime commun, tel qu’il l’avait établi chez lui à l’instar de la communauté chrétienne primitive, qui fut réellement le modèle et l’origine des chapitres, aussi bien des chapitres séculiers des cathédrales et des collégiales que de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin. La règle de saint Augustin (appellation qui apparaît de plus en plus justifiée aux yeux de l’histoire) a servi de norme et de directive à beaucoup de communautés et ordres religieux. Aujourd’hui donc, en assistant à la messe, nous sommes en union non seulement avec le grand saint, mais encore avec tous ses enfants, les innombrables membres des communautés qui vivent sous sa règle ; qu’ils soient déjà dans la gloire ou qu’ils continuent à combattre sur la terre. C’est donc un rameau vigoureux de l’arbre de l’Église qui célèbre avec nous le saint sacrifice.
- b) le Docteur. « Au milieu de l’Église, le Seigneur lui a ouvert la bouche ». Ces paroles s’appliquent dans leur sens le plus rigoureux à saint Augustin, un des Docteurs de l’Église universelle. Saint Augustin est encore docteur de l’Église au sens liturgique : Dieu lui « ouvre toujours la bouche au milieu de l’Église » : il ne cesse de s’y faire entendre dans un grand nombre de leçons et d’homélies ; c’est presque toujours lui qui assume la charge de commenter l’Évangile de saint Jean et d’expliquer les mystères des fêtes solennelles de l’année. Son commentaire des psaumes est un des plus beaux monuments de son esprit liturgique.
- c) l’Homme. Il y a peu de saints dont la vie et les exemples émeuvent aussi profondément les modernes que nous sommes. Il en est peu chez qui l’œuvre de la grâce apparaisse aussi manifeste. Nous avons eu l’occasion durant ces derniers dimanches d’analyser les deux âmes que chacun porte en soi ; le fait est extraordinairement frappant dans la vie de saint Augustin. Fils d’une mère chrétienne et d’un père païen, on ne lui donna pas le baptême dans son enfance. Lui-même se déciderait librement à le recevoir, parvenu à l’âge mûr ; et c’est ainsi que deux génies accompagnèrent ses jours. Son bon génie, c’était sa bonne et sainte mère ; mais c’est le mauvais génie qui bien longtemps l’emporta. Augustin se fit manichéen, et la mère pleurait et priait. Il quitta l’Afrique en trompant la vigilance de sa mère qui voulait l’accompagner à Rome ; elle pleurait et priait. « Le fils de tant de larmes ne saurait périr » avait dit un saint évêque, et Monique espérait. Le mauvais génie, cependant, entraînait son fils dans des désordres toujours plus grands, exploitant les facultés étonnantes de sa riche nature pour accroître son arrogance et son orgueil. Mais la grâce, elle aussi, ne cessait de veiller, et plus Augustin sombrait dans les sentiers du vice, plus il lui assurait un terrain favorable. Il eut la sensation du vide ; il aperçut le grand abîme de tout cœur humain ; il constata que les biens terrestres qu’on y jette ne sont qu’une poignée de pierres qui en couvrent à peine le fond. L’heure de la grâce était arrivée : « Le cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Dieu ». Ambroise en fut l’instrument. Monique accourut, joyeuse, à Milan ; elle assista au baptême de son fils, elle en fut témoin de ses propres yeux. Et le baptême fut bien, comme il le devait, le grand événement de la vie d’Augustin, la conversion (metanoia). A partir de ce jour, la grâce s’est réellement emparée de son cœur. Augustin accompagne sa mère à Ostie. Elle y meurt. Elle y meurt sans regret, car elle a engendré son fils une seconde fois — au ciel. — Le lecteur qui possède les Confessions de saint Augustin fera bien d’en relire quelques pages cette semaine.

Benoît XVI, catéchèses (janvier-février 2008)

Chers frères et sœurs,

Après les grandes festivités de Noël, je voudrais revenir aux méditations sur les Pères de l’Église et parler aujourd’hui du plus grand Père de l’Église latine, saint Augustin : homme de passion et de foi, d’une très grande intelligence et d’une sollicitude pastorale inlassable, ce grand saint et docteur de l’Église est souvent connu, tout au moins de réputation, par ceux qui ignorent le christianisme ou qui ne le connaissent pas bien, car il a laissé une empreinte très profonde dans la vie culturelle de l’Occident et du monde entier. En raison de son importance particulière, saint Augustin a eu une influence considérable et l’on pourrait affirmer, d’une part, que toutes les routes de la littérature chrétienne latine mènent à Hippone (aujourd’hui Annaba, sur la côte algérienne), le lieu où il était Évêque et, de l’autre, que de cette ville de l’Afrique romaine, dont Augustin fut l’Évêque de 395 jusqu’à sa mort en 430, partent de nombreuses autres routes du christianisme successif et de la culture occidentale elle-même.

Rarement une civilisation ne rencontra un aussi grand esprit, qui sache en accueillir les valeurs et en exalter la richesse intrinsèque, en inventant des idées et des formes dont la postérité se nourrirait, comme le souligna également Paul VI : "On peut dire que toute la pensée de l’Antiquité conflue dans son œuvre et que de celle-ci dérivent des courants de pensée qui parcourent toute la tradition doctrinale des siècles suivants" [47]. Augustin est également le Père de l’Église qui a laissé le plus grand nombre d’œuvres. Son biographe Possidius dit qu’il semblait impossible qu’un homme puisse écrire autant de choses dans sa vie. Nous parlerons de ces diverses œuvres lors d’une prochaine rencontre. Aujourd’hui, nous réserverons notre attention à sa vie, que l’on reconstruit bien à partir de ses écrits, et en particulier des Confessions, son extraordinaire autobiographie spirituelle, écrite en louange à Dieu, qui est son œuvre la plus célèbre. Et à juste titre, car ce sont précisément les Confessions d’Augustin, avec leur attention à la vie intérieure et à la psychologie, qui constituent un modèle unique dans la littérature occidentale, et pas seulement occidentale, même non religieuse, jusqu’à la modernité. Cette attention à la vie spirituelle, au mystère du "moi", au mystère de Dieu qui se cache derrière le "moi", est une chose extraordinaire sans précédent et restera pour toujours, pour ainsi dire, un "sommet" spirituel.

Mais pour en venir à sa vie, Augustin naquit à Tagaste – dans la province de Numidie de l’Afrique romaine – le 13 novembre 354, de Patrice, un païen qui devint ensuite catéchumène, et de Monique, fervente chrétienne. Cette femme passionnée, vénérée comme une sainte, exerça sur son fils une très grande influence et l’éduqua dans la foi chrétienne. Augustin avait également reçu le sel, comme signe de l’accueil dans le catéchuménat. Et il est resté fasciné pour toujours par la figure de Jésus Christ ; il dit même avoir toujours aimé Jésus, mais s’être éloigné toujours plus de la foi ecclésiale, de la pratique ecclésiale, comme cela arrive pour de nombreux jeunes aujourd’hui aussi.

Augustin avait aussi un frère, Navigius, et une sœur, dont nous ignorons le nom et qui, devenue veuve, fut ensuite à la tête d’un monastère féminin. Le jeune garçon, d’une très vive intelligence, reçut une bonne éducation, même s’il ne fut pas un étudiant exemplaire. Il étudia cependant bien la grammaire, tout d’abord dans sa ville natale, puis à Madaure et, à partir de 370, la rhétorique à Carthage, capitale de l’Afrique romaine : maîtrisant parfaitement la langue latine, il n’arriva cependant pas à la même maîtrise du grec et n’apprit pas le punique, parlé par ses compatriotes. Ce fut précisément à Carthage qu’Augustin lut pour la première fois l’Hortensius, une œuvre de Cicéron qui fut ensuite perdue et qui marqua le début de son chemin vers la conversion. En effet, le texte cicéronien éveilla en lui l’amour pour la sagesse, comme il l’écrira, devenu Évêque, dans les Confessions : "Ce livre changea véritablement ma façon de voir", si bien qu’"à l’improviste toute espérance vaine perdit de sa valeur et que je désirai avec une incroyable ardeur du cœur l’immortalité de la sagesse" [48].

Mais comme il était convaincu que sans Jésus on ne peut pas dire avoir effectivement trouvé la vérité, et comme dans ce livre passionné ce nom lui manquait, immédiatement après l’avoir lu, il commença à lire l’Écriture, la Bible. Mais il en fut déçu. Non seulement parce que le style latin de la traduction de l’Écriture Sainte était insuffisant, mais également parce que le contenu lui-même ne lui parut pas satisfaisant. Dans les récits de l’Écriture sur les guerres et les autres événements humains, il ne trouva pas l’élévation de la philosophie, la splendeur de la recherche de la vérité qui lui est propre. Toutefois, il ne voulait pas vivre sans Dieu et il cherchait ainsi une religion correspondant à son désir de vérité et également à son désir de se rapprocher de Jésus. Il tomba ainsi dans les filets des manichéens, qui se présentaient comme des chrétiens et promettaient une religion totalement rationnelle. Ils affirmaient que le monde est divisé en deux principes : le bien et le mal. Et ainsi s’expliquerait toute la complexité de l’histoire humaine. La morale dualiste plaisait aussi à saint Augustin, car elle comportait une morale très élevée pour les élus : et pour celui qui y adhérait, comme lui, il était possible de vivre une vie beaucoup plus adaptée à la situation de l’époque, en particulier pour un homme jeune. Il devint donc manichéen, convaincu à ce moment-là d’avoir trouvé la synthèse entre rationalité, recherche de la vérité et amour de Jésus Christ. Il en tira également un avantage concret pour sa vie : l’adhésion aux manichéens ouvrait en effet des perspectives faciles de carrière. Adhérer à cette religion qui comptait tant de personnalités influentes lui permettait également de poursuivre une relation tissée avec une femme et d’aller de l’avant dans sa carrière. Il eut un fils de cette femme, Adéodat, qui lui était très cher, très intelligent, et qui sera ensuite très présent lors de sa préparation au baptême près du lac de Côme, participant à ces "Dialogues" que saint Augustin nous a légués. Malheureusement, l’enfant mourut prématurément. Professeur de grammaire vers l’âge de vingt ans dans sa ville natale, il revint bien vite à Carthage, où il devint un maître de rhétorique brillant et célèbre. Avec le temps, toutefois, Augustin commença à s’éloigner de la foi des manichéens, qui le déçurent précisément du point de vue intellectuel car ils étaient incapables de résoudre ses doutes, et il se transféra à Rome, puis à Milan, où résidait alors la cour impériale et où il avait obtenu un poste de prestige grâce à l’intervention et aux recommandations du préfet de Rome, le païen Simmaque, hostile à l’Évêque de Milan saint Ambroise.

A Milan, Augustin prit l’habitude d’écouter – tout d’abord dans le but d’enrichir son bagage rhétorique – les très belles prédications de l’Évêque Ambroise, qui avait été le représentant de l’empereur pour l’Italie du Nord, et le rhéteur africain fut fasciné par la parole du grand prélat milanais et pas seulement par sa rhétorique ; c’est surtout son contenu qui toucha toujours plus son cœur. Le grand problème de l’Ancien Testament, du manque de beauté rhétorique, d’élévation philosophique se résolvait, dans les prédications de saint Ambroise, grâce à l’interprétation typologique de l’Ancien Testament : Augustin comprit que tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus Christ. Il trouva ainsi la clef pour comprendre la beauté, la profondeur également philosophique de l’Ancien Testament et il comprit toute l’unité du mystère du Christ dans l’histoire et également la synthèse entre philosophie, rationalité et foi dans le Logos, dans le Christ Verbe éternel qui s’est fait chair.

Augustin se rendit rapidement compte que la lecture allégorique des Écritures et la philosophie néoplatonicienne pratiquées par l’Évêque de Milan lui permettaient de résoudre les difficultés intellectuelles qui, lorsqu’il était plus jeune, lors de sa première approche des textes bibliques, lui avaient paru insurmontables.

A la lecture des écrits des philosophes, Augustin fit ainsi suivre à nouveau celle de l’Écriture et surtout des lettres pauliniennes. Sa conversion au christianisme, le 15 août 386, se situa donc au sommet d’un itinéraire intérieur long et tourmenté dont nous parlerons dans une autre catéchèse, et l’Africain s’installa à la campagne au nord de Milan, près du lac de Côme - avec sa mère Monique, son fils Adéodat et un petit groupe d’amis - pour se préparer au baptême. Ainsi, à trente-deux ans, Augustin fut baptisé par Ambroise, le 24 avril 387, au cours de la veillée pascale, dans la cathédrale de Milan.

Après son baptême, Augustin décida de revenir en Afrique avec ses amis, avec l’idée de pratiquer une vie commune, de type monastique, au service de Dieu. Mais à Ostie, dans l’attente du départ, sa mère tomba brusquement malade et mourut un peu plus tard, déchirant le cœur de son fils. Finalement de retour dans sa patrie, le converti s’établit à Hippone pour y fonder précisément un monastère. Dans cette ville de la côte africaine, malgré la présence d’hérésies, il fut ordonné prêtre en 391 et commença avec plusieurs compagnons la vie monastique à laquelle il pensait depuis longtemps, partageant son temps entre la prière, l’étude et la prédication. Il voulait uniquement être au service de la vérité, il ne se sentait pas appelé à la vie pastorale, mais il comprit ensuite que l’appel de Dieu était celui d’être un pasteur parmi les autres, en offrant ainsi le don de la vérité aux autres. C’est à Hippone, quatre ans plus tard, en 395, qu’il fut consacré Évêque.

Continuant à approfondir l’étude des Écritures et des textes de la tradition chrétienne, Augustin fut un Évêque exemplaire dans son engagement pastoral inlassable : il prêchait plusieurs fois par semaine à ses fidèles, il assistait les pauvres et les orphelins, il soignait la formation du clergé et l’organisation de monastères féminins et masculins. En peu de mots, ce rhéteur de l’antiquité s’affirma comme l’un des représentants les plus importants du christianisme de cette époque : très actif dans le gouvernement de son diocèse – avec également d’importantes conséquences au niveau civil – pendant ses plus de trente-cinq années d’épiscopat, l’Évêque d’Hippone exerça en effet une grande influence dans la conduite de l’Église catholique de l’Afrique romaine et de manière plus générale sur le christianisme de son temps, faisant face à des tendances religieuses et des hérésies tenaces et sources de division telles que le manichéisme, le donatisme et le pélagianisme, qui mettaient en danger la foi chrétienne dans le Dieu unique et riche en miséricorde.

Et c’est à Dieu qu’Augustin se confia chaque jour, jusqu’à la fin de sa vie : frappé par la fièvre, alors que depuis presque trois mois sa ville d’Hippone était assiégée par les envahisseurs vandales, l’Évêque - raconte son ami Possidius dans la Vita Augustini - demanda que l’on transcrive en gros caractères les psaumes pénitentiels "et il fit afficher les feuilles sur le mur, de sorte que se trouvant au lit pendant sa maladie il pouvait les voir et les lire, et il pleurait sans cesse à chaudes larmes" [49]. C’est ainsi que s’écoulèrent les derniers jours de la vie d’Augustin, qui mourut le 28 août 430, alors qu’il n’avait pas encore 76 ans. Nous consacrerons les prochaines rencontres à ses œuvres, à son message et à son parcours intérieur.

* * *

Chers frères et sœurs !

Aujourd’hui, comme mercredi dernier, je voudrais parler du grand Évêque d’Hippone, saint Augustin. Quatre ans avant de mourir, il voulut nommer son successeur. C’est pourquoi, le 26 septembre 426, il rassembla le peuple dans la Basilique de la Paix, à Hippone, pour présenter aux fidèles celui qu’il avait désigné pour cette tâche. Il dit : "Dans cette vie nous sommes tous mortels, mais le dernier jour de cette vie est toujours incertain pour chaque personne. Toutefois, dans l’enfance on espère parvenir à l’adolescence ; dans l’adolescence à la jeunesse ; dans la jeunesse à l’âge adulte ; dans l’âge adulte à l’âge mûr, dans l’âge mûr à la vieillesse. On n’est pas sûr d’y parvenir, mais on l’espère. La vieillesse, au contraire, n’a devant elle aucun temps dans lequel espérer ; sa durée même est incertaine... Par la volonté de Dieu, je parvins dans cette ville dans la force de l’âge ; mais à présent ma jeunesse est passée et désormais je suis vieux" [50]. A ce point, Augustin cita le nom du successeur désigné, le prêtre Eraclius. L’assemblée applaudit en signe d’approbation en répétant vingt-trois fois : "Dieu soit remercié ! loué soit Jésus Christ !". En outre, les fidèles approuvèrent par d’autres acclamations ce qu’Augustin dit ensuite à propos de ses intentions pour l’avenir : il voulait consacrer les années qui lui restaient à une étude plus intense des Écritures Saintes [51].

De fait, les quatre années qui suivirent furent des années d’une extraordinaire activité intellectuelle : il mena à bien des œuvres importantes, il en commença d’autres tout aussi prenantes, il mena des débats publics avec les hérétiques – il cherchait toujours le dialogue –, il intervint pour promouvoir la paix dans les provinces africaines assiégées par les tribus barbares du sud. C’est à ce propos qu’il écrivit au comte Darius, venu en Afrique pour résoudre le différend entre le comte Boniface et la cour impériale, dont profitaient les tribus des Maures pour effectuer leurs incursions. "Le plus grand titre de gloire – affirmait-il dans sa lettre – est précisément de tuer la guerre grâce à la parole, au lieu de tuer les hommes par l’épée, et de rétablir ou de conserver la paix par la paix et non par la guerre. Bien sûr, ceux qui combattent, s’ils sont bons, cherchent eux aussi sans aucun doute la paix, mais au prix du sang versé. Toi, au contraire, tu as été envoyé précisément pour empêcher que l’on cherche à verser le sang de quiconque" [52]. Malheureusement, les espérances d’une pacification des territoires africains furent déçues : en mai 429, les Vandales, invités en Afrique par Boniface lui-même qui voulait se venger, franchirent le détroit de Gibraltar et envahirent la Mauritanie. L’invasion atteint rapidement les autres riches provinces africaines. En mai ou en juin 430, les "destructeurs de l’empire romain", comme Possidius qualifie ces barbares [53], encerclaient Hippone, qu’ils assiégèrent.

Boniface avait lui aussi cherché refuge en ville et, s’étant réconcilié trop tard avec la cour, il tentait à présent en vain de barrer la route aux envahisseurs. Le biographe Possidius décrit la douleur d’Augustin : "Les larmes étaient, plus que d’habitude, son pain quotidien nuit et jour et, désormais parvenu à la fin de sa vie, il traînait plus que les autres sa vieillesse dans l’amertume et dans le deuil" [54]. Et il explique : "Cet homme de Dieu voyait en effet les massacres et les destructions des villes ; les maisons dans les campagnes détruites et leurs habitants tués par les ennemis ou mis en fuite et dispersés ; les églises privées de prêtres et de ministres, les vierges sacrées et les religieuses dispersées de toute part ; parmi eux, des personnes mortes sous les tortures, d’autres tuées par l’épée, d’autres encore faites prisonnières, ayant perdu l’intégrité de l’âme et du corps et également la foi, réduites en un esclavage long et douloureux par leurs ennemis" [55].

Bien que vieux et fatigué, Augustin resta cependant sur la brèche, se réconfortant et réconfortant les autres par la prière et par la méditation sur les mystérieux desseins de la Providence. Il parlait, à cet égard, de la "vieillesse du monde", – et véritablement ce monde romain était vieux –, il parlait de cette vieillesse comme il l’avait déjà fait des années auparavant, pour réconforter les réfugiés provenant de l’Italie, lorsqu’en 410 les Goths d’Alaric avaient envahi la ville de Rome. Pendant la vieillesse, disait-il, les maux abondent : toux, rhumes, yeux chassieux, anxiété, épuisement. Mais si le monde vieillit, le Christ est éternellement jeune. D’où l’invitation : "Ne refuse pas de rajeunir uni au Christ, qui te dit : Ne crains rien, ta jeunesse se renouvellera comme celle de l’aigle" [56]. Le chrétien ne doit donc pas se laisser abattre, mais se prodiguer pour aider celui qui est dans le besoin. C’est ce que le grand Docteur suggère en répondant à l’Évêque de Tiabe, Honoré, qui lui avait demandé si, sous la pression des invasions barbares, un Évêque, un prêtre ou tout autre homme d’Église pouvait fuir pour sauver sa vie : "Lorsque le danger est commun pour tous, c’est-à-dire pour les Évêques, les clercs et les laïcs, que ceux qui ont besoin des autres ne soient pas abandonnés par ceux dont ils ont besoin. Dans ce cas, qu’ils se réfugient même tous ensemble dans des lieux sûrs ; mais si certains ont besoin de rester, qu’ils ne soient pas abandonnés par ceux qui ont le devoir de les assister par le saint ministère, de manière à ce qu’ils se sauvent ensemble ou qu’ils supportent ensemble les catastrophes que le Père de famille voudra qu’ils pâtissent" [57]. Et il concluait : "Telle est la preuve suprême de la charité" [58]. Comment ne pas reconnaître dans ces mots, le message héroïque que tant de prêtres, au cours des siècles, ont accueilli et adopté ?

En attendant la ville d’Hippone résistait. La maison-monastère d’Augustin avait ouvert ses portes pour accueillir ses collègues dans l’épiscopat qui demandaient l’hospitalité. Parmi eux se trouvait également Possidius, autrefois son disciple, qui put ainsi nous laisser le témoignage direct de ces derniers jours dramatiques. "Au troisième mois de ce siège – raconte-t-il – il se mit au lit avec la fièvre : c’était sa dernière maladie" [59]. Le saint Vieillard profita de ce temps désormais libre pour se consacrer avec plus d’intensité à la prière. Il avait l’habitude d’affirmer que personne, Évêque, religieux ou laïcs, aussi irrépréhensible que puisse sembler sa conduite, ne peut affronter la mort sans une pénitence adaptée. C’est pourquoi il continuait sans cesse à répéter, en pleurant, les psaumes pénitentiels qu’il avait si souvent récités avec le peuple [60].

Plus le mal s’aggravait, plus l’Évêque mourant ressentait le besoin de solitude et de prière : "Pour n’être dérangé par personne dans son recueillement, environ dix jours avant de sortir de son corps, il nous pria, nous tous présents, de ne laisser entrer personne dans sa chambre, en dehors des heures où les médecins venaient l’examiner ou lorsqu’on lui apportait les repas. Sa volonté fut exactement accomplie et, pendant tout ce temps, il se consacra à la prière" [61]. Il cessa de vivre le 28 août 430 : son grand cœur s’était finalement apaisé en Dieu.

"Pour la déposition de son corps – nous informe Possidius – le sacrifice, auquel nous assistâmes, fut offert à Dieu, puis il fut enseveli" [62]. Son corps, à une date incertaine, fut transféré en Sardaigne, puis, vers 725, à Pavie, dans la Basilique "San Pietro in Ciel d’oro", où il repose encore aujourd’hui. Son premier biographe a exprimé ce jugement conclusif sur lui : "Il laissa à l’Église un clergé très nombreux, ainsi que des monastères d’hommes et de femmes pleins de personnes consacrées à la chasteté sous l’obéissance de leurs supérieurs, ainsi que des bibliothèques contenant ses livres et ses discours et ceux d’autres saints, grâce auxquels on sait quels ont été, par la grâce de Dieu, son mérite et sa grandeur dans l’Église, où les fidèles le retrouvent toujours vivant" [63]. C’est un jugement auquel nous pouvons nous associer : dans ses écrits nous aussi nous le "retrouvons vivant". Lorsque je lis les écrits de saint Augustin, je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un homme mort il y a plus ou moins 1600 ans, mais je le perçois comme un homme d’aujourd’hui : un ami, un contemporain qui me parle, qui nous parle avec sa foi fraîche et actuelle. Chez saint Augustin qui nous parle, qui me parle dans ses écrits, nous voyons l’actualité permanente de sa foi ; de la foi qui vient du Christ, Verbe éternel incarné, Fils de Dieu et Fils de l’homme. Et nous pouvons voir que cette foi n’est pas d’hier, même si elle a été prêchée hier ; elle est toujours d’aujourd’hui, car le Christ est réellement hier, aujourd’hui et à jamais. Il est le chemin, la Vérité et la Vie. Ainsi, saint Augustin nous encourage à nous confier à ce Christ toujours vivant et à trouver de cette manière le chemin de la vie.

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Chers amis,

Après la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous revenons aujourd’hui sur la grande figure de saint Augustin. Mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II lui a consacré en 1986, c’est-à-dire pour le seizième centenaire de sa conversion, un long document très dense, la Lettre apostolique Augustinum Hipponensem. Le Pape lui-même souhaita qualifier ce texte d’"action de grâce à Dieu pour le don fait à l’Église, et pour elle à l’humanité tout entière, avec cette admirable conversion". Je voudrais revenir sur le thème de la conversion lors d’une prochaine Audience. C’est un thème fondamental non seulement pour sa vie personnelle, mais aussi pour la nôtre. Dans l’Évangile de dimanche dernier, le Seigneur a résumé sa prédication par la parole : "Convertissez-vous". En suivant le chemin de saint Augustin, nous pourrions méditer sur ce qu’est cette conversion : c’est une chose définitive, décisive, mais la décision fondamentale doit se développer, doit se réaliser dans toute notre vie.

La catéchèse d’aujourd’hui est en revanche consacrée au thème foi et raison, qui est un thème déterminant, ou mieux, le thème déterminant dans la biographie de saint Augustin. Enfant, il avait appris de sa mère Monique la foi catholique. Mais adolescent il avait abandonné cette foi parce qu’il ne parvenait plus à en voir le caractère raisonnable et il ne voulait pas d’une religion qui ne fût pas aussi pour lui expression de la raison, c’est-à-dire de la vérité. Sa soif de vérité était radicale et elle l’a conduit à s’éloigner de la foi catholique. Mais sa radicalité était telle qu’il ne pouvait pas se contenter de philosophies qui ne seraient pas parvenues à la vérité elle-même, qui ne seraient pas arrivées jusqu’à Dieu. Et à un Dieu qui ne soit pas uniquement une ultime hypothèse cosmologique, mais qui soit le vrai Dieu, le Dieu qui donne la vie et qui entre dans notre vie personnelle. Ainsi, tout l’itinéraire spirituel de saint Augustin constitue un modèle valable encore aujourd’hui dans le rapport entre foi et raison, thème non seulement pour les hommes croyants mais pour tout homme qui recherche la vérité, thème central pour l’équilibre et le destin de tout être humain. Ces deux dimensions, foi et raison, ne doivent pas être séparées ni opposées, mais doivent plutôt toujours aller de pair. Comme l’a écrit Augustin lui-même peu après sa conversion, foi et raison sont "les deux forces qui nous conduisent à la connaissance" [64]. A cet égard demeurent célèbres à juste titre les deux formules augustiniennes [65] qui expriment cette synthèse cohérente entre foi et raison : crede ut intelligas ("crois pour comprendre") – croire ouvre la route pour franchir la porte de la vérité – mais aussi, et de manière inséparable, intellige ut credas ("comprends pour croire"), scrute la vérité pour pouvoir trouver Dieu et croire.

Les deux affirmations d’Augustin expriment de manière immédiate et concrète ainsi qu’avec une grande profondeur, la synthèse de ce problème, dans lequel l’Église catholique voit exprimé son propre chemin. D’un point de vue historique, cette synthèse se forme avant même la venue du Christ, dans la rencontre entre la foi juive et la pensée grecque dans le judaïsme hellénistique. Ensuite au cours de l’histoire, cette synthèse a été reprise et développée par un grand nombre de penseurs chrétiens. L’harmonie entre foi et raison signifie surtout que Dieu n’est pas éloigné : il n’est pas éloigné de notre raison et de notre vie ; il est proche de tout être humain, proche de notre cœur et proche de notre raison, si nous nous mettons réellement en chemin.

C’est précisément cette proximité de Dieu avec l’homme qui fut perçue avec une extraordinaire intensité par Augustin. La présence de Dieu en l’homme est profonde et dans le même temps mystérieuse, mais elle peut être reconnue et découverte dans notre propre intimité : ne sors pas – affirme le converti – mais "rentre en toi-même ; c’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité ; et si tu trouves que la nature est muable, transcende-toi toi-même. Mais rappelle-toi, lorsque tu te transcendes toi-même, que tu transcendes une âme qui raisonne. Tends donc là où s’allume la lumière de la raison" [66]. Précisément comme il le souligne, dans une affirmation très célèbre, au début des Confessions, son autobiographie spirituelle écrite en louange à Dieu : "Tu nous as faits pour toi et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne repose pas en toi" [67].

Être éloigné de Dieu équivaut alors à être éloigné de soi-même : "En effet - reconnaît Augustin [68] en s’adressant directement à Dieu - tu étais à l’intérieur de moi dans ce que j’ai de plus intime et plus au-dessus de ce que j’ai de plus haut", interior intimo meo et superior summo meo ; si bien que – ajoute-t-il dans un autre passage lorsqu’il rappelle l’époque antérieure à sa conversion – "tu étais devant moi ; et quant à moi en revanche, je m’étais éloigné de moi-même, et je ne me retrouvais plus ; et moins encore te retrouvais-je" [69]. C’est précisément parce qu’Augustin a vécu personnellement cet itinéraire intellectuel et spirituel, qu’il a su le rendre dans ses œuvres de manière immédiate et avec tant de profondeur et de sagesse, reconnaissant dans deux autres passages célèbres des Confessions [70] que l’homme est "une grande énigme" (magna quaestio) et "un grand abîme" (grande profundum), une énigme et un abîme que seul le Christ illumine et sauve. Voilà ce qui est important : un homme qui est éloigné de Dieu est aussi éloigné de lui-même, et il ne peut se retrouver lui-même qu’en rencontrant Dieu. Ainsi il arrive également à lui-même, à son vrai moi, à sa vraie identité.

L’être humain – souligne ensuite Augustin dans De civitate Dei [71] – est social par nature mais antisocial par vice, et il est sauvé par le Christ, unique médiateur entre Dieu et l’humanité et "voie universelle de la liberté et du salut", comme l’a répété mon prédécesseur Jean-Paul II [72] : hors de cette voie, qui n’a jamais fait défaut au genre humain – affirme encore Augustin dans cette même œuvre – "personne n’a jamais trouvé la liberté, personne ne la trouve, personne ne la trouvera" [73]. En tant qu’unique médiateur du salut, le Christ est la tête de l’Église et il est uni à elle de façon mystique au point qu’Augustin peut affirmer : "Nous sommes devenus le Christ. En effet, s’il est la tête et nous les membres, l’homme total est lui et nous" [74].

Peuple de Dieu et maison de Dieu, l’Église, dans la vision augustinienne est donc liée étroitement au concept de Corps du Christ, fondée sur la relecture christologique de l’Ancien Testament et sur la vie sacramentelle centrée sur l’Eucharistie, dans laquelle le Seigneur nous donne son Corps et nous transforme en son Corps. Il est alors fondamental que l’Église, Peuple de Dieu au sens christologique et non au sens sociologique, soit véritablement inscrite dans le Christ, qui – affirme Augustin dans une très belle page – "prie pour nous, prie en nous, est prié par nous ; prie pour nous comme notre prêtre, prie en nous comme notre chef, est prié par nous comme notre Dieu : nous reconnaissons donc en lui notre voix et en nous la sienne" [75].

Dans la conclusion de la Lettre apostolique Agustinum Hipponensem Jean-Paul II a voulu demander au saint lui-même ce qu’il avait à dire aux hommes d’aujourd’hui et il répond tout d’abord avec les paroles qu’Augustin confia dans une lettre dictée peu après sa conversion : "Il me semble que l’on doive reconduire les hommes à l’espérance de trouver la vérité" [76] ; cette vérité qui est le Christ lui-même, le Dieu véritable, auquel est adressée l’une des plus belles et des plus célèbres prières des Confessions [77] : "Je t’ai aimée tard, beauté si ancienne, beauté si nouvelle, je t’ai aimée tard. Mais quoi ! Tu étais au dedans, moi au dehors de moi-même ; et c’est au dehors que je te cherchais ; et je poursuivais de ma laideur la beauté de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi ; retenu loin de toi par tout ce qui, sans toi, ne serait que néant. Tu m’appelles, et voilà que ton cri force la surdité de mon oreille ; ta splendeur rayonne, elle chasse mon aveuglement ; ton parfum, je le respire, et voilà que je soupire pour toi ; je t’ai goûté, et me voilà dévoré de faim et de soif ; tu m’as touché, et je brûle du désir de ta paix".

Voilà, Augustin a rencontré Dieu et tout au long de sa vie, il en a fait l’expérience au point que cette réalité - qui est avant tout la rencontre avec une Personne, Jésus - a changé sa vie, comme elle change celle de tous ceux, femmes et hommes, qui de tous temps ont la grâce de le rencontrer. Prions afin que le Seigneur nous donne cette grâce et nous permette de trouver sa paix.

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Chers frères et sœurs,

Après la pause des exercices spirituels de la semaine dernière nous revenons aujourd’hui à la grande figure de saint Augustin, duquel j’ai déjà parlé à plusieurs reprises dans les catéchèses du mercredi. C’est le Père de l’Église qui a laissé le plus grand nombre d’œuvres, et c’est de celles-ci que j’entends aujourd’hui brièvement parler. Certains des écrits d’Augustin sont d’une importance capitale, et pas seulement pour l’histoire du christianisme, mais pour la formation de toute la culture occidentale : l’exemple le plus clair sont les Confessions, sans aucun doute l’un des livres de l’antiquité chrétienne le plus lu aujourd’hui encore. Comme différents Pères de l’Église des premiers siècles, mais dans une mesure incomparablement plus vaste, l’Évêque d’Hippone a en effet lui aussi exercé une influence étendue et persistante, comme il ressort déjà de la surabondante traduction manuscrite de ses œuvres, qui sont vraiment très nombreuses.

Il les passa lui-même en revue quelques années avant de mourir dans les Retractationes et, peu après sa mort, celles-ci furent soigneusement enregistrées dans l’Indiculus ("liste") ajouté par son fidèle ami Possidius à la biographie de saint Augustin Vita Augustini. La liste des œuvres d’Augustin fut réalisée avec l’intention explicite d’en conserver la mémoire alors que l’invasion vandale se répandait dans toute l’Afrique romaine et elle compte plus de mille trois cents écrits, numérotés par leur auteur, ainsi que d’autres "que l’on ne peut pas numéroter, car il n’y a placé aucun numéro". Évêque d’une ville voisine, Possidius dictait ces paroles précisément à Hippone – où il s’était réfugié et où il avait assisté à la mort de son ami – et il se basait presque certainement sur le catalogue de la bibliothèque personnelle d’Augustin. Aujourd’hui, plus de trois cents lettres ont survécu à l’Évêque d’Hippone et presque six cents homélies, mais à l’origine ces dernières étaient beaucoup plus nombreuses, peut-être même entre trois mille et quatre mille, fruit de quarante années de prédication de l’antique rhéteur qui avait décidé de suivre Jésus et de parler non plus aux grandes cours impériales, mais à la simple population d’Hippone.

Et encore ces dernières années, la découverte d’un groupe de lettres et de plusieurs homélies a enrichi notre connaissance de ce grand Père de l’Église. "De nombreux livres – écrit Possidius – furent composés par lui et publiés, de nombreuses prédications furent tenues à l’église, transcrites et corrigées, aussi bien pour réfuter les divers hérétiques que pour interpréter les Saintes Écritures, en vue de l’édification de saints fils de l’Église. Ces œuvres – souligne son ami Évêque – sont si nombreuses que difficilement un érudit a la possibilité de les lire et d’apprendre à les connaître" [78].

Parmi la production d’Augustin – plus de mille publications subdivisées en écrits philosophiques, apologétiques, doctrinaux, moraux, monastiques, exégétiques, anti-hérétiques, en plus des lettres et des homélies – ressortent plusieurs œuvres exceptionnelles de grande envergure théologique et philosophique. Il faut tout d’abord rappeler les Confessions susmentionnées, écrites en treize livres entre 397 et 400 pour louer Dieu. Elles sont une sorte d’autobiographie sous forme d’un dialogue avec Dieu. Ce genre littéraire reflète précisément la vie de saint Augustin, qui était une vie qui n’était pas refermée sur elle, dispersée en tant de choses, mais vécue substantiellement comme un dialogue avec Dieu, et ainsi une vie avec les autres. Le titre Confessions indique déjà la spécificité de cette autobiographie. Ce mot Confessions, dans le latin chrétien développé par la tradition des Psaumes, possède deux significations, qui toutefois se recoupent.

Confessions indique, en premier lieu, la confession des propres faiblesses, de la misère des péchés ; mais, dans le même temps, Confessions signifie louange de Dieu, reconnaissance à Dieu. Voir sa propre misère à la lumière de Dieu devient louange à Dieu et action de grâce, car Dieu nous aime et nous accepte, nous transforme et nous élève vers lui-même. Sur ces Confessions qui eurent un grand succès déjà pendant la vie de saint Augustin, il a lui-même écrit : "Elles ont exercé sur moi une profonde action alors que je les écrivais et elles l’exercent encore quand je les relis. Il y a de nombreux frères à qui ces œuvres plaisent" [79] : et je dois dire que je suis moi aussi l’un de ces "frères". Et grâce aux Confessions nous pouvons suivre pas à pas le chemin intérieur de cet homme extraordinaire et passionné de Dieu. Moins connues, mais tout aussi importantes et originales sont les Retractationes, composées en deux livres autour de 427, dans lesquelles saint Augustin, désormais âgé, accomplit une œuvre de "révision" (retractatio) de toute son œuvre écrite, laissant ainsi un document littéraire original et précieux, mais également un enseignement de sincérité et d’humilité intellectuelle.

Le De civitate Dei – une œuvre imposante et décisive pour le développement de la pensée politique occidentale et pour la théologie chrétienne de l’histoire – fut écrit entre 413 et 426 en vingt-deux livres. L’occasion était le sac de Rome accompli par les Goths en 410. De nombreux païens encore vivants, mais également de nombreux chrétiens, avaient dit : Rome est tombée, à présent le Dieu chrétien et les apôtres ne peuvent pas protéger la ville. Pendant la présence des divinités païennes, Rome était caput mundi, la grande capitale, et personne ne pouvait penser qu’elle serait tombée entre les mains des ennemis. A présent, avec le Dieu chrétien, cette grande ville n’apparaissait plus sûre. Le Dieu des chrétiens ne protégeait donc pas, il ne pouvait pas être le Dieu auquel se confier. A cette objection, qui touchait aussi profondément le cœur des chrétiens, saint Augustin répond par cette œuvre grandiose, le De civitate Dei, en clarifiant ce que nous devons attendre ou pas de Dieu, quelle est la relation entre le domaine politique et le domaine de la foi, de l’Église. Aujourd’hui aussi, ce livre est une source pour bien définir la véritable laïcité et la compétence de l’Église, la grande véritable espérance que nous donne la foi. Ce grand livre est une présentation de l’histoire de l’humanité gouvernée par la Providence divine, mais actuellement divisée par deux amours. Et cela est le dessein fondamental, son interprétation de l’histoire, qui est la lutte entre deux amours : amour de soi "jusqu’à l’indifférence pour Dieu", et amour de Dieu "jusqu’à l’indifférence pour soi" [80], à la pleine liberté de soi pour les autres dans la lumière de Dieu. Cela, donc, est peut-être le plus grand livre de saint Augustin, d’une importance qui dure jusqu’à aujourd’hui. Tout aussi important est le De Trinitate, une œuvre en quinze livres sur le noyau principal de la foi chrétienne, écrite en deux temps : entre 399 et 412 pour les douze premiers livres, publiés à l’insu d’Augustin, qui vers 420 les compléta et revit l’œuvre tout entière. Il réfléchit ici sur le visage de Dieu et cherche à comprendre ce mystère du Dieu qui est unique, l’unique créateur du monde, de nous tous, et toutefois, précisément ce Dieu unique est trinitaire, un cercle d’amour. Il cherche à comprendre le mystère insondable : précisément l’être trinitaire, en trois Personnes, est la plus réelle et la plus profonde unité de l’unique Dieu. Le De doctrina Christiana est, en revanche, une véritable introduction culturelle à l’interprétation de la Bible et en définitive au christianisme lui-même, qui a eu une importance décisive dans la formation de la culture occidentale.

Malgré toute son humilité, Augustin fut certainement conscient de son envergure intellectuelle. Mais pour lui, il était plus important d’apporter le message chrétien aux simples, plutôt que de faire des œuvres de grande envergure théologique. Cette profonde intention, qui a guidé toute sa vie, ressort d’une lettre écrite à son collège Evodius, où il communique la décision de suspendre pour le moment la dictée des livres du De Trinitate, "car ils sont trop difficiles et je pense qu’ils ne pourront être compris que par un petit nombre ; c’est pourquoi il est plus urgent d’avoir des textes qui, nous l’espérons, seront utiles à un grand nombre" [81]. Il était donc plus utile pour lui de communiquer la foi de manière compréhensible à tous, plutôt que d’écrire de grandes œuvres théologiques. La responsabilité perçue avec acuité à l’égard de la divulgation du message chrétien est ensuite à l’origine d’écrits tels que le De catechizandis rudibus, une théorie et également une pratique de la catéchèse, ou le Psalmus contra partem Donati. Les donatistes étaient le grand problème de l’Afrique de saint Augustin, un schisme volontairement africain. Ils affirmaient : la véritable chrétienté est africaine. Ils s’opposaient à l’unité de l’Église. Le grand Evêque a lutté contre ce schisme pendant toute sa vie, cherchant à convaincre les donatistes que ce n’est que dans l’unité que l’africanité peut également être vraie. Et pour se faire comprendre des gens simples, qui ne pouvaient pas comprendre le grand latin du rhéteur, il a dit : je dois aussi écrire avec des fautes de grammaire, dans un latin très simplifié. Et il l’a fait surtout dans ce Psalmus, une sorte de poésie simple contre les donatistes, pour aider tous les gens à comprendre que ce n’est que dans l’unité de l’Église que se réalise réellement pour tous notre relation avec Dieu et que grandit la paix dans le monde.

Dans cette production, destinée à un plus vaste public, revêt une importance particulière le grand nombre des homélies souvent prononcées de manière improvisée, transcrites par les tachygraphes au cours de la prédication et immédiatement mises en circulation. Parmi celles-ci, ressortent les très belles Enarrationes in Psalmos, fréquemment lues au moyen-âge. C’est précisément la pratique de la publication des milliers d’homélies d’Augustin – souvent sans le contrôle de l’auteur – qui explique leur diffusion et leur dispersion successive, mais également leur vitalité. En effet, en raison de la renommée de leur auteur, les prédications de l’Évêque d’Hippone devinrent immédiatement des textes très recherchés et servirent de modèles, adaptés à des contextes toujours nouveaux.

La tradition iconographique, déjà visible dans une fresque du Latran remontant au VI siècle, représente saint Augustin avec un livre à la main, certainement pour exprimer sa production littéraire, qui influença tant la mentalité et la pensée des chrétiens, mais aussi pour exprimer également son grand amour pour les livres, pour la lecture et la connaissance de la grande culture précédente. A sa mort il ne laissa rien, raconte Possidius, mais "il recommandait toujours de conserver diligemment pour la postérité la bibliothèque de l’église avec tous les codex", en particulier ceux de ses œuvres. Dans celles-ci, souligne Possidius, Augustin est "toujours vivant" et ses écrits sont bénéfiques à ceux qui les lisent, même si, conclut-il, "je crois que ceux qui purent le voir et l’écouter quand il parlait en personne à l’église, ont pu davantage tirer profit de son contact, et surtout ceux qui parmi les fidèles partagèrent sa vie quotidienne" [82]. Oui, il aurait été beau pour nous aussi de pouvoir l’entendre vivant. Mais il est réellement vivant dans ses écrits, il est présent en nous et ainsi nous voyons aussi la vitalité permanente de la foi pour laquelle il a donné toute sa vie.

* * *

Chers frères et sœurs,

Avec la rencontre d’aujourd’hui je voudrais conclure la présentation de la figure de saint Augustin. Après nous être arrêtés sur sa vie, sur ses œuvres et plusieurs aspects de sa pensée, je voudrais revenir aujourd’hui sur son itinéraire intérieur, qui en a fait l’un des plus grands convertis de l’histoire chrétienne. J’ai consacré une réflexion à cette expérience particulière au cours du pèlerinage que j’ai accompli à Pavie l’année dernière pour vénérer la dépouille mortelle de ce Père de l’Église. De cette façon, j’ai voulu lui exprimer l’hommage de toute l’Église catholique, mais également rendre visible ma dévotion personnelle et ma reconnaissance à l’égard d’une figure à laquelle je me sens profondément lié, en raison du rôle qu’elle a joué dans ma vie de théologien, de prêtre et de pasteur.

Aujourd’hui encore, il est possible de reparcourir la vie de saint Augustin en particulier grâce aux Confessions, écrites en louange à Dieu, et qui sont à l’origine de l’une des formes littéraires les plus spécifiques de l’Occident, l’autobiographie, c’est-à-dire l’expression personnelle de la conscience de soi. Eh bien, quiconque approche ce livre extraordinaire et fascinant, beaucoup lu aujourd’hui encore, s’aperçoit facilement que la conversion d’Augustin n’a pas eu lieu à l’improviste et n’a pas été pleinement réalisée dès le début, mais que l’on peut plutôt la définir comme un véritable et propre chemin, qui reste un modèle pour chacun de nous. Cet itinéraire atteint bien sûr son sommet avec la conversion et ensuite avec le baptême, mais il ne se conclut pas lors de cette veillée pascale de l’année 387, lorsqu’à Milan le rhéteur africain fut baptisé par l’Évêque Ambroise. Le chemin de conversion d’Augustin continua en effet humblement jusqu’à la fin de sa vie, si bien que l’on peut vraiment dire que ses différentes étapes - on peut facilement en distinguer trois - sont une unique grande conversion. Saint Augustin a été un chercheur passionné de la vérité : il l’a été dès le début et ensuite pendant toute sa vie. La première étape de son chemin de conversion s’est précisément réalisée dans l’approche progressive du christianisme. En réalité, il avait reçu de sa mère Monique, à laquelle il resta toujours très lié, une éducation chrétienne et, bien qu’il ait vécu pendant ses années de jeunesse une vie dissipée, il ressentit toujours une profonde attraction pour le Christ, ayant bu l’amour pour le nom du Seigneur avec le lait maternel, comme il le souligne lui-même [83]. Mais la philosophie également, en particulier d’inspiration platonicienne, avait également contribué à le rapprocher ultérieurement du Christ en lui manifestant l’existence du Logos, la raison créatrice. Les livres des philosophes lui indiquaient qu’il y d’abord la raison, dont vient ensuite tout le monde, mais ils ne lui disaient pas comment rejoindre ce Logos, qui semblait si loin. Seule la lecture des lettres de saint Paul, dans la foi de l’Église catholique, lui révéla pleinement la vérité. Cette expérience fut synthétisée par Augustin dans l’une des pages les plus célèbres de ses Confessions : il raconte que, dans le tourment de ses réflexions, s’étant retiré dans un jardin, il entendit à l’improviste une voix d’enfant qui répétait une cantilène, jamais entendue auparavant : tolle, lege, tolle, lege, "prends, lis, prends, lis" [84]. Il se rappela alors de la conversion d’Antoine, père du monachisme, et avec attention il revint au codex de Paul qu’il tenait quelques instants auparavant entre les mains, il l’ouvrit et son regard tomba sur la lettre aux Romains, où l’Apôtre exhorte à abandonner les œuvres de la chair et à se revêtir du Christ [85]. Il avait compris que cette parole, à ce moment, lui était personnellement adressée, provenait de Dieu à travers l’Apôtre et lui indiquait ce qu’il fallait faire à ce moment. Il sentit ainsi se dissiper les ténèbres du doute et il se retrouva finalement libre de se donner entièrement au Christ : "Tu avais converti mon être à toi", commente-t-il [86]. Ce fut la première conversion décisive.

Le rhéteur africain arriva à cette étape fondamentale de son long chemin grâce à sa passion pour l’homme et pour la vérité, passion qui le mena à chercher Dieu, grand et inaccessible. La foi en Christ lui fit comprendre que le Dieu, apparemment si lointain, en réalité ne l’était pas. En effet, il s’était fait proche de nous, devenant l’un de nous. C’est dans ce sens que la foi en Christ a porté à son accomplissement la longue recherche d’Augustin sur le chemin de la vérité. Seul un Dieu qui s’est fait "tangible", l’un de nous, était finalement un Dieu que l’on pouvait prier, pour lequel et avec lequel on pouvait vivre. Il s’agit d’une voie à parcourir avec courage et en même temps avec humilité, en étant ouvert à une purification permanente dont chacun de nous a toujours besoin. Mais avec cette Veillée pascale de 387, comme nous l’avons dit, le chemin d’Augustin n’était pas conclu. De retour en Afrique et ayant fondé un petit monastère, il s’y retira avec quelques amis pour se consacrer à la vie contemplative et à l’étude. C’était le rêve de sa vie. A présent, il était appelé à vivre totalement pour la vérité, avec la vérité, dans l’amitié du Christ qui est la vérité. Un beau rêve qui dura trois ans, jusqu’à ce qu’il soit, malgré lui, consacré prêtre à Hippone et destiné à servir les fidèles, en continuant certes à vivre avec le Christ et pour le Christ, mais au service de tous. Cela lui était très difficile, mais il comprit dès le début que ce n’est qu’en vivant pour les autres, et pas seulement pour sa contemplation privée, qu’il pouvait réellement vivre avec le Christ et pour le Christ. Ainsi, renonçant à une vie uniquement de méditation, Augustin apprit, souvent avec difficulté, à mettre à disposition le fruit de son intelligence au bénéfice des autres. Il apprit à communiquer sa foi aux personnes simples et à vivre ainsi pour elles, dans ce qui devint sa ville, accomplissant sans se lasser une activité généreuse et difficile, qu’il décrit ainsi dans l’un de ses très beaux sermons : "Sans cesse prêcher, discuter, reprendre, édifier, être à la disposition de tous - c’est une lourde charge, un grand poids, une immense fatigue" [87]. Mais il prit ce poids sur lui, comprenant que précisément ainsi il pouvait être plus proche du Christ. Comprendre que l’on arrive aux autres avec simplicité et humilité, telle fut sa véritable deuxième conversion. Mais il y a une dernière étape du chemin d’Augustin, une troisième conversion : celle qui le mena chaque jour de sa vie à demander pardon à Dieu. Il avait tout d’abord pensé qu’une fois baptisé, dans la vie de communion avec le Christ, dans les Sacrements, dans la célébration de l’Eucharistie, il serait arrivé à la vie proposée par le Discours sur la montagne : à la perfection donnée dans le baptême et reconfirmée dans l’Eucharistie. Dans la dernière partie de sa vie, il comprit que ce qu’il avait dit dans ses premières prédications sur le Discours de la montagne - c’est-à-dire ce que nous à présent, en tant que chrétiens, nous vivons constamment cet idéal - était erroné. Seul le Christ lui-même réalise vraiment et complètement le Discours de la montagne. Nous avons toujours besoin d’être lavés par le Christ, qu’il nous lave les pieds et qu’il nous renouvelle. Nous avons besoin d’une conversion permanente. Jusqu’à la fin nous avons besoin de cette humilité qui reconnaît que nous sommes des pécheurs en chemin, jusqu’à ce que le Seigneur nous donne la main définitivement et nous introduise dans la vie éternelle. Augustin est mort dans cette dernière attitude d’humilité, vécue jour après jour.

Cette attitude de profonde humilité devant l’unique Seigneur Jésus le conduisit à l’expérience de l’humilité également intellectuelle. En effet, au cours des dernières années de sa vie, Augustin, qui est l’une des plus grandes figures de l’histoire de la pensée, voulut soumettre à un examen critique clairvoyant toutes ses très nombreuses œuvres. C’est ainsi que sont nées les Retractationes ("révisions"), qui insèrent de cette façon sa pensée théologique, vraiment grande, dans la foi humble et sainte de celle qu’il appelle simplement par le nom de Catholica, c’est-à-dire l’Église. "J’ai compris – écrit-il précisément dans ce livre très original [88] – qu’une seule personne est véritablement parfaite et que les paroles du Discours de la montagne ne se sont totalement réalisées que dans une seule personne : en Jésus Christ lui-même. En revanche, toute l’Église – nous tous, y compris les apôtres – doit prier chaque jour : pardonne nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés".

Converti au Christ, qui est vérité et amour, Augustin l’a suivi pendant toute sa vie et il est devenu un modèle pour chaque être humain, pour nous tous, à la recherche de Dieu. C’est pourquoi j’ai voulu conclure mon pèlerinage à Pavie en remettant idéalement à l’Église et au monde, devant la tombe de ce grand amoureux de Dieu, ma première Encyclique, intitulée Deus caritas est. Celle-ci doit en effet beaucoup à la pensée de saint Augustin, en particulier dans sa première partie. Aujourd’hui aussi, comme à son époque, l’humanité a besoin de connaître et surtout de vivre cette réalité fondamentale : Dieu est amour et la rencontre avec lui est la seule réponse aux inquiétudes du cœur humain. Un cœur qui est habité par l’espérance, peut-être encore obscure et inconsciente chez beaucoup de nos contemporains, mais qui, pour nous chrétiens, nous ouvre déjà à l’avenir, à tel point que saint Paul a écrit que : "Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance" [89]. J’ai voulu consacrer ma deuxième Encyclique, Spe salvi, à l’espérance ; elle doit elle aussi beaucoup à Augustin et à sa rencontre avec Dieu.

Dans un très beau texte, saint Augustin définit la prière comme l’expression du désir et il affirme que Dieu répond en élargissant notre cœur vers Lui. Quant à nous, nous devons purifier nos désirs et nos espérances pour accueillir la douceur de Dieu [90]. En effet, celle-ci est la seule qui nous sauve, en nous ouvrant également aux autres. Prions donc pour que dans notre vie il nous soit donné chaque jour de suivre l’exemple de ce grand converti, en rencontrant comme lui à chaque moment de notre vie le Seigneur Jésus, l’unique qui nous sauve, qui nous purifie et nous donne la vraie joie, la vraie vie.

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[1] On trouvera une belle reproduction de cette fresque en couleurs dans le D.A.C.L. à l’article Bibliothèques, tome 2, col. 868-869 (hors-texte). La fresque, qui remonte au VIe siècle, représente « un personnage chauve et imberbe, vêtu de la toge avec le clavus sur l’épaule, les pieds nus. Il est assis sur un siège de forme rare, sorte de fauteuil à dossier arrondi ; devant lui un livre ouvert sur un pupitre. Le bras droit est étendu en direction du pupitre, la main gauche tient un rouleau. Point de nimbe autour de la tête » (Ph. Lauer, cité ibid. col. 869). La lecture du stique, qui est un peu effacé, comporte quelques variantes selon qu’on adopte la version Grisar ou la version Lauer. On a retenu ici celle de Grisar.

[2] Cf. Pierre Jounel, Le Culte des Saints dans les Basiliques du Latran et du Vatican au douzième siècle, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1977.

[3] Luc. XV, 7.

[4] Le Temps Pascal, t. II, IV mai, en la fête de sainte Monique.

[5] Aug. Soliloq. I, 22.

[6] Confess. X, XXVII.

[7] Ibid. VI.

[8] Ibid. IX, X.

[9] Ibid. X, XXVII, XXVIII.

[10] Johan. VIII, 32.

[11] Aug. Contra epist. Manichaei quam vocant fundamenti, 2-3.

[12] I Cor. XV. 9.

[13] Aug. Contra litteras Petiliani, II, 184.

[14] Possidius, Vita Augustini, 13.

[15] Possidius, Vita Augustini, 10.

[16] II Tim. IV, 2.

[17] Ezech. XXXIV, 4.

[18] II Cor. V, 10.

[19] Aug. Sermo XLVI, 14.

[20] Epist. C, CXXXIII, CXXXIV, al. CXXVII, CLIX, CLX.

[21] Epist. XCIII, al. XLVIII, 17.

[22] Epist. CLXXXV, al. L., quae et Liber de Correctione Donatistarum, 25.

[23] Luc. XIV, 23.

[24] Aug. Epist. XCIII, CLXXXV, et alibi passim.

[25] Apoc. XVIII, 4.

[26] Aug. Epist. XCV, al. CCL, etc.

[27] Hieron. Epist. CXXX, al. VIII.

[28] Aug. Epist. CL, al. CLXXIX.

[29] De Urbis excidio, 3.

[30] De civitate Dei contra Paganos, XIV, XXVIII.

[31] Seigneur, donnez ce que vous commandez, et commandez ce que vous voudrez. Confess. X, XXIX, XXXI, XXXVII.

[32] De dono perseverantiae, 53.

[33] Epist. CLXXVII, al. XCV.

[34] Contra duas Epist. Pelagianorum, I, 3.

[35] Contra litteras Petiliani, III, 11.

[36] Hieron. Epist. CXLI, al. LXXX.

[37] 529.

[38] Aug. De dono perseverantiae, 68.

[39] Epist. CXXIII, al. CX, 5.

[40] Epist. CCXIII, al. CX, 5.

[41] Epist. CCLXVI, al. CXXXII. Augustinus Florentinae puellae.

[42] Epist. CCXI, al. CIX.

[43] Sermones CCCLV, CCCLVI.

[44] Aug. Confess. IX, VI, VII.

[45] Prov. V, 16.

[46] Aug. Confess. I, 1.

[47] AAS, 62, 1970, p. 426.

[48] III, 4, 7.

[49] 31, 2.

[50] Ep. 213, 1.

[51] Cf. Ep. 213, 6.

[52] Ep. 229, 2.

[53] Vie, 30, 1.

[54] Vie, 28, 6.

[55] Ibid., 28, 8.

[56] Serm. 81, 8.

[57] Ep. 228, 2.

[58] Ibid., 3.

[59] Vie, 29, 3.

[60] Cf. ibid., 31, 2.

[61] Ibid., 31, 3.

[62] Vie, 31, 5.

[63] Possidius, Vie, 31, 8.

[64] Contra Academicos, III, 20, 43.

[65] Sermones, 43, 9.

[66] De vera religione, 39, 72.

[67] I, 1, 1.

[68] Confessions, III, 6, 11.

[69] Confessions, V, 2, 2.

[70] IV, 4, 9 et 14, 22.

[71] XII, 27.

[72] Augustinum Hipponensem, 21.

[73] De civitate Dei, X, 32, 2.

[74] In Iohannis evangelium tractatus, 21, 8.

[75] Enarrationes in Psalmos, 85, 1.

[76] Epistulae, 1, 1.

[77] X, 27, 38.

[78] Vita Augustini,18,9.

[79] Retractationes, II, 6.

[80] De civitate Dei, XIV, 28.

[81] Epistulae, 169, 1, 1.

[82] Vita Augustini, 31.

[83] Cf. Confessions, III, 4, 8.

[84] VII, 12, 29.

[85] 13, 13-14.

[86] Confessions, VIII, 12, 30.

[87] Serm. 339, 4.

[88] I, 19, 1-3.

[89] Rm 8, 24.

[90] Cf. In Ioannis, 4, 6.