Textes de la Messe |
Office |
Dom Guéranger, l’Année Liturgique |
Bhx cardinal Schuster, Liber Sacramentorum |
Dom Pius Parsch, Le guide dans l’année liturgique |
En 1955, au moment de la suppression des Octaves, celui de St Laurent n’était déjà plus qu’une survivance depuis la réforme de St Pie X : seule la commémoraison aux Laudes de St Hyacinthe et la Messe du Missel prouvaient encore l’existence.
Or dans le calendrier de St Pie V, l’Octave primait sur les fêtes de St Tiburce le 11, Ste Claire le 12, St Hippolyte le 13, la vigile de l’Ascension le 14. Et le jour Octave était libre avant que St Pie X n’y déplace la fête de St Hyacinthe et avait rang de double. Chacun de ces jours dans l’Octave disposait de ses deux lectures patristiques. Nous ne donnons ici que celles du jour Octave.
On se reportera aux jours de la vigile, de la fête et de ses commentaires, pour avoir un perçu liturgique complet de la solennité.
« Dans la liturgie romaine du VIIe siècle les dimanches qui tombent entre le 11 août et les quatre temps de septembre sont comptés post natalem sancti Laurentii. Il n’est donc pas étonnant de trouver l’octave de sa fête dès le VIe siècle dans le sacramentaire de Vérone, puis dans le Gélasien ancien, d’où elle est passée dans les Gélasiano-francs de la fin du VIIIe. C’est au contraire son absence dans le sacramentaire papal qui peut étonner. A Rome, au XIe siècle, elle est attestée évidemment par le sacramentaire de Saint-Laurent in Damaso, mais aussi à Saint-Pierre et à Saint-Anastase. Au siècle suivant, seuls en témoignent le sacramentaire de Saint-Tryphon et celui de l’Archivio de Sainte-Marie-Majeure, avant qu’on ne la trouve dans la totalité des témoins du Latran et du Vatican » [1].
Ant. ad Introitum. Ps. 16, 3. | Introït |
Probásti, Dómine, cor meum, et visitásti nocte : igne me examinásti, et non est invénta in me iníquitas. | Vous avez éprouvé mon cœur, Seigneur, et vous l’avez visité pendant la nuit : vous m’avez éprouvé par le feu, et il ne s’est pas trouvé en moi d’iniquité. |
Ps. ibid., 1. | |
Exáudi, Dómine, iustítiam meam : inténde deprecatiónem meam. | Exaucez, Seigneur, ma justice : écoutez ma supplication. |
V/. Glória Patri. | |
Oratio. | Collecte |
Excita, Dómine, in Ecclésia tua Spíritum, cui beátus Laurentius Levíta servívit : ut, eódem nos repléti, studeámus amáre quod amávit, et ópere exercére quod dócuit. Per Dóminum... in unitáte eiúsdem Spíritus. | Seigneur, faites lever dans votre Église l’Esprit auquel obéit le bienheureux Lévite Laurent : afin que, remplis de ce même Esprit, nous nous appliquions à aimer ce qu’il a aimé et à pratiquer ce qu’il a enseigné. |
Léctio Epístolæ beáti Pauli Apóstoli ad Corinthios. | Lecture de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Corinthiens. |
2. Cor. 9, 6-10. | |
Fratres : Qui parce séminat, parce et metet : et qui séminat in benedictiónibus, de benedictiónibus et metet. Unusquísque prout destinávit in corde suo, non ex tristítia aut ex necessitáte : hilárem enim datórem díligit Deus. Potens est autem Deus omnem grátiam abundáre fácere in vobis, ut, in ómnibus semper omnem sufficiéntiam habéntes, abundétis in omne opus bonum, sicut scriptum est : Dispérsit, dedit paupéribus : iustítia eius manet in sǽculum sǽculi. Qui autem admínistrat semen seminánti : et panem ad manducándum præstábit, et multiplicábit semen vestrum, et augébit increménta frugum iustítiæ vestræ. | Mes Frères : celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment. Que chacun donne, comme il l’a résolu en son cœur, non avec regret ni par contrainte ; car « Dieu aime celui qui donne avec joie ». Il est puissant pour vous combler de toutes sortes de grâces, afin que, ayant toujours en toutes choses de quoi satisfaire à tous vos besoins, il vous en reste encore abondamment pour toute espèce de bonnes œuvres, selon qu’il est écrit : « Avec largesse, il a donné aux pauvres ; sa justice subsiste à jamais ». Celui qui fournit la semence au semeur et du pain pour sa nourriture, vous fournira la semence à vous aussi, et la multipliera, et il fera croître les fruits de votre justice. |
Graduale. Ps. 8, 6-7. | Graduel |
Glória et honóre coronásti eum. | Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur. |
V/. Et constituísti eum super ópera mánuum tuárum, Dómine. | V/. Et vous l’avez établi sur les ouvrages de vos mains, Seigneur. |
Allelúia, allelúia. V/. Levíta Lauréntius bonum opus operátus est : qui per signum crucis cœcos illuminávit. Allelúia. | Allelúia, allelúia. V/. Le diacre Laurent a fait une bonne œuvre, lui qui par le signe de la Croix, a rendu la vue aux aveugles. Alléluia. |
+ Sequéntia sancti Evangélii secúndum Ioánnem. | Suite du Saint Évangile selon saint Jean. |
Ioann. 12, 24-26. | |
In illo témpore : Dixit Iesus discípulis suis : Amen, amen, dico vobis, nisi granum fruménti cadens in terram, mórtuum fúerit, ipsum solum manet : si autem mórtuum fúerit, multum fructum affert. Qui amat ánimam suam, perdet eam : et qui odit ánimam suam in hoc mundo, in vitam ætérnam custódit eam. Si quis mihi mínistrat, me sequátur : et ubi sum ego, illic et miníster meus erit. Si quis mihi ministráverit, honorificábit eum Pater meus. | En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra ; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. |
Ant. ad Offertorium. Ps. 20, 2-3. | Offertoire |
In virtúte tua, Dómine, lætábitur iustus, et super salutáre tuum exsultábit veheménter : desidérium ánimæ eius tribuísti ei. | Seigneur, le juste se réjouira dans votre force, et il tressaillira d’une vive allégresse, parce que vous l’avez sauvé. Vous lui avez accordé le désir de son cœur. |
Secreta | Secrète |
Sacrifícium nostrum tibi, Dómine, quǽsumus, beáti Lauréntii precátio sancta concíliet : ut, cuius honóre sollémniter exhíbetur, eius méritis efficiátur accéptum. Per Dóminum. | Seigneur, nous vous en prions : que la sainte prière du bienheureux Laurent vous recommande notre sacrifice : ainsi, solennellement offert en son honneur, qu’il soit agréé par ses mérites. |
Ant. ad Communionem. Matth. 16, 24. | Communion |
Qui vult veníre post me, ábneget semetípsum, et tollat crucem suam, et sequátur me. | Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, et qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. |
Postcommunio | Postcommunion |
Súpplices te rogámus, omnípotens Deus : ut, quos donis cæléstibus satiásti, intercedénte beáto Lauréntio Mártyre tuo, perpétua protectióne custódias. Per Dóminum nostrum. | Nous vous prions et supplions, Dieu tout-puissant : gardez de votre protection éternelle, par l’intercession du bienheureux Laurent votre Martyr, ceux que vous avez rassasiés des dons célestes. |
Sous St Pie X, avec le déplacement de la fête de St Hyacinthe, le jour Octave de St Laurent fut réduit de fête double à simple commémoraison à l’Office : nous donnons ici les lectures des Matines telles que présentes dans l’édition du Bréviaire de 1568 à St Pie X.
Leçons des Matines avant 1625.
Au deuxième nocturne.
Du traité de saint Augustin, Évêque, sur Jean. Tract. 27, in fine. Quatrième leçon. C’est un fait pour nous hors de doute, mes frères, que nous devons tous, nous qui sommes les membres du Christ, et qui demeurons en lui afin de lui servir de demeure, à notre tour, nous devons tous, ici-bas, vivre jusqu’à la fin au milieu des méchants. Et, par ces méchants, je n’entends pas ceux qui blasphèment Jésus-Christ ; car il en est peu, de notre temps, pour l’injurier de bouche : je veux parler de ceux, hélas ! trop nombreux, dont la conduite est un blasphème continu. Mais qu’est-ce que le Sauveur dit par ces paroles : « Celui qui demeure en moi, je demeure moi-même en lui [2] ? » Que dit-il, sinon ce qu’entendaient les martyrs : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé [3] ? »
Cinquième leçon. Comment est resté en lui saint Laurent, dont nous célébrons aujourd’hui la fête ? Il y est resté jusqu’au moment de l’épreuve, de l’interrogatoire du tyran, des menaces les plus effrayantes, jusqu’à la mort. Que dis-je ? Jusqu’au plus douloureux martyre. Car on ne l’a pas fait mourir tout de suite : on lui a fait subir le supplice du feu, on l’a laissé vivre longtemps ; ou plutôt, on ne l’a pas laissé vivre longtemps, mais on l’a forcé à mourir lentement. Dans cette longue agonie, au milieu de ces tourments, il ne ressentit point la douleur, parce qu’ayant mangé le corps et bu le sang du Christ avec des dispositions parfaites, il était comme engraissé de cet aliment et enivré de ce breuvage ; car en lui se trouvait celui qui a dit : « C’est l’esprit qui vivifie ».
Sixième leçon. Son corps subissait les ardeurs du feu, niais l’esprit soutenait son âme : il ne défaillit point, aussi entra-t-il dans le royaume éternel. Le saint martyr Sixte, dont nous avons solennisé la mémoire il y a cinq jours, lui avait dit : « Mon fils, ne t’attrista pas ». (Existe était l’évêque, et Laurent son diacre.) « Mon fils, ne t’attriste pas : tu me suivras après un triduum ». Il donnait le nom de triduum à l’intervalle qui devait se trouver entre son martyre et celui de saint Laurent, que nous célébrons aujourd’hui. Trois jours, voilà l’intervalle. O consolation ! Il ne dit pas Ne t’attriste pas, mon fils ; la persécution aura un terme, et tu seras en sécurité ; mais ne t’attriste pas : où je vais le premier, tu me suivras : ton voyage n’est pas, à vrai dire, retardé ; car dans l’intervalle de trois jours tu seras avec moi. Saint Laurent reçut cette promesse prophétique, remporta la victoire sur le démon et parvint au triomphe.
Au troisième nocturne.
Lecture du saint Évangile selon saint Jean. Cap. 12, 24-26.
En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul. Et le reste.
Homélie de saint Jean-Chrysostome. Hom. 67 in Ioannem
Septième leçon. La vie présente est agréable et douce, elle est remplie de plaisirs et de voluptés ; non pour tous, mais seulement pour ceux-là qui s’y attachent et y fixent leur pensée. Que si, au contraire, on regarde le ciel et les biens qui y sont préparés, bientôt on la méprisera et l’on n’en fera aucun cas. On admire un beau corps, jusqu’à ce qu’il s’en présente un plus beau et plus admirable : alors, ce qui nous avait d’abord saisis et jetés dans l’admiration, nous le méprisons. Si donc nous voulons contempler la beauté divine et la figure du céleste royaume, nous romprons aussitôt les liens qui nous tiennent attachés aux choses de ce monde. Car c’est une chaîne que l’amour des choses terrestres. Jésus-Christ, voulant nous le faire entendre, nous dit :
Huitième leçon. « Celui qui aime sa vie la perdra ; mais celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour la vie a éternelle ». On dirait que ce sont là, des énigmes, mais il n’en est rien ; au contraire, ces paroles sont pleines de sagesse. Mais qui est-ce qui, aimant sa vie, la perdra ? C’est celui qui cherche à satisfaire ses coupables désirs, celui qui donne à la vie plus qu’il n’est permis. Mais, au contraire, celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve. Qui est-ce qui hait sa vie ? Celui qui résiste aux mauvais conseils qu’elle lui donne. Et Jésus-Christ n’a point dit : Celui qui ne cède pas, mais celui qui hait. Comme, en effet, nous ne pouvons ni écouter volontiers, ni voir tranquillement les personnes qui nous sont odieuses ; de même aussi il faut avoir un extrême éloignement pour la vie, lorsqu’elle nous suggère des choses contraires à la volonté de Dieu.
Neuvième leçon. Jésus-Christ parlait alors de la mort à ses disciples, c’est-à-dire de sa mort ; et il prévoyait bien que cette nouvelle les jetterait dans la tristesse ; c’est pourquoi il parle avec cette force Pourquoi parler, dit-il, de là résignation que vous devez montrer au sujet de ma mort ? Si vous-mêmes vous ne mourez pas, vous n’avez aucun avantage à espérer. Remarquez, mes chers frères, de quelle manière le Sauveur mêle les paroles de consolation avec celles qui pouvaient paraître un peu dures. Il aurait été effectivement dur et fâcheux pour l’homme, qui aime si fort la vie, de s’entendre dire qu’il fallait mourir. Et pourquoi en irais je chercher des exemples dans les siècles passés ; puisqu’aujourd’hui même nous trouvons tant de gens qui souffrent volontiers toutes choses pour jouir de cette vie ; encore qu’ils croient à un avenir, à une autre vie plus heureuse ? Voient-ils quelque édifice, quelque machine ingénieuse, ils disent, avec des larmes aux yeux : combien l’homme invente-t-il de choses pour mourir bientôt et être réduit en cendres ! Tant cette vie excite de passion. Jésus-Christ donc, pour briser tous ces liens, dit : « Celui qui hait sa vie en ce monde, la conserve pour l’autre ».
A Laudes.
Aux Laudes de St Hyacinthe, commémoraison de l’Octave.
Ant. In cratícula te Deum non negávi, et ad ignem applicátus te Christum conféssus sum : probásti cor meum, et visitásti nocte : igne me examinásti, et non est invénta in me iníquitas. | Ant. Étendu sur le gril, je ne vous ai point renié pour mon Dieu, et placé sur le feu, je vous ai confessé pour le Christ : vous avez éprouvé mon cœur, et vous l’avez visité pendant la nuit [4] : vous m’avez éprouvé par le feu, et il ne s’est pas trouvé en moi d’iniquité. |
V/. Dispérsit, dedit paupéribus. | V/. Il a répandu ses largesses, il a donnés aux pauvres [5]. |
R/. Iustítia eius manet in sǽculum sǽculi. | R/. Sa justice demeure dans les siècles des siècles. |
Oratio | Prière |
Excita, Dómine, in Ecclésia tua Spíritum, cui beátus Laurentius Levíta servívit : ut, eódem nos repléti, studeámus amáre quod amávit, et ópere exercére quod dócuit. Per Dóminum... in unitáte eiúsdem Spíritus. | Seigneur, faites lever dans votre Église l’Esprit auquel obéit le bienheureux Lévite Laurent : afin que, remplis de ce même Esprit, nous nous appliquions à aimer ce qu’il a aimé et à pratiquer ce qu’il a enseigné. |
Étienne veillait, à Noël, près de la crèche où l’Enfant-Dieu venait ravir nos cœurs ; Laurent escorte aujourd’hui la Reine dont l’éclat fait pâlir la beauté des cieux. De part et d’autre, il fallait un Diacre au triomphe de l’amour se révélant, à Bethléhem, dans la faiblesse du nouveau-né, au ciel dans la gloire dont le Fils se complaît à combler la Mère. Dans les pérégrinations du désert de ce monde, les Diacres en effet gardent l’Épouse, l’Église de Dieu, signifiée par l’ancien tabernacle où l’arche de l’alliance figurait Marie.
« Fils bien-aimés, leur dit le Pontife au jour de la consécration qui les élève au-dessus de leurs frères, considérez par quel grand privilège, héritant de la tribu lévitique son office et son nom, vous entourez le tabernacle du témoignage, qui est l’Église toujours en défense contre un ennemi sans fin. Comme vos pères faisaient pour le tabernacle, vous devez la porter cette Église ; parez-la de sainteté, fortifiez-la de la divine parole, soutenez-la de la perfection de vos exemples. Et puisque Lévi signifie mis à part, soyez séparés des terrestres concupiscences ; brillez de l’éclat d’une pureté sans nulle tache, comme il convient à l’aimable tribu du Seigneur » [6].
Par ce dégagement de la terre qui constitue la vraie liberté, l’Église, libre elle aussi devant la synagogue esclave [7], revêt son lévite d’une grâce que ne connut pas le lévite ancien. De Laurent, comme il est écrit d’Étienne, il fut vrai de dire que son visage sembla celui d’un Ange parmi les hommes [8] : tant la Sagesse, qui résidait en eux [9], illuminait leurs fronts de sa divine lumière ; tant l’Esprit-Saint, qui parlait par leurs bouches [10], mettait d’attraits sur leurs lèvres. C’est dans le sang d’autrui que le lévite du Sinaï, brandissant le glaive, consacre à Jéhovah ses mains redoutées [11] ; toujours prêt à donner le sien, le Diacre manifeste sa force par une fidélité d’amour et non plus de servitude, alimentant d’oubli de soi et de droiture son énergie, les pieds sur terre où il combat, les yeux au ciel où il aspire, le cœur à l’Église qui s’est à lui confiée.
De quel dévouement il l’entoure, elle et ses trésors : depuis la perle sans prix du Corps de l’Époux, jusqu’à ces joyaux de la Mère qui sont ses fils souffrants et pauvres ; depuis les richesses toutes spirituelles relevant du baptême et de la parole de Dieu, jusqu’aux biens matériels dont la possession atteste le droit de cité de l’Épouse ici-bas ! Leçon opportune à rappeler dans nos temps : Dieu a voulu que le plus grand des martyrs de la ville reine dût sa couronne au refus de livrer les deniers de l’Église ; et certes pourtant l’exigence du fisc était légale dans la circonstance, autant du moins qu’un édit de César peut légaliser l’injustice. Laurent ne crut point que cette fausse légalité lui permit de se rendre à la demande de l’agent du pouvoir ; il n’eut de réponse que le dédain pour ce profane qui ne savait pas que, la terre étant au Seigneur [12], l’Épouse du Seigneur ne relève que de lui dans l’administration de ses biens.
Croit-on qu’il eût agi différemment, si l’État, joignant comme il s’est vu depuis l’hypocrisie à l’arbitraire, eût prétendu couvrir sa spoliation d’artifices de langage que ne connaît pas la franchise du voleur de grands chemins ?
Où sont maintenant l’État d’alors et son César ? Ce n’est pas d’aujourd’hui que les persécuteurs finissent dans la honte ; il attendit peu pour le savoir, l’impérial meurtrier du grand Diacre, ce Valérien devenu moins de deux ans après le marchepied de Sapor, en attendant que sa peau teinte en rouge allât se balancer aux voûtes d’un temple persan.
Laurent cependant recueille plus d’hommages que n’en connurent jamais césars et rois. Quel triomphateur de la Rome antique atteignit à sa gloire ? Rome même est devenue sa conquête ; vingt-quatre sanctuaires dédiés au Christ sous son nom dans la Ville éternelle éclipsent tous les palais des Augustes. Et par l’univers entier, que d’autres églises insignes, que de monastères s’honorent de son puissant patronage ! A la suite de l’ancien monde, le nouveau nous présente sous l’appellation glorieuse de Saint-Laurent ses villes et ses provinces, et jusqu’à ses îles, ses baies, ses fleuves, ses caps et ses montagnes. Mais entre tous les royaumes chrétiens se distingue comme il était juste, dans les honneurs rendus à l’illustre archidiacre, l’Espagne sa patrie : elle célèbre le Ier mai la fête de ses saints parents, Orentius et Patience, qui lui donnèrent naissance au territoire d’Huesca ; elle lui a consacré le plus noble monument de son plus grand siècle, Saint-Laurent de l’Escurial, à la fois église, monastère et palais, rappelant dans les lignes de son plan gigantesque le gril du Martyr.
Pour nous, terminons cette Octave avec la prière que formule aujourd’hui la Mère commune : « Excitez dans votre Église, ô Dieu, l’esprit dont le bienheureux Diacre Laurent fut animé dans votre service, afin qu’en étant remplis nous-mêmes, nous fassions en sorte d’aimer ce qu’il a aimé et de pratiquer ce qu’il a enseigné » [13].
Nous venons de citer la Collecte de l’Octave du saint Martyr ; comme l’Introït et les autres Oraisons de ce même jour, elle est empruntée à l’ancienne Messe de nuit du 10 août. C’est une occasion de rappeler que des prodiges surnaturels ont manifesté en divers temps cette nuit glorieuse comme ayant mérité au valeureux Diacre un privilège spécial, pour délivrer les âmes souffrantes des feux du purgatoire par la vertu de ses propres flammes. La piété romaine prit la coutume de prier pour les morts dans la basilique élevée par le premier empereur chrétien sur le tombeau de l’athlète qui, du gril embrasé, avait salué son arrivée libératrice. Saint-Laurent in agro Verano voit les fidèles de la Ville éternelle dormir leur dernier sommeil à l’ombre de ses murs, et c’est dans son enceinte que Pie IX a voulu de même attendre la résurrection.
Notker nous donnera cette belle Séquence, après laquelle une Oraison du Sacramentaire Léonien conclura ces pages.
SÉQUENCE. | |
Laurenti, David magni martyr milesque fortis, | Laurent, martyr et courageux soldat du vrai et grand David, |
Tu imperatoris tribunal, | Le tribunal d’un empereur, |
Tu manus tortorum cruentas | Les mains sanglantes des bourreaux, |
Sprevisti, secutus desiderabilem atque manu fortem, | N’obtiennent de toi que le mépris ; tu suis le prince rempli d’attraits, à la main puissante, |
Qui solus potuit regna superare tyranni crudelis, | Qui seul à pu mettre en déroute l’armée du cruel tyran, |
Cujusque sanctus sanguinis prodigos facit amor milites ejus, | Qui par son saint amour rend ses soldats prodigues de leur sang ; |
Dummodo illum liceat cernere dispendio vitæ præsentis. | Pour mériter de le voir, ils font bon marché de la vie présente. |
Cæsaris tu fasces contemnis et judicis minas derides. | Ainsi méprises-tu les faisceaux du juge, et te moques-tu de ses menaces ; |
Carnifex ungulas et usior craticulam vane consumunt. | Le bourreau use en vain ses ongles de fer, le rôtisseur son gril. |
Dolet impius urbis præfectus, victus a pisce assato, Christi cibo. | L’impie préfet de Rome est dans la douleur ; il est vaincu par ce poisson rôti qui nourrit le Christ, |
Gaudet Domini conviva favo, conresurgendi, cum ipso saturatus. | Tandis que lui-même, convive du Seigneur, se rassasie avec lui du rayon de miel qui est l’espoir de la résurrection [14]. |
O Laurenti, militum David invictissime regis æterni, | O Laurent, le plus invincible des soldats de notre David roi éternel, |
Apud illum servulis ipsius deprecare veniam semper, | Implore de lui grâce toujours pour ses petits serviteurs, |
Martyr milesque fortis. | Toi son martyr et son soldat courageux. |
Amen. | Amen. |
ORAISON. | |
Auge, quæsumus Domine, fidem populi tui, de sancti Laurentii Martyris festivitate conceptam ; ut ad confessionem tui Nominis nullis properare terreamur adversis, sed tantæ virtutis intuitu potius incitemur. Per Dominum. | Nous vous en prions, Seigneur, augmentez en votre peuple la foi qu’il a conçue en la fête du saint Martyr Laurent : afin que rien ne puisse par terreur ou souffrance nous détourner de confesser votre Nom, mais que l’exemple d’un si grand courage nous stimule bien plutôt. Par Jésus-Christ. |
Cette octave se trouve sans doute déjà indiquée dans le Léonien, où l’une des collectes de la fête de saint Laurent mentionne une solemnitas repetita. En tout cas, nous la trouvons dans le Gélasien et le Grégorien. A la vérité, l’octave était, primitivement, une prérogative de la seule solennité pascale. Cependant, dès le Ve siècle, on introduisit peu à peu l’usage de commémorer le huitième jour de la fête de Noël, des saints Pierre et Paul, etc. La liste des Évangiles de Würzbourg ne mentionne pas l’octave de saint Laurent.
L’introït emprunte son antienne au psaume 16 : « Vous avez exposé mon cœur à l’épreuve, vous l’avez scruté pendant la nuit ; vous l’avez soumis à l’épreuve du feu, et aucune faute ne s’est trouvée en moi ». Voilà le but de la tentation qui, pour la vertu chrétienne, est comme l’atmosphère de sa vie. Celui qui n’est pas tenté, que sait-il ? Que gagne-t-il ? Au lieu de plaindre celui qui est soumis à l’épreuve, saint Jacques va jusqu’à l’appeler bienheureux, parce que l’épreuve est aussi le gage d’une plus grande grâce et nous mérite une plus splendide couronne.
La collecte suivante apparaît déjà dans le Léonien : « Ranimez, Seigneur, dans votre Église, cet Esprit auquel obéit docilement le bienheureux lévite Laurent, afin que, remplis du même Esprit, nous nous efforcions d’aimer ce qu’il aima, et de faire ce qu’il nous enseigna ». L’Esprit Paraclet meut et dirige, et, docilement, l’âme va où il la pousse. C’est pourquoi l’Apôtre disait : Qui Spiritu Dei aguntur, hi sunt filii Dei [15].
Les deux lectures et le verset alléluiatique sont les mêmes que le jour de la fête. Quant au répons : Gloria, et l’antienne pour l’offertoire, ils proviennent des Communs.
Sur les ablations. — « Que la sainte prière du bienheureux Laurent accompagne, Seigneur, notre sacrifice, pour que celui en l’honneur de qui il est offert si solennellement vous le rende agréable ». Voici la collecte du Gélasien : Beati Laurentii martyris honorabilem passionem muneribus, Domine, geminatis exequimur ; quae licet propriis sit memoranda principiis, indesinenter tamen permanet gloriosa [16].
Il faut remarquer le caractère social et solennel que reflètent toujours ces antiques formules stationnales. C’était alors le peuple tout entier qui prenait part à l’action liturgique, laquelle, dans les premiers siècles de l’Église, était unique dans toute la cité, et était célébrée de préférence par l’évêque.
Le Gélasien porte aujourd’hui cette préface : Vere dignum... Quoniam tanto iucunda sunt, Domine, beati Laurentii crebrius repetita solemnia, quanto nobis eius sine cessatione predicanda sunt merita. Et ideo cum angelis etc [17].
L’antienne pour la Communion est la même que pour la messe vigiliale du Saint.
Après la Communion. — « Nous vous demandons humblement, Seigneur, par les mérites de votre bienheureux martyr Laurent, de couvrir toujours de votre protection ceux qui viennent de se rassasier au céleste banquet ». Tout en étant une grâce, et même la bonne grâce, l’Eucharistie est aussi un gage de la gloire future, et elle contient la promesse de toutes les grâces qui la préparent. C’est la raison pour laquelle, dans le langage liturgique, la sainte Communion devient aussi un motif d’intercession.
Saint Laurent. — La célébration de sa seconde fête est empêchée par la fête occurrente ; mais l’Oraison propre fait toujours sur nous une profonde impression : « Faites agir, Seigneur, dans notre Église, l’Esprit dont le saint lévite Laurent fut le serviteur, afin que, remplis de lui, nous nous efforcions d’aimer ce qu’il a aimé et de faire par nos œuvres ce qu’il a enseigné ». Le Saint-Esprit conduit et touche les âmes ; si nous nous laissons diriger par lui, nous accomplir de grandes choses.
[1] Cf. Pierre Jounel, Le Culte des Saints dans les Basiliques du Latran et du Vatican au douzième siècle, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1977.
[2] Jn. VI, 57 ; XV, 5.
[3] Matth. XXIV, 13.
[4] Ps. 16, 3.
[5] Ps. 111, 9.
[6] Pontificale rom. in Ordinat. Diaconi.
[7] Gal. IV, 22-31.
[8] Act. VI, 15.
[9] Ibid. 3, 10.
[10] Ibid.
[11] Exod. XXXII, 26-29.
[12] Psalm. XXIII. I.
[13] Collecte du jour de l’Octave.
[14] Allusion à la scène mystérieuse du soir de Pâques, où le Seigneur ressuscité mangea devant ses disciples d’un morceau de poisson rôti et d’un rayon de miel qu’ils lui présentèrent, et leur donna les restes (Luc. XXIV, 41-43).
[15] Rom. 8, 14 : Ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu.
[16] Seigneur, nous terminons le cycle de la passion vénérable du bienheureux martyr Laurent par des offrandes redoublées : car s’il faut se souvenir des origines de cette passion, elle demeure éternellement glorieuse.
[17] Il est vraiment digne... Car ces solennités répétées du bienheureux Laurent sont si agréables, qu’il nous faut sans cesse prêcher ses mérites.