Accueil - Missel - Sanctoral

06/11 6ème jour dans l’Octave de la Toussaint

Version imprimable de cet article Version imprimable Partager


Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

L’Octave de la Toussaint, instituée par Sixte IV à la fin du XVe siècle fut supprimée en 1955, nous le signalons pour les textes patristiques lus au bréviaire pendant cette huitaine (notamment l’homélie sur le Sermon sur la Montagne de St Augustin, lue en continu du 1er au 8 novembre, sauf le 2, commémoraison des Fidèles trépassés, et le 4, fête de st Charles Borromée)

Textes de la Messe

Comme au jour de la fête.

Office

A MATINES. avant 1955

Au deuxième nocturne.

Sermon de saint Bernard, Abbé.

Quatrième leçon. Puisqu’aujourd’hui, mes bien-aimés, nous célébrons par une fête solennelle la mémoire de tous les Saints, si dignes de toute notre dévotion, je crois utile d’entretenir votre charité, avec l’aide du Saint-Esprit, de leur félicité commune, au sein de laquelle ils jouissent dès à présent d’un heureux repos, et de la consommation future qu’ils en attendent. « C’est une vérité certaine et digne de tout accueil, » qu’il faut imiter la conduite de ceux que nous honorons d’un culte religieux ; courir, de tous les élans de notre ardeur, à la béatitude de ceux que nous appelons bienheureux ; implorer le secours de ceux dont nous aimons à entendre l’éloge.

Cinquième leçon. De quoi sert donc aux Saints notre louange ? De quoi leur sert notre tribut de glorification ? De quoi leur sert cette solennité elle-même ? De quelle utilité sont ces honneurs terrestres à ceux que le Père céleste honore, suivant la fidèle promesse du Fils ? Que leur rapportent nos hommages ? Ils sont pleinement satisfaits sans tout cela. La chose est absolument vraie, mes bien-aimés : les Saints n’ont pas besoin de nos biens, et notre dévotion ne leur procure aucun avantage. Il n’y va certes pas de leur intérêt, mais du nôtre, que nous révérions leur mémoire. Voulez-vous savoir combien nous y sommes intéressés ? Pour moi, j’avoue qu’en me souvenant d’eux, je me sens enflammé d’un ardent désir, et d’un triple désir.

Sixième leçon. On dit communément : le cœur n’est point touché de ce que l’œil ne voit pas. Ma mémoire est mon œil spirituel, et c’est voir en quelque façon les Saints, que de penser à eux. Et c’est par ce moyen que nous avons déjà « dans la terre des vivants, une portion » de nous-mêmes ; portion considérable, si notre affection accompagne, comme elle le doit, notre souvenir. C’est ainsi, dis-je, que « notre vie est dans les cieux. » Cependant notre vie n’y est pas comme y est la leur. Car ils y sont en personne, et nous n’y sommes que par nos désirs ; ils y sont par le fait de leur présence, nous n’y sommes, nous, que par la pensée.

Au troisième nocturne.

Lecture du saint Évangile selon saint Matthieu. Cap. 5, 1-12.

En ce temps-là : Jésus, voyant la foule, monta sur la montagne, et lorsqu’il se fut assis, les disciples s’approchèrent de lui. Et le reste.

De l’Homélie de saint Augustin, Évêque.

Septième leçon. C’est pourquoi, si nous comptons les dons du Saint-Esprit en montant comme par degrés, le premier, en cet ordre, est la crainte de Dieu ; la piété, le second ; la science, le troisième ; la force, le quatrième ; le conseil, le cinquième ; l’intelligence, le sixième ; la sagesse, le septième. La crainte de Dieu est le propre des humbles, dont il est dit ici : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux ; » pauvres d’esprit, c’est-à-dire sans enflure sans orgueil ; à leur sujet, l’Apôtre s’exprime .en ces termes : « Garde-toi de t’élever, mais crains ; » c’est-à-dire, sois humble. La piété convient à ceux qui sont doux ; car celui qui est pieux dans ses recherches, honore la sainte Écriture ; ne critique point ce qu’il ne comprend pas encore, et, par conséquent n’oppose pas de résistance, et c’est là pratiquer la douceur. Aussi a-t-il été dit ici : « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre » en héritage.

Huitième leçon. La science se rapporte à ceux qui pleurent et qui ont appris à connaître, dans l’Écriture, les maux dont ils sont accablés, maux qu’ils ont recherchés, par ignorance, comme des biens et des avantages. Et c’est d’eux qu’il est dit ici : « Bienheureux ceux qui pleurent » maintenant. La force convient à ceux qui ont faim et soif : car ils se fatiguent à désirer la joie que procurent les biens véritables, et à se défendre d’aimer les biens terrestres et corporels. C’est d’eux qu’il est dit ici : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » Le conseil convient aux miséricordieux ; car l’unique moyen d’échapper à tant de maux, c’est de pardonner comme nous voulons qu’on nous pardonne, et d’aider les autres en ce que nous pouvons, comme nous désirons être aidés en ce que nous ne pouvons pas ; c’est d’eux qu’il est dit ici : « Bienheureux les miséricordieux, parce que Dieu leur fera miséricorde. »

Neuvième leçon. L’intelligence appartient à ceux qui ont le cœur pur, comme ayant purifié cet œil intérieur au moyen duquel on peut voir « ce que l’œil du corps n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce que le cœur de l’homme n’a jamais compris. » C’est d’eux qu’il est dit ici : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » La sagesse est le partage des pacifiques, en qui toutes les passions sont déjà ordonnées, et aucun mouvement ne demeure rebelle à la raison ; mais en eux, tout obéit à l’homme spirituel, comme lui-même obéit à Dieu ; c’est à leur sujet qu’il est dit ici : « Bienheureux les pacifiques. » II n’y a d’ailleurs pour tous qu’une seule et même récompense, qui est le royaume des cieux, mais elle est exprimée diversement, selon ces différents degrés des mérites.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Vous êtes mon héritage, Seigneur, alléluia, dans la terre des vivants, alléluia, alléluia. — Tirez de cette prison mon âme ; elle louera votre nom dans la terre des vivants, alléluia, alléluia. — Gloire et honneur au Père, au Fils, au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles, en la terre des vivants, alléluia, alléluia.

Ainsi débutent les chants pour les morts au Missel mozarabe [1]. Les Grecs pareillement n’ont pas de mot qui revienne plus souvent que l’Alléluia dans l’Office des défunts [2]. Or Grecs et Mozarabes ne font en cela qu’observer jusqu’à nos jours une coutume générale autrefois dans l’Église entière.

Saint Jérôme nous dit comment, à la mort de Fabiola, « tout le peuple romain rassemblé, les psaumes retentissaient éclatants, et le sublime Alléluia remplissant les temples ébranlait leurs toits d’or [3]. » Deux siècles plus tard, le récit des funérailles de sainte Radegonde par sa fille Baudonivie montre que, si des larmes soumises n’étaient pas interdites aux survivants et pouvaient parfois couler abondantes, l’usage des Gaules cependant ne différait pas en ce point de celui de Rome même [4]. C’est ce qu’atteste encore, pour les temps qui suivirent, le manuscrit de Reims cité par Dom Hugues Ménard en ses notes sur le Sacramentaire grégorien [5], et où l’on prescrit comme prélude aux prières de la sépulture le chant de l’In exitu Israël de Aegypto avec Alléluia pour Antienne.

Quand saint Antoine ensevelit au désert le corps de saint Paul ermite, le biographe de celui-ci nous raconte que, se conformant à la tradition chrétienne, Antoine chanta en la circonstance des hymnes aussi bien que des psaumes [6]. C’était bien la tradition chrétienne, en effet, universelle, identique sous tous les cieux.

Saint Jean Chrysostome constate lui aussi le fait, et il nous en donne l’explication : « Dis moi ; ne sont-ce pas des vainqueurs que ces morts conduits par nous à la resplendissante lumière des flambeaux, au chant des hymnes ? Oui ; nous louons Dieu et lui rendons grâces : car, ce défunt, il le couronne ; il a mis fin à son labeur ; il le garde près de lui délivré de toute crainte. Ne cherche pas d’autre explication à ces hymnes, à ces psaumes : ils expriment la joie [7]. »

Saint Denys ne parle pas autrement en son livre de la Hiérarchie ecclésiastique. Après avoir dit la joie du chrétien mourant qui voit approcher la fin de la lutte et l’éternelle sécurité [8], il ajoute : « Les proches du défunt, ses proches en Dieu et dans la sainteté, le proclament bienheureux d’avoir vaincu enfin, et ils adressent des chants d’action de grâces au céleste auteur de la victoire C’est en demandant pour eux-mêmes un sort semblable, qu’ils le conduisent à l’hiérarque, distributeur des saintes couronnes, auquel appartient d’accomplir les rites augustes ordonnés à l’égard de ceux qui se sont endormis dans le Seigneur [9]. »

Suprêmes honneurs, autant que derniers devoirs rendus par l’Église à ses fils, et dont nous rappellerons demain quelques traits.

Nous emprunterons avec quelques Églises les strophes suivantes au dixième Chant du Cathemerinon, qui déjà nous donnait hier l’Hymne mozarabe des morts.

HYMNE
Cessez, lamentations ; mères, arrêtez vos larmes ; vous qui pleurez sur des enfants chéris, ne vous désolez pas : cette mort, c’est le renouvellement de la vie.
Que nous veulent dire ces marbres sculptés, ces splendides monuments, sinon que ce qu’ils gardent est, non pas mort, mais endormi ?
Ce corps que nous voyons gisant inanimé, encore un peu de temps, et il redeviendra le compagnon du principe spirituel qui est monté aux cieux.
Bientôt doit sonner l’heure où la vie, réchauffant ces ossements délaissés, les animant d’un sang fécond, y reprendra son premier séjour.
Inertes cadavres couchés dans la pourriture des tombeaux, voici qu’alertes comme l’oiseau ils s’élèveront dans les airs, associés aux mêmes âmes que jadis.
Ainsi reverdit la semence desséchée, morte elle aussi, ensevelie de même : elle sort de la glèbe où on l’avait enfouie, rappelant les épis d’autrefois.
Reçois maintenant, ô terre, ce dépôt à ta garde laissé ; que ton sein lui soit doux : nous confions à tes profondeurs ces membres humains, noble dépouille, trésor sans prix.
Cette chair fut la demeure d’une âme créée par le souffle du Tout-Puissant ; le Christ fut son roi ; la Sagesse habita ces membres et leur communiqua sa divine chaleur.
Recouvre donc ce corps à toi confié : il ne l’oubliera pas, Celui qui en fut l’auteur ; il te le redemandera, ce trésor, avec les traits qu’il y grava de sa propre image.
Qu’ils viennent bientôt les temps promis où Dieu comblera toutes nos espérances ! Alors que s’ouvriront les tombes, il faudra que tu me rendes ce visage aimé qu’aujourd’hui je te livre.
Amen.

Ce Répons est le dernier du troisième Nocturne à l’Office abrégé des morts, au cours de l’année. Nous le faisons suivre d’une antique Oraison, qui se retrouve dans le rit ambrosien plus spécialement appropriée aux bienfaiteurs et parents défunts [10].

RÉPONS R/. Délivrez-moi , Seigneur, des sentiers infernaux, vous qui, brisant les portes d’airain, avez visite les demeures souterraines et éclairé leurs habitants, pour qu’ils vous vissent, *
V/. Ils criaient et disaient : Vous êtes enfin venu, ô notre Rédempteur ! * Eux qui souffraient dans les ténèbres.
V/. Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel ; que luise pour eux la lumière sans fin. * Eux qui souffraient dans les ténèbres.

ORAISON.

O Dieu, vie des vivants, espérance des mourants, salut de tous ceux qui espèrent en vous, soyez-nous propice , exaucez-nous : que les âmes de vos serviteurs et de vos servantes, dégagées des ténèbres de notre mortalité, se réjouissent en la compagnie de vos saints dans l’éternelle lumière. Par Jésus Christ.

Souvent assignée à d’autres fêtes, la Prose suivante, œuvre d’Adam de Saint-Victor, fut cependant elle aussi chantée en plusieurs lieux pour célébrer tous les Saints.

SÉQUENCE.
Que l’Église d’ici-bas célèbre les joies de sa mère, l’Église des cieux ; que le retour des fêtes annuelles la porte à désirer les éternelles.
Que la mère prête secours à la fille en cette vallée de misère ; que les armées d’en haut nous aident à mener la bataille.
Le monde, la chair et les démons multiplient contre nous les combats ; quel assaut de spectres hideux ! la quiétude du cœur en est troublée.
Toute cette engeance a les jours de fête en horreur ; elle s’évertue d’un commun accord à faire disparaître la paix de la terre.
Ici tout est mélange confus d’espoir, de crainte, de tristesse et de joie : au ciel, à peine se fit, dit l’Apocalypse, une demi-heure de silence [11].
Que fortunée est cette cité où nulle fête ne prend fin ! Combien heureuse l’assemblée où tout souci est inconnu !
Là point de maladie, point de vieillesse ni de déclin ; point de tromperie, ni de crainte d’ennemis : mais concert unanime d’allégresse, unanime amour dans les cœurs.
Là sous leur triple hiérarchie, les Anges, habitants du ciel, se prosternent joyeux devant la trine et simple Unité qui gouverne le monde.
Ils admirent, sans se lasser, Dieu qu’ils contemplent ; ils jouissent de lui, ne s’en rassasient pas, affamés qu’ils sont d’en jouir plus toujours.
Là sont nos pères, rangés dans l’ordre du mérite ; pour eux enfin toute ombre est tombée : dans la lumière ils voient la lumière [12].
Ces saints dont la solennité se célèbre aujourd’hui, face à face maintenant, ils voient le Roi dans sa gloire.
Là resplendit la Reine des vierges, plus haut que tous les sommets : qu’elle daigne, auprès du Seigneur, excuser nos coupables chutes.
Par les suffrages des saints, que la grâce de Jésus-Christ nous conduise de la misère présente à leur état glorieux.
Amen.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

« Servez le Seigneur avec respect, vous tous, ses saints ; rien ne manque à ceux qui le craignent : voici que doucement le regard du Seigneur repose sur les justes, il incline volontiers son oreille à leurs prières. » (Antienne)

Pensées de la Toussaint. — Aujourd’hui, saint Bernard, le Docteur melliflue, nous adresse un sermon sur la Toussaint : « Puisque nous célébrons aujourd’hui la mémoire solennelle et souverainement digne de toute dévotion de tous les saints, je pense qu’il n’est pas inutile de vous parler, mes bien-aimés, avec le secours du Saint-Esprit, de la commune félicité qui leur fait goûter déjà un heureux repos et de la consommation future qu’ils attendent. C’est une croyance ferme et digne de toute confiance que nous suivrons, en partageant leur condition, ceux que nous honorons solennellement, que nous désirons de toutes nos forces la félicité pour laquelle nous les proclamons bienheureux, que nous trouvons assistance dans l’intercession de ceux que nous prenons plaisir à glorifier. A quoi nous sert-il de louer les saints ? A quoi nous sert-il de les glorifier ? A quoi nous sert la fête que nous célébrons ? A quoi servent ces honneurs terrestres dont le Père céleste les entoure, selon la promesse véridique de son Fils ? A quoi leur servent nos hommages ? Ils possèdent tous les biens. C’est incontestable, mes bien-aimés, les saints n’ont pas besoin de nos biens et notre dévotion ne leur procure rien. A vrai dire, quand nous honorons leur mémoire, c’est à nous qu’il en revient quelque chose et non à eux. Voulez-vous savoir ce qui nous en revient ? Je sens — je l’avoue, — en me rappelant leur mémoire, s’allumer en moi un désir, et même un triple désir. On dit dans le langage courant : Ce que l’œil ne voit pas, le cœur n’en souffre pas. Notre œil, c’est notre pensée ; et penser aux saints, c’est en quelque manière les voir. Tel est notre partage en cette terre des vivants et il n’est pas mince, si, comme il convient, le sentiment accompagne la pensée ; de la sorte, dis-je, notre commerce est déjà dans le ciel. Et pourtant, il n’en est pas de nous comme d’eux : ils sont là en personne, nous n’y sommes que par le désir ; ils y sont réellement présents, nous n’y sommes présents que par la pensée. »

La recommandation de l’âme. — Là où l’on fait appeler le prêtre pour un mourant, la mort ne suit pas d’ordinaire immédiatement la réception de l’extrême-onction et de la bénédiction apostolique ; dans la plupart des cas, la mort tardera vraisemblablement encore quelque temps. Le mourant est muni ; l’Église et l’âme ont fait ce qu’il y avait à faire conformément à l’esprit de l’Église et de sa liturgie. Maintenant approche l’heure de la parousie du Seigneur. Elle s’annonce par l’agonie ; et même là où l’on peut parler de mort douce, où la mort ressemble vraiment à un sommeil, il y a certains signes qui annoncent que le Seigneur approche pour emmener l’âme. L’extrême-onction administrée, l’Église n’est pas partie comme quelqu’un qui dirait : Ma tâche est finie. Elle s’est seulement retirée pendant un instant pour apporter encore ses secours au dernier moment, le moment décisif de la vie du chrétien, avec ses prières et ses rites. Notre Mère l’Église est alors présente, même quand ses ministres ne le sont plus, pour accomplir son ministère et étendre sa main qui bénit et absout sur son enfant mourant. Sa liturgie a un rite propre pour le moment de l’agonie et celui de la mort. Dans le Rituel, il porte le titre officiel suivant : Commendatio animae, en français : La recommandation de l’âme (qui va partir). Dans nos régions, elle est tombée en désuétude et pour ainsi dire inconnue. Le Rituale Romanum au chapitre 7 s’exprime ainsi : « Le curé qui se propose de faire la recommandation de l’âme est accompagné d’un clerc portant un vase d’eau bénite ; il est revêtu du surplis et de l’étole violette. » Cette rubrique suppose que le prêtre a été appelé au chevet du mourant pour y procéder au nom de l’Église à la recommandation de l’âme. Que dans les grandes villes où le ministère des âmes est aujourd’hui si chargé, ce désir du Rituel ne puisse pas toujours être réalisé, on le comprend très bien ; mais à la campagne où l’assistance des malades et des mourants est moins absorbante, on ne saurait trop demander aux ministres officiels de la liturgie cette Commendatio animae. Quelle est donc la signification de cette recommandation de l’âme ? Une comparaison me permettra peut-être de le montrer. Un émigrant s’est acquis une situation en Amérique ; il a trouvé de l’autre côté de l’océan des amis et des protecteurs qui lui témoignent affection et estime. Toutefois, malgré son bonheur, il n’a jamais cessé de regretter sa patrie. Elle n’est pas morte pour lui ; elle exerce sur lui une puissance d’attraction à laquelle il cède. Un jour, le voilà sur le môle d’un grand port. Une poignée de mains, un salut, un embrassement voudraient lui faire comprendre combien on l’aime en cette terre étrangère. Il se dégage, saute sur le paquebot et, du pont, adresse un dernier mot, un dernier adieu. Encore un échange de pensée, puis le paquebot lève l’ancre et s’engage sur l’océan pour gagner la patrie. Là, sur le môle du Havre, il y a un père et une mère, des frères et des amis, venus saluer avec effusion l’heureux retour, presser le voyageur dans leurs bras et l’accompagner à la maison paternelle. Nous, chrétiens, nous sommes ou nous devons être des étrangers sur terre, des émigrés. Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente. Avec ses rites et ses signes sacrés, notre Mère l’Église entretient vivant dans nos cœurs le désir de la patrie éternelle. Elle nous maintient dans la pensée de la parousie. La mort donne libre essor à notre désir de l’éternelle patrie. Elle est la vaste mer, redoutable pour beaucoup, entourée de côtes nébuleuses, que nous devons traverser pour passer des rivages de ce monde à ceux de l’autre. Ici se tiennent des êtres chers, venus pour prendre congé du partant, lui faire une dernière conduite, lui souhaiter un bon voyage ; là-bas se tiennent ceux qui occupent le lieu qui mérite vraiment le nom de patrie, pour nous recevoir. Dernière conduite de l’âme, accompagnement de l’âme dans la maison du Père, sortie et entrée seraient des sous-titres qui conviendraient bien pour expliquer la Commendatio animae. C’est la description liturgique et dramatique, accompagnée de prières émouvantes, du retour de l’âme chrétienne à son Créateur et Rédempteur. Continuons la comparaison. Il y a, dans le rite de la recommandation de l’âme deux chœurs qui prient. Le premier se compose des parents et amis qui sont rassemblés autour du lit pour prier, faire leurs adieux et souhaiter la félicité. C’est le chœur de cette terre. Dans le second chœur, c’est l’autre monde qui parle ; là chantent les saints du ciel, ceux qui sont définitivement rachetés, entourant le Roi qui va venir, prêts à introduire l’âme dans le royaume de la joie et de la paix. Le rite de la recommandation de l’âme présente un aspect positif et un aspect négatif. Quand nous prions pour obtenir le pardon des péchés et un jugement favorable, nous sommes les citoyens de la terre qui parlons en demeurant auprès du lit du mourant ; quand il s’agit de l’accueil dans l’au-delà, quand nous mentionnons et introduisons les saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, alors — nous leur prêtons pour ainsi dire notre bouche. L’Église militante et l’Église triomphante se donnent la main invisiblement d’un rivage à l’autre pour accompagner l’âme dans la patrie. — La cérémonie de la recommandation de l’âme comprend deux parties. La première se compose d’une longue suite de prières qui veulent accompagner l’âme dans son agonie. La seconde partie — très courte — ressemble au dernier baiser de l’Église sur le front pur et consacré pour la mort ; c’est la prière de la séparation (in exspiratione), exactement conçue pour cet instant.

[1] In Missa defunctorum Officium (seu Introitus). Tu es portio mea, Domine, alleluia, in terra viventium, alleluia, alleluia.— V/. Educ de carcere animam meam ad comitendum nomini tuo : in terra viventium, alleluia, alleluia. — Gloria et honor Patri, et Filio, et Spiritui Sancto, in sa ;cula saxulorum, amen : in terra viventium, alleluia, alleluia.

[2] Goar, Nota 6a ad Officium Exsequiarum in Euchologio.

[3] Hieron. ad Oceanum, de morte Fabiolae.

[4] Baudonivia, Vita Radegundis, 28.

[5] Nota 680.

[6] Hieron. Vita S. Pauli primi eremitae, 16.

[7] Chrys. In epist. ad Hebr. Homil. IV.

[8] Dionys. De eccles. hierarch. Cap. VII, I, § 1, 2.

[9] Ibid. § 3.— Voir pour le témoignage des monuments, spécialement en nos régions, Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, nos 44. 73, etc.

[10] Oratio super sindonem, in Missa quotidiana pro defunctis Fratribus, Sororibus, Propinquis et Benefactoribus.

[11] Apoc. VIII, 1.

[12] Psalm. XXXV, 10.