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23/02 St Pierre Damien, évêque, confesseur et docteur

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  
  Benoît XVI, catéchèses, 9 septembre 2009  

Né en 1007, mort le 22 février 1072. Docteur de l’Église en 1823, fête la même année.

Textes de la Messe

(En Carême, on fait seulement mémoire du Saint avec les trois oraisons de la Messe suivante)
die 23 februarii
le 23 février
SANCTI PETRI DAMIANI
SAINT PIERRE DAMIEN
Ep., Conf. et Eccl. Doct.
Evêque, Confesseur et Docteur de l’Eglise
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Missa In médio, de Communi Doctorum, præter Orationem sequentem :Messe In médio, du Commun des Docteurs, sauf l’oraison suivante :
Oratio.Collecte
Concéde nos, quǽsumus, omnípotens Deus : beáti Petri Confessóris tui atque Pontíficis mónita et exémpla sectári ; ut per terréstrium rerum contémptum ætérna gáudia consequámur. Per Dóminum nostrum.Nous vous en prions, Dieu tout-puissant, accordez-nous de suivre les enseignements et les exemples du bienheureux Pierre, votre Confesseur et Pontife, afin qu’au moyen du mépris des choses terrestres, nous arrivions aux joies éternelles.
Ante 1960 : CredoAvant 1960 : Credo
Secreta C1Secrète
Sancti Petri Pontíficis tui atque Doctóris nobis, Dómine, pia non desit orátio : quæ et múnera nostra concíliet ; et tuam nobis indulgéntiam semper obtíneat. Per Dóminum.Que la pieuse intercession de saint Pierre, Pontife et Docteur, ne nous fasse point défaut, Seigneur, qu’elle vous rende nos dons agréables et nous obtienne toujours votre indulgence.
Postcommunio C1Postcommunion
Ut nobis, Dómine, tua sacrifícia dent salútem : beátus Petrus Póntifex tuus et Doctor egrégius, quǽsumus, precátor accédat. Per Dóminum nostrum.Afin, Seigneur, que votre saint sacrifice nous procure le salut, que le bienheureux Pierre, votre Pontife et votre admirable Docteur intercède pour nous.

Office

Leçons des Matines avant 1960

Quatrième leçon. Pierre, né à Ravenne, de parents considérés, était encore à la mamelle quand il fut rejeté par sa mère, mécontente d’avoir un grand nombre d’enfants. Mais une .domestique le recueillit demi-mort et le sauva par ses soins, puis le rendit à sa mère, après l’avoir rappelée à des sentiments plus humains. Privé des auteurs de ses jours, il fut réduit à une dure servitude sous la tutelle d’un de ses frères qui le traita comme un vil esclave. Il donna alors un exemple remarquable de religion envers Dieu et de piété filiale. Ayant trouvé par hasard une pièce de monnaie, il ne l’employa point à soulager sa propre indigence, mais la donna à un Prêtre, afin qu’il offrît le divin Sacrifice pour le repos de l’âme de son père. Un autre de ses frères, nommé Damien, l’accueillit avec bienveillance, et prit soin de le faire instruire. On rapporte que c’est à cause de ce frère que Pierre prit le surnom de Damien. Il fit de si rapides progrès dans les lettres qu’il devint un objet d’admiration pour ses maîtres. Il s’acquit une grande réputation par son talent et ses brillants succès dans les sciences libérales, et il les enseigna lui-même avec honneur. Pendant ce temps, afin de soumettre les sens à la raison, il portait un cilice sous des habits recherchés, persévérant avec soin dans le jeûne, les veilles et l’oraison. Comme dans l’ardeur de la jeunesse, il se sentait vivement pressé des aiguillons de la chair, il éteignait la nuit ces flammes rebelles dans les eaux glacées d’un fleuve. De plus, il avait coutume de visiter les sanctuaires en vénération et de réciter tout le Psautier. Il secourait assidûment les pauvres, les conviait souvent à sa table et les servait de ses propres mains.

Cinquième leçon. Désireux de mener une vie plus parfaite, il entra dans le monastère d’Alvellane, au diocèse de Gubbio, de l’Ordre des moines de Sainte-Croix Font-Avellane, fondé par le bienheureux Ludolphe, disciple de saint Romuald. L’Abbé l’envoya peu après au monastère de Pomposia, puis à celui de Saint-Vincent de Petra-Pertusa. H édifia ces deux abbayes par ses saintes prédications, ses enseignements remarquables et sa manière de vivre Étant revenu dans son monastère, il fut, après la mort de l’Abbé, mis à la tête dé la communauté d’Avellane, et la rendit si prospère par les saintes institutions qu’il lui donna, par les nouvelles maisons qu’il fonda en divers lieux, qu’on le regarde avec raison comme le second père de son Ordre et son principal ornement. D’autres monastères dé différents instituts, des chapitres de chanoines et des peuples mêmes, éprouvèrent les salutaires effets de la sollicitude du Saint, il fut, sous plus d’un rapport, utile au diocèse d’Urbin ; il secourut l’Évêque Theuzon dans une circonstance très grave, et l’aida par ses conseils et ses travaux, dans la bonne administration de son évêché. Il excella dans la contemplation des choses divines, pratiqua de grandes macérations corporelles et se fit remarquer par d’autres exemples d’une sainteté éprouvée. Le souverain Pontife Etienne IX, appréciant son mérite, le créa contre son gré et malgré sa résistance, Cardinal de la sainte Église romaine et Évêque d’Ostie. Il s’illustra dans ces dignités par les plus éclatantes vertus, et par des œuvres dignes du ministère épiscopal.

Sixième leçon. Dans des temps très difficiles, Pierre fut d’un grand secours à l’Église romaine et aux souverains Pontifes par sa science, ses légations, et les autres travaux qu’il entreprit. Il combattit vaillamment jusqu’à la mort l’hérésie simoniaque et celle des Nicolaïtes ; et après avoir remédiera ces maux, il réconcilia l’Église de Milan avec celle de Rome. Il s’opposa avec courage aux antipapes Benoît et Cadaloüs ; il détourna Henri IV, roi de Germanie, de son injuste projet de divorce ; il ramena les habitants de Ravenne à l’obéissance qu’ils devaient au Pontife romain, et donna aux chanoines de Velletri des lois qui les amenèrent à une vie plus sainte. A peine y avait-il dans la province d’Urbin une Église qui n’eût reçu de lui quelque service ; celle de Gubbio, qu’il administra pendant quelque temps, fut par lui soulagée d’un grand nombre de maux ; et on le vit ailleurs, quand cela était opportun, pourvoir au bien d’autres Églises, avec autant de soin que si elles eussent été confiées à sa garde. Ayant déposé les charges du cardinalat et de la dignité épiscopale, il ne relâcha rien de son assiduité à secourir le prochain. Il propagea le jeûne du vendredi en l’honneur de la sainte croix de Jésus-Christ, ainsi que le petit Office de la bienheureuse Mère de Dieu et le culte qu’on lui rend le samedi. 11 étendit l’usage de se donner la discipline pour l’expiation des péchés commis. Enfin, illustre par sa sainteté, sa doctrine, ses miracles et ses grandes actions, son âme s’envola vers le Christ, à Faënza. le huit des calendes de mars, tandis qu’il revenait d’une ambassade à Ravenne. Son corps, gardé en la même ville, chez les Cisterciens, devint célèbre par beaucoup de miracles, et il y est honoré par le concours et la vénération continuelle des peuples. Les habitants de Faënza ayant éprouvé plus d’une fois les effets de la protection de saint Pierre Damien dans des circonstances critiques, le choisirent pour leur patron auprès de Dieu. Le Pape Léon XIII a étendu à l’Église universelle, de l’avis de la Congrégation des Rites sacrés, l’Office et la Messe qui se célébraient déjà en son honneur dans quelques diocèses et dans l’Ordre des Camaldules, et au titre de Confesseur Pontife, il a ajouté la qualité de Docteur.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

L’austère réformateur des mœurs chrétiennes au XIe siècle, le précurseur du saint pontife Grégoire VII, Pierre Damien en un mot, paraît aujourd’hui sur le Cycle. A lui revient une partie de la gloire de cette magnifique régénération qui s’accomplit en ces jours où le jugement dut commencer par la maison de Dieu [1]. Dressé à la lutte contre les vices sous une sévère institution monastique, Pierre s’opposa comme une digue au torrent des désordres de son temps, et contribua puissamment à préparer, par l’extirpation des abus, deux siècles de foi ardente qui rachetèrent les hontes du Xe siècle. L’Église a reconnu tant de science, de zèle et de noblesse, dans les écrits du saint Cardinal, que, par un jugement solennel, elle l’a placé au rang de ses Docteurs. Apôtre de la pénitence, Pierre Damien nous appelle à la conversion, dans les jours où nous sommes ; écoutons-le et montrons-nous dociles à sa voix.

Le zèle de la maison du Seigneur consumait .L votre âme, ô Pierre ! C’est pourquoi vous fûtes donné à l’Église dans un temps où la malice des hommes lui avait fait perdre une partie de sa beauté. Rempli de l’esprit d’Elie, vous osâtes entreprendre de réveiller les serviteurs du Père de famille qui, durant leur fatal sommeil, avaient laissé l’ivraie prévaloir dans le champ. Des jours meilleurs se levèrent pour l’Épouse du Christ ; la vertu des promesses divines qui sont en elle se manifesta ; mais vous, ami de l’Époux [2], vous avez la gloire d’avoir puissamment contribué à rendre à la maison de Dieu son antique éclat. Des influences séculières avaient asservi le Sanctuaire ; les princes de la terre s’étaient dit : Possédons-le comme notre héritage [3] ; et l’Église, qui surtout doit être libre, n’était plus qu’une vile servante aux ordres des maîtres du monde. Dans cette crise lamentable, les vices auxquels la faiblesse humaine est si facilement entraînée avaient souillé le temple : mais le Seigneur se souvint de celle à laquelle il s’est donné. Pour relever tant de ruines, il daigna employer des bras mortels ; et vous fûtes choisi des premiers, ô Pierre, pour aider le Christ dans l’extirpation de tant de maux. En attendant le jour où le sublime Grégoire devait prendre les Clefs dans ses mains fortes et fidèles, vos exemples et vos fatigues lui préparaient la voie. Maintenant que vous êtes arrivé au terme de vos travaux, veillez sur l’Église de Dieu avec ce zèle que le Seigneur a couronné en vous. Du haut du ciel, communiquez aux pasteurs cette vigueur apostolique sans laquelle le mal ne cède pas. Maintenez pures les mœurs sacerdotales qui sont le sel de la terre [4]. Fortifiez dans les brebis le respect, la fidélité et l’obéissance envers ceux qui les conduisent dans les pâturages du salut. Vous qui fûtes non seulement l’apôtre, mais l’exemple de la pénitence chrétienne, au milieu d’un siècle corrompu, obtenez que nous soyons empressés à racheter, par les œuvres satisfactoires, nos péchés et les peines qu’ils ont méritées. Ranimez dans nos âmes le souvenir des souffrances de notre Rédempteur, afin que nous trouvions dans sa douloureuse Passion une source continuelle de repentir et d’espérance. Accroissez encore notre confiance en Marie, refuge des pécheurs, et donnez-nous part à la tendresse filiale dont vous vous montrâtes animé pour elle, au zèle avec lequel vous avez publié ses grandeurs.

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

Ce saint évêque d’Ostie, fils intrépide et gloire de l’Ordre de Saint-Benoît, qui, au XIe siècle, — période très agitée d’antipapes, d’hérésies et de douloureux affaiblissement de l’esprit ecclésiastique, — fut comme une colonne de feu indiquant aux fidèles la voie étroite de la Croix du Christ qui mène sûrement- au Ciel, passa au Seigneur le 22 février 1072. A cause de la fête de la Chaire de saint Pierre, c’est aujourd’hui seulement qu’on célèbre sa commémoration annuelle. Léon XII étendit son office — d’abord en usage seulement chez les moines Bénédictins — à l’Église universelle.

La messe est celle du Commun des docteurs In médio, mais la première collecte est propre et rappelle la renonciation de saint Pierre Damien aux insignes cardinalices et à l’évêché d’Ostie.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

Principe du saint : La langue qui à l’honneur de se rougir du sang de l’Agneau immaculé, du Verbe suprême, devrait considérer comme indigne d’elle de se souiller dans la lie des vains propos. »

Saint Pierre Damien : Jour de mort : 22 février 1072. Tombeau : dans l’église des cisterciens de Faënza (Italie). Image : On le représente en ermite, le chapeau de cardinal à côté de lui, ou encore comme pénitent, avec une discipline. Vie : Saint Pierre Damien est du nombre des grands et véritables réformateurs de l’Église au Moyen Age ; c’est même un des hommes les plus extraordinaires de tous les temps. Dans le savant, on admire la profondeur et la variété des connaissances ; dans le prédicateur de la parole divine, la franchise apostolique ; dans le moine, l’austérité et la mortification ; dans le prêtre, la piété et le zèle des âmes ; dans le cardinal, la fidélité et l’attachement au Saint-Siège. On admire, en général, son dévouement sans réserve pour le bien de l’Église. Il mourut en 1072. La messe (In médio) est du commun des docteurs de l’Église.

Quelques traits de sa vie. Des saints comme Pierre Damien ont aussi des tentations à combattre et des faiblesses à surmonter. C’est ce que nous montrent les aveux suivants :

« Malheur à moi, misérable. Tout ce qui est mauvais, je l’ai fait. Dans une vie si longue, je n’ai, pour ainsi dire, accompli aucun commandement de Dieu... Il est surtout un défaut que je dois pleurer amèrement, c’est mon goût pour les propos bouffons. De tout temps, ce défaut m’a donné bien du tracas et, même après mon entrée au monastère, il ne m’a pas entièrement quitté. J’ai, certes, lutté contre ce monstre ; avec le marteau de l’austérité je lui ai brisé ses dents méchantes... J’ai réussi pour un temps à l’enchaîner, mais je n’ai jamais pu le vaincre complètement. Même sous le prétexte de joie spirituelle, quand je veux me montrer joyeux à mes frères, je tombe dans de vains propos. »

« Moi aussi, pauvre écrivain, je souffre de ma nature excitable. Souvent la plus petite injure m’enlève la paix de l’âme. Mais quelles que soient les exigences de la colère, qu’elle fasse rage, qu’elle écume, qu’elle grince des dents, je lui refuse mon secours extérieur autant que cela m’est possible. Je ne lui donne pas ma main pour frapper. Je ne remue ni ma langue ni mes lèvres pour qu’elle ne puisse pas exhaler sa bile amère. Qu’on me fasse ce qu’on voudra, je pense ainsi : Je dois conserver en moi la patience, et ce n’est pas de la vertu des autres que je puis attendre ma récompense. Là où aucune attaque n’oblige au combat, il n’y a pas non plus de couronne de victoire. »

« Parfois, s’enflamme en moi le feu de la sensualité qui excite mon cœur et mes membres. Quoi qu’elle fasse, elle non plus n’aura pas mon secours. Je puis bien contenir la nature par ma raison, mais il est impossible de l’anéantir. Je puis la réduire au silence, mais non l’étouffer. »

Il écrit une fois à son jeune neveu : « Pour chasser de ton champ la bête enragée — s’il est permis de s’exprimer en figure — ne néglige jamais de te soutenir chaque jour par la réception du corps et du sang du Seigneur. L’ennemi secret doit voir tes lèvres rougies du sang du Christ. Cette vue le fait frémir et reculer ; il s’enfuit immédiatement, plein d’effroi, dans sa sombre retraite. »

« Je connais un frère dans le Christ qui est, pour ainsi dire, toujours prêt à partir. S’il lui survient une tentation de sensualité, il dit à son âme : « Viens, nous allons faire une promenade. » Il parcourt alors en esprit tous les lieux de sépultures et tous les cimetières. Quand il songe que toute la chair, qui est, là, soumise à une telle calamité, fut autrefois fraîche et florissante, il ne doute pas que son corps aura bientôt le sort de ceux-là Il en a bientôt fini avec la volupté celui qui dirige son regard vers la pourriture. Là où se trouve un tombeau, la volupté ne s’élève pas. »

Benoît XVI, catéchèses, 9 septembre 2009

Chers frères et sœurs,

Au cours des catéchèses de ces mercredis, je traite certaines grandes figures de la vie de l’Église depuis ses origines. Je voudrais m’arrêter aujourd’hui sur l’une des personnalités les plus significatives du XIe siècle, saint Pierre Damien, moine, qui aimait la solitude et dans le même temps, intrépide homme d’Église, engagé personnellement dans l’œuvre de réforme commencée par les papes de l’époque. Il est né à Ravenne en 1007 d’une famille noble, mais pauvre. Devenu orphelin de ses deux parents, il vécut une enfance marquée par les privations et les souffrances, même si sa sœur Roselinda s’engagea à lui servir de mère et son grand frère Damien l’adopta comme son enfant. C’est précisément pour cela qu’il sera appelé par la suite Pierre de Damien, Pierre Damien. Il suivit une formation d’abord à Faenza, puis à Parme où, à l’âge de 25 ans déjà, nous le trouvons engagé dans l’enseignement. A côté d’une bonne compétence dans le domaine du droit, il acquit une grande habileté et un raffinement dans l’art de composer - l’ars scribendi - et, grâce à sa connaissance des grands classiques latins, il devint l’« un des meilleurs latinistes de son époque, l’un des plus grands écrivains du Moyen Age latin » [5].

Il se distingua dans les genres littéraires les plus divers : des lettres aux sermons, des hagiographies aux prières, des poèmes aux épigrammes. Sa sensibilité pour la beauté le conduisait à la contemplation poétique du monde. Pierre Damien concevait l’univers comme une « parabole » inépuisable et une étendue de symboles, à partir de laquelle il interprétait la vie intérieure et la réalité divine et surnaturelle. Dans cette perspective, aux alentours de l’an 1034, la contemplation de l’absolu de Dieu le poussa à se détacher progressivement du monde et de ses réalités éphémères, pour se retirer dans le monastère de Fonte Avellana, fondé seulement quelques décennies plus tôt, mais déjà célèbre en raison de son austérité. Pour édifier les moines, il écrivit la Vie du fondateur, saint Romuald de Ravenne, et s’engagea dans le même temps à en approfondir la spiritualité, en exposant son idéal de monachisme érémitique.

Il faut immédiatement souligner un détail : l’ermitage de Fonte Avellana était consacré à la Sainte Croix, et la Croix sera le mystère chrétien qui, plus que tout autre, fascinera Pierre Damien. « Celui qui n’aime pas la croix du Christ n’aime pas le Christ », affirme-t-il [6] et se qualifie comme : « Petrus crucis Christi servorum famulus - Pierre serviteur des serviteurs de la croix du Christ » [7]. Pierre Damien adresse à la croix de très belles prières, dans lesquelles il révèle une vision de ce mystère aux dimensions cosmiques, car il embrasse toute l’histoire du salut : « O bienheureuse Croix - s’exclame-t-il - la foi des patriarches, les prophéties des prophètes, le sénat des apôtres chargé de juger, l’armée victorieuse des martyrs et les foules de tous les saints te vénèrent, te prêchent et t’honorent » [8]. Chers frères et sœurs, que l’exemple de saint Pierre Damien nous pousse nous aussi à regarder toujours la Croix comme l’acte suprême d’amour de Dieu à l’égard de l’homme, qui nous a donné le salut.

Pour le déroulement de la vie érémitique, ce grand moine rédige une Règle dans laquelle il souligne profondément la « rigueur de l’ermitage » : dans le silence du cloître, le moine est appelé à passer une longue vie de prière, diurne et nocturne, avec des jeûnes prolongés et austères ; il doit s’exercer à une généreuse charité fraternelle et à une obéissance au prieur toujours prête et disponible. Dans l’étude et la méditation quotidienne, Pierre Damien découvre les significations mystiques de la Parole de Dieu, trouvant dans celle-ci une nourriture pour sa vie spirituelle. C’est dans ce sens qu’il qualifie la cellule de l’ermitage comme « parloir où Dieu converse avec les hommes ». La vie érémitique est pour lui le sommet de la vie chrétienne, elle se trouve « au sommet des états de vie », car le moine, désormais libre des liens du monde et de son propre moi, reçoit « les arrhes de l’Esprit Saint et son âme s’unit heureuse à l’Epoux céleste » [9]. Cela apparaît important également pour nous aujourd’hui, même si nous ne sommes pas des moines : savoir faire le silence en nous pour écouter la voix de Dieu, chercher, pour ainsi dire un « parloir » où Dieu parle avec nous : apprendre la Parole de Dieu dans la prière et dans la méditation est le chemin de la vie. Saint Pierre Damien, qui fut substantiellement un homme de prière, de méditation, de contemplation, fut également un fin théologien : sa réflexion sur différents thèmes doctrinaux le conduit à des conclusions importantes pour la vie. Ainsi, par exemple, il expose avec clarté et vivacité la doctrine trinitaire en utilisant déjà, dans le sillage des textes bibliques et patristiques, les trois termes fondamentaux, qui sont ensuite devenus déterminants également pour la philosophie de l’Occident, processio, relatio e persona [10]. Toutefois, étant donné que l’analyse théologique du mystère le conduit à contempler la vie intime de Dieu et le dialogue d’amour ineffable entre les trois Personnes divines, il en tire des conclusions ascétiques pour la vie en communauté et pour les relations entre chrétiens latins et grecs, divisés sur ce thème. La méditation sur la figure du Christ a elle aussi des conséquences pratiques significatives, toute l’Écriture étant axée sur Lui. Le « peuple des juifs - note saint Pierre Damien -, à travers les pages de l’Écriture Sainte, a comme porté le Christ sur ses épaules » [11]. Le Christ, ajoute-t-il, doit donc se trouver au centre de la vie du moine : « Que le Christ soit entendu dans notre langue, que le Christ soit vu dans notre vie, qu’il soit perçu dans notre cœur » [12]. L’union intime avec le Christ engage non seulement les moines, mais tous les baptisés. Nous trouvons ici un rappel puissant, également pour nous, à ne pas nous laisser totalement prendre par les activités, par les problèmes et par les préoccupations de chaque jour, en oubliant que Jésus doit vraiment être au centre de notre vie.

La communion avec le Christ crée l’unité d’amour entre les chrétiens. Dans la lettre 28, qui est un traité d’ecclésiologie de génie, Pierre Damien développe une profonde théologie de l’Eglise comme communion. « L’Église du Christ - écrit-il - est unie dans le lien de la charité au point que, de même qu’elle est une en plusieurs membres, elle est tout entière mystiquement dans chacun des membres ; si bien que toute l’Église universelle se dénomme à juste titre unique Épouse du Christ au singulier, et chaque âme élue, par le mystère sacramentel, est considérée comme pleinement Église ». Cela est important : non seulement l’Église universelle tout entière est unie, mais en chacun de nous devrait être présente l’Église dans sa totalité. Ainsi, le service de l’individu devient « expression de l’universalité » [13]. Toutefois, l’image idéale de la « sainte Église » illustrée par Pierre Damien ne correspond pas - il le savait bien - à la réalité de son temps. C’est pourquoi il ne craint pas de dénoncer l’état de corruption existant dans les monastères et parmi le clergé, en raison, avant tout, de la pratique de laisser les autorités laïques remettre l’investiture des charges ecclésiastiques : plusieurs évêques et abbés se comportaient en gouverneurs de leurs propres sujets plus qu’en pasteurs des âmes. Souvent leur vie morale laissait beaucoup à désirer. C’est pourquoi, avec une grande douleur et tristesse, en 1057, Pierre Damien quitte le monastère et accepte, bien qu’avec difficulté, la nomination comme cardinal évêque d’Ostie, entrant ainsi pleinement en collaboration avec les papes dans l’entreprise difficile de la réforme de l’Église. Il a vu que la contemplation n’était pas suffisante et il a dû renoncer à la beauté de la contemplation pour apporter son aide à l’œuvre de renouveau de l’Église. Il a ainsi renoncé à la beauté de l’ermitage et avec courage il a entrepris de nombreux voyages et missions.

Pour son amour de la vie monastique, dix ans plus tard, en 1067, il obtient la permission de retourner à Fonte Avellana, en renonçant au diocèse d’Ostie. Mais la tranquillité à laquelle il aspirait dure peu de temps : à peine deux ans plus tard, il est envoyé à Francfort dans la tentative d’éviter le divorce d’Henri IV et de sa femme Berthe ; et de nouveau deux ans plus tard, en 1071, il se rend au Mont Cassin pour la consécration de l’église abbatiale et au début de 1072 il va à Ravenne pour rétablir la paix avec l’archevêque local, qui avait soutenu l’antipape en frappant la ville d’interdiction. Pendant le voyage de retour à son ermitage, un maladie subite le contraint à s’arrêter à Faenza dans le monastère bénédictin de « Santa Maria Vecchia fuori porta », et il y meurt dans la nuit du 22 au 23 février 1072.

Chers frères et sœurs, c’est une grande grâce que dans la vie de l’Église le Seigneur ait suscité une personnalité aussi exubérante, riche et complexe que celle de saint Pierre Damien et il n’est pas commun de trouver des œuvres de théologie et de spiritualité aussi aiguës et vives que celles de l’ermite de Fonte Avellana. Il fut moine jusqu’au bout, avec des formes d’austérité qui aujourd’hui pourraient presque nous sembler excessives. Mais de cette manière, il a fait de la vie monastique un témoignage éloquent du primat de Dieu et un rappel pour tous à cheminer vers la sainteté, libres de tout compromis avec le mal. Il se consuma, avec une lucide cohérence et une grande sévérité, pour la réforme de l’Église de son temps. Il donna toutes ses énergies spirituelles et physiques au Christ et à l’Église, en restant toujours, comme il aimait se définir, Petrus ultimus monachorum servus, Pierre, le dernier serviteur des moines.

© Copyright du texte original plurilingue : Librairie Editrice du Vatican

[1] I Petr. IV, 17.

[2] Iohan. III, 29.

[3] Psalm. LXXXII

[4] Matth. V, 13.

[5] J. Leclercq, Pierre Damien, ermite et homme d’Église, Rome, 1960, p. 172.

[6] Sermo, XVIII 11, p. 117.

[7] Ep 9, 1.

[8] Sermo, XVIII 14, p. 304.

[9] Ep 18, 17 ; cf ; Ep 28, 43sq.

[10] cf. Opusc. XXXVIII : PL CXLV, 633-642 ; et Opusc. II et III : ibid., 41sq et 58sq.

[11] Sermo XLVI, 15.

[12] Sermo VIII, 5.

[13] Ep 28, 9-23.