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16/11 Ste Gertrude, vierge

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Sommaire

  Textes de la Messe  
  Office  
  Dom Guéranger, l’Année Liturgique  
  Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum  
  Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique  

Morte un 17 novembre vers 1302 (et non 1292 comme indiqué dans les leçons du bréviaire). Culte reconnu en 1606 par le pape Paul VI. Fête étendue par Innocent X à tout l’ordre bénédictin en 1678 et inscrite au martyrologe romain la même année. Clément XII en fit une fête double en 1738 à la date du 17 novembre, puis anticipée au 15 en 1739 [1].

L’inscription de St Albert le Grand au calendrier a redéplacé sa fête au 16 en 1932.

Textes de la Messe

die 16 novembris
le 16 novembre
ante 1932 : die 15
avant 1932 : le 15
SANCTÆ GERTRUDIS
SAINTE GERTRUDE
Virginis
Vierge
III classis (ante CR 1960 : duplex)
IIIème classe (avant 1960 : double)
Missa Dilexísti, de Communi Virginum 3 loco, præter orationem sequentem :Messe Dilexísti, du Commun des Vierges 3, sauf l’oraison suivante :
Oratio.Collecte
Deus, qui in corde beátæ Gertrudis Vírginis iucúndam tibi mansionem præparásti : ipsíus méritis et intercessióne ; cordis nostri máculas cleménter abstérge, et eiúsdem tríbue gaudére consórtio. Per Dóminum.O Dieu, qui vous êtes préparé une demeure agréable dans le cœur de la bienheureuse Vierge Gertrude, daignez, dans votre clémence, en égard à ses mérites et à son intercession, laver les taches qui souillent notre cœur et nous faire jouir de sa compagnie.
Secreta CSecrète C
Accépta tibi sit, Dómine, sacrátæ plebis oblátio pro tuórum honóre Sanctórum : quorum se méritis de tribulatióne percepísse cognóscit auxílium. Per Dóminum nostrum.Qu’elle soit agréée de vous, Seigneur, l’offrande faite par votre peuple saint en l’honneur de vos Saintes par les mérites desquelles il reconnaît avoir reçu du secours dans la tribulation.
Postcommunio CPostcommunion C
Satiásti, Dómine, famíliam tuam munéribus sacris : eius, quǽsumus, semper interventióne nos réfove, cuius sollémnia celebrámus. Per Dóminum.Vous avez, Seigneur, nourri votre famille de dons sacrés ; ranimez-nous toujours, s’il vous plaît, grâce à l’intervention de la sainte dont nous celébrons la fête.

Office

Leçons des Matines avant 1960

Quatrième leçon. Née de parents nobles à Eisleben en Saxe, Gertrude, dès l’âge de cinq ans, consacra à Jésus-Christ sa personne et sa virginité, dans le monastère bénédictin de Rodesdorf. A partir de ce moment, tout à fait étrangère aux choses du monde et s’appliquant avec zèle à pratiquer la vertu, elle mena une vie toute céleste. A la connaissance des lettres humaines, elle joignait la science des choses divines, dont la méditation l’excitait à la vertu et lui fit, en peu de temps, acquérir la perfection chrétienne. Elle parlait souvent, et avec de pieux sentiments, du Christ et des mystères de sa vie, et ne pensant qu’à la gloire de Dieu, elle y rapportait tous ses désirs et toutes ses actions. Bien que Dieu l’eût abondamment comblée de dons excellents, dans l’ordre de la nature et de la grâce, elle se méprisait cependant elle-même au point de compter, parmi les principaux miracles de la divine bonté, le fait d’en être miséricordieusement supportée, quoiqu’indigne pécheresse.

Cinquième leçon. A l’âge de trente ans, elle fut choisie pour gouverner d’abord le monastère de Rodesdorf, où elle avait embrassé la vie religieuse, puis le monastère d’Heldelfs. Pendant quarante ans, elle remplit sa charge avec tant de charité, de prudence et de zèle pour l’observance de la discipline régulière, que son monastère semblait être l’asile de la perfection religieuse. Dans ces deux communautés, bien qu’elle fût la mère et la supérieure de toutes les religieuses, elle voulait néanmoins être considérée comme la dernière ; et, s’abaissant de fait, elle se faisait la servante des autres. Pour s’occuper de Dieu avec une plus grande liberté d’esprit, elle mortifiait son corps par les veilles, les jeûnes et toutes sortes d’austérités. Toujours égale à elle-même, elle ne cessa de montrer une innocence de vie, une douceur, une patience extraordinaires. Elle s’appliqua par tous les moyens à procurer le salut du prochain, et, de sa pieuse sollicitude, elle recueillit des fruits abondants. La force de son amour pour Dieu lui faisait éprouver de fréquentes extases, et lui obtint d’être élevée à un très haut degré de contemplation et aux jouissances de l’union divine.

Sixième leçon. Jésus-Christ, voulant montrer le mérite de son épouse bien-aimée, déclara que le cœur de Gertrude était pour lui une demeure pleine de délices. Elle honorait d’une dévotion toute spéciale la glorieuse Vierge Marie, que Jésus lui-même lui avait donnée pour mère et protectrice, et reçut d’elle un grand nombre de faveurs. Le très adorable sacrement de l’Eucharistie et la passion du Seigneur la pénétraient d’un tel amour et d’une si vive reconnaissance, qu’en les méditant, elle répandait des larmes abondantes. Elle soulageait chaque jour par ses suffrages et ses prières les âmes des justes condamnées aux flammes expiatoires. Gertrude composa de nombreux écrits, propres à ranimer la piété. Des révélations divines et le don de prophétie l’ont aussi rendue célèbre. Enfin, réduite à un état de langueur, plutôt par son ardent amour de Dieu que par la maladie, elle mourut l’an du Seigneur mil deux cent quatre-vingt douze. Après sa mort comme pendant sa vie, Dieu l’a glorifiée par des miracles.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

L’école qui a pour base la règle du Patriarche des moines d’Occident, commence à saint Grégoire le Grand ; et telle a été l’indépendance de l’Esprit-Saint qui la dirigeait, que des femmes y ont prophétisé comme les hommes. Il suffit de rappeler sainte Hildegarde et sainte Gertrude, à côté de laquelle figure avec honneur sa compagne, sainte Mechtilde, et la grande sainte Françoise romaine. Quiconque en fera l’expérience, s’il a pratiqué les auteurs plus récents sur l’ascèse et la mystique, ne tardera pas à sentir cette saveur si différente, cette autorité douce qui ne s’impose pas, mais qui entraîne. Là, rien de cette habileté, de cette stratégie, de cette analyse savante que l’on rencontre ailleurs ; procédés qui réussissent plus ou moins, et dont on ne recommence l’application qu’avec le risque d’en sortir blasé.

Le pieux et docte P. Faber a relevé avec sa sagacité ordinaire les avantages de cette forme de spiritualité qui ménage la liberté d’esprit, et produit dans les âmes, sans méthode rigoureuse, les dispositions dont les méthodes modernes n’ont pas toujours le secret. « Nul ne peut lire, dit-il, les écrivains spirituels de l’ancienne école de saint Benoît, sans remarquer avec admiration la liberté d’esprit dont leur âme était pénétrée. Sainte Gertrude en est un bel exemple ; elle respire partout l’esprit de saint Benoît. L’esprit de la religion catholique est un esprit facile, un esprit de liberté ; et c’était là surtout l’apanage des Bénédictins ascétiques de la vieille école. Les écrivains modernes ont cherché à tout circonscrire, et cette déplorable méthode a causé plus de mal que de bien [2]. »

Au reste, les voies sont diverses, et tout chemin qui mène l’homme à Dieu par la réforme de soi-même est un heureux chemin. Nous n’avons voulu dire qu’une chose, c’est que celui qui se livrera à la conduite d’un Saint de la vieille école ne perdra pas son temps, et que s’il est exposé à rencontrer moins de philosophie, moins de psychologie sur son chemin, il a chance d’être séduit par la simplicité et l’autorité du langage, d’être ébranlé et bientôt réduit parle sentiment du contraste qui existe entre lui et la sainteté de son guide. Telle est l’heureuse révolution qu’éprouvera pour l’ordinaire une âme qui, se proposant de resserrer ses relations avec Dieu, et s’étant établie dans la droiture de l’intention et dans un sincère recueillement, voudra suivre sainte Gertrude, tout spécialement dans la semaine d’Exercices qu’elle a tracée. Nous oserions presque lui promettre qu’elle en sortira tout autre qu’elle n’y était entrée. Il est même à croire qu’elle y reviendra plus d’une fois et avec plaisir ; car il ne lui souvient pas qu’elle ait éprouvé la moindre fatigue, et que la liberté de son esprit ait été enchaînée même un instant. Elle a pu être confondue de se sentir si près d’une âme sanctifiée, elle si loin de la sainteté ; mais elle a senti qu’ayant après tout la même fin que cette âme, il lui faut sortir de la voie molle et dangereuse qui l’entraînerait à sa perte.

Si l’on se demande d’où vient à notre Sainte cet empire qu’elle exerce sur quiconque consent à l’écouter, nous répondrons que le secret de son influence est dans la sainteté dont elle est remplie : elle ne démontre pas le mouvement, elle marche. Une âme bienheureuse, descendue du ciel pour demeurer quelque temps avec les hommes, et parlant la langue delà patrie sur cette terre d’exil, transformerait ceux qui auraient le bonheur de l’entendre parler. Sainte Gertrude, admise dès ici-bas à la plus étroite familiarité avec le Fils de Dieu, semble avoir quelque chose de l’accent qu’aurait cette âme ; voilà pourquoi ses paroles sont autant de flèches pénétrantes qui abattent toute résistance dans ceux qui se placent à leur portée. L’intelligence est éclairée par cette doctrine si pure et si élevée, et cependant Gertrude ne disserte pas ; le cœur est ému, et cependant Gertrude n’adresse la parole qu’à Dieu ; l’âme se juge, se condamne, se renouvelle par la componction, et cependant Gertrude n’a pas cherché un instant à l’établir dans un état factice.

Si l’on veut maintenant se rendre compte de la bénédiction particulière attachée à son langage, qu’on recherche la source de ses sentiments et des expressions sous lesquelles ils se traduisent. Tout émane de la divine parole, non seulement de celle que Gertrude a entendue de la bouche de l’Époux céleste, mais aussi de celle qu’elle a goûtée, dont elle s’est nourrie dans les livres sacrés et dans la sainte Liturgie. Cette fille du cloître n’a pas cessé un seul jour de puiser la lumière et la vie aux sources de la contemplation véritable, de cette contemplation que l’âme goûte en s’abreuvant à la fontaine d’eau vive, qui jaillit de la psalmodie et des paroles inspirées des divins Offices. Elle s’est tellement enivrée de cette liqueur céleste, qu’elle ne dit pas un mot qui ne dévoile l’attrait qu’elle y trouve. Telle est sa vie, si complètement absorbée dans la Liturgie de l’Église, que nous voyons constamment, dans ses Révélations, le Seigneur arriver près d’elle, lui manifester les mystères du ciel, la Mère de Dieu et les Saints se présenter à ses regards et l’entretenir, à propos d’une Antienne, d’un Répons, d’un Introït, que Gertrude chante avec délices et dont elle déguste toute la saveur.

Delà, chez elle, ce lyrisme continuel qu’elle ne recherche pas, mais qui lui est devenu comme naturel ; cet enthousiasme sacré auquel elle ne peut se soustraire, et qui l’amène à produire tant de pages où la beauté littéraire semble arriver à la hauteur de l’inspiration mystique. Cette fille du XIIIe siècle, au fond d’un monastère de la Souabe, a réalisé avant Dante le problème de la poésie spiritualiste Tantôt la tendresse de son âme s’épanche dans une touchante élégie ; tantôt le feu qui la consume éclate en brûlants transports ; tantôt c’est la forme dramatique qu’elle emploie pour rendre le sentiment qui la domine. Parfois ce vol sublime s’arrête : l’émule des Séraphins semble vouloir redescendre sur la terre ; mais c’est pour repartir bientôt et s’élever plus haut encore. Une lutte incessante a lieu entre son humilité qui la tient prosternée dans la poussière, et son cœur haletant vers Jésus qui l’attire et lui adonné tant de gages de son amour.

A notre avis, les plus sublimes passages de sainte Thérèse, mis en regard des effusions de sainte Gertrude, n’en affaibliraient en rien l’ineffable beauté. Il nous semble même que souvent l’avantage resterait à la vierge de Germanie sur la vierge espagnole. Ardente et impétueuse, la seconde n’a pas, il est vrai, la teinte un peu mélancolique et réfléchie de la première ; mais Gertrude, initiée à la langue latine, ravivée sans cesse par la lecture des saintes Écritures et les divins Offices qui n’ont pas d’obscurités pour elle, y puise un langage dont la richesse et la puissance nous semblent l’emporter généralement sur les immortels épanchements de Thérèse à qui ces secours ont été moins familiers.

Que le lecteur cependant ne s’effraie pas à la pensée d’être placé tout à coup sous la conduite d’un Séraphin, lorsque sa conscience lui rend le témoignage qu’il a encore une longue station à faire dans la région purgative, avant de songer à parcourir des voies qui peut-être ne s’ouvriront jamais devant lui. Qu’il écoute simplement Gertrude, qu’il la contemple et qu’il ait foi dans le but d’arrivée. La sainte Église, lorsqu’elle met dans notre bouche les Psaumes du Roi-Prophète, n’ignore pas que leurs expressions dépassent trop souvent les sentiments de notre âme ; mais le moyen d’arriver à l’unisson avec ces divins cantiques, n’est-ce pas de les réciter fréquemment avec foi et humilité, et d’obtenir ainsi la transformation que nul autre moyen n’aurait opérée ? Gertrude nous détache doucement de nous-mêmes et nous conduit à Jésus-Christ, en nous précédant de loin, mais en nous entraînant après elle. Elle va droit au cœur de son Époux divin : rien n’est plus juste ; mais ne lui serons-nous pas déjà assez redevables, si elle nous conduit à ses pieds comme Madeleine repentante et régénérée ?

Même quand elle écrit plus spécialement pour ses sœurs, on doit se garder de penser que la lecture de ces pages si émouvantes soit inutile à ceux qui sont engagés dans la vie du siècle. La vie religieuse exposée par un tel interprète est un spectacle aussi instructif qu’il est éloquent. Est-il permis d’ignorer que la pratique des préceptes devient plus aisée à quiconque s’est donné la peine d’approfondir et d’admirer celle des conseils ? Le livre de l’Imitation, qu’est-il autre chose que le livre d’un moine écrit pour des moines ? En quelles mains cependant ne le rencontre-t-on pas ? Combien de personnes séculières sont sous le charme des écrits de sainte Thérèse ? Et néanmoins la vierge du Carmel concentre sur la vie religieuse ses écrits et sa doctrine.

Nous nous garderons d’analyser ici des merveilles qu’il faut contempler soi-même. Dans notre société désaccoutumée du langage ferme et coloré des âges de foi, gâtée, dans ce qui tient à la piété, par les fadeurs ou les prétentions mondaines des livres de dévotion que l’on voit éclore chaque jour, sainte Gertrude étonnera et choquera même plus d’un lecteur. Que faire alors ? Si l’on a désappris le langage de l’antique piété qui formait les Saints, il semble qu’il n’y aurait rien de mieux à faire que de le rapprendre, et il est de fait que sainte Gertrude y pourrait servir beaucoup.

La liste des admirateurs de sainte Gertrude serait longue Mais il est encore une autorité plus imposante : nous voulons dire celle de l’Église elle-même. Cette Mère des fidèles, toujours dirigée parle divin Esprit, a rendu son témoignage par l’organe de la sainte Liturgie. La personne de Gertrude et l’esprit qui l’animait y sont à jamais recommandés et glorifiés aux yeux de tous les chrétiens, par le jugement solennel contenu dans l’Office de la Sainte [3].

La vie de Gertrude la Grande, ainsi qu’elle mérita d’être désignée entre les Saintes du même nom, fut humble et cachée [4]. Entrée à cinq ans à l’Abbaye d’Helfta, près Eisleben, elle s’y perdit dans le secret de la face de Dieu. Malgré la confusion qui régna plusieurs siècles à ce sujet et qui se retrouve dans la Légende de la fête, c’est à tort qu’on l’a prise pour son homonyme, grandement prévenue elle-même des dons divins, l’Abbesse Gertrude de Hackeborn, qui gouverna de son temps le monastère. Ce fut sur la sublimité de ses Révélations tardivement publiées [5] qu’inscrite en 1677 au Martyrologe, elle vit au siècle suivant [6] Clément XII ordonner la célébration de sa fête dans toute l’Église sous le rit Double. Les Indes Occidentales l’acclamèrent comme Patronne, et le Nouveau-Mexique bâtit une ville en son honneur.

Afin de fournir une expression à la piété des fidèles envers sainte Gertrude, nous plaçons ici l’une des Hymnes que l’Ordre de saint Benoît lui consacre dans sa Liturgie, et nous la faisons suivre d’une des Antiennes.

HYMNE
O Gertrude, sanctuaire de la divinité, unie à l’Époux des vierges, laissez-nous célébrer vos chastes amours et votre alliance nuptiale.
A peine âgée de quatre ans et déjà fiancée au Christ, vous prenez votre vol vers le cloître ; vous vous arrachez aux bras de votre nourrice, n’aspirant qu’aux divines caresses de l’Époux.
Semblable au lis sans tache, vous exhalez un parfum qui réjouit les cieux, et l’éclat de votre virginale beauté attire vers vous le Roi dé cet heureux séjour.
Celui qui vit au sein du Père, entouré d’une gloire éternelle, devient votre Époux, et daigne se reposer dans votre amour.
Par cet amour, vous avez blessé le Christ, à son tour il blesse aussi votre cœur, il y grave en traits de feu les stigmates des plaies qu’il a reçues.
O ineffable amour ! ô échange merveilleux ! c’est lui qui respire dans votre cœur ;son souffle devient en vous le principe de la vie.
Que l’heureux chœur des Vierge célèbre vos louanges, ô Jésus leur Époux ! gloire égale au Père et au divin Paraclet ! Amen.

Ant. O très digne Épouse du Christ, la lumière prophétique vous a éclairée, le zèle apostolique vous a enflammée, la couronne des Vierges a ceint votre front, et les flammes du divin amour vous ont consumée.

Révélatrice du Cœur sacré, quelle meilleure prière pourrions-nous faire à votre honneur, que de dire avec vous, nous tournant vers le Fils de la Vierge bénie :

« Lumière sereine de mon âme, Matin éclatant des plus doux feux, devenez en moi le jour. Amour qui non seulement éclairez, mais divinisez, venez à moi dans votre puissance, venez dissoudre doucement tout mon être. Détruite en ce qui est de moi, faites que je passe en vous tout entière, en sorte que je ne me retrouve plus dans le temps, mais que déjà je vous sois étroitement unie pour l’éternité. « C’est vous qui m’avez aimée le premier ; c’est vous qui m’avez choisie. Vous êtes celui qui accourt de lui-même vers la créature altérée ; et l’éclat de la lumière éternelle brille sur votre front. Montrez-moi votre visage, tout rayonnant des feux du divin soleil. Comment l’étincelle pourrait-elle subsister loin du feu qui l’a produite ? Comment la goutte d’eau se conserverait-elle hors de la fontaine d’où elle est sortie ? Amour, pourquoi m’avez-vous aimée, moi créature et souillée, si ce n’est parce que vous vouliez me rendre belle en vous ? O vous, qui êtes la fleur délicate qu’a produite la Vierge Marie, votre miséricordieuse bonté m’a séduite et m’entraîne. Amour, ô mon beau Midi ! je voudrais mourir mille fois, pour me reposer en vous. « O Charité, à l’heure de ma mort, vous me soutiendrez par vos paroles plus délicieuses que le vin le plus exquis ; vous serez ma voie ; vous m’aiderez, ô ma Reine, à parvenir jusqu’à ces pâturages charmants et fertiles que recèle le divin désert, où enfin, enivrée de bonheur, je serai admise à jouir delà présence de l’Agneau qui est mon Époux et mon Dieu. O amour qui êtes Dieu, sans vous le ciel et la terre n’auraient de moi une espérance ni un désir : daignez accomplir en moi cette union que vous désirez vous-même ; qu’elle soit ma fin, la consommation de mon être. Dans les traits de mon Dieu, votre lumière éclate comme celle de l’astre du soir ; à l’heure de ma mort, montrez-moi vos rayons. « Amour, ô mon Soir bien-aimé, que la flamme sacrée qui brûle éternellement en votre divine essence, consume à ce moment toutes les taches de ma vie. O mon doux Soir, faites-moi m’endormir en vous d’un sommeil tranquille, et goûter cet heureux repos que vous avez préparé en vous à ceux que vous aimez. Par votre seul regard si calme et si plein de charmes, daignez disposer toutes choses, et dirigez les préparatifs de mes noces éternelles. Amour, soyez pour moi un Soir si beau, que mon âme transportée dise avec allégresse un doux adieu à son corps, et que mon esprit, retournant au Seigneur qui l’a donné, repose en paix sous votre ombre chérie [7]. »

Bhx Cardinal Schuster, Liber Sacramentorum

L’art chrétien a accoutumé de représenter les bienheureux avec l’emblème caractérisant le mieux l’aspect spécial de leur sainteté. C’est pourquoi sainte Gertrude est représentée avec un cœur enflammé dans la main ; parce que, comme elle habitait mystiquement dans le Sacré-Cœur de Jésus, le Sauveur demeurait en elle par la foi et par l’amour.

La mission de cette illustre vierge bénédictine du XIIIe siècle fut fort semblable à celle de sainte Marguerite-Marie Alacoque, que, d’ailleurs, dans sa lumière prophétique, elle annonça et connut. Entre les deux mystiques il y a cependant une différence : les grandes révélations du Cœur de Jésus à la sainte bénédictine sont destinées à nourrir la piété d’un groupe choisi d’âmes privilégiées ; tandis que celles de Paray-le-Monial doivent devenir le trésor de tout l’univers catholique. Substantiellement, l’objet des apparitions dont furent favorisées les deux voyantes est identique : c’est l’amour ineffable de Jésus, dont le Cœur est l’organe et le signe physique. Mais quant à la manière de concevoir cette dévotion, la formation différente des deux saintes s’y révèle manifestement.

Dans un Ordre qui, pendant plus de sept siècles, avait été le pacifique héritier de la tradition patristique, et où la liturgie catholique était la source presque exclusive de la vie spirituelle, Gertrude concevait la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus moins comme une dévotion spéciale que comme une intelligence plus élevée du grand et total mystère du Christ revivant dans l’Église au moyen de la liturgie catholique. C’est l’amour même de Jésus qui explique et illustre, dans la prière catholique de l’Église, tout le drame de son incarnation, les battements de son Cœur.

En effet, la mystique de sainte Gertrude est exclusivement fondée sur la vie liturgique de la famille catholique. Elle ne connaît guère d’autres pratiques de dévotion que l’Office divin et les messes solennelles, que Gertrude chantait chaque jour avec la cantrix Mechtildis — sainte Mathilde — et avec sa communauté, au chœur de l’abbaye de Helfta. Les révélations dont la favorisait le Seigneur étaient généralement en relation avec cet Office divin ; tantôt Jésus lui en expliquait le sens caché, tantôt il lui enseignait la façon la plus sublime de s’y adapter et de le revivre.

L’atmosphère qui entoure l’âme de Gertrude est généralement lumineuse et sereine. Plutôt qu’un abîme de douleur, c’est un mystère de grâce et d’amour que Jésus lui révèle dans son Cœur. Elle ne voit pas encore ce Cœur divin entouré d’une couronne d’épines, et elle ne se sent pas appelée par Jésus à la vocation particulière de victime d’expiation pour les péchés du monde, comme plus tard sainte Marguerite-Marie. Il est vrai que parfois le Divin Cœur se montre à elle transpercé, mais cette blessure est une porte d’or par où Gertrude s’introduit joyeuse dans le sanctuaire intime de la Divinité, dans la chambre nuptiale de l’Époux.

A la ressemblance de saint Jean qui, à la dernière Cène, tandis que les Apôtres se sentaient saisis de terreur à l’annonce de la trahison de Judas et de la mort prochaine de Jésus, reposait doucement sur la poitrine du Sauveur, la Bénédictine de Helfta se plonge dans le Cœur de son Bien-Aimé comme en un bain purificateur, un asile où personne ne peut l’atteindre pour troubler sa mystique contemplation.

D’autres fois, elle considère le Divin Cœur comme une coupe d’or à laquelle s’abreuvent tous les bienheureux ; ou bien elle voit une chaîne d’or, partant du Cœur du Sauveur et rendant le monde prisonnier de l’amour. Parfois le Sacré Cœur semble un encensoir fumant, dont l’encens brûle devant le trône du Père éternel, ou encore un écrin précieux dans lequel sont conservés tous les mérites de la sainte Incarnation, mérites dans lesquels les âmes peuvent puiser librement.

Symbole de douleur et d’amour, le Cœur sacré qui apparaît à la voyante bénédictine représente moins une dévotion spéciale, qu’il ne reflète cette attitude d’affectueuse tendresse envers l’humanité adorable du Rédempteur que la piété catholique avait assumée en Europe à la fin du moyen âge, après les arides disquisitions théologiques des byzantins.

Gertrude est une des figures les plus autorisées de ce courant, mais elle n’est pas la seule, pas même dans sa propre abbaye de Helfta, où, sous la houlette de la sainte abbesse Gertrude de Hackeborn — trop souvent confondue avec la voyante homonyme — vivaient, et écrivaient des ouvrages de mystique, sainte Mechtilde et une autre Mechtilde, elle aussi insigne par ses mérites et par les révélations célestes.

Si la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, telle qu’elle fut cultivée au XIIIe siècle dans le monastère de Helfta, reflète parfaitement l’antique spiritualité de l’Ordre de Saint-Benoît, les grandes révélations faites par sainte Marguerite-Marie sont plus en harmonie avec la psychologie des temps nouveaux, en ce moment exceptionnel de la vie de l’Église à l’avant-veille de la Révolution française.

Gertrude elle-même avait entrevu la mission très importante de l’humble disciple de saint François de Sales, un jour qu’avec saint Jean l’Évangéliste elle avait été invitée par Jésus à reposer sur sa poitrine. Entendant l’harmonie des battements de ce Cœur adorable, la Sainte de Helfta demanda à l’Apôtre de l’amour pourquoi, dans son Évangile, il n’avait pas dévoilé au monde les trésors de lumière et de miséricorde qu’il avait découverts, durant son mystique repos sur la poitrine du Sauveur à la dernière Cène. Jean répondit que cette nouvelle et plus touchante révélation avait été remise à plus tard, lorsque le monde aurait touché le fond de l’abîme de la malice, si bien que pour l’en sortir Dieu devrait recourir aux suprêmes ressources de son invincible amour.

Tel est le motif pour lequel, dans l’histoire du culte du très saint Cœur de Jésus, plutôt que de parler de dévotion nouvelle, on doit tenir compte, tant des traditions mystiques de l’antique famille bénédictine, que des mérites acquis dans l’apostolat du Sacré-Cœur par les congrégations religieuses plus récentes, sans opposer dévotion à dévotion, puisque toutes développent et illustrent l’unique piété catholique. Comme l’Incarnation, comme l’Eucharistie, le Sacré-Cœur de Jésus est un trésor commun à toute l’Église, et il ne peut donc devenir le monopole exclusif d’une famille particulière. Gertrude ressemble à sainte Marguerite-Marie, et les révélations faites aux voyantes bénédictines d’Helfta reçoivent leur exact accomplissement en celles dont fut favorisée, quatre siècles plus tard, l’héroïque fille de la Visitation.

Gertrude naquit le 6 janvier 1256 ; à cinq ans elle entra dans l’abbaye d’Helfta ; à vingt-cinq elle fut gratinée du charisme des révélations ; vers la fin de sa vie elle mérita de recevoir les stigmates, et elle mourut vers 1302. Clément XII inséra son office dans le calendrier romain.

La messe Dilexísti est du commun, sauf la première collecte qui fait allusion aux paroles que Jésus adressa un jour à sainte Gertrude : « En aucun autre lieu je ne me trouve aussi bien que dans le sein de mon Père céleste, dans le sacrement de l’Eucharistie et dans ton cœur, ô mon épouse bien-aimée. » Prière. — « O Dieu, vous qui vous êtes préparé une demeure agréable dans le cœur de votre bienheureuse vierge Gertrude ; par ses mérites et par ses prières, effacez miséricordieusement les taches de notre cœur, afin que nous puissions jouir de sa société dans la gloire. »

Un jour que Gertrude ne put assister avec ses sœurs à la conférence spirituelle, Jésus lui apparut et lui dit : Veux-tu, ma bien-aimée, que je te fasse moi-même le discours ? La Sainte accepta, et le Seigneur la fit approcher de son Cœur, où elle entendit deux sortes de battements. Jésus lui expliqua qu’il opérait ainsi le salut des hommes. Par la première pulsation, lui dit-il, j’apaise le Père éternel irrité contre les pécheurs, j’excuse leur malice et je les incite à la contrition. Par la seconde, je me réjouis avec mon Père de l’efficacité de mon sang pour le salut des justes, et j’attire suavement les bons à agir avec une perfection de plus en plus grande. Et de même que les opérations des sens ne peuvent empêcher le cœur humain de battre, ainsi le gouvernement de tout l’univers ne pourra jamais ralentir dans mon Cœur ces deux pulsations de miséricorde envers les justes et envers les pécheurs.

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique

« Dieu se ménage dans ses saints une agréable demeure »

Sainte Gertrude. — Jour de mort : 17 novembre 1302 (1311). Tombeau : à Helfta, en Thuringe. Image : En bénédictine, avec un cœur enflammé. Vie : Sainte Gertrude, la grande bénédictine, est l’une des figures les plus attachantes de l’Allemagne du Moyen Age et demeurera pour tous les temps, grâce à ses écrits, un maître de la vie intérieure. Elle naquit en 1256 et passa sa jeunesse, à partir de l’âge de cinq ans, au monastère de Helfta, où l’abbesse, Gertrude de Hackeborn, et sa sœur, sainte Mechtilde, furent ses guides dans la vie intérieure. (La similitude de noms a fait souvent prendre à tort sainte Gertrude pour l’abbesse et sainte Mechtilde pour sa sœur ; cette confusion se trouve même au bréviaire). Notre sainte Gertrude n’a en réalité exercé aucune charge de direction au monastère. Outre la connaissance qu’elle avait de la langue latine, elle atteignit un haut degré de culture doctrinale. Par ailleurs sa vie fut une suite ininterrompue de maladies. La richesse de sa vie intérieure n’en fut que plus grande. A l’âge de 25 ans (1281), elle eut pour la première fois une apparition du Christ qui lui dévoila les secrets de son union mystique avec lui. Sur un ordre de Dieu, elle écrivit une relation des grâces dont elle avait été favorisée. Son ouvrage capital est le Legatus divinae pietatis — L’ambassadeur du divin amour. Il se distingue par la profondeur de la théologie, par l’élévation de la poésie et par une surprenante clarté. Seule la lecture de l’ouvrage lui-même est capable de montrer jusqu’à quel point il excite à l’amour de Dieu. Louis de Blois, l’Abbé bien connu, avoue l’avoir lu une douzaine de fois chaque année. Elle mourut consumée plus par le feu de l’amour divin que par la fièvre, en 1302 (ou 1311).

Pratique : L’Oraison dit que « Dieu se ménage dans ses saints une aimable demeure ». C’est là une profonde pensée : Dieu habite dans ses enfants, et les vertus et les grâces ornent cette demeure. Mais le péché fait de ce temple une caverne de voleurs. Quelle invitation pour nous à vivre dans la piété et le bien ! — La Messe est du commun des vierges (Dilexísti). La messe constitue en ce moment une excellente préparation à la parousie.

[1] Explication donnée par Dom Guréanger dans son commentaire sur saint Grégoire le Thaumauturge au 17 novembre : « Lorsque Clément XII établit dans l’Église entière, comme nous l’avons vu, la fête de sainte Gertrude la Grande, il décréta d’abord qu’elle serait fixée au présent jour, où continue de la célébrer l’Ordre de saint Benoît. Mais, dit Benoît XIV, le XVII Novembre étant attribué depuis de longs siècles à la mémoire de Grégoire le Thaumaturge, il parut mieux convenir que celui qui changeait de place les montagnes ne fût pas lui-même changé de son lieu par la vierge ; et c’est ainsi que dès l’année 1739, qui suivit l’institution de la fête nouvelle, celle-ci fut fixée pour l’avenir au XV dudit mois ».

[2] Tout pour Jésus, ch. VIII, § 8.

[3] Dom Guéranger, Les Exercices de sainte Gertrude (1863), en la Préface.

[4] 1256-1303.

[5] Consignées dans les cinq Livres du Legatus divinae pietatis, ou Héraut de l’amour divin.

[6] 1738.

[7] Du cinquième Exercice. Pour animer en soi l’amour de Dieu.